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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20100118

Dossier : IMM-2581-09

Référence : 2010 CF 32

Ottawa (Ontario), ce 18e jour de janvier 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Bibiana Arisbet ZARAZUA GUTIERREZ

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent de l’immigration (l’agent), présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi). Bibiana Arisbet Zarazua Gutierrez (la demanderesse) conteste le rejet par l’agent de sa demande d’autorisation de revenir au Canada (« ARC ») dans une décision confirmée par une lettre datée du 27 avril 2009.

 

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[2]          La demanderesse est une citoyenne du Mexique. Elle est venue au Canada en mai 2000 et a demandé le statut de réfugiée en juillet de la même année, alléguant une crainte de persécution basée sur son homosexualité. Sa demande a été rejetée, tout comme une demande de contrôle judiciaire de cette décision. La demanderesse a renoncé à un examen des risques avant renvoi (« ERAR ») le 28 novembre 2002 et a quitté le Canada le 2 décembre suivant, sans avertir les autorités de l’immigration canadiennes et obtenir une attestation de départ.

 

[3]          En mai 2003, la demanderesse est revenue au Canada, sous sa véritable identité, munie d’un permis de séjour valide jusqu’au 16 novembre 2003. Peu de temps après, un permis de travail délivré par Citoyenneté et Immigration Canada (« CIC ») et valide jusqu’au début de 2004 a été reçu à son ancienne adresse. L’ayant obtenu et ayant consulté un avocat qui lui a expliqué qu’elle avait bien le droit de travailler au Canada, la demanderesse a travaillé dans un restaurant de Vancouver d’août à décembre 2003. À cette date, elle a été convoquée par CIC. CIC a expliqué à la demanderesse qu’elle se trouvait illégalement au Canada et a saisi son permis de travail. CIC lui a demandé de quitter le pays le 17 décembre 2003 et elle s’est conformée aux instructions qui lui ont été données pour le faire.

 

[4]          Souhaitant revenir au Canada « afin de vivre avec sa conjointe », une Canadienne, la demanderesse a obtenu un certificat de sélection du Québec et présenté une demande de résidence permanente au Canada. Cependant, ayant fait l’objet d’une mesure de renvoi, elle n’avait pas, en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi, le droit d’y revenir sans autorisation. Elle a donc déposé, dans le cadre de sa demande de résidence permanente, une demande d’ARC, datée du 26 décembre 2007.

 

[5]          L’agent a rejeté cette demande et la demanderesse recherche un contrôle judiciaire de cette décision.

 

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[6]          L’agent a conclu qu’il n’existait pas de circonstances atténuantes ou de raisons suffisantes justifiant l’octroi d’une ARC à la demanderesse.

 

[7]          L’agent a noté que la demanderesse a quitté le Canada sans avoir averti les autorités d’immigration et que, si elle l’avait fait, un permis de travail ne lui aurait pas été délivré. L’agent a également conclu que cette omission démontrait que la demanderesse n’a pas coopéré avec les autorités d’immigration canadiennes. Selon lui, elle aurait dû consulter CIC plutôt qu’un avocat au sujet du permis de travail. De plus, l’agent a noté qu’il n’y avait pas de preuve au dossier concernant la raison alléguée par la demanderesse pour expliquer le retrait de sa demande d’ERAR; selon lui, elle n’y a eu recours que pour demeurer plus longtemps au Canada.

 

[8]          L’agent a aussi souligné qu’il avait des doutes au sujet du risque réel que courait la demanderesse au Mexique, étant donné qu’elle avait renoncé à sa demande d’ERAR et était retournée vivre dans la même ville du Mexique dont elle disait s’être enfuie. L’agent a également indiqué que la femme avec qui la demanderesse affirmait entretenir une relation depuis deux ans et demi était entrée au Canada en tant qu’épouse parrainée à peine six mois avant le début de cette relation. Selon l’agent, cette relation pouvait donc être une « façade » pour étayer ses allégations d’homosexualité. En somme, l’agent a conclu que la demanderesse manquait de crédibilité.

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[9]          En vertu du paragraphe 52(1) de la Loi, une autorisation est nécessaire pour tout étranger souhaitant revenir au Canada après qu’une mesure de renvoi eut été exécutée contre lui.

 

[10]      La décision de l’agent d’accorder ou non une autorisation de retour au Canada est discrétionnaire et les facteurs dont celui-ci doit tenir compte dans l’exercice de sa discrétion ne sont énumérés ni dans la Loi, ni dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Cependant, un document produit par CIC et intitulé « OP-1 Procédures » fournit des précisions à ce sujet.

