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Federal Court

 

Cour fédérale

 


Date : 20091222

Dossier : T-2102-07

Référence : 2009 CF 1128

ENTRE :

SCHERING-PLOUGH CANADA INC.

et SCHERING CORPORATION

demanderesses

 

et

 

PHARMASCIENCE INC., SEPRACOR INC.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

DEMANDE PRÉSENTÉE EN VERTU de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets et de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité),

DORS/93-133, mod. par DORS/98-166, DORS/99-379 et DORS/06-242.

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement rendus le 4 novembre 2009)

 

LA JUGE SNIDER

 

1.                  INTRODUCTION

 

 

[1]               Schering-Plough Canada inc. (Schering-Plough), l’une des demanderesses en l’espèce, distribue et vend AERIUS, antihistaminique utilisé principalement pour traiter les symptômes d’allergie. L’ingrédient médicinal actif d’AERIUS est la desloratadine (aussi connue sous le nom de descarboéthoxyloratadine, ou DCL). AERIUS fait l’objet de deux inscriptions dans le registre


des brevets. La première est le brevet canadien no 2,325,014 (le brevet 014) qui est la propriété de Schering Corporation, l’autre demanderesse dans la présente affaire (Schering Corporation et Schering Plough sont collectivement désignées « Schering » ou « les demanderesses »). La deuxième inscription est le brevet canadien no 2,267,136 (le brevet 136) qui est la propriété de Sepracor Inc. (Sepracor) et à l’égard duquel Schering‑Plough détient une licence.

 

[2]               Pharmascience inc. (Pharmascience) désire fabriquer et vendre un produit qu’elle décrit comme des [traduction] « comprimés contenant 5 mg de desloratadine utilisés pour le traitement des symptômes nasaux et non nasaux de rhinite allergique ». En vertu des dispositions pertinentes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), Pharmascience a présenté au ministre de la Santé (le ministre) une demande en vue d’obtenir l’autorisation de vendre son produit au Canada. Comme le prescrit le Règlement, Pharmascience a fait signifier à Shering-Plough un avis d’allégation daté du 17 octobre 2007, dans lequel elle alléguait que : a) aucune revendication du brevet 136 ou du brevet 014 ne serait contrefaite par la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente de son produit; b) les revendications des brevets 136 et 014 ne sont pas valides.

 

[3]               En réponse à l’avis d’allégation, en sa qualité de titulaire de l’avis de conformité délivré pour AERIUS, Schering a présenté (par voie d’avis de demande déposé auprès de la Cour le 3 décembre 2007) une demande d’interdiction en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement. Après le litige qui s’est terminé par la décision de la Cour d’appel fédérale dans Schering- Plough Canada Inc. c. Pharmascience Inc., 2008 CAF 230, [2009] 2 R.C.F. 237, Sepracor, désignée comme défenderesse dans la présente demande, a obtenu l’autorisation de prendre part à la présente demande pour appuyer la position défendue par Schering. La veille de l’audience, Sepracor a avisé la Cour qu’elle ne serait pas présente et qu’elle s’appuyait sur ses observations écrites.

 

[4]               Si la demande est accueillie en entier, le ministre se verra interdire de délivrer l’avis de conformité à Pharmascience, et cette dernière se verra empêcher de commercialiser son produit tant que le brevet 136 et le brevet 014 ne seront pas expirés.

 

[5]               Pour les motifs exposés dans les paragraphes qui suivent, j’ai conclu que la demande sera rejetée à l’égard des deux brevets. Pour résumer, les conclusions déterminantes établissent que, suivant la prépondérance des probabilités, les allégations suivantes de Pharmascience sont fondées :

 

1.                  Pharmascience ne contrefait pas la revendication 23 du brevet 136.

 

2.                  Certaines antériorités sont opposables aux revendications 1, 6 et 9 du brevet 136.

 

3.                  Les revendications 1, 6, 9 et 23 du brevet 136 sont évidentes.

 

4.                  La portée de la revendication 23 du brevet 136 est excessive.

 

5.                  Pharmascience ne contrefait pas les revendications 1 et 38 du brevet 014.

 


2.                  TABLE DES MATIÈRES

 

[6]               Par souci de commodité pour le lecteur, je présente un sommaire des motifs, avec le numéro du paragraphe où commence chacune des rubriques.

INTRODUCTION .............................................................................................. [1]

TABLE DES MATIÈRES................................................................................... [6]

QUESTIONS EN LITIGE................................................................................... [7]

TÉMOINS.......................................................................................................... [10]

HISTORIQUE D’AERIUS................................................................................ [14]

LE PRODUIT DE PHARMASCIENCE.......................................................... [18]

LE BREVET 136................................................................................................ [24]

Interprétation du brevet 136...................................................................... [25]

Principes généraux d’interprétation ............................................... [25]

La personne versée dans l’art ....................................................... [28]

Application des principes aux revendications

du brevet 136 .............................................................................. [29]

 

Contrefaçon ............................................................................................. [56]

 

Validité .................................................................................................... [62]

Antériorisation des revendications 1, 6 et 9

par les brevets Aberg et Cho ........................................................ [64]

Évidence des revendications 1, 6, 9 et 23

du brevet 136 .............................................................................. [97]

Portée excessive de la revendication 23 ...................................... [131]

 


LE BREVET 014 ............................................................................................. [140]

Interprétation du brevet 014 ................................................................... [141]

Application des principes aux

revendications du brevet 014....................................................... [141]

 

Contrefaçon du brevet 014 ..................................................................... [185]

 

Validité des revendications 1 et 38 du brevet 014 ................................... [190]

Manque d’utilité, prédiction valable

et inexploitabilité.......................................................................... [191]

Évidence .................................................................................... [196]

Portée excessive ........................................................................ [211]

Conclusion relative aux allégations de

validité........................................................................................ [216]

 

CONCLUSION GÉNÉRALE ........................................................................ [217]

 

3.                  QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               La Cour doit examiner deux séries de questions dans la présente instance, une série pour chaque brevet.

 

[8]               En ce qui a trait au brevet 136, les questions soulevées sont les suivantes :

 

·                    Quelle est l’interprétation appropriée des revendications 1, 6, 9 et 23 du brevet 136?

 

·                    Schering s’est-elle acquittée du fardeau qui lui incombait de convaincre la Cour que l’allégation d’absence de contrefaçon des revendications 1 et 9 du brevet 136 n’est pas fondée?

 

·                    Pharmascience a-t-elle présenté une preuve suffisante pour réfuter la présomption de validité des revendications 1, 6, 9 et 23 et Schering, pour sa part, a-t-elle fait défaut de s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’allégation d’invalidité n’est pas fondée?

 

[9]               En ce qui a trait au brevet 014, les questions soulevées sont les suivantes :

 

·                    Quelle est l’interprétation appropriée des revendications 1 et 38 du brevet 014?

 

·                    Schering s’est-elle acquittée du fardeau qui lui incombait de convaincre la Cour que l’allégation d’absence de contrefaçon des revendications 1 et 38 du brevet 014 n’est pas fondée?

 

·                    Pharmascience a-t-elle présenté une preuve suffisante pour réfuter la présomption de validité des revendications 1 et 38 et Schering, pour sa part, a-t-elle fait défaut de s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’allégation d’invalidité n’est pas fondée?

 

4.                  TÉMOINS

 

[10]           Schering, Sepracor et Pharmascience ont chacune produit les affidavits d’un certain nombre de témoins dont la preuve portait à la fois sur des questions techniques et sur des questions factuelles. Ces témoins qui ont fourni une preuve d’expert ou factuelle de la plus haute importance dans la présente demande sont présentés ci-dessous.

 

[11]           Les témoins experts de Schering étaient les suivants :

 

1.                  M. Louis Cartilier, professeur à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. M. Cartilier mène des recherches et enseigne dans le domaine de la conception de médicaments et de la fabrication de formes pharmaceutiques. Il agit aussi à titre de consultant auprès d’entreprises pharmaceutiques pour des questions de formulation. Son premier affidavit portait sur la question de l’interprétation et de la contrefaçon des revendications. Dans son affidavit en réponse, il a traité de la question de l’invalidité soulevée par Pharmascience.

 

2.                  M. Gilbert Banker, maintenant retraité. Au terme de sa longue carrière universitaire, en 1999, M. Banker occupait le poste de doyen et de John L. Lach Distinguished Professor of Drug Delivery au College of Pharmacy de l’Université de l’Iowa. Il occupait ce poste depuis 1992. Bien que toute sa carrière se soit déroulée dans le milieu universitaire, M. Banker a été consultant pour des entreprises pharmaceutiques. Il est codirecteur de publication, avec M. Christopher Rhodes, de Modern Pharmaceutics, 4th ed. (New York: Marcel Dekker, Inc., 2002), volume qui traite de la formulation des médicaments. Le premier affidavit de M. Banker portait sur la question de l’interprétation et de la contrefaçon des revendications. Dans son affidavit en réponse, il a traité de la question de l’invalidité soulevée par Pharmascience.

 

3.                  M. Jerry Atwood, professeur et directeur du Département de chimie de l’Université du Missouri-Columbia. Tout au long de sa carrière de chercheur et professeur en milieu universitaire, M. Atwood a eu comme centre d’intérêt la chimie de l’état solide. Il a été prié de donner son avis sur les affidavits de MM. Rhodes et Fiese. En particulier, M. Atwood s’est montré très critique à l’égard de ce qu’il qualifiait de « simplification exagérée » de la part des experts de Pharmascience en ce qui concerne le rôle de la réaction de Maillard. M. Atwood a aussi répondu à l’opinion des experts de Pharmascience concernant les questions de validité du brevet. Enfin, il a émis une brève opinion faisant suite à l’affidavit en réponse de M. Rhodes sur certaines questions limitées concernant la formulation et les pratiques de la Food and Drug Administration (FDA) des États‑Unis.

