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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20100118

Dossier : IMM-2557-09

Référence : 2010 CF 31

Ottawa (Ontario), ce 18e jour de janvier 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Maria Isabel POZOS MARTINEZ

Sergio Omar HERNANDEZ POZOS

 

Demandeurs

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) d’une décision rendue par l’agent Mélanie Daigle, le 7 avril 2009, refusant la demande d’examen des risques avant renvoi (« la demande ERAR ») des demandeurs.

 

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[2]          La demanderesse principale, madame Maria Isabel Pozos Martinez, est citoyenne du Mexique. Sergio Omar Hernandez Pozos est le fils de la demanderesse. La revendication de monsieur Hernandez Pozos se base entièrement sur les allégations de sa mère.

 

[3]          La demanderesse est née le 26 décembre 1964 dans la ville de Cordoba dans l’État de Veracruz au Mexique. Elle a revendiqué le statut de réfugiée au Canada alléguant une crainte bien fondée de persécution basée sur son appartenance à un groupe social particulier, soit celui des femmes victimes de violence conjugale au Mexique, mais également en raison de l’appartenance de son conjoint à la police judiciaire du Mexique.

 

[4]          Tous les faits concernant les incidents de violence conjugale par l’ex-conjoint de la demanderesse, Armando Salina Vera, ainsi que les circonstances dans lesquelles la demanderesse a porté plainte sont contestés.

 

[5]          La demanderesse aurait essayé de mettre fin à sa relation avec M. Salina Vera vers le milieu de l’an 2000 parce qu’il serait alors devenu très violent à son égard : « [il] m’a frappé me laissant des lésions ce qui m’a obligé [à] me rendre à l’Hôpital ». Leur relation avait commencé en 1998. Le 15 janvier 2000, les incidents violents auraient atteint un tel point que la demanderesse a dû se rendre à l’hôpital. Elle aurait réussi à le convaincre de quitter le domicile familial en juin 2000 et n’aurait pas eu de ses nouvelles pour les cinq années suivantes. En 2005, il aurait à nouveau commencé à se présenter à la maison de façon irrégulière, disant qu’il voulait retourner vivre avec la demanderesse et son fils. Il l’aurait aussi déjà harcelé.

 

[6]          Vers le début de 2006, la demanderesse aurait été mis au fait que M. Salina Vera avait assassiné quelqu’un. Elle aurait soupçonné qu’il était à l’emploi de la police judiciaire. En février 2006, il aurait cessé de se présenter à leur maison. Elle aurait voyagé au Canada de juillet 2005 à août 2006 avec son fils ; la raison de leur voyage était que son fils désirait visiter le Canada, de par ses intérêts en tant qu’étudiant en tourisme.

 

[7]          Monsieur Salina Vera aurait attendu les demandeurs à leur retour du Canada. Il aurait recommencé à se présenter à leur maison. Il aurait alors menacé la demanderesse de s’en prendre à son fils si elle faisait défaut de satisfaire à ses exigences. Après un incident particulièrement violent en novembre 2006, elle aurait porté plainte contre son ex-conjoint à la Présidence municipale de sa ville; sa situation aurait alors fait l’objet d’une couverture à la télévision locale. Dans son affidavit, la demanderesse explique sa décision d’informer la station de télévision de sa situation : « j’avais plus de chances que je reçoive protection ». Malgré cela, son ex-conjoint aurait intensifié ses menaces contre la demanderesse et son fils. Elle dit s’être enfuie au Canada avec celui-ci car elle craignait pour leur vie.

 

[8]          Les demandeurs sont arrivés au Canada le 17 novembre 2006 et la demanderesse a revendiqué le statut de réfugiée en 2007, quelques mois après son arrivée au Canada. Sa demande a été entendue le 25 mars 2008 et, le 22 mai 2008, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) l’a rejetée. La Commission a jugé les demandeurs non crédibles. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision a été refusée le 15 septembre 2008.

 

[9]          Les demandeurs ont déposé une demande ERAR le 4 novembre 2008. Il y a eu de multiples prorogations de délais pour permettre la traduction de la majorité des documents produits au soutien de la demande. Le 7 avril 2009, l’agent ERAR, madame Daigle, a rendu une décision dans laquelle elle a conclu que la demanderesse ne serait pas à risque dans son pays si elle y était renvoyée. Cette décision s’appliquait également à son fils. Les demandeurs ont été informés de cette décision le 20 avril 2009. Entre le temps où l’agent a signé cette décision, le 7 avril 2009, et la date à laquelle les demandeurs ont été informés de cette décision, ces derniers ont déposé de nouveaux éléments de preuve devant l’agent ERAR. L’agent a accueilli la demande de l’avocat des demandeurs visant à reconsidérer le dossier à la lumière des nouveaux éléments de preuve soumis le 17 avril 2009.