 

[11]      Ce document indique que l’ARC ne peut servir de moyen de contourner une mesure de renvoi du Canada, que chaque demande doit être traitée selon ses propres faits et que « [l]es personnes qui demandent une ARC doivent démontrer qu’il existe des motifs impérieux pour que leur demande soit considérée, qui peuvent être mis en balance avec les circonstances qui ont nécessité la prise d’une mesure de renvoi ». Ce document contient également une liste de facteurs à prendre en compte dans le cadre de l’examen d’une demande d’ARC. Ces facteurs incluent la gravité de l’infraction à la Loi ayant mené à la mesure de renvoi du demandeur, les antécédents de celui-ci en matière de collaboration avec CIC et les motifs présentés au soutien de la demande d’ARC. À ce sujet, on explique que « [l]es mariages de bonne foi […] ou l’acceptation à un programme des candidats d’une province sont des exemples de facteurs que [sic] constituent normalement un ‘motif impérieux’ de retour au Canada. Par contre, aucun facteur ne devrait à lui seul l’emporter automatiquement sur des préoccupations liées à la sécurité des Canadiens et de la société canadienne ».

 

[12]      La demanderesse soutient que l’agent a fondé sa décision sur des conclusions erronées et n’a pas considéré des facteurs dont il aurait dû tenir compte. Ainsi, l’agent aurait eu tort de conclure que la demanderesse a ignoré les instructions de CIC en omettant de confirmer son départ du Canada en décembre 2002. En fait la demanderesse n’aurait jamais reçu de telles instructions ni même une date de départ. L’agent aurait aussi omis de considérer les raisons de sa demande, la gravité de sa violation de la Loi, son historique de collaboration, le risque minime qu’elle représenterait en cas de retour au Canada, le fait qu’elle détient un certificat de sélection du Québec et sa capacité de subvenir à ses besoins.

 

[13]      De plus, la conclusion de l’agent quant à la crédibilité de la demanderesse est, selon celle-ci, abusive et infondée sur la preuve. La demanderesse soutient qu’avant de tirer une telle conclusion, l’agent devait lui avoir donné l’opportunité de s’expliquer.

 

[14]      Le défendeur rejette l’argument de la demanderesse à l’effet qu’elle n’a jamais reçu d’instruction de confirmer son départ. Selon ce dernier, une interdiction de séjour est devenue exécutoire à l’encontre de la demanderesse suite au rejet de sa demande d’asile. Le sursis causé par le dépôt de sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été levé au rejet de celle-ci. La demanderesse n’ayant pas quitté le Canada dans la période réglementaire de 30 jours suivant la levée du sursis, l’interdiction de séjour est devenue une mesure d’expulsion. Néanmoins, la Loi imposait à la demanderesse l’obligation d’obtenir une attestation de départ et l’ignorance de cette exigence ne justifie pas l’omission de s’y conformer. Le défendeur s’appuie sur la décision du juge Pierre Blais, alors juge de la Cour fédérale, dans Chazaro c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 966, au paragraphe 22 :

     Je crois que l’agent avait raison de ne pas donner beaucoup de poids à l’argument du demandeur par rapport au fait qu’il ne savait pas qu’il devrait partir. Le demandeur avait en sa possession un document intitulé « Mesure d’interdiction de séjour ». Bien que ce document n’indique pas une date précise de départ, elle spécifie bien qu’elle « deviendra une mesure d’expulsion si aucune attestation de départ n’est délivrée au cours de la période applicable spécifiée dans le règlement ». Le demandeur avait connaissance de la mesure d’interdiction de séjour, il aurait dû savoir qu’il avait une obligation de partir après le rejet de sa demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

[15]      Le défendeur rejette également la prétention de la demanderesse que l’agent a omis de considérer les raisons pour lesquelles elle voulait retourner au Canada. Selon lui, l’agent a tenu compte de ce que la demanderesse disait vouloir vivre avec sa conjointe, mais n’aurait pas trouvé cette affirmation crédible.

 

[16]      Au sujet du certificat de sélection du Québec, le défendeur soutient que l’agent doit être présumé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve, qu’il n’a pas l’obligation d’en commenter chaque élément et que, de toute façon, cet élément ne démontre pas à lui seul qu’il existe des motifs impérieux pour permettre à la demanderesse de rentrer au Canada.

 

[17]      De plus, selon le défendeur, l’agent pouvait se prononcer sur la crédibilité de la demanderesse sans avoir à la confronter aux failles de sa demande. Il soutient que la demanderesse devait, en présentant sa demande d’ARC, expliquer pourquoi elle avait quitté le Canada pour retourner au Mexique, à la même adresse où elle a allégué craindre pour sa sécurité.

[18]      Finalement, le défendeur est d’avis que la demanderesse n’a pas collaboré avec CIC. Selon lui, elle n’a pas quitté le Canada lorsque la mesure de renvoi est devenue exécutoire et elle n’a pas non plus avisé les autorités lorsqu’elle a quitté le Canada en décembre 2002. C’est d’ailleurs en raison de ce manquement, soutient le défendeur, qu’un visa de travail lui a été émis. De plus, la demanderesse est revenue au Canada en 2003 sans autorisation et n’a pas averti CIC que le permis de travail lui a été émis par erreur.

 

[19]      À mon avis, l’agent a mal compris le but du processus d’ARC, ce qui l’a amené à tenir compte de facteurs non-pertinents et à ignorer des facteurs dont il aurait dû tenir compte dans sa décision. Celle-ci n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47).