 

[12]           Les témoins experts de Pharmascience étaient les suivants :

 

1.                  M. Christopher Rhodes, professeur émérite à l’Université du Rhode Island et codirecteur de publication, avec M. Banker, de Modern Pharmaceutics. Depuis plus de 30 ans, M. Rhodes est actif dans le domaine de la conception et de l’évaluation des produits pharmaceutiques. Il a formulé des opinions sur l’interprétation des revendications, l’état antérieur de la technique, l’évidence, la portée excessive, l’inexploitabilité et l’utilité pour ce qui est des deux brevets en litige.

 

2.                  M. Eugene Fiese, consultant pharmaceutique chez Fiese Pharmaceutics Consulting. Parmi ses compétences pertinentes et utiles, M. Fiese possède une vaste expérience directe en formulation de médicaments en laboratoire. Il a formulé des opinions sur l’interprétation des revendications, l’état antérieur de la technique, l’évidence et l’utilité pour ce qui est des deux brevets en litige.

 

[13]           Sepracor a présenté, comme témoin des faits, M. Stephen Wald, l’un des inventeurs désignés du brevet 136.

 

5.                  HISTORIQUE D’AERIUS

 

[14]           Comme il a été mentionné, l’ingrédient principal d’AERIUS est la DCL, molécule ayant des propriétés antihistaminiques. Comparativement aux autres antihistaminiques connus dans l’art, la DCL ne provoque pas de somnolence ni ne cause certains autres effets secondaires négatifs. Un certain nombre de demandes de brevets visant la DCL ont été déposées au fil des


ans et avant les brevets en litige. La présente demande ne concerne pas l’invention de la DCL. Cependant, deux des brevets antérieurs ont une importance particulière en l’espèce :

 

·                    Le brevet américain no 4,659,716 (brevet Villani), qui est daté du 21 avril 1987, est un brevet de produit qui divulgue et revendique la DCL elle‑même et plusieurs de ses compositions.

 

·                    Le brevet américain no 5,595,997 (brevet Aberg), qui est daté du 21 janvier 1997, est un brevet d’utilisation qui divulgue et revendique des méthodes pour traiter les allergies au moyen de la DCL tout en évitant certains effets secondaires d’autres antihistaminiques.

 

[15]           Schering et Sepracor affirment que, en travaillant de façon indépendante, elles ont toutes deux inventé une forme de DCL qui était assez stable pour être commercialisée. Elles soutiennent que, avant les travaux menés par les inventeurs du brevet 014 et du brevet 136, on ignorait que la DCL se dégrade lorsqu’elle est formulée avec des excipients acides tels que le lactose, l’un des diluants ou excipients le plus couramment utilisés et un composé divulgué dans le brevet Aberg.

 

[16]           Par conséquent, Schering soutient que la première « invention » ou découverte révélée dans les deux brevets était que la DCL se dégrade et est fortement réactive en présence d’excipients acides, dont le lactose. Ayant reconnu le problème, les inventeurs des deux brevets, tout en travaillant de façon indépendante, ont chacun trouvé des solutions pour le surmonter.

 

[17]           Pour simplifier, les inventeurs de Schering en sont arrivés à une composition de DCL dont le « véhicule » ne renfermait aucun excipient acide et renfermait un « sel basique » (brevet 014). L’invention de Sepracor était une composition dont le véhicule ne renfermait pas de lactose ou était une composition anhydre (brevet 136).

 

6.                  LE PRODUIT DE PHARMASCIENCE

 

[18]           Dans son avis d’allégation, Pharmascience fait valoir que son produit ne contreviendra pas au brevet 014 ni au brevet 136. Tout en reconnaissant qu’une quantité de DCL efficace sur le plan thérapeutique et qu’un véhicule pharmaceutiquement acceptable entrent dans la composition de son produit, Pharmascience soutient ce que suit :

 

1.                  En ce qui concerne le brevet 014, son produit [traduction] « ne renferme pas une quantité d’un sel basique pharmaceutiquement acceptable protectrice de la DCL et n’est pas essentiellement exempt d’excipients acides, au sens où ces termes sont utilisés dans le brevet 014 »;

 

2.                  En ce qui concerne le brevet 136, son produit [traduction] « n’est pas totalement exempt ou essentiellement exempt d’excipients réactifs et n’est pas essentiellement exempt d’eau non liée, au sens où ces termes sont utilisés dans le brevet 136 ».

 

[19]           Afin de déterminer si l’allégation de Pharmascience relative à l’absence de contrefaçon est justifiée, il est nécessaire de savoir en quoi consiste le produit de Pharmascience. Cette dernière a refusé de remettre à Schering des échantillons de son produit aux fins de la présente demande. Cependant, par suite d’une ordonnance rendue par le protonotaire Aronovitch le 11 juin 2008, Pharmascience a finalement fourni les détails concernant l’ensemble de son procédé de fabrication. Schering a passé un marché avec le Toronto Institute of Pharmaceutical Technology (TIPT) pour qu’il fabrique le produit dont la formulation est décrite dans la documentation fournie. M. Frank Martinuzzi, gestionnaire, Opérations générales et Laboratoire du TIPT, a été embauché pour créer une « recette » afin de formuler des comprimés qui correspondraient le plus possible sur le plan scientifique à ceux produits par Pharmascience, et pour fabriquer un produit à partir de cette formulation. Par la suite, M. George Kretschmann, ingénieur technologue à l’Université de Toronto, a examiné les comprimés à l’aide de la microscopie électronique à balayage (MEB) afin d’établir la structure des particules.

 

[20]           En m’appuyant sur les expériences réalisées par M. Martinuzzi et sur l’étude par MEB effectuée par M. Kretschmann, telles qu’elles ont été interprétées par d’autres experts, je suis convaincue que Pharmascience utilise un procédé en trois étapes pour fabriquer ses comprimés :

 

1.                  [Première étape, confidentielle] Au cours de cette première étape, la DCL et [le composé confidentiel numéro un] sont mélangés. Après l’ajout d’autres excipients, le mélange est mis sous des [formes] contenant les éléments suivants :

a.                   de la DCL                                                                    [. . .]

b.                  [d’autres composés, dont le composé confidentiel numéro un et le composé confidentiel numéro deux]                [. . .]

 

2.                  Mélange et compression. Une fois séchées, les [formes] susmentionnées sont comprimées. Au cours de cette étape, d’autres excipients sont ajoutés, dont le lactose anhydre, comme l’a reconnu Pharmascience.

 

3.                  Enrobage. À cette dernière étape, les comprimés sont enrobés.

 

[21]           Pharmascience ne nie pas ajouter du lactose à la deuxième étape du procédé. Cependant, la position du lactose dans le comprimé est déterminante.

 

[22]           M. Banker était d’avis que les [formes] de la première étape résistent au procédé de fabrication de Pharmascience et sont présentes dans ses comprimés (dossier des demanderesses, vol. 3, onglet. 10, p. 487). M. Cartilier a fourni d’autres détails pour étayer sa conclusion similaire que les [formes] de la première étape [traduction] « résistent à la compression et existent à l’état intact dans les comprimés fabriqués conformément au procédé de Pharmascience » (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet. 6, p. 186). M. Cartilier a décrit les comprimés de Pharmascience comme étant constitués de trois compartiments : les [formes] comprenant de la DCL et les [excipients à l’intérieur de la forme]; l’[espace à l’extérieur de la forme] comprenant les [excipients à l’extérieur de la forme] et de possibles fragments discrets de certaines [formes] brisées; et l’enrobage (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 188). Il s’ensuit que, selon la prépondérance des probabilités, tout lactose dans les comprimés de Pharmascience est confiné à l’extérieur de la [forme] de la première étape. Autrement dit, la DCL est séparée du lactose, à l’exception de quantités négligeables lorsque les [formes] de la première étape sont brisées pendant le processus de formation des comprimés.

 

[23]           Je note que les [formes] de la première étape sont conçues de façon à être anhydres et à contenir [les composés confidentiels numéros 1 et 2]. Tous ces éléments sont pertinents quant à la question de savoir si l’allégation d’absence de contrefaçon de Pharmascience est justifiée et chacun est examiné plus loin dans les présents motifs.

 

7.                  BREVET 136

 

[24]           Je vais examiner en premier lieu les questions soulevées à l’égard du brevet 136.

 

7.1.            Interprétation du brevet 136

 

7.1.1.      Principes généraux d’interprétation

 

[25]           Comme nous l’enseigne la jurisprudence, la première tâche de la Cour consiste à entreprendre une « interprétation téléologique » des revendications en cause. Compte tenu de l’absence de désaccord, il n’y a pas lieu de constituer une liste exhaustive des principes bien établis en matière d’interprétation des revendications (voir, principalement, Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 9 C.P.R. (4th) 168, et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 9 C.P.R. (4th) 129). En termes généraux :

L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention.

[Whirlpool, précité, par. 45.]

 

 

[26]           La Cour doit interpréter objectivement la revendication du point de vue d’une personne hypothétique versée dans l’art et décider comment cette personne aurait interprété le brevet à la date pertinente (Whirlpool, précité, par. 45 et 53). La Cour devrait interpréter les revendications à la lumière du mémoire descriptif, avec l’aide, si cela est nécessaire, d’experts pour ce qui concerne la signification des termes techniques, si ceux-ci ne peuvent être compris à la lecture du mémoire descriptif (Shire Biochem Inc. c. Canada (Santé), 2008 CF 538, 328 F.T.R. 123, par. 22; Whirlpool, précité, par. 45).

 

[27]           Finalement, il est également important de reconnaître que l’interprétation téléologique devrait viser les points en litige entre les parties (voir Shire Biochem, précité, par. 21).