 

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[10]      Au soutien de sa demande ERAR, la demanderesse a soumis quatre nouveaux éléments de preuve. L’agent ERAR a cependant estimé que la demanderesse formulait à nouveau la même histoire et les mêmes allégations que celles présentées devant la Commission.

 

[11]      L’agent ERAR n’a pas accordé de valeur probante à la nouvelle preuve présentée soit une lettre rédigée en date du 16 novembre 2008 par Israel Noriega B., un journaliste pour la chaîne de télévision Televisa. Dans cette lettre, M. Noriega B. indique avoir interviewé la demanderesse au sujet des violences qu’elle aurait subies. Il a expliqué qu’il n’a pas pu obtenir un enregistrement étant donné que la chaîne de télévision ne se trouve plus dans cette ville. Il ne mentionne ni la date de l’entrevue ni celle de la diffusion de celle-ci.

 

[12]      La demanderesse avait témoigné qu’elle avait donné une entrevue à propos de la violence conjugale dont elle se disait victime. Toutefois, devant la Commission, la demanderesse n’a pu énoncer le nom du journaliste qui aurait parlé de son cas. Dans ses motifs, l’agent ERAR a conclu que la demanderesse n’a pas expliqué comment elle avait su retrouver le nom de ce journaliste ni comment elle était entrée en contact avec lui. De plus, l’agent ERAR a trouvé que « la plupart des grandes chaînes de télévision possèdent un département d’archives ». L’agent ERAR a aussi noté que M. Noriega n’a pas expliqué « en détail les démarches qu’il aurait faites pour obtenir la cassette de l’entrevue auprès de son employeur actuel ».

 

[13]      Par conséquent, l’agent ERAR a tiré une inférence négative quant à la valeur probante de la lettre faisant état de l’absence d’informations entourant l’entrevue elle-même.

 

[14]      Le deuxième nouvel élément de preuve considéré par l’agent ERAR était la lettre rédigée, le 14 novembre 2008, par Mme Blanca Castillo Pérez du Comité exécutif municipal – Secrétariat de la femme. Dans sa lettre, Mme Castillo Pérez a fait référence à une audience devant le Comité exécutif et le Secrétariat tenue en novembre 2006. L’agent ERAR a indiqué que ce fait n’a pas été mentionné dans le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse ou encore lors de son audition devant la Commission. En raison de cette omission, l’agent ERAR n’a pas accordé de valeur probante à ce document.

 

[15]      De plus, la Commission n’a accordé aucune valeur probante aux documents auxquels Mme Castillo Pérez fait référence dans sa lettre, outre « la fiche technique du livre de bord de l’enquête ». De plus, l’agent ERAR n’a pas admis la fiche technique du livre de bord de l’enquête parce que Mme Castillo Pérez n’a pas expliqué pourquoi ce document ne se trouvait pas au dossier alors qu’elle déclarait l’avoir en sa possession.

 

[16]      Un des buts de cette lettre était de prouver que la demanderesse avait porté plainte contre son ex-conjoint. Toutefois, l’agent ERAR a noté que la demanderesse, à la case 51 de son formulaire ERAR, avait déclaré avoir accordé une entrevue à une chaîne de télévision parce qu’elle « ne pouvait porter plainte ». Donc, l’agent ERAR a clairement mis en doute le fait que la demanderesse avait porté plainte. Elle n’a pas accordé de poids à ce document en raison de cette contradiction.

 

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[17]      Les demandeurs proposent d’abord les questions en litige suivantes :

1. La décision rendue par l’agent ERAR est-elle entachée de conclusions déraisonnables ou tirées sans égard à la preuve, de façon capricieuse et déraisonnable par rapport à la crédibilité de la demanderesse?

 

2. L’agent ERAR a-t-elle erré en droit en n’appliquant pas dans sa décision les lignes directrices sur les femmes fuyant la persécution basée sur le sexe (« Gender Guidelines »)?

 

 

 

[18]      La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de fait de la décision de l’agent ERAR parce que la détermination des risques avant renvoi par l’agent ERAR est une appréciation de faits à laquelle cette Cour doit accorder une grande déférence (voir, entre autres, Pareja c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1333, au paragraphe 12 et Dunsmuir c. Nouveau-Brunwick, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[19]      En l’espèce, après audition des procureurs des parties et révision de la preuve, je ne suis pas satisfait que les inférences tirées par l’agent ERAR en sont qui ne pouvaient pas être raisonnablement tirées (voir Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315).

