Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100118

Dossier : IMM-2816-09

Référence : 2010 CF 47

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2010

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

BALVIN SERVICE

partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Balvin Service (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans sa décision, la SPR a établi que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la Jamaïque. Dès son jeune âge, il a été élevé dans ce pays par un oncle qui était un membre important de la sûreté municipale de Kingston. Il allègue que sa famille en Jamaïque était liée au People’s National party (le PNP) et que ces liens ont été le prétexte d’agressions que lui auraient fait subir des membres du Jamaica Labour Party (le JLP), notamment à cause du poste important que son oncle occupait dans la sûreté municipale de Kingston.

 

[3]               Le demandeur est d’abord venu au Canada en 1972, en provenance des États-Unis d’Amérique. Il a été expulsé du Canada en 1974, puis renvoyé en Jamaïque. Il est revenu au Canada en 1975 et a été expulsé une deuxième fois, en 1976. Le demandeur déclare qu’à son retour en Jamaïque, après cette deuxième expulsion, il a été agressé et poignardé par un représentant du JLP. Il ajoute qu’après le premier incident, quelques mois plus tard, il a été enlevé par des membres du JLP, détenu et torturé.

 

[4]               En 1978, le demandeur a quitté la Jamaïque et s’est rendu à Londres, supposément pour fuir la violence et la persécution en Jamaïque. Il est demeuré en Angleterre jusqu’en 1995. Cette année-là, le demandeur a obtenu un visa lui permettant de retourner au Canada afin d’y rejoindre sa conjointe canadienne, enceinte. Il est demeuré au Canada depuis lors et il a maintenant quatre enfants nés au Canada.

 

[5]               En 2007, le demandeur a été reconnu coupable de culture de marijuana. Le 28 août 2008, il a été arrêté pour possession de cocaïne épurée (crack). Il a été détenu parce que l’agent d’exécution en matière d’immigration craignait qu’il ne se présente pas en vue de son renvoi.

 

[6]               Le 30 août 2008, le demandeur a présenté une demande d’asile. Sa demande a été transmise à la SPR le 5 septembre 2008.

 

[7]               Le demandeur a demandé le soutien du programme d’aide juridique de la Colombie‑Britannique. Au départ, des fonds ont été remis à un avocat afin que ce dernier aide le demandeur à établir son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Le FRP a été transmis à la Commission le 3 novembre 2008. Le demandeur a fondé sa demande d’asile sur l’appartenance à un groupe social et ses opinions politiques, deux motifs touchant le profil de sa famille en Jamaïque et le risque posé par le JLP.

 

[8]               Le 27 janvier 2009, le Greffe de la SPR a communiqué avec le conseil du demandeur au sujet de la fixation de la date de l’audition de la demande. Le Greffe a proposé le 12 ou le 13 février. Le conseil du demandeur a affirmé avoir besoin de quatre à six semaines pour se préparer; le Greffe a alors proposé la date du 11 mars 2009.

 

[9]               L’audience a été fixée au 11 mars 2009 en processus accéléré; elle devait se dérouler par vidéoconférence.

 

[10]           Le 2 février 2009, le conseil du demandeur a demandé à ce que ce dernier puisse témoigner en personne. La demande a été rejetée.

 

[11]           Les 10 et 18 février 2009, le conseil du demandeur a demandé une modification de la date et de l’heure de l’audience. Les demandes ont été formulées par écrit. Ces demandes ont été rejetées par le greffier le 23 février 2009.

 

[12]           L’audience s’est déroulée par vidéoconférence le 11 mars 2009. La SPR a autorisé le demandeur à soumettre d’autres documents et observations après l’audience. La décision négative a été rendue publique le 19 mai 2009.

 

Observations

[13]           Le demandeur soutient que la SPR a manqué à l’équité procédurale en lui refusant un ajournement, compromettant ainsi sa capacité de présenter sa position de façon complète, équitable et adéquate, et en l’empêchant d’être présent à l’audience en procédant par vidéoconférence.

 

[14]           Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient que la SPR peut statuer elle-même sur la procédure à suivre et qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

Discussion et disposition

[15]           Depuis l’arrêt de la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les décisions des tribunaux administratifs peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon l’une des deux normes suivantes, c’est-à-dire le caractère raisonnable en ce qui concerne les questions de fait, les questions mixtes de fait et de droit et l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une part et, d’autre part, la norme de la décision correcte pour les questions de droit. Quant aux questions liées à l’équité procédurale, le contrôle judiciaire se fait selon la norme de la décision correcte; voir Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392, aux par. 52-55.