 

7.1.2.      La personne versée dans l’art

 

[28]           En l’espèce, les deux parties s’entendent sur le profil de la personne versée dans l’art. Aux fins de l’interprétation des deux brevets en litige, cette personne serait titulaire d’un baccalauréat en chimie ou dans un domaine connexe et serait spécialisée dans les formulations pharmaceutiques et les formes pharmaceutiques solides administrées par voie orale. Elle posséderait aussi quatre ans d’expérience dans le domaine.

 

7.1.3.      Application des principes aux revendications du brevet 136

 

[29]           Le premier brevet en cause est le brevet 136. Il a été publié le 13 août 1998; c’est cette date qui déterminera l’interprétation appropriée.

 

[30]           Le brevet 136 est intitulé « Compositions pharmaceutiques de descarboéthoxyloratadine exemptes de lactose, non hygroscopiques et anhydres ». Comme l’indique le mémoire descriptif du brevet, un brevet antérieur (le brevet Aberg) révélait que la DCL, [traduction] « tout en constituant un traitement antihistaminique efficace qui ne provoque pas de somnolence, permet d’éviter de nombreux effets indésirables souvent graves couramment associés à l’administration d’[autres antihistaminiques] ».

 

[31]           Comme l’indique le mémoire descriptif, à partir de la page 3, les inventeurs ont d’abord détecté un « problème » de fabrication, c’est‑à‑dire la dégradation non souhaitée de la DCL en présence de lactose ou [traduction] « d’autres excipients réactifs similaires tels que les mono- et les disaccharides » :

[traduction] Reconnaissant l’utilité des compositions pharmaceutiques contenant de la DCL, nous avons conclu que, dans les conditions habituelles de fabrication et de conservation, la DCL n’est pas stable et se dégrade en présence de lactose, composé couramment utilisé comme excipient dans diverses formes pharmaceutiques telles que les comprimés, les capsules et les poudres. Avec le temps, le composé de lactose et de DCL forme un produit de couleur brune et la DCL subit une dégradation importante. L’intensité de la couleur brune dépend habituellement de la quantité de DCL présente, des conditions de conservation (par exemple l’humidité et la température), de même que de la durée de conservation.

 

[32]           Les inventeurs poursuivent en décrivant deux aspects de leur invention qui présentent un intérêt relativement aux revendications en litige devant la Cour. Le premier est tout simplement l’omission du lactose. À la page 4 du mémoire descriptif, les inventeurs décrivent comme suit leur invention :

[traduction] La présente invention vise des compositions pharmaceutiques stables contenant de la DCL mélangée intimement avec un ou plusieurs excipients, notamment des formes pharmaceutiques mélangées, granulées ou comprimées qui permettent d’éviter l’incompatibilité entre la DCL et des excipients réactifs tels que le lactose et d’autres mono- ou disaccharides.

 

[33]           Dans le mémoire descriptif, les inventeurs décrivent certaines « réalisations privilégiées » de la première invention dans lesquelles le lactose n’est pas utilisé ou pour lesquelles ils ont recours aux moyens décrits pour éviter l’interaction entre le lactose et la DCL.

 

[34]           Le deuxième aspect de leur invention est le problème associé à l’eau dans le composé pharmaceutique. À la page 5, les inventeurs révèlent que [traduction] « leurs études ont aussi montré que, en l’absence d’eau non liée, les compositions de DCL qui contiennent du lactose se dégradent très peu ou ne se dégradent pas du tout ». Reconnaissant que le lactose [traduction] « est l’un des meilleurs filtres pour la compression directe sur le plan de la fluidité et est très efficace pour les formulations à faible dose », les inventeurs divulguent une réalisation de la présente invention qui englobe [traduction] « des compositions pharmaceutiques non hygroscopiques » comprenant de la DCL et [traduction] « au moins un autre excipient pharmaceutiquement acceptable ». Les inventeurs estiment que, lorsque la composition globale est essentiellement non hygroscopique ou est anhydre, le lactose et d’autres excipients réactifs tels que les mono- et les disaccharides peuvent en faire partie.

 

[35]           Le mémoire descriptif comprend les [traduction] « Résultats des études de compatibilité des excipients » (à partir de la page 16 du mémoire descriptif), qui sont suivis de divers exemples de réalisations. Les inventeurs mentionnent expressément, à la page 19, que les exemples [traduction] « sont fournis à titre d’exemples, mais ne sont pas limitatifs. »

 

[36]           Cela m’amène aux revendications particulières en cause. Schering soulève les revendications 1, 6, 9 et 23 du brevet 136.

 

[37]           Je m’arrête ici pour examiner la position de Sepracor. Dans son mémoire des faits et du droit, Sepracor a fait valoir que, en plus des revendications ciblées par Schering, l’allégation de Pharmascience n’était pas fondée à l’égard des revendications 2, 3 et 31. Tel qu’il a déjà été souligné, Sepracor a décidé de ne pas prendre part à la phase oratoire de la présente demande, ce qui laisse la Cour dans une position singulière. La demanderesse devant la Cour est Schering et elle demande une ordonnance d’interdiction jusqu’à l’expiration des brevets 014 et 136. Schering n’adopte aucune position à l’égard de ces autres revendications mentionnées par Sepracor. Compte tenu du fait que Schering n’a pas avancé que les allégations de Pharmascience ne sont pas fondées en ce qui a trait aux revendications 2, 3 et 31, je ne vois aucune raison pour laquelle je devrais me pencher sur le bien‑fondé de ces allégations.

 


[38]           Par conséquent, je n’interpréterai que les revendications sur lesquelles s’appuie Schering, soit les revendications 1, 6, 9 et 23 :

 

[traduction]

1.         Une composition pharmaceutique sous forme mélangée ou granulée pour le traitement des affections induites par l’histamine comprenant une quantité thérapeutiquement efficace de descarboéthoxyloratadine, ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable de la descarboéthoxyloratadine, et un véhicule inerte pharmaceutiquement acceptable.

 

6.         La composition pharmaceutique de la revendication 1 comprenant en plus une quantité thérapeutiquement efficace d’un analgésique.

 

9.         La composition pharmaceutique de la revendication 1 sous forme de comprimé ou de capsule.

 

23.       La composition pharmaceutique anhydre de la revendication 22 sous forme de comprimé.

 

[39]           La revendication 23 est dépendante de la revendication 22, elle‑même dépendante de la revendication 16. Cette dernière se lit comme suit :

[traduction]

16.       Une composition pharmaceutique anhydre sous forme granulée ou mélangée pour le traitement des affections induites par l’histamine comprenant une quantité thérapeutiquement efficace de descarboéthoxyloratadine, ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable de la descarboéthoxyloratadine, et un véhicule inerte pharmaceutiquement acceptable.

 

[40]           Les revendications 1, 6 et 9 concernent l’invention alléguée consistant à omettre le lactose. La revendication 6 ajoute un analgésique aux éléments de la revendication 1, et la revendication 9 limite la revendication 1 aux formes comprimé et capsule. Une fois arrivé le temps des plaidoiries, les parties ne contestaient plus le fait que le terme « composition pharmaceutique » ne désigne rien d’autre que la forme pharmaceutique finale. Par conséquent, le seul point en litige concernant les revendications 1, 6 et 9 est de savoir si le terme « véhicule pharmaceutiquement inerte » englobe l’ensemble de la « composition pharmaceutique » (ou forme pharmaceutique finale) ou se limite aux matières mélangées intimement à la DCL.

 

[41]           Aucune des deux parties ne conteste le fait que le lactose est un excipient réactif plutôt qu’un véhicule inerte.

 

[42]           Pharmascience soutient que le « véhicule » correspond à l’excipient utilisé pour délivrer ou administrer l’ingrédient actif, soit la DCL, dans l’organisme. MM. Rhodes et Fiese sont quant à eux d’avis que le terme « véhicule » désigne l’ensemble des composantes de la forme pharmaceutique finale à l’exception de la DCL. Donc, vu le sens donné par Pharmascience au terme « véhicule inerte », la forme pharmaceutique finale doit, selon elle, être exempte de lactose et de tout autre excipient acide. Pour étayer cette interprétation, Pharmascience allègue que le brevet 136 définit le « véhicule » ou le « véhicule inerte » comme tout excipient, dont les diluants, les lubrifiants, les liants et les agents d’enrobage (brevet 136, p. 10, 14, 15). Comme les agents d’enrobage sont utilisés à la fin du procédé, il faut nécessairement en conclure que le terme « véhicule » englobe tous les excipients de la forme pharmaceutique finale.

 

[43]           En revanche, Schering s’appuie sur l’opinion de MM. Banker et Cartilier pour affirmer que le terme « véhicule inerte pharmaceutiquement acceptable » désigne uniquement les excipients « intimement mélangés » avec la DCL, et non pas ceux à l’extérieur du mélange formé. Par conséquent, le « véhicule inerte » doit être exempt de lactose, même si la composition pharmaceutique peut en renfermer une certaine quantité (dossier des demanderesses, vol. 3, onglet 10, p. 463-464; dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 176-177). À mon avis, l’interprétation de Schering et de ses experts doit être privilégiée.

 

[44]           Le premier problème lié à l’interprétation de Pharmascience concerne sa mention des agents d’enrobage. Le lecteur du brevet 136 peut voir que les inventeurs définissent plusieurs moyens pour régler le problème de la dégradation de la DCL quand celle-ci entre en contact avec le lactose. L’une de ces solutions, l’enrobage de la DCL, figure à la page 7 du mémoire descriptif du brevet. C’est à cette étape que la DCL est soumise à une granulation avec des excipients inertes, puis que les [formes] sont enrobées au moyen d’agents d’enrobage inertes. Finalement, pendant le processus de compression, ces [formes], déjà protégées, peuvent être mélangées à d’autres excipients, y compris le lactose. Comme l’indique le mémoire à la page 7, lignes 25 à 30 :

[traduction] Une fois les particules ou les formulations granulées de DCL recouvertes de l’agent d’enrobage inerte, il est possible de formuler la DCL enrobée au moyen de techniques courantes, dont le mélange, la granulation, la compression ou une combinaison de ces techniques, avec d’autres excipients inertes ou réactifs, comme le lactose, afin de fabriquer différentes formes pharmaceutiques, par exemple des comprimés, des caplets, des capsules, des trochisques et autres.

