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Cour fédérale

 

Federal Court



 

Date : 20100112

Dossier : T-52-09

Référence : 2010 CF 33

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

KATHERINE SPENCER

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.RC. 1985, ch. F-7, en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief par laquelle la sous-ministre adjointe, Direction générale de la gérance de l’environnement, Environnement Canada, a rejeté le grief de la demanderesse. La sous‑ministre adjointe (la SMA) a décidé que la cessation de l’emploi de la demanderesse n’était pas une mise en disponibilité injustifiée qui contrevenait aux dispositions de sa convention collective en matière de réaménagement des effectifs (la décision).

 

[2]               C’est la seconde fois que la demanderesse comparaît devant la Cour fédérale à propos de cette décision. Après avoir reçu cette dernière, elle a déposé un grief auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission). Le 20 décembre 2007, la Commission a statué qu’elle n’avait pas compétence pour entendre le grief. La demanderesse a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la Commission. La juge Anne Mactavish a confirmé la décision de la Commission et rejeté la demande (voir : Spencer c. Procureur général du Canada, 2008 CF 1395, [2008] A.C.F. no 1840). Cependant, dans son ordonnance, la juge Mactavish a accordé à la demanderesse un délai de trente jours pour déposer une demande de contrôle judiciaire concernant la décision rendue, au dernier palier de la procédure de grief, par la SMA. C’est à la suite de cette ordonnance que la présente demande a été introduite.

 

I.          Le contexte

 

[3]               La demanderesse a présenté sa candidature à Environnement Canada pour un poste de CR‑04 à durée déterminée, qu’elle s’est ensuite vu offrir et qu’elle a accepté; la durée de ce poste était du 3 mars au 23 août 2003. À l’insu d’Environnement Canada, à l’époque où ce poste lui a été offert la demanderesse était une employée nommée pour une période indéterminée de l’Agence Parcs Canada (Parcs Canada), en mise en disponibilité saisonnière. Quand le statut qu’elle avait auprès de Parcs Canada est devenu connu, elle a informé Environnement Canada et Parcs Canada qu’elle souhaitait rester à Environnement Canada, mais conserver le statut qu’elle avait auprès de Parcs Canada.

 

[4]               Pour ce faire, une entente de détachement a été établie et convenue entre la demanderesse, Environnement Canada et Parcs Canada. L’entente initiale a été signée par Parcs Canada, Environnement Canada et la demanderesse le 27 mai 2003. Les trois parties ont signé plusieurs ententes de ce genre en vue d’englober des prolongations et diverses autres nominations à durée déterminée auprès d’Environnement Canada jusqu’au 31 août 2004.

 

[5]               Chacune des ententes indiquait que Parcs Canada était le ministère d’attache et Environnement Canada le ministère d’accueil. Selon les conditions jointes aux ententes, à la fin de l’affectation la demanderesse réintégrerait le ministère d’attache sauf si toutes les parties concernées convenaient d’autres dispositions. Durant la période de validité de ces ententes, Parcs Canada a payé le salaire de la demanderesse selon le principe de la récupération des coûts, et le talon de chèque que recevait la demanderesse indiquait que le salaire provenait de Parcs Canada. La demanderesse a également continué à consulter Parcs Canada au sujet de questions relatives aux ressources humaines.

 

[6]               Le 22 juillet 2004, la demanderesse s’est vu offrir un poste PC-02 d’une durée déterminée, auprès d’Environnement Canada, jusqu’au 31 mars 2005. Aucune entente de détachement n’a été signée pour ce poste, Environnement Canada a commencé à délivrer à la demanderesse ses chèques de paye, et le nom de Parcs Canada n’a plus été copié sur les lettres de dotation échangées avec la demanderesse. Ce poste à durée déterminée a été prolongé jusqu’au 31 mars 2006, là encore sans l’intervention de Parcs Canada. La demanderesse a été considérée à ce moment-là comme une employée en « situation de double emploi ».