 

[20]      Faut-il rappeler qu’une demande ERAR faite par une personne qui s’est vu refuser le statut de réfugiée n’est pas un appel ni une nouvelle considération de la décision prise par la Commission. Dans Raza c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 385, au paragraphe 12, la Cour d’appel fédérale exprime en effet ce qui suit :

[12]     A PRRA application by a failed refugee claimant is not an appeal or reconsideration of the decision of the RPD to reject a claim for refugee protection. Nevertheless, it may require consideration of some or all of the same factual and legal issues as a claim for refugee protection. In such cases there is an obvious risk of wasteful and potentially abusive re-litigation. The IRPA mitigates that risk by limiting the evidence that may be presented to the PRRA officer. The limitation is found in paragraph 113(a) of the IRPA, which reads as follows:

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection; [...].

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; [...].

 

 

[21]      Ici, la décision de l’agent ERAR m’apparaît tout à fait transparente et intelligible. La question n’est pas de savoir si la Cour aurait apprécié les faits différemment, mais bien celle de savoir si l’appréciation faite par l’agent est raisonnable. Les demandeurs n’ont pas davantage pu établir que la décision en cause est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments devant l’agent (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7).

 

[22]      Quant à savoir si l’agent ERAR a erré en ne tenant pas compte des lignes directrices sur les revendications basées sur le sexe, au motif qu’elle n’en fait pas mention dans sa décision, l’argument des demandeurs ne tient pas. La suggestion qu’il puisse y avoir une erreur de droit révisable dans l’éventualité d’une omission de mentionner les lignes directrices n’est pas soutenable. Tel qu’énoncé par mon collègue le juge Michel Shore dans Munoz c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1273, au paragraphe 33, le but des lignes directrices est de « s’assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec sensibilité » et « dans certaines circonstances, la SPR n’a même pas l’obligation de mentionner ces Directives dans sa décision » (au paragraphe 30).

 

[23]      En l’espèce, le défendeur a raison de soutenir que l’agent doit être présumée avoir considéré les lignes directrices dans sa décision, et ce, même si elle ne les mentionne pas expressément. En effet, c’est à bon droit que le défendeur reproche aux demandeurs d’avoir omis de préciser en quoi l’agent ERAR aurait négligé l’application des Directives 4 et en quoi celles-ci auraient modifié sa décision.

 

[24]      Enfin, les demandeurs invoquent le droit international et la Charte canadienne des droits et libertés, alléguant qu’il y a risque à leur sécurité et à leur vie s’ils doivent retourner au Mexique. À cet égard, qu’il suffise de rappeler ce que j’ai écrit dans Singh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 963, au paragraphe 7 :

     As for the applicant’s arguments based on the Canadian Charter of Rights (the Charter) and international law, it is trite law that the removal of a person after proper risk assessment is not contrary to sections 7 and 12 of the Charter (see Suresh v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2002] S.C.J. No. 3 (QL), [2002] 1 S.C.R. 3; Chieu v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2002] S.C.J. No. 1 (QL), [2002] 1 S.C.R. 84; and Al Sagban v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2002] S.C.J. No. 2 (QL), [2002] 1 S.C.R. 133). As for specific Article 3 of the Convention against Torture, Martineau J. stated the following in Sidhu, supra:

 

[26]     Paragraph 97(1)(a) of the Act refers specifically to the notion of torture contained in Article 1 of the Convention and therefore integrates the principles contained in Article 3 of the Convention. Consequently, the answer to this question is contained in the law itself and does not require certification. [Our emphasis.]

 

 

 

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[25]      Pour toutes ces raisons, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[26]      Les demandeurs proposent la certification de la question suivante :

Est-ce que l’analyse des preuves d’un danger de vie ou de mort dans le contexte d’une demande pour les raisons humanitaires ou sur le risque de retour exige une analyse sous ce standard constitutionnel en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu’on cherche à établir une violation de la Charte?

 

 

 

[27]      Le défendeur s’oppose à la certification de cette question au motif qu’elle ne s’applique pas aux faits en litige et ne remplit donc pas les critères requis pour la certification tels que définis dans Canada (M.C.I.) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4. Je suis d’accord avec le défendeur.

[28]      En effet, il appert clairement des présents motifs que la version des faits des demandeurs n’a pas été retenue.

 

[29]      En outre, il est clair de l’arrêt Singh, ci-dessus, et de la jurisprudence à laquelle il réfère que l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas applicable au présent litige.

 

[30]      La question proposée n’est donc pas certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent Mélanie Daigle le 7 avril 2009, refusant la demande d’examen des risques avant renvoi des demandeurs, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2557-09

 

INTITULÉ :                                       Maria Isabel POZOS MARTINEZ, Sergio Omar HERNANDEZ POZOS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE  L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy                            POUR LES DEMANDEURS

 

Me Émilie Tremblay                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy                                                           POUR LE DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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