[Non souligné dans l’original.]

 

[45]           Cette réalisation de l’invention montre que les « agents d’enrobage » ne sont pas nécessairement toujours utilisés à la fin du procédé. Par conséquent, l’argument de Pharmascience doit être rejeté.

 

[46]           Ensuite, je note que tous les experts semblent d’accord pour dire que le mot « comprenant » n’est pas limitatif, c’est‑à‑dire que ce qui suit ce mot ne désigne pas nécessairement tout ce qui est inclus dans la composition. Dans le cas de la revendication 1, lorsque les inventeurs décrivent la composition en disant qu’elle « comprend » de la DCL et un véhicule inerte, la personne versée dans l’art saurait que la composition peut renfermer d’autres choses. (Une analyse plus approfondie du mot « comprenant » figure aux paragraphes [150] et [151].)

 

[47]           Par ailleurs, alors que le terme « composition pharmaceutique » est souvent utilisé dans le mémoire descriptif pour représenter la forme pharmaceutique finale à administrer aux patients, le terme « véhicule » n’est jamais utilisé comme synonyme des termes « composition pharmaceutique » et « forme pharmaceutique » ni de façon interchangeable avec ceux‑ci. Cette distinction est incluse dans le libellé des revendications, où les inventeurs indiquent que la « composition pharmaceutique » comprend de la DCL et un « véhicule inerte pharmaceutiquement acceptable ».

 

[48]           MM. Cartilier et Banker affirment que le « véhicule inerte » est l’excipient qui est mélangé intimement avec la DCL. Ils s’appuient sur le paragraphe suivant du brevet 136, page 4, linges 3 à 7 :

La présente invention vise des compositions pharmaceutiques stables contenant de la DCL mélangée intimement avec un ou plusieurs excipients, notamment des formes pharmaceutiques mélangées, granulées ou comprimées qui permettent d’éviter l’incompatibilité entre la DCL et des excipients réactifs tels que le lactose et d’autres mono- ou disaccharides.

 

 

[49]           Je privilégie l’opinion de MM. Cartilier et Banker portant que la personne versée dans l’art saurait que, afin de protéger la DCL, aucun excipient mélangé avec la DCL ne doit être un « excipient réactif ». Selon M. Cartilier, ce passage [traduction] « cadre avec le but de l’invention, qui est de fournir une formulation dans laquelle la DCL ne sera ni décomposée ni n’aura changé de couleur » (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 177). M. Cartilier poursuit en disant que [traduction] « le brevet 136 reconnaît que certains produits pharmaceutiques ont différents “compartiments” ou différentes sections » (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 178). Il mentionne aussi que [traduction] « l’exposé de l’invention indique au formulateur qualifié qu’une formulation (ou un produit) avec de multiples compartiments est prévue dans le brevet 136 » (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 178). M. Cartilier souligne le libellé du brevet (brevet 136, p. 7, lignes 25-29) :

Lorsque les particules ou les formulations granulées de DCL sont recouvertes d’un agent d’enrobage inerte, il est possible de formuler la DCL enrobée au moyen de techniques courantes, notamment le mélange, la granulation, la compression ou une combinaison de ces techniques, avec d’autres excipients inertes ou réactifs, comme le lactose, afin de fabriquer différentes formes pharmaceutiques, par exemple des comprimés, des caplets, des capsules, des trochisques et autres.

 

 

[50]           Par contre, M. Rhodes soutient que l’expression « intimement mélangé », soulignée par les experts de Schering, amènerait la personne versée dans l’art « à interpréter de façon inhabituelle le terme courant “véhicule” » (dossier du défendeur, Pharmascience inc., vol. 1, onglet 1, p. 43). De l’avis de M. Rhodes, le véhicule représente l’ensemble de la forme pharmaceutique, et non pas une [forme] interne. M. Rhodes justifie son interprétation en indiquant que les inventeurs ont inclus dans leur liste d’excipients des « agents d’enrobage » qui pouvaient être compris dans le véhicule (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 43). Je ne souscris pas à cette interprétation. Comme je l’ai déjà mentionné (aux paragraphes [45] et [46] de la présente décision), les agents d’enrobage ne sont pas nécessairement toujours utilisés à la fin du procédé.

 

[51]           L’élément essentiel des revendications 1, 6 et 9 est qu’il ne faut mélanger intimement la DCL qu’avec des véhicules inertes et qu’il faut éviter de la mélanger intimement avec des excipients réactifs. Les revendications sont muettes en ce qui concerne les excipients qui peuvent être utilisés à l’extérieur du véhicule, mais tout de même à l’intérieur de la « composition pharmaceutique ». J’estime qu’il s’agit là d’une interprétation raisonnable du libellé de la revendication 1. L’interprétation des revendications 6 et 9 en découlerait.

 

[52]           Le seul point en litige relativement à la revendication 23 – et à la revendication 16 de laquelle dépend la revendication 23 – est le sens du terme « composition pharmaceutique anhydre ». Et, à la lecture des demandes de Schering et de Pharmascience, je ne suis pas persuadée que les interprétations proposées par les deux parties comportent une différence matérielle. Pharmascience et Schering reconnaissent toutes deux que la personne versée dans l’art n’interpréterait pas le terme « anhydre » comme l’absence totale d’eau dans la composition. Selon M. Cartilier, cette personne saurait que [traduction] « les compositions pharmaceutiques ne sont jamais anhydres dans un sens absolu » et exemptes d’eau à cent pour cent (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 180). M. Rhodes, témoignant pour Pharmascience, était du même avis et a affirmé que, pour la personne versée dans l’art, le mot « anhydre » renvoie [traduction] « à une quantité d’eau non liée pouvant être plus grande que zéro, mais toutefois insuffisante pour déclencher ou accélérer une réaction de dégradation » (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 11). Lors de son contre‑témoignage, M. Atwood a affirmé ce qui suit : [traduction] « Il est très difficile de fabriquer un comprimé pharmaceutique qui ne renferme pas une certaine quantité d’eau, mais cette quantité pourrait équivaloir à quelques parties par million » (dossier du défendeur, vol. 5, onglet 10, p. 1053, q. 151). Par conséquent, la question est de savoir ce que le brevet révèle au sujet de la quantité d’eau que peut contenir la composition.

 

[53]           Le terme « anhydre » est défini ainsi dans le brevet 136, à la page 11, lignes 24 à 27 :

[traduction] La quantité d’eau non liée, si de l’eau non liée est présente, est insuffisante pour déclencher et/ou accélérer l’incompatibilité entre la DCL et les excipients réactifs, tel le lactose.

 

[54]           Le terme « eau non liée », tel qu’il est mentionné par les inventeurs à la page 11, lignes 22 à 24, désigne [traduction] « de l’eau qui n’est pas présente sous la forme d’un hydrate stable d’un ou plusieurs des composantes de la composition pharmaceutique, p. ex. le monohydrate d’α-lactose. »

 

[55]           Les inventeurs n’ont établi aucune limite absolue du contenu en eau qui satisferait aux exigences relatives à la nature « anhydre ». Ils ont plutôt défini le contenu en eau selon sa fonction. Autrement dit, une composition de DCL semble satisfaire aux revendications 16 et 23 si elle demeure stable en présence de lactose. Si la composition renfermant du lactose se dégrade, elle n’est pas anhydre. De même, si elle ne se dégrade pas, elle est anhydre. M. Rhodes était d’accord avec cette interprétation, mais était préoccupé par plusieurs points : [traduction] « à la lecture du brevet 136, la personne versée dans l’art ne saurait pas combien d’eau non liée est acceptable, et ne saurait pas non plus comment mesurer ou déterminer cette quantité » (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 11). J’en conviens. Même si j’admets l’interprétation du mot « anhydre » au sens d’une quantité d’eau non liée insuffisante pour déclencher ou accélérer le processus de dégradation, j’estime qu’elle soulève des questions importantes concernant : a) le moyen de mesurer la contrefaçon; et b) les allégations d’invalidité. Ces questions sont abordées ci‑après.

 

7.2.            Contrefaçon

 

[56]           En m’appuyant sur ces interprétations, j’aborde maintenant la question de savoir si l’allégation de Pharmascience à l’égard de l’absence de contrefaçon est justifiée.

 

[57]           Comme je l’ai déjà indiqué, les comprimés de Pharmascience contiennent des [formes] exemptes d’excipients réactifs tels que le lactose. Dans les comprimés de Pharmascience, le lactose est situé à l’extérieur de la [forme] ou du « véhicule ». J’estime que l’allégation d’absence de contrefaçon des revendications 1, 6 et 9 n’est pas justifiée.

 

[58]           En ce qui concerne la revendication 23, il est plus difficile de répondre à la question. Alors que les revendications 1, 6 et 9 exigent en effet que le véhicule soit exempt de lactose, la revendication 23 (par la revendication 16) indique que la préparation entière, ou le comprimé, est anhydre. Les comprimés finaux fabriqués conformément aux mémoires descriptifs de Pharmascience renferment de l’eau dans une proportion de [confidentiel] % du poids total. Cette quantité a été confirmée par MM. Fiese (dossier du défendeur, vol. 3, onglet 4, p. 789) et Banker (dossier des demanderesses, vol. 3, onglet 10, p. 501). Selon M. Rhodes, [traduction] « dans les conditions de fabrication habituelles, un comprimé contient normalement moins de 2 %, environ, d’eau au total et rarement ou jamais plus de 3 % » (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 50). Au contre‑témoignage, M. Atwood a admis que même si certains comprimés peuvent renfermer plus de 3 % d’eau non liée, la proportion normale d’eau varie de 1 à 3 % dans les produits pharmaceutiques soumis aux procédés de fabrication usuels (dossier du défendeur, vol. 5, onglet 10, p. 1053-1054). Néanmoins, les comprimés sont stables; ils ne se dégradent pas. Il s’avère donc que les comprimés ne renferment pas assez d’eau pour que se déclenche ou s’accélère l’incompatibilité entre la DCL et les excipients réactifs, tel le lactose. Si cette conclusion est juste, l’allégation d’absence de contrefaçon de la revendication 23 n’est pas justifiée.