 

[7]               Le 17 mars 2006, la demanderesse a été informée qu’Environnement Canada mettrait fin à son emploi à la fin de son contrat, soit le 31 mars 2006. Après avoir été avisée que son emploi prendrait fin à l’expiration de son contrat le plus récent, la demanderesse a déposé un grief alléguant que cette cessation d’emploi était une mise en disponibilité injustifiée, contraire aux dispositions de sa convention collective en matière de réaménagement des effectifs. C’est sur la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief par Environnement Canada que porte le présent contrôle judiciaire.

 

A.        La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

 

[8]               Le 25 octobre 2006, la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief a été prise par la SMA, Direction générale de la gérance de l’environnement, à Environnement Canada. Dans sa décision, la SMA a conclu que la demanderesse n’avait pas été employée pendant une période cumulative de trois ans, au sens de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (www.tbs-sct.gc.ca) (la Politique) et qu’elle n’avait pas le droit d’être nommée pour une période indéterminée.

 

[9]               La SMA a ensuite écrit ceci :

[traduction] Quant au fait de ne pas convertir votre période de nomination déterminée en une période indéterminée, cette décision a été fondée sur les exigences de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée. Cette politique s’applique aux employés nommés pour une période déterminée dont le Conseil du Trésor est l’employeur et qui ont été nommés en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Au moment de la conversion, il faut que la personne en question ait été employée pour une période de travail cumulative de trois ans.

 

La période de travail cumulative est une période comptée au service du même ministère, donc sous la direction du même administrateur général. Comme vous n’étiez sous la direction de l’administrateur général d’Environnement Canada que depuis le 1er septembre 2004, vous ne répondiez pas aux exigences de la Politique.

 

B.         La politique faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

 

[10]           Comme l’indiquent les sections 2 et 4 de la Politique, un emploi pour une période déterminée est l’une des options qui permettent de répondre à des besoins opérationnels temporaires. La Politique a pour objectif de maintenir l’équilibre entre le traitement équitable des employés nommés pour une période déterminée et la nécessité d’une flexibilité opérationnelle. Elle s’applique aux employés engagés pour une période déterminée, dont le Conseil du Trésor est l’employeur et qui ont été nommés en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13. La section 5 de la Politique indique ce qui suit :

5. Mise en application

 

La présente politique s’applique aux employés engagés pour une période déterminée, dont le Conseil du Trésor est l’employeur, et qui ont été nommés à la fonction publique en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) ou de tout décret d’exclusion pris en vertu de cette dernière.

 

5. Application

 

This policy applies to term employees for whom the Treasury Board is the employer, and who have been appointed under the Public Service Employment Act (PSEA) or any exclusion approval order made there under.

 

 

[11]           La section 7 énonce les exigences de la Politique, et pour la présente affaire, l’élément le plus pertinent est le paragraphe 7.1 :

7. Exigences de la politique

 

1. En vertu du paragraphe 7.2, lorsqu’une personne travaille dans le même ministère ou organisme en tant qu’employé nommé pour une période déterminée (voir la définition à l’annexe A) pendant une période cumulative de trois (3) années sans interruption de service de plus de soixante (60) jours civils consécutifs, le ministère ou organisme doit nommer l’employé pour une période indéterminée au niveau égal à celui de son poste d’attache. Cette nomination doit être effectuée selon le principe du mérite comme prévu dans le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, établi par la Commission de la fonction publique. Le « même ministère » comprend les fonctions qui ont été transférées d’un autre ministère ou organisme aux termes d’une loi du Parlement ou d’un décret en conseil.

 

[…]

 

7. Policy Requirements

 

1. Subject to section 7.2, where a person who has been employed in the same department/agency as a term employee for a cumulative working period (see definition in Appendix A) of three (3) years without a break in service longer than sixty (60) consecutive calendar days, the department/agency must appoint the employee indeterminately at the level of his/her substantive position. This appointment must be made in accordance with merit as provided for in the Public Service Employment Regulations established by the Public Service Commission. The "same department" includes functions that have been transferred from another department/agency by an act of Parliament or order-in-council.