 

[20]      Le principal élément ignoré par l’agent est le certificat de sélection du Québec de la demanderesse. Or, les lignes directrices contenues dans le document « OP-1 Procédures » prévoient qu’un tel certificat est normalement un « motif impérieux » justifiant l’octroi d’une ARC. La présomption que l’agent a pris connaissance de toutes les circonstances pertinentes à sa décision ne s’applique pas en l’espèce. S’il avait tenu compte du certificat de sélection, l’agent ne se serait pas lancé dans une analyse de la crédibilité de la demanderesse car celle-ci n’est d’aucune pertinence en l’espèce. Le fait que la demanderesse détient un certificat de sélection n’est guère en doute.

 

[21]      En fait, l’insistance de l’agent, dans ses notes, sur ses doutes quant à l’existence et à la bonne foi de la relation conjugale de la demanderesse me convainc que c’est cette relation que l’agent a considérée comme le principal – et vraisemblablement le seul – motif de la demande d’ARC de celle-ci. L’agent a donc non seulement omis de mentionner le fait que la demanderesse détenait un certificat de sélection du Québec, mais a véritablement ignoré ce fait dans son processus décisionnel.

 

[22]      Il est vrai, bien sûr, que le fait qu’un demandeur d’une ARC détienne un certificat de sélection d’une province n’est pas déterminant et que l’agent doit aussi tenir compte d’autres facteurs reliés aux objectifs de la Loi, dont notamment la préservation de la sécurité des Canadiens. Faut-il souligner, à cet égard, que l’agent n’allègue pas, en l’espèce, que la demanderesse représente le moindre danger pour le Canada.

 

[23]      Il existe en outre un autre facteur que l’agent n’a pas évalué d’une façon raisonnable, soit la gravité de l’infraction à la Loi commise par la demanderesse.

 

[24]      Je note, tout d’abord, qu’une personne qui n’a pas commis une telle infraction ne doit pas demander une ARC; par définition, le demandeur d’une ARC n’est pas blanc comme neige à cet égard. Cependant, le Parlement n’a pas voulu que quiconque ayant contrevenu à la Loi ne puisse jamais rentrer au Canada. Au contraire, il a prévu que cela est possible, sur autorisation d’un agent. Le seul fait que le demandeur d’une ARC n’ait pas respecté la Loi ne suffit donc pas pour rejeter sa demande. L’agent doit tenir compte de la gravité de l’infraction, ce que prévoit d’ailleurs le guide « OP-1 Procédures ».

 

[25]      Or, il m’est difficile d’imaginer une contravention à la Loi moins grave que celle de la demanderesse. Il est vrai que la demanderesse n’a pas quitté le Canada lorsque la mesure de renvoi est devenue exécutoire, avant de présenter sa demande d’ERAR qui, en vertu d’un nouveau régime, imposait automatiquement un sursis à son interdiction de séjour. Jusqu’à la date de cette demande d’ERAR, toutefois, la demanderesse n’a jamais reçu d’instruction de CIC qui ne lui a alors jamais communiqué de date de départ. Ce n’est que lorsqu’elle a renoncé à sa demande, le 28 novembre 2002, que le délai de 30 jours a recommencé à courir. Quatre jours plus tard, la demanderesse a quitté le Canada.

 

[26]      La demanderesse a aussi contrevenu au Règlement en n’avertissant pas les autorités canadiennes de son départ et en n’obtenant pas l’attestation requise. Certes, l’ignorance de la Loi n’en excuse pas une contravention. Dans les circonstances, on peut parler d’insouciance ou de négligence de la part de la demanderesse. Cependant, il me semble clair qu’elle n’a pas agi de mauvaise foi. Contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Chazaro, ci-dessus, sur laquelle s’appuie le défendeur, elle n’a pas cherché à demeurer au Canada plus longtemps qu’elle n’avait le droit de le faire. Au contraire, elle est partie un peu trop vite – sans faire les adieux prescrits par le Règlement.

 

[27]      Il est vrai que cette négligence (combinée, il faut le dire, à celle de CIC, qui savait notamment que la demanderesse avait renoncé à sa demande d’ERAR, mais qui, semble-t-il, n’a jamais cherché à savoir si elle avait quitté le pays) a permis à la demanderesse de rentrer au Canada en 2003 sans autorisation et de travailler. Cependant, encore là, la demanderesse a toujours été franche avec les autorités canadiennes. En fin de compte, lorsque l’ordre lui a été donné de quitter le Canada en décembre 2003, elle a obtempéré.

 

[28]      En somme, les manquements techniques de la demanderesse ne peuvent avoir pour effet de lui interdire à tout jamais de revenir au Canada lorsqu’il existe une circonstance qu’un guide produit par CIC décrit comme « motif impérieux » pour permettre son retour.

 

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[29]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est accordée et le dossier, renvoyé à un autre agent de l’immigration pour réexamen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision confirmée par une lettre datée du 27 avril 2009 d’un agent de l’immigration, par laquelle la demande d’autorisation de revenir au Canada de la demanderesse était rejetée, est annulée et l’affaire est retournée à un autre agent pour réexamen.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2581-09

 

INTITULÉ :                                       Bibiana Arisbet ZARAZUA GUTIERREZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphane Handfield                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Sherry Rafai Far                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphane Handfield                                                       POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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