 

[59]           À mon point de vue, toutefois, il s’agit là d’une approche trop simpliste de la question de la contrefaçon.

 

[60]           La revendication 16 est une revendication « fonctionnelle ». Selon le juge Noël dans Burton Parsons Chemicals Inc c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd. (1972) 7 C.P.R. (2d) 198, à la p. 215 : [traduction] « une revendication fonctionnelle, au sens d’une revendication à l’égard d’un résultat souhaité, est en principe admissible dans notre pays ». Ce qui est implicite, dans la revendication 16, c’est que pour qu’une composition soit stable ou ne se dégrade pas, il faut éviter l’eau. Selon moi, il ne s’agit pas d’une question simple. Par exemple, le brevet 136 indique au moins deux moyens d’éviter la dégradation : éviter le lactose et éviter l’eau. Le brevet 014 divulgue une autre méthode : éviter le lactose tout en utilisant un sel basique. Comment quiconque saurait‑il si la stabilité de tout produit de Pharmascience résulte de la contrefaçon de la revendication 16? La stabilité pourrait‑elle être due à l’utilisation d’un excipient différent? Il n’y a pas de façon simple d’établir que l’absence de dégradation est attribuable à la non‑utilisation d’eau plutôt qu’à une autre variable dans la formulation. Il semble que Schering n’a pas effectué d’essais pour déterminer quel effet, le cas échéant, la quantité d’eau dans les comprimés de Pharmascience – par rapport à d’autres éléments de sa composition – a sur la stabilité du produit final. Par conséquent, je ne suis pas persuadée que Schering s’est acquittée de son fardeau de démontrer que le produit de Pharmascience contreferait les revendications 16 et 23. J’estime que l’allégation de Pharmascience à l’égard de l’absence de contrefaçon de ces revendications est justifiée.

 

[61]           Même si ma conclusion était erronée, j’estime aussi que l’allégation de Pharmascience portant que la revendication 16 (et par conséquent la revendication 23) est invalide pour cause d’évidence ou de portée excessive est justifiée. J’aborde ce sujet ci‑après.

 

7.3.            Validité

 

[62]           Dans son avis d’allégation, Pharmascience formule un certain nombre d’allégations concernant la validité des revendications 1, 6, 9 et 23. Aux fins des présents motifs, je m’attarderai aux allégations qui semblent les mieux fondées; ainsi :

 

1.                  Les revendications 1, 6, 9 et 23 ont été anticipées ou rendues évidentes en date du 7 février 1997 par les antériorités ou les connaissances générales courantes;

2.                  La revendication 23 a une portée excessive.

 

[63]           Je conclus que les allégations de Pharmascience voulant que les inventeurs n’aient pas réussi à démontrer l’utilité de leur invention ou à satisfaire aux exigences de prédiction valable (en évitant le lactose ou en évitant l’eau) ne sont pas justifiées.

 
7.3.1.      Antériorisation des revendications 1, 6 et 9 par les brevets Aberg et Cho

 

[64]           Je vais maintenant examiner le premier argument de Pharmascience – celui de l’antériorité. Dans son avis de demande, Pharmascience s’appuie notamment sur le brevet américain no 5,595,997 (le brevet Aberg) et le brevet américain no 4,990,535 (le brevet Cho), pour alléguer que [traduction] « [l]’objet des revendications 1 à 36 du brevet 136 a été [] divulgué au public avant la date de la revendication du brevet 136 […] » et que [traduction] « [p]ar conséquent, les revendications 1 à 36 du brevet 136 sont invalides en raison de l’absence de nouveauté (en d’autres termes, pour cause d’antériorité), en vertu de l’article 28.2 de la Loi ». 

 

[65]           Dans ses observations finales, Pharmascience a réduit la portée de ses allégations pour soutenir que la revendication 9 du brevet 136 était antériorisée par certains des enseignements du brevet Aberg et du brevet Cho.

 


7.3.1.1.                        Principes de l’antériorité

 

[66]           Je commence la présente section en invoquant les principes juridiques généraux de l’antériorité.

 

[67]           La notion d’antériorité tire son origine de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. En résumé, cette disposition prescrit que l’objet d’une revendication ne doit pas avoir été divulgué au public avant la date de la revendication.

 

[68]           Avant la décision de la Cour suprême dans Apotex c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, le critère de l’antériorité appliqué par les tribunaux était celui décrit dans Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), p. 297 :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

 

[69]           Dans Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 23, la Cour suprême du Canada a établi que le juge de première instance, en appliquant le critère de Beloit, « a exagéré la rigueur du critère de l’antériorité en considérant que l’“invention exacte” devait déjà avoir été faite et avoir été rendue


publique ». La Cour suprême a conclu que la question de savoir si une invention est antériorisée exige que le tribunal se penche sur deux questions :

 

1.                  L’objet de l’invention a-t-il été rendu public en totalité dans une même divulgation?

 

2.                  À supposer que la divulgation ait été claire, aurait-elle permis la réalisation de l’invention?

 

[70]           À la première étape de l’analyse, la Cour suprême a donné les indications suivantes (par. 25) :

En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

 

[71]           La Cour suprême a aussi abordé la question du caractère réalisable qui intervient lorsque l’exigence de la divulgation est remplie (par. 27) :

Dès lors que l’objet de l’invention est divulgué dans un brevet antérieur, on suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Bien que de tels essais soient exclus à l’étape de la divulgation, ils ne le sont pas pour les besoins du caractère réalisable, car la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention.

 

[72]           Dans Laboratoires Abbott c. Canada (Santé) 2008 CF 1359, 337 F.T.R. 17, décision confirmée à 2009 CAF 94, 387 N.R. 347 (désignée Abbott, juge Hughes), le juge Hughes a entrepris une analyse utile du droit applicable en matière d’antériorité tel qu’il existe depuis Sanofi-Synthelabo, précité. Il a résumé les exigences juridiques de l’antériorité comme suit (par. 75) :

1.         Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

 

2.         Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

 

3.         Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.

 

4.         La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

 

5.         Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

 

6.         La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi criminelle.

 

7.         Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

7.3.1.2.                        Le brevet Aberg

 

[73]           Concernant les faits de la demande dont la Cour est saisie, je vais d’abord examiner les enseignements du brevet Aberg. Les parties semblent être d’accord pour dire que, si le brevet Aberg constitue une divulgation en totalité de l’objet de la revendication 9 du brevet 136, cette divulgation permet la réalisation de l’invention divulguée à la revendication 9.

 

[74]           Dans l’exposé de l’invention, les inventeurs du brevet Aberg indiquent que l’invention [traduction] « est définie davantage par » un certain nombre d’exemples. L’un de ces exemples est l’exemple 8, intitulé [traduction] « Capsules molles » :

[traduction] Un mélange d’ingrédient actif et d’huile digestible telle que l’huile de soya, de lécithine, de coton ou d’olive est préparé et injecté au moyen d’une pompe volumétrique dans de la gélatine de façon à former des capsules molles contenant 0,1 à 10 milligrammes de l’ingrédient actif. Les capsules sont lavées et séchées.

 

[75]           L’« ingrédient actif » de l’exemple 8 est la DCL. Le produit décrit dans cet exemple ne renfermerait pas de lactose.

 

[76]           Les capsules souples sont prévues dans le brevet 136. À la page 13 du mémoire descriptif, les inventeurs indiquent que [traduction] « Les formes pharmaceutiques convenables comprennent les comprimés, les trochisques, les cachets, les capsules (molles ou


dures) et d’autres formes analogues. » [Non souligné dans l’original.] La revendication 9 du brevet 136 revendique expressément les capsules :

La composition pharmaceutique de la revendication 1 sous forme de comprimé ou de capsule.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[77]           La principale question qu’il faut se poser est de savoir si l’exemple 8 du brevet Aberg entre dans les revendications 1 et 9 du brevet 136. Je suis convaincue que tel est le cas. C’était la nette opinion de M. Fiese (dossier de la défenderesse, vol. 2, onglet 2, p. 437) et de M. Rhodes (dossier de la défenderesse, vol. 1, onglet 1, p. 58).

 

[78]           Premièrement, la revendication 9 porte sur la [traduction] « composition pharmaceutique de la revendication 1 » sous forme de comprimé ou de capsule. Aucun expert ne semble contester cette conclusion.

 

[79]           Je me penche maintenant sur la question de savoir si la composition décrite à l’exemple 8 du brevet Aberg est une « composition pharmaceutique de la revendication 1 ». Sur ce point, je note que la composition de l’exemple 8 ne comprend ni lactose ni autre excipient réactif. Il reste à déterminer si la composition de l’exemple 8 du brevet Aberg est « sous forme mélangée ou granulée » comme l’indique la revendication 1. Il est évident que la composition de l’exemple 8 du brevet Aberg n’est pas granulée. Cependant, pourrait-elle est considérée comme mélangée?