 

 

 

[…]

 

 

[12]           Le paragraphe 7.2 indique les règles que le ministère ou l’organisme doit appliquer pour établir si l’emploi occupé pendant une période déterminée au sein d’un même ministère ou organisme peut être comptabilisé comme faisant partie de la période de travail cumulative. Cela inclut les périodes de congé sans traitement de plus de 60 jours, ainsi que diverses formes d’emploi à temps partiel et occasionnel. Aucun de ces éléments ne s’applique à la demanderesse.

 

C.        Les détachements, les échanges et les congés sans traitement

 

[13]           En l’espèce, la demanderesse était une employée saisonnière, au service de Parcs Canada pour une période indéterminée. Elle a demandé à s’occuper un poste à durée déterminée auprès d’Environnement Canada, tout en conservant son poste à durée indéterminée auprès de Parcs Canada. D’après le dossier, il semble qu’il existe trois mécanismes pour que cela puisse se faire : procéder par la voie d’un détachement ou d’un échange, ou devenir un employé en situation de double emploi. La définition d’un employé muté est elle aussi pertinente.

 

(1)        Les détachements

 

[14]           Un détachement est le déplacement temporaire d’un employé, à l’extérieur d’un ministère ou d’une agence, vers un autre ministère ou organisme de l’administration publique centrale ou vers les organismes pour lesquels le Conseil du Trésor est l’employeur. Un détachement n’entraîne pas la mutation de la personne au ministère ou à l’organisme en question. Un détachement n’est pas une nomination effectuée en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, mais elle est régie par la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R., 1985, ch. F-11.

 

(2)        Les échanges

 

[15]           Un échange facilite, au moyen d’affectations temporaires, l’échange d’employés entre les ministères et organismes fédéraux qui sont énumérés à l’annexe I, partie II de la loi en vigueur à ce moment-là, soit la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R., 1985, ch. P-35, [abrogée par 2003, ch. 22, art. 285] [P-35] (LRTFP), dont Environnement Canada fait partie, et tous les autres secteurs. Pour être admissible au programme, l’employé doit être au service de l’un des types énumérés d’employeurs, dont fait partie Parcs Canada, qui sont inscrits à l’annexe I, partie II de la LRTFP. L’employé doit aussi démontrer clairement qu’il a un lien avec son organisation d’origine, qu’il a l’appui de cette dernière et qu’il en demeure un employé. En outre, les participants doivent réintégrer leur organisation d’origine à l’issue de l’affectation, à moins que toutes les parties en cause conviennent d’autres dispositions.

 

(3)        Les doubles emplois ou les congés sans traitement

 

[16]           Une personne acquiert le statut de personne en situation de double emploi quand, pendant un long congé sans traitement, elle accepte une nomination pour une durée précise auprès d’une autre organisation inscrite à l’annexe I, partie I de la LRTFP. Toutes les périodes que durent les nominations à durée précise faites en vertu de l’annexe I, partie I de la LRTFP et qui ont lieu au cours d’une période de congé sans traitement sont incluses dans le calcul de la période continue d’emploi et de service.

 

(4)        Les mutations

 

[17]           Une mutation est un déplacement permanent. Il s’agit du transfert d’un employé d’un poste à un autre au sein d’un même groupe professionnel ou, si la réglementation régissant la Commission de la fonction publique du Canada l’autorise, à un autre groupe professionnel. Contrairement aux affectations ou aux détachements, un employé muté devient titulaire du poste auquel il est muté et, par conséquent, il assume les conditions d’emploi du nouveau poste.

 

II.         La norme de contrôle applicable

 

[18]           La défenderesse soutient que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte. Elle est d’avis que son affaire est semblable à trois autres, analysées ci-après, que la Cour a tranchées et dans lesquelles les décisions contestées ont été contrôlées en fonction de cette norme.

