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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100113

Dossier : IMM-2367-09

Référence : 2010 CF 38

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

AYED SALEM ABED SALEM

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui soulève la question de savoir si la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rendu une décision raisonnable lorsqu’elle a décidé de faire droit à un appel interjeté contre la décision d’un agent des visas selon laquelle le défendeur n’avait pas satisfait à l’exigence de présence effective du résident permanent au Canada.

La SAI a infirmé la décision de l’agent de visas pour un seul motif, à savoir qu’elle a conclu qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.

 

II.        LES FAITS

[2]               Le défendeur est un citoyen de la Jordanie, et il réside à Dubaï.

 

[3]               En août 2002, le défendeur est venu au Canada avec sa famille. D’après les éléments de preuve qu’il a présentés, un de ses enfants est tombé malade à bord de l’avion qui amenait la famille au Canada et, à leur arrivée au Canada, l’enfant a dû être hospitalisé. D’après les éléments de preuve, l’hôpital a réclamé 10 000,00 $ pour le traitement de l’enfant, et, afin de payer cette dette, le défendeur est retourné en Jordanie pour travailler. La dette a été payée en 18 mois.

 

[4]               Il est acquis au débat que le défendeur n’a pas satisfait au critère de la présence au Canada pendant 730 jours au cours de la période quinquennale précédant le contrôle. En fait, le défendeur a seulement passé 308 jours au Canada d’août 2002 à avril 2009.

 

[5]               La SAI a relevé plusieurs facteurs étayant une conclusion selon laquelle il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant d’infirmer la décision de l’agent des visas. La conclusion à laquelle la SAI est arrivée est importante. Elle est ainsi rédigée :

La décision de l’agent des visas selon laquelle l’appelant a manqué à son obligation de résidence est valide en droit. Toutefois, il y a, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 


III.       ANALYSE

A.        La norme de contrôle

[6]               Normalement, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard d’une décision comme celle de la SAI en raison de la nature hautement discrétionnaire de la conclusion de la SAI et de la situation privilégiée dans laquelle elle se trouvait pour évaluer la crédibilité (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).

 

[7]               En effet, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 (un arrêt rendu avant l’arrêt Dunsmuir et l’arrêt Khosa, précités), les conclusions relatives à la crédibilité ne devraient être infirmées que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans égard aux faits.

 

[8]               Cependant, lorsqu’il y a des affirmations ou des conclusions contradictoires ou que la décision ne s’appuie sur aucun élément de preuve, cette décision est déraisonnable (voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Udo, 2009 CF 239). Il importe de noter que dans la décision Udo, la Cour a reproché au décideur d’avoir employé des expressions passe-partout relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant alors qu’il n’y avait aucun enfant dans cette affaire.

 

[9]               Compte tenu de la norme de contrôle et du rôle de la SAI dans le cadre de la décision discrétionnaire dont il est question ici, la Cour aurait été réticente à intervenir n’eut été du fait que la décision est déraisonnable et incohérente et qu’elle a été prise sans égard aux éléments de preuve ou en l’absence d’éléments de preuve.

 

B.        Le caractère raisonnable de la décision

[10]           La décision de la SAI est déraisonnable pour les motifs suivants :

a.       La SAI a reconnu que le défendeur ne lui avait pas présenté d’éléments de preuve documentaire relatifs aux efforts qu’il aurait faits pour trouver du travail, comme des demandes d’emploi, des lettres de refus, etc. – les éléments de preuve habituels auxquels on pourrait raisonnablement s’attendre –, et pourtant, la SAI a retenu comme facteur d’ordre humanitaire que le défendeur n’avait pas pu trouver du travail au Canada. La conclusion de la SAI est incompatible avec l’absence de tout élément de preuve corroborant ou autre preuve relative à la recherche d’emploi du défendeur.

b.      La SAI a semblé admettre le témoignage du défendeur selon lequel celui-ci avait changé d’emploi parce qu’une occasion s’était présentée de déménager à Montréal, alors qu’il n’y avait aucun élément de preuve émanant de l’employeur. Cette question a été soulevée pour la première fois à l’audience de la SAI alors que le défendeur savait évidemment qu’il aurait dû produire des éléments de preuve au soutien de sa prétention. Le défendeur affirme qu’il a maintenant une lettre de l’employeur, mais celle-ci n’a jamais été présentée à la SAI.

c.       La SAI a semblé accorder beaucoup d’importance à titre de facteur atténuant au fait que le défendeur avait dû quitter le Canada quelques jours après son arrivée pour payer la facture de l’hôpital. Cependant, le défendeur a fini de payer cette dette aux environs de 2004, et il pouvait donc difficilement s’agir d’un facteur pertinent ou impérieux en 2009 lorsque la SAI a entendu l’appel.

d.      La SAI a conclu que « l’intérêt supérieur de l’enfant » justifiait la prise de mesures spéciales, alors qu’il n’y avait aucun élément de preuve sur ce point, comme l’exige l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38. La SAI mentionne les enfants uniquement lorsqu’elle examine l’« établissement initial et continu au Canada ». La question spécifique de l’« intérêt supérieur de l’enfant » n’a jamais été soulevée ni analysée.

 

[11]           Par conséquent, la décision de la SAI est déraisonnable dans les circonstances. Le statut de résident permanent n’est pas un processus accéléré d’octroi de visa de visiteur et n’est pas un statut qui peut être reconnu à la légère.

 

IV.       CONCLUSION

[12]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et la décision de la SAI sera annulée. Le demandeur a demandé à ce que l’affaire soit renvoyée pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision. La Cour accédera à cette demande, et la Cour s’attend à ce que le défendeur présente un dossier plus étoffé comportant de véritables éléments de preuve corroborants qui pourront être convenablement testés.

 

[13]           Il n’y a aucune question à certifier.

JUDGMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la SAI soit annulée, et que l’affaire soit renvoyée pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Colette Dupuis


COUR FÉDÉRALE

 

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2367-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                            et

 

                                                            AYED SALEM ABED SALEM

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Lorne Ptack

 

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Ayed Salem Abed Salem

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

SE REPRÉSENTE LUI-MÊME

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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