 

[80]           Sur ce point, je me tourne vers les experts. Dans son affidavit, M. Fiese est d’avis que la capsule divulguée dans l’exemple 8 du brevet Aberg est une « composition pharmaceutique sous forme mélangée » [non souligné dans l’original] (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 437). Dans son affidavit, M. Rhodes affirme quant à lui que le terme « mélangé » utilisé dans le brevet (et en fait dans le milieu pharmaceutique en général) signifie simplement « mêlé ensemble » (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 36). Au cours de son contre‑témoignage, M. Banker a été prié de dire si l’exemple 5 du brevet 136 (qui est presque identique à l’exemple 8 du brevet Aberg) tomberait sous le coup de la revendication 1 du brevet 136. Il a répondu : [traduction] « La DCL pourrait être sous forme mélangée avec les composantes énumérées » [non souligné dans l’original]. Seul M. Atwood semble avoir adopté un point de vue différent. Au cours de son contre‑témoignage, il a émis l’opinion qu’une capsule molle ne renfermant que de la DCL et une huile ne tomberait pas sous le coup de la revendication 1. Pour M. Atwood, un « mélange » est généralement formé lorsque [traduction] « on mêle ensemble des choses qui ne se dissolvent pas l’une dans l’autre » (dossier du défendeur, vol. 5, onglet 10, p. 1045). Cependant, à la lecture de cette partie de la transcription, je note que M. Atwood semble aussi être d’accord que le terme « mélangé » peut être interprété de façon plus large (dossier du défendeur, vol. 5, onglet 10, p. 1045, ligne 14). Je crois que le meilleur point de vue à adopter est que la personne versée dans l’art comprendrait que le produit de l’exemple 8 est « mélangé ». Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que la composition de l’exemple 8 répond aux exigences de la revendication 1 – et donc de la revendication 9 – à tout point de vue.

 

[81]           Ainsi, si une personne versée dans l’art fabriquait une capsule conformément à l’exemple 8 du brevet Aberg, cette capsule tomberait sous le coup de la revendication 9 (et donc de la revendication 1) du brevet 136. Autrement dit, la personne versée dans l’art, en suivant les indications de l’exemple 8 du brevet Aberg, contreferait les revendications 1 et 9 du brevet 136.

[82]           Dans son argumentaire sur l’anticipation, Pharmascience souligne l’exemple 5 du brevet 136 (p. 21), qui se lit comme suit :

Un mélange d’ingrédient actif et d’huile digestible telle que l’huile de soya, de lécithine, de coton ou d’olive est préparé et injecté au moyen d’une pompe volumétrique dans de la gélatine de façon à former des capsules molles contenant 0,1 à 10 milligrammes de l’ingrédient actif. Les capsules sont lavées et séchées.

 

[83]           Le libellé de l’exemple 8 dans le brevet Aberg et celui de l’exemple 5 dans le brevet 136 sont presque identiques. L’exemple 5 du brevet 136 s’inscrit dans la portée de la revendication 9; tout comme l’exemple 8 du brevet Aberg. Cependant, Schering soutient que la similarité de l’exemple 8 du brevet Aberg et de l’exemple 5 du brevet 136 ne devrait pas être déterminante dans mon analyse. Je suis d’accord. Le fait que l’exemple 5 fasse partie des exemples du brevet 136 ne signifie pas qu’il est revendiqué. L’antériorité ne peut être fondée sur une comparaison avec quelque chose qui n’est pas revendiquée. Ainsi, dans le présent débat sur l’antériorité, je ne m’appuie pas sur le libellé presque identique des deux exemples.

 

[84]           Il a été satisfait au critère de l’antériorité – même en appliquant le critère plus rigoureux de l’arrêt Beloit. Les allégations contenues dans l’avis de demande de Pharmascience, suivant lesquelles les revendications 1 et 9 du brevet 136 sont invalides pour cause d’antériorité, sont fondées.

 


[85]           Outre l’argument selon lequel les capsules de l’exemple 8 du brevet Aberg ne sont pas « mélangées », Schering avance deux autres arguments en réponse à l’allégation :

 

1.                  Les exemples 7 et 9 du brevet Aberg sont des comprimés qui contiennent du lactose.

 

2.                  Même si le brevet Aberg antériorise la capsule de la revendication 9, le paragraphe 27(5) de la Loi sur les brevets s’applique de manière que le comprimé soit considéré comme une revendication distincte.

 

[86]           Pour ce qui est du premier de ces arguments, Schering souligne les exemples 7 (capsules) et 9 (comprimés) du brevet Aberg, dans lesquels le lactose est expressément inclus dans les compositions. Selon cet argument, l’« invention » divulguée dans le brevet 136 ne révèle pas qu’il faut éviter le lactose; elle montre plutôt à la personne versée dans l’art qu’elle peut utiliser le lactose comme dans les exemples 7 et 9. Le simple fait que l’exemple 8 ne fasse pas mention du lactose n’est pas, selon leur thèse, une indication que la personne versée dans l’art devrait éviter le lactose.

 

[87]           Cet argument, à mon avis, ne peut être retenu. Le fait que d’autres exemples dans le brevet Aberg enseignent d’autres formulations n’est pas un facteur pertinent dans l’évaluation de l’antériorité. Selon le juge Hughes dans Abbott, précité, le critère est le suivant : « Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée » (par. 75). En d’autres termes, en exécutant l’exemple 8 du brevet Aberg – reconnu par tous comme étant antérieur – une personne versée dans l’art contreferait les revendications 1 et 9 du brevet 136. Il est satisfait au critère de l’antériorité.

 

[88]           Le deuxième argument de Schering concerne son interprétation du paragraphe 27(5) de la Loi sur les brevets qui prévoit ce qui suit :

Il est entendu que, pour l’application des articles 2, 28.1 à 28.3 et 78.3, si une revendication définit, par variantes, l’objet de l’invention, chacune d’elles constitue une revendication distincte.

For greater certainty, where a claim defines the subject matter of an invention in the alternative, each alternative is a separate claim for the purposes of sections 2, 28.1 to 28.3 and 78.3

 

[89]           Schering fait valoir que la revendication 9 définit, par variantes, l’objet de l’invention; la revendication décrit la composition comme étant [traduction] « sous forme de comprimé ou de capsule ». Ainsi, Shering soutient que, même si la capsule dont il est question dans la revendication 9 est antériorisée par l’exemple 8 du brevet Aberg, le paragraphe 27(5) s’applique de manière que le comprimé de la revendication 9 soit considéré comme une revendication distincte. En d’autres termes, Shering prie la Cour de considérer les comprimés et les capsules de la revendication 9 séparément pour ce qui est de la nouveauté, de la non-évidence et de l’utilité. Schering est d’avis que le paragraphe 27(5) est une disposition réparatrice faisant en sorte que, si la revendication est véritablement une définition de l’invention par variantes, l’invalidité de l’une d’elles ne devrait pas rendre les autres invalides. Pharmascience soutient que le paragraphe 27(5) ne s’applique pas en l’espèce; si une variante dans une revendication est invalide, toute la revendication est invalide.

 

[90]           Je reconnais que, à sa face même, le paragraphe 27(5) vise l’article 28.2, une disposition qui, tel qu’il a déjà été expliqué, constitue la source de l’exigence voulant que les revendications ne soient pas antériorisées. Néanmoins, je préfère la position de Pharmascience. Le paragraphe 27(5) ne sauve pas la revendication 9 si l’une de ses variantes est par ailleurs invalide pour cause d’antériorité.

 

[91]           Cette même question a été examinée par le juge Phelan dans la décision Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1332, 45 C.P.R. (4th) 81, décision confirmée à 2007 CAF 153, 361 N.R. 308. Dans cette affaire – une demande relative à un avis de conformité – Abbott alléguait que le paragraphe 27(5) pouvait s’appliquer pour sauver certaines variantes prévues dans une même revendication. En rejetant cet argument, le juge Phelan a formulé son analyse et sa conclusion de la manière suivante  (par. 50 à 57) :

50     Le libellé même du paragraphe 27(5) limite son application à trois dispositions de la Loi sur les brevets, ce qui permet de dire que le législateur voulait circonscrire l’application de cette disposition. Le paragraphe 27(5) ne contient pas les termes « Pour l’application de … » ni des termes semblables.

 

51     Les articles auxquels renvoie le paragraphe 27(5) de la Loi sur les brevets sont a) l’article 2 – les définitions; b) l’article 28.1 – la date de la revendication; c) l’article 28.2 – la non-divulgation antérieure de l’objet; d) l’article 28.3 – l’objet non évident et e) l’article 78.3 – la disposition transitoire relative à l’article 43. Par conséquent, le paragraphe 27(5) a une application très limitée dans le cadre de la Loi sur les brevets elle-même.

 

52     Le paragraphe 27(5) fait partie des dispositions comprises dans la partie « Demandes de brevets » de la Loi. Suivant cette disposition, s’il y a des variantes, chaque variante doit satisfaire au critère de brevetabilité – nouveauté, utilité et inventivité. L’omission d’établir que chaque variante est brevetable entraînerait l’invalidité de la variante et, par le fait même, l’invalidité de toute la revendication.

 

53     Le paragraphe 27(5) n’exige pas que chacune des variantes constitue une revendication distincte aux fins des articles 27 et 58. Il est particulièrement révélateur que l’article 58 n’a pas été inclus par renvoi dans le paragraphe 27(5) parce que l’article 58 permet à un tribunal de retrancher une revendication invalide d’un brevet de sorte que le brevet lui-même demeure valide.

 

54     Les interprétations divergentes ont amené Abbott à soutenir que si l’une des variantes est valide, toute la revendication est valide alors qu’Apotex prétend que s’il est établi qu’une variante n’est pas brevetable, toute la revendication est invalide.

 

55     Abbott avance cet argument sur l’effet du paragraphe 27(5) sans citer aucune jurisprudence à l’appui. On aurait pu penser que si le paragraphe 27(5) avait la portée que lui prête Abbott, ce point aurait été à tout le moins abordé dans un article ou un ouvrage, sinon dans une décision de la Cour.

 

56     Puisque les variantes d’une revendication peuvent entraîner un grand nombre de revendications et vu les conséquences négatives d’une portée excessive, j’estime qu’il faut donner au paragraphe 27(5) une interprétation plus étroite que celle que propose Apotex. Ce paragraphe ne s’applique qu’aux dispositions qui y sont nommées et il s’agit principalement d’une disposition administrative aux fins d’une demande de brevet.