 

[19]           La demanderesse est d’avis que la norme de la décision correcte est étayée par l’interprétation que la Cour a faite d’un code régissant les conflits d’intérêts dans l’arrêt Assh c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 358, 4 R.C.F. 46. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que les politiques et les directives qui sont établies en vertu de la délégation précise du législateur pourraient constituer un texte quasi législatif.

 

[20]           La deuxième affaire que cite la demanderesse et qui, selon cette dernière, est analogue à la sienne est Endicott c. Canada (Conseil du Trésor)), 2005 CF 253, 270 F.T.R. 220 (C.F.). Dans la décision Endicott, les questions en litige étaient centrées sur l’interprétation et l’application de la politique du Conseil du Trésor concernant les nominations à un poste d’une durée indéterminée. Dans cette affaire, la Cour a eu à donner un sens à l’expression « avis officiel ». Elle a conclu qu’en droit, l’agent des griefs était tenu de se fonder sur une interprétation correcte du texte de la politique.

 

[21]           La dernière affaire est Blais c. Canada (procureur général), 2004 CF 1638, 263 F.T.R. 151 (C.F.). Dans cette dernière, la demanderesse s’était vu offrir et avait accepté un poste à un salaire précis. Le ministère s’était par la suite rendu compte qu’il avait commis une erreur au sujet du salaire et il l’avait réduit. La Cour a appliqué la norme de la décision correcte, concluant que la question à trancher était une question de droit car les litiges relatifs au salaire dépendent de l’analyse des négociations contractuelles et des lignes directrices ministérielles écrites qui régissent la détermination des salaires.

 

[22]           La demanderesse a également procédé à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Elle a soutenu que : 1) l’article 214 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (LRTFP) comporte une clause privative peu stricte, 2) la personne qui rend la décision au dernier palier de la procédure de grief n’a aucune expertise pour ce qui est de déterminer si une personne en détachement est un employé du ministère d’accueil pour les besoins de la Politique, et 3) le fait que la personne qui rend une décision au dernier palier de la procédure de grief ne soit pas indépendante du ministère donne à penser que le contrôle devrait être fait selon la norme de la décision correcte.

 

[23]           Cependant, pour trancher les questions qui sont en litige dans la présente affaire, la norme de contrôle est la décision raisonnable. Je suis arrivé à cette conclusion pour les motifs suivants.

 

[24]           Les trois affaires que cite la demanderesse se distinguent de la présente. Dans l’arrêt Assh, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le critère à appliquer pour trancher la question du conflit d’intérêts aux termes de la Politique était analogue à celui de la crainte raisonnable de partialité (voir le paragraphe 41). Dans la décision Blais, précitée, la Cour est arrivée à la conclusion qu’il y avait des similitudes entre les lignes directrices du ministère et les règles de common law entourant les négociations contractuelles. En l’espèce, on ne relève aucune analogie ou similitude de cette nature.

 

[25]           La présente affaire ressemble à l’affaire Endicott, précitée. Cependant, dans cette dernière, il était question de la détermination du sens d’une expression bien précise. Là encore, ce n’est pas le cas en l’espèce. La question soumise à la personne ayant à rendre la décision au dernier palier de la procédure de grief s’articulait autour de l’application d’une politique administrative à une série particulière de faits qui avait trait à la situation d’emploi de la demanderesse.

 

[26]           En l’espèce, la décision rendue au dernier palier de la procédure de grief est assujettie à la clause privative exposée à l’article 214 de la LRTFP. Dans la décision Dubé c. Canada (Procureur général), 2006 CF 796, 297 F.T.R. 1, le juge Edmond Blanchard a déclaré que la présence d’une clause privative semblable au paragraphe 96(3) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la loi qui s’appliquait avant la LRTFP) donnait à penser qu’il convient d’accorder au ministre un degré élevé de retenue judiciaire.

 

[27]           La demanderesse allègue qu’il faudrait considérer la Politique comme un texte quasi législatif et que, de ce fait, la Cour a plus d’expertise pour son interprétation. Je ne suis pas d’accord. La Politique sur l’emploi pour une période déterminée ne cadre pas avec les circonstances spéciales qui sont décrites dans les affaires Assh et Blais, précitées, et elle a été mise en place pour être interprétée par le ministre. En fait, les politiques internes ne sont pas légalement contraignantes (voir l’arrêt Martineau c. Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, [1977] A.C.S. no 44 et la décision Endicott, précitée).

 

[28]           En l’espèce, la personne qui a pris la décision au dernier palier était la SMA qui avait appliqué une politique administrative applicable à son ministère, et la Cour ne se trouve pas dans une position meilleure que cette personne en rapport avec la question en litige. Dans la décision Dubé, précitée, la Cour déclare ce qui suit :

[28]      En ce qui concerne la deuxième question, à mon avis une telle détermination relève des pouvoirs du ministre. Le ministre possède une connaissance approfondie des politiques, procédures et règles du Ministère en question pour ce qui est de combler des postes pendant la saison morte. Les questions de savoir quels termes et conditions font partie de l’emploi des demandeurs relèvent donc clairement de l’expertise du ministre. Par conséquent, le degré d’expertise du ministre par rapport à la Cour fédérale invite cette Cour à faire preuve d’une certaine retenue.

 

[29]           La Politique a pour objectif de mettre en équilibre le traitement équitable des employés nommés pour une durée déterminée avec la nécessité d’une flexibilité opérationnelle. Comme il est mentionné dans la décision Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686, les conflits de travail au sein de la fonction publique diffèrent des conflits semblables dans le secteur privé, et le règlement de ceux du premier type justifie un degré de retenue supérieur (paragraphe 20). Je note également que dans la décision Spencer, précitée, la juge Mactavish a conclu que la Politique n’était pas destinée à être légalement contraignante. Même si cette décision était axée sur l’arbitre, elle donne quand même une certaine indication du rôle que joue la Politique.

 

[30]           Je souligne également que la Cour a examiné récemment la question de la norme de contrôle à appliquer aux décisions en matière de classification qui sont prises au dernier palier en vertu de la LRTFP. Dans la décision Peck, précitée, le juge Yves de Montigny a conclu qu’une telle décision doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Là encore, cette affaire, bien qu’elle ne soit pas déterminante, est instructive.

 

[31]           Enfin, les questions qu’il faut trancher en l’espèce sont de nature principalement factuelle et mettent en cause l’application de la politique administrative d’un employeur.

 

[32]           Les facteurs examinés plus tôt dénotent que la norme de contrôle à appliquer devrait être celle de la décision raisonnable.

 

III.       La question en litige

 

[33]           Aux dires de la demanderesse, la demande soulève la question suivante : Environnement Canada a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que Mme Spencer n’avait pas droit à ce que sa situation d’emploi à durée déterminée soit convertie en une situation à durée indéterminée, conformément à la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor?

 

[34]           La demanderesse est d’avis qu’étant donné qu’elle avait été employée de façon continue à titre d’employée nommée pour une durée déterminée pendant plus de trois ans au moment de la cessation de son emploi, le paragraphe 7.1 de la Politique faisait automatiquement d’elle une employée nommée pour une période indéterminée au sens de la convention collective. Elle est d’avis que, durant toute la période du 3 mars 2003 au 31 mars 2006, elle était en situation de mise en disponibilité par rapport à Parcs Canada.

 

[35]           Aux termes du paragraphe 7.1 de la Politique, pour avoir droit au statut d’employé nommé pour une période indéterminée il faut que la demanderesse ait été une employée nommée pour une durée déterminée et au service d’Environnement Canada pendant une période de travail cumulative de trois ans, sans interruption de service de plus de 60 jours. Je dis « avoir droit » parce que la nomination n’est pas automatique – elle doit être faite au mérite, ainsi que le prévoit le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-79.

 

[36]           Il est évident que la demanderesse a été au service d’Environnement Canada pendant une période cumulative de plus de trois ans, sans interruption de service de plus de 60 jours. La question qui se pose est celle de savoir si l’on peut utiliser la période toute entière dans le calcul dont il est question au paragraphe 7.1 de la Politique. Je traiterai de la question du mérite à la fin des présents motifs.

 

[37]           Il est impossible de comprendre l’application du paragraphe 7.1 sans se reporter à la section 5, qui traite de la mise en application de la Politique. Il y est clairement indiqué que la Politique s’applique aux employés engagés pour une période déterminée, dont le Conseil du Trésor est l’employeur et qui ont été nommés en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ou de tout décret d’exclusion pris en vertu de cette dernière.

 

[38]           Entre le 3 mars 2003 et le 1er septembre 2004, la demanderesse a été détachée de Parcs Canada pour travailler à Environnement Canada. Cette dernière soutient qu’Environnement Canada ne devrait pas pouvoir se fonder sur son entente de détachement car ce ministère n’avait pas compétence pour conclure cette entente et qu’il serait contraire à l’objet du paragraphe 7.1 de la Politique qu’Environnement Canada puisse se fonder sur une telle entente pour dire qu’il s’agissait d’une interruption de service artificielle. Elle fait également remarquer que nous ne pouvons pas présumer qu’elle aurait accepté une entente d’échange.

 

[39]           Je conviens qu’un détachement n’était pas la mesure qui convenait à la demanderesse et que nous ne pouvons pas présumer qu’elle aurait accepté un échange. Toutefois, il ressort clairement du dossier que la demanderesse a conclu les ententes de son plein gré. En fait, c’est à sa demande que ces dernières ont été établies afin qu’elle puisse conserver son statut d’employée nommée pour une période indéterminée à Parcs Canada. Les trois parties avaient l’impression qu’elles étaient régies par les ententes, elles ont agi d’une manière conforme à ces dernières, et la demanderesse a bénéficié des avantages offertes par celles-ci. Cela étant, compte tenu des faits très particuliers de l’espèce, les ententes seront maintenues.

 

[40]           Le 1er septembre 2004, la demanderesse a acquis le statut d’employée en situation de double emploi et elle est donc devenue une employée d’Environnement Canada. La seule preuve de la raison pour laquelle l’option du double emploi a été exercée à ce moment-là, et non pas plus tôt, figure dans l’affidavit de M. Martin Sigouin, agent principal des relations du travail, Direction générale des ressources humaines, à Environnement Canada. Au paragraphe 19 de son affidavit, M. Sigouin mentionne ce qui suit : [traduction] « [e]n juillet 2004, il est devenu possible pour Environnement Canada de mettre en branle un processus de double emploi et d’offrir à la demanderesse un poste à durée déterminée sans avoir à conclure une entente additionnelle d’affectation/détachement ». Lors de son contre-interrogatoire, il n’a pas fourni d’autres informations sur le sujet.

 

[41]           À l’audience, on a soulevé la question de savoir si la demanderesse pouvait se trouver en situation de double emploi. Il n’est pas nécessaire que je tranche cette question car cette période-là n’est pas en litige.

 

[42]           Dans la Politique, soutient la demanderesse, les mots « employé nommé pour une période déterminée » ne sont liés à aucune définition particulière figurant dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et ces mots ont pour but de distinguer ce type d’employé des employés occasionnels et nommés pour une période indéterminée dont il est question plus loin dans la Politique. Cependant, le problème n’est pas qu’elle était une employée nommée pour une période déterminée, mais plutôt une employée nommée pour une période déterminée prêtée à Environnement Canada par Parcs Canada, son ministère d’attache et, de ce fait, une « une personne au service d’Environnement Canada  » et non une « employée d’Environnement Canada ».

 

[43]           La demanderesse soutient également qu’un employé peut avoir plus d’un employeur à la fois (voir Sinclair c. Dover Engineering Services Ltd. (1988), 49 D.L.R. (4th) 297, [1988] B.C.J. n265 (C.A.C.-B.); Downtown Eatery (1993) Ltd. c. Ontario, [2001] O.J. no 1879, 54 O.R. (3d) 161 (C.A.)). Ce point de droit est clair. Je conviens également avec la demanderesse qu’il y avait entre elle et Environnement Canada une relation de type employeur-employé. Le défendeur y souscrit aussi, disant que la demanderesse était une personne au service d’Environnement Canada. Là encore, il ne s’agit pas de la question cruciale.