 

[16]           Je suis convaincue, après examen du dossier du tribunal et des observations des parties, que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en rejetant la demande d’ajournement présentée par le demandeur et que ce refus a nui à sa capacité de présenter sa position.

 

[17]           Le pouvoir discrétionnaire de la SPR de gérer sa propre procédure, eu égard aux demandes d’ajournement, n’est pas illimité; en effet, ce pouvoir est soumis aux directives énoncées à l’article 48 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles de la SPR), ainsi libellé :

Demande de changement de la date ou de l’heure d’une procédure

 

48. (1) Toute partie peut demander à la Section de changer la date ou l’heure d’une procédure.

 

Forme et contenu de la demande

 

(2) La partie :

a) fait sa demande selon la règle 44, mais n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle;

b) indique dans sa demande au moins six dates, comprises dans la période fixée par la Section, auxquelles elle est disponible pour commencer ou poursuivre la procédure.

 

Procédure dans deux jours ouvrables ou moins

 

(3) Si la partie veut faire sa demande deux jours ouvrables ou moins avant la procédure, elle se présente à la procédure et fait sa demande oralement.

Éléments à considérer

 

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

b) le moment auquel la demande a été faite;

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

f) si la partie est représentée;

g) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

h) tout report antérieur et sa justification;

i) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

j) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;

k) la nature et la complexité de l’affaire.

 

Obligation de se présenter aux date et heure fixées

 

(5) Sauf si elle reçoit une décision accueillant sa demande, la partie doit se présenter à la date et à l’heure qui avaient été fixées et être prête à commencer ou à poursuivre la procédure.

Application to change the date or time of a proceeding

 

48. (1) A party may make an application to the Division to change the date or time of a proceeding.

 

Form and content of application

 

(2) The party must

(a) follow rule 44, but is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration; and

(b) give at least six dates, within the period specified by the Division, on which the party is available to start or continue the proceeding.

 

If proceeding is two working days or less away

 

(3) If the party wants to make an application two working days or less before the proceeding, the party must appear at the proceeding and make the application orally.

Factors

 

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

(b) when the party made the application;

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

(f) whether the party has counsel;

(g) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

(h) any previous delays and the reasons for them;

(i) whether the date and time fixed were peremptory;

(j) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings or likely cause an injustice; and

(k) the nature and complexity of the matter to be heard.

 

Duty to appear at the proceeding

 

(5) Unless a party receives a decision from the Division allowing the application, the party must appear for the proceeding at the date and time fixed and be ready to start or continue the proceeding.

 

[18]           Selon la décision Chohan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 390, au paragraphe 13, la SPR est tenue de prendre en compte une demande d’ajournement « de façon rationnelle », en tenant compte des facteurs énumérés à l’article 48 des Règles de la SPR.

 

[19]           En l’espèce, le seul motif de refus de la demande d’ajournement de l’audience présentée par le demandeur est énoncé comme suit dans le dossier du tribunal :

[traduction]

Le conseil a accepté cette date le 27 janvier 2009. De plus, les préparatifs de la vidéoconférence sont déjà faits.

 

[20]           Dans les circonstances de l’espèce, je suis convaincue que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en refusant la demande d’ajournement présentée par le conseil au nom du demandeur, compromettant ainsi la capacité du demandeur de préparer entièrement la présentation de sa position. La SPR a commenté comme suit la façon dont le demandeur a témoigné :

[traduction]

[23] À la fin de la journée, la formation remet en question la lucidité du demandeur. Par exemple, il allègue craindre maintenant la présence au Canada de truands originaires de la Jamaïque. Il a déclaré que c’est la raison pour laquelle il a déménagé à Nelson, en Colombie-Britannique. Il a aussi affirmé que des truands originaires de la Jamaïque ont tenté de l’assassiner au moment où il se trouvait en Angleterre.

 

[21]           Je déduis de cette remarque que, même à un niveau inconscient, la SPR entretenait des doutes au sujet de la capacité du demandeur de présenter sa position.

 

[22]           Ce fait, joint à l’absence d’éléments de preuve selon lesquels la SPR aurait correctement pris en compte les facteurs énumérés à l’article 48 des Règles de la SPR, suffit à justifier le contrôle judiciaire en l’espèce. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SPR est cassée et l’affaire est renvoyée à une formation différente de la SPR qui statuera de nouveau sur l’affaire. Je n’ai pas à aborder les autres arguments soumis par les parties.

 

[23]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE : la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SPR est cassée et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la SPR. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alain Hogue, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2816-09

 

INTITULÉ :                                       BALVIN SERVICE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 décembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Catalin Mitelut

 

POUR LE DEMANDEUR

Sarah Stanton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Catalin Mitelut

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, C.R.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.