 

57     Par conséquent, même si la revendication (1 ou 15) est une variante, si Apotex établit qu’une variante n’est pas brevetable, toute la revendication est invalide, du moins aux fins d’un AC.

 

[92]           Je fais miens le raisonnement et la conclusion de mon collègue, le juge Phelan, et je conclus que la variante comprimé dont il est question à la revendication 9 n’est pas sauvée par le paragraphe 27(5) de la Loi sur les brevets.

 

[93]           En somme, même sans l’exemple 5 du brevet 136, la capsule fabriquée conformément à l’exemple 8 du brevet Aberg s’inscrirait dans la portée de la revendication 9; elle contreferait la revendication 9 et la revendication 1 du brevet 136.

 

7.3.1.3.                        Le brevet Cho

 

[94]           Pharmascience soutient également que le brevet 136 est antériorisé par le brevet Cho. Ce dernier, dont la date de publication est le 5 février 1991, vise des compositions pharmaceutiques contenant de la loratadine ou de la DCL en association avec de l’ibuprofène (un analgésique), de la pseudoéphédrine (un décongestionnant) et des excipients adéquats. Pharmascience résume son argumentaire comme suit :

[traduction] Donc, le comprimé de DCL privilégié de Cho contient un analgésique et un décongestionnant avec, en son centre, de l’[hydroxypropylméthylcellulose (HPMC)] et de la cellulose microcristalline, le tout enrobé d’un mélange de DCL, d’HPMC et de [polyéthylèneglycol (PEG)]. Un tel comprimé est une composition pharmaceutique sous forme mélangée ou granulée pour le traitement des affections induites par l’histamine comprenant une quantité thérapeutiquement efficace de DCL et un véhicule inerte pharmaceutiquement acceptable telle qu’elle est décrite aux revendications 1, 2, 3 et 9 du brevet 136.

 

[95]           Contrairement à l’exemple 8 du brevet Aberg, il n’existe pas d’exemple ni de réalisation qui, à mon point de vue, constituerait une simple divulgation. Pour passer du brevet Cho à la composition visée par la revendication 9, il faut faire un certain nombre de choix et de suppositions. La personne versée dans l’art devrait modifier les exemples de Cho de façon à inclure la DCL. Cette étape nécessiterait la substitution du lactose et du sucrose, ce qui, pour chacun de ces éléments, ferait en sorte de soustraire de la portée du brevet 136 les compositions de Cho. La divulgation n’est pas suffisante « pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs. » (Abbott, Hughes J, ci‑dessus, au paragraphe 75).

 

7.3.1.4.                        Conclusion sur l’antériorité

 

[96]           Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l’allégation de Pharmascience suivant laquelle la revendication 9 du brevet 136 était antériorisée par les enseignements du brevet Aberg est fondée. Compte tenu de cette conclusion, il n’y a pas lieu d’examiner les autres allégations d’invalidité visant les revendications 1, 6 ou 9. Néanmoins, au cas où je me tromperais en tirant cette conclusion, je vais également examiner l’allégation d’évidence. 

7.3.2.      Évidence des revendications 1, 6, 9 et 23 du brevet 136

 

7.3.2.1.                        Principes généraux d’évidence

 

[97]           Au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets, le terme « invention » s’entend notamment de « toute […] composition de matières […] présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Pharmascience affirme que les revendications 1, 6, 9 et 23 du brevet 136 auraient été évidentes pour une personne versée dans l’art à la date pertinente.

 

[98]           La Cour suprême du Canada a récemment clarifié le critère de l’évidence dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo (précité). Le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour à l’unanimité, a adopté une démarche en quatre volets (par. 67) :

1.         a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

            b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

2.         Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

3.         Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

4.         Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

[99]           Dans le cadre de son analyse, le juge Rothstein a déclaré que la prétendue notion d’« essai allant de soi », dérivée de la jurisprudence du Royaume‑Uni, commandait la prudence, étant entendu que la locution « aller de soi » a le sens de « très clair » ou de « plus ou moins évident ».

[…] J’estime que la notion d’« essai allant de soi » n’est applicable que lorsqu’il est très clair ou, pour reprendre les termes employés par le lord juge Jacob, qu’il est plus ou moins évident, que l’essai sera fructueux.

 

Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas.

 

(Sanofi-Synthelabo, précité, par. 65 et 66)

 

[100]       Si une analyse du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, le juge Rothstein propose une liste non exhaustive de facteurs susceptibles de s’appliquer (Sanofi-Synthelabo, précité, par. 69 à 71) :

1.         Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2.         Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3.         L’antériorité fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

 

4.         Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important.

 

[101]       Dans une décision récente, Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2009 CAF 8, 385 N.R. 148, au paragraphe 29, la Cour d’appel fédérale a donné d’autres indications sur la notion d’« essai allant de soi ».

Le critère reconnu est celui de l’« essai allant de soi », où l’expression « allant de soi » signifie « très clair ». Suivant ce critère, une invention n’est pas rendue évidente par le fait que l’état de la technique aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté. L’invention doit aller plus ou moins de soi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[102]       Bien que la Cour suprême ait insisté qu’il faut faire preuve de souplesse dans l’application du critère de l’« essai allant de soi », il semble bien établi que le tribunal devrait considérer tous les éléments et faire preuve de souplesse le cas échéant.

 

7.3.2.2.                        La personne versée dans l’art

 

[103]       Le premier volet de l’analyse consiste à identifier la personne théorique versée dans l’art. Les parties reconnaissent que la personne en question pour les besoins de la présente demande serait titulaire d’un baccalauréat en chimie ou dans un domaine connexe et posséder des connaissances particulières sur les formulations pharmaceutiques et les formes posologiques solides administrables par voie orale et quatre ans d’expérience dans le domaine.

 

7.3.2.3.                        Connaissances générales courantes

 

[104]       Ensuite, je dois apprécier l’état des connaissances générales courantes à la date pertinente.  Dans la présente demande, les connaissances générales courantes sont très similaires pour le brevet 136 et le brevet 014.

 

[105]       De façon générale, il n’est pas contesté que la personne versée dans l’art devrait connaître les brevets Aberg, Cho et Villani. Le brevet Aberg, avec ses revendications directes de la DCL, serait particulièrement pertinent.

 

[106]       L’un des points en litige concernait les connaissances au sujet de la réaction de Maillard, une réaction chimique signalée pour la première fois en 1912 par le chimiste Louis‑Camille Maillard. La réaction se produit lorsque des composés interagissent avec le lactose (et d’autres glucides similaires) et forment [traduction] « un produit de dégradation de couleur vive – jaune, brun ou rose – facilement visible par l’œil humain » (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 21). Tous les experts conviennent que, à la date qui nous occupe, il était connu que la réaction de Maillard (brunissement ou dégradation) se produit lorsqu’une amine primaire est en présence de lactose. Cette réaction faisait partie des connaissances générales courantes. Toutefois, les conclusions des experts divergent à savoir s’il était généralement connu que la réaction de Maillard s’appliquerait aux amines secondaires ou tertiaires, tout comme aux amines primaires.

 

[107]       En ce qui concerne la question des connaissances générales courantes et de la réaction de Maillard, M. Cartilier a formulé son opinion à l’égard des connaissances générales courantes à la date qui concerne le brevet 136 (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 7, p. 302). Je paraphrase ici les points énumérés par M. Cartilier :

 

·                    Il était connu que la réaction de Maillard se produit avec les amines primaires, mais la personne versée dans l’art n’aurait pas compris qu’il en allait de même avec les amines secondaires et les amines tertiaires. La DCL est une amine secondaire.

 

·                    Il était connu que la réaction de Maillard est bloquée ou à tout le moins réduite en présence d’acides et accélérée en présence de bases.

 

·                    Le rôle du lactose dans le « brunissement » n’était pas élucidé.

 

·                    Le brevet Aberg (brevet américain 997) et le brevet Villani (brevet américain 716) avaient révélé que le lactose était un excipient privilégié, mais ne faisaient aucune mention des conséquences de la présence d’eau dans une composition de DCL.

 

·                    De nombreux produits pharmaceutiques contenant du lactose ou d’autres amines étaient commercialisés.

 

 

[108]       M. Atwood soulignait avec force que cette personne versée dans l’art n’aurait pas était au fait d’une telle réaction. Dans son affidavit, il notait que MM. Rhodes et Fiese n’avaient « fourni aucun document de référence faisant état d’une dégradation de Maillard entre une amine secondaire [comme la DCL] et le lactose avant la date de revendication du brevet 136 (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 8, p. 346). M. Atwood poursuit en se référant au bien connu Handbook of Pharmaceutical Excipients (le Handbook), R. C. Rowe, P. J. Sheskey, S. C. Owen, ed., 5th ed. (Chicago : Pharmaceutical Press, 2006) pour étayer sa conclusion. Dans la préface du Handbook, les auteurs mentionnent ceci (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 8, p. 440) :

[traduction] Si une incompatibilité n’est pas énumérée, il ne faut pas en conclure qu’elle n’existe pas; c’est plutôt qu’elle n’a jamais été signalée ou qu’elle est mal connue.

 

[109]       M. Atwood faisait observer que le Handbook de 2006 ne mentionne toujours pas l’incompatibilité entre le lactose et une amine secondaire. S’appuyant sur cette omission au sujet de toute incompatibilité entre les amines secondaires et la DCL en 2006, il conclut que, en 1997, une telle réaction aurait très certainement été inconnue ou non signalée. En ce qui concerne la réaction de Maillard, le Handbook de 2006 indique ce qui suit (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 8, p. 441) :

[traduction] Une réaction de condensation de type Maillard surviendra probablement entre le lactose et les composés renfermant un groupement amine primaire et entraînera la formation de produits bruns ou jaune-brun.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[110]       Il appert que le Handbook n’est peut-être pas la référence la plus fiable. L’incompatibilité entre le lactose et la DCL était connue à la date de publication du brevet 014 et du brevet 136, soit dès 1997. Malgré cela, l’édition de 2006 du Handbook ne fait aucune mention de cette incompatibilité. Ce défaut des auteurs du Handbook de faire état d’une incompatibilité connue depuis dix ans soulève quelques doutes dans mon esprit quant à la fiabilité de l’information contenue dans cet ouvrage.