 

[44]           Je ne suis pas d’accord pour dire que la demanderesse satisfaisait aux indices de l’existence d’un emploi auprès d’Environnement Canada pendant qu’elle était en détachement. Son salaire lui était payé directement par Parcs Canada et cette agence prenait encore part aux décisions en matière de ressources humaines qui étaient prises en rapport avec son emploi. Entre le 30 août 2003 et le

 

30 août 2004, les circonstances pertinentes qui suivent sont survenues :

•           la demanderesse a signé plusieurs ententes de détachement mentionnant clairement que le ministère d’attache était Parcs Canada et prévoyant qu’elle réintégrerait son ministère d’attache à la fin de la période de détachement;

•           des copies de lettres échangées entre la demanderesse et Environnement Canada ont été transmises à Parcs Canada;

•           il a été confirmé à la demanderesse que ses droits à son poste d’attache à Parcs Canada étaient protégés pendant qu’elle était en détachement à Environnement Canada;

•           Parcs Canada a payé le salaire de la demanderesse et a recouvré le coût de cette dépense auprès d’Environnement Canada;

•           Parcs Canada a payé les cotisations syndicales à l’agent de négociation de la demanderesse;

•           les questions de rémunération concernant la demanderesse n’ont été réglées que par Parcs Canada et la demanderesse, sans intervention de la part d’Environnement Canada.

 

[45]           En conséquence, même si la demanderesse travaillait manifestement à Environnement Canada, les indices de l’existence d’un emploi semblent dénoter davantage que c’était Parcs Canada qui était son employeur d’attache.

 

[46]           Entre le 30 août 2003 et le 20 août 2004, la demanderesse est demeurée une employée de Parcs Canada. Elle était régie par une entente de détachement conclue entre Environnement Canada, Parcs Canada et elle-même.

 

[47]           Dans une lettre d’Environnement Canada datée du 17 mars 2006, la demanderesse a été mise au courant de l’effet qu’aurait la cessation de son emploi au sein de ce ministère. D’après les informations fournies, on s’attendait manifestement à ce qu’elle retourne à Parcs Canada.

 

[48]           Pour tomber sous le coup de la Politique, il fallait que la demanderesse soit une employée d’Environnement Canada pendant trois ans. La Politique s’applique aux employés nommés pour une période déterminée, dont le Conseil du Trésor est l’employeur et qui ont été nommés en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ou de tout décret d’exclusion pris en vertu de cette dernière. À l’époque, Parcs Canada était un « employeur distinct » aux termes de l’annexe I, partie II de ce qui était à l’époque la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

 

[49]           L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, nous enseigne que la norme déférente du caractère raisonnable tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, de même qu’à l’appartenance de la décision « raisonnable » aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa décision à celle du décideur.

 

[50]           Au vu de ces conclusions, la décision de la SMA appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[51]           Il n’est pas nécessaire pour moi de trancher la question, mais je souligne que s’il avait été conclu que la demanderesse avait été une employée nommée pour une période déterminée pendant trois années ininterrompues, il ne serait toujours pas légalement obligatoire de nommer la demanderesse à un poste d’une durée indéterminée. Dans la décision Spencer, précitée, aux paragraphes 47 à 50, la juge Mactavish a déclaré que la décision d’attribuer un tel statut à une personne n’est pas automatique car cela ne peut se faire qu’au mérite, suivant la décision de l’administrateur général.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

  1. la demande est rejetée;
  2. aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-52-09

 

INTITULÉ :                                       SPENCER

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 DÉCEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 JANVIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

(613) 747-9048

 

POUR LA DEMANDERESSE

Stephan Bertrand

(613) 952-3162

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven Welchner

Welchner Law Office Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Stephan Bertrand

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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