 

[111]       Malgré certaines réserves, je suis prête à admettre qu’une réaction entre une amine secondaire (comme la DCL) et le lactose n’aurait pas fait partie des connaissances générales courantes. Autrement dit, le changement de couleur ou la dégradation de la DCL en présence de lactose (ou d’un autre excipient acide) ne faisait probablement pas partie des connaissances générales courantes à la date pertinente.

 

[112]       Le rôle de l’eau dans la dégradation faisait aussi l’objet d’un litige. Ni le brevet Aberg, ni le brevet Villani, ni le brevet Cho n’indiquent de quelle façon la présence d’eau peut avoir une incidence sur la dégradation. Si j’admets que la réaction entre la DCL et le lactose ne faisait pas partie des connaissances générales courantes, il s’ensuit que le fait d’éviter d’utiliser de l’eau pour prévenir cette réaction n’en faisait pas partie non plus.

 

[113]       Toutefois, il était généralement admis que le formulateur qualifié tiendrait compte de la quantité d’eau dans une formulation. MM. Rhodes, Fiese, Banker et Cartilier semblent être d’accord pour dire qu’il était connu que l’eau accélère la dégradation en général. M. Atwood a affirmé que l’eau pouvait accélérer, ou même ralentir, la vitesse de dégradation. Dans les deux cas, il était connu que la quantité d’eau dans une formulation pouvait être un facteur à prendre en considération.

 

[114]       Il importe de parler des techniques de formulation et des essais réalisés sur les compositions. Selon moi, il va de soi qu’une entreprise pharmaceutique ne mettrait pas sur le marché une composition pharmaceutique sans avoir vérifié sa stabilité. Il est aussi clair que les études, les essais et les techniques de laboratoire couramment utilisés pour évaluer la stabilité feraient partie des connaissances générales courantes. L’une des techniques fréquemment mentionnées pour détecter les incompatibilités chimiques est l’analyse calorimétrique différentielle (ACD).

 

[115]       Enfin, j’inclurais dans les connaissances générales courantes l’utilisation du lactose comme excipient fréquent et privilégié dans les formulations de médicaments. Non seulement le brevet 136 l’indique‑t‑il à la page 5, mais M. Wald, un inventeur du brevet 136 l’a aussi explicitement affirmé : [traduction] « Le lactose est un excipient couramment utilisé dans diverses formes pharmaceutiques » (dossier en réponse de Sepracor, vol. 1, onglet 2, p. 30). M. Rhodes en a aussi convenu (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 61).

 

[116]       Même si les experts ont tous présenté à la Cour de longues listes énumérant d’autres antériorités, les connaissances courantes (ou le manque de connaissances) dont il a été question précédemment éclairent l’analyse de l’évidence à l’égard du brevet 136.

 

7.3.2.4.                        Le concept inventif

 

[117]       Schering soutient que les concepts inventifs du brevet 136 peuvent être divisés en deux étapes ou concepts. Premièrement, selon Schering, les inventeurs du brevet 136 ont découvert que la DCL change de couleur ou se dégrade en présence d’excipients acides tels que le lactose. Comme l’indiquent les dernières observations écrites de Sepracor, fondées sur la preuve fournie par M. Wald, l’un des inventeurs du brevet 136 :

[traduction] Au début du processus de développement chez Sepracor, une étude de compatibilité des excipients a été menée pour déterminer la compatibilité chimique de la DCL avec les excipients courants au moyen d’une analyse calorimétrique différentielle. Les résultats de cette étude n’ont révélé aucune interaction entre STARCH 1500 et la DCL. Toutefois, l’étude a mis en lumière une interaction entre le lactose (monohydrate d’α‑lactose) et la DCL.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[118]       Les inventeurs ont ensuite « résolu » ce problème en évitant de « mélanger intimement » le lactose et la DCL (revendications 1, 6 et 9).

 

[119]       La deuxième étape inventive (qui a mené aux revendications 16 et 23) était aussi décrite par Sepracor dans ses observations écrites :

[traduction] Une deuxième étude a été menée pour déterminer la stabilité d’une formulation comprenant de la DCL et du lactose, en présence et en l’absence de 5 % d’eau. La seule dégradation significative observée dans les formulations à l’étude était survenue dans le flacon contenant 5 % d’eau et 80 % de lactose. Il ne semblait donc pas que la DCL, en présence de 80 % de lactose et en l’absence de 5 % d’eau, montrait le même degré élevé de dégradation. . . .

 

La vitesse de la réaction et/ou le degré d’interaction entre la DCL et le lactose sont réduits en l’absence d’eau ajoutée.

 


7.3.2.5.                        Différences entre les connaissances générales courantes et les concepts inventifs

 

[120]       Je passe maintenant à la partie suivante de l’analyse. Je dois déterminer les différences qui existent, le cas échéant, entre la matière définie comme faisant partie de l’état de la technique et le concept inventif de la revendication ou de la revendication telle qu’elle est interprétée. Il m’apparaît que les différences, ou « lacunes », sont les suivantes :

 

1.                  Il n’était pas généralement connu que la réaction de Maillard surviendrait entre la DCL, une amine secondaire, et le lactose (ou un autre excipient réactif).

 

2.                  Il n’était pas généralement connu que les réactions entre la DCL et le lactose pouvaient être évitées si l’on s’assurait de ne pas mélanger intimement le lactose avec la DCL dans la composition pharmaceutique.

 

3.                  Il n’était pas généralement connu que la dégradation de la DCL en présence de lactose serait accélérée par l’eau ou, au contraire, que la dégradation de la DCL utilisée avec tout « véhicule pharmaceutiquement acceptable » (y compris le lactose) pouvait être réduite en évitant l’eau dans la composition.

 


7.3.2.6.                        Inventivité des étapes

 

[121]       Finalement, selon les enseignements de Sanofi-Synthelabo, la Cour doit se demander : ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité? De façon particulièrement pertinente, à cette étape-ci, il me faut déterminer si je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention.

 

[122]       Comme je l’ai déjà souligné, des expériences de préformulation seraient réalisées avant que tout produit ne soit mis sur le marché. Pour moi, l’objectif d’obtenir une composition stable « va de soi »; c’est une simple question de bon sens. Aucune entreprise ne souhaite commercialiser un produit qui se dégrade ou change de couleur rapidement.

 

[123]       Ensuite, le lactose est sans contredit l’un des excipients le plus couramment utilisés. Comme l’ont indiqué les inventeurs, le lactose était « l’un des meilleurs filtres pour la compression directe sur le plan de la fluidité et est très efficace pour les formulations à faible dose » (brevet, p. 5). À la lumière de ces connaissances, des études sur les formulations visant à déterminer l’interaction entre le lactose et la DCL iraient de soi. Par conséquent, même s’il n’était pas généralement connu que la réaction de Maillard pouvait survenir avec les amines secondaires, la personne versée dans l’art aurait tout de même procédé à des essais de stabilité avec la DCL et le lactose, un excipient très souvent utilisé.

 

[124]       M. Wald, l’un des inventeurs, a confirmé qu’il avait réalisé cette « invention » au cours de travaux habituels « de préformulation ». Les inventeurs ont d’abord procédé à l’analyse calorimétrique différentielle habituelle avec trois excipients courants : la cellulose microcristalline, l’amidon et le lactose. Cette analyse a révélé une incompatibilité entre le lactose et la DCL (dossier du défendeur, vol. 4, onglet 9, p. 951).

 

[125]       En réponse, Schering allègue que les travaux des « inventeurs du brevet 136 » étaient contraires aux enseignements des antériorités. En particulier, Schering invoque le brevet Aberg qui, selon elle, incite à utiliser le lactose comme excipient. J’admets que, dans certains exemples du brevet Aberg, le lactose est utilisé comme excipient, mais ce n’est pas le cas de tous les exemples. Dans l’exemple 8, le lactose n’est pas employé. À la lecture des exemples du brevet Aberg, je ne crois pas que la personne versée dans l’art serait amenée à ne pas réaliser d’essais de préformulation avec le lactose. Et, dès que ces essais seraient effectués, cette personne se rendrait compte que le lactose et la DCL sont incompatibles. J’estime donc que l’étape de détermination de l’incompatibilité va de soi.

 

[126]       Lorsque la personne versée dans l’art aurait découvert l’incompatibilité entre la DCL et le lactose, elle serait placée devant deux choix prévisibles. En premier lieu, de façon presque automatique, elle utiliserait une formulation sans lactose ou autre excipient réactif. Elle serait donc amenée aux revendications 1, 6 et 9. Elle serait aidée à cette étape par l’exemple 8 du brevet Aberg.

 

[127]       Le deuxième choix, peut-être moins prévisible, consisterait à réduire la dégradation. Elle se demanderait : Existe‑t‑il un moyen d’atténuer ou d’éliminer la réaction? Comme je l’ai déjà souligné, le rôle important de l’eau dans la dégradation faisait partie des connaissances générales courantes. Selon moi, la personne versée dans l’art qui tenterait de réduire au minimum la dégradation ou le changement de couleur aurait donc essayé sans hésiter d’éliminer le plus d’eau possible de la formulation. Elle aurait donc été amenée à l’invention visée par les revendications 16 et 23.

 

[128]       Selon les conclusions de l’arrêt Sanofi-Synthelabo, plus l’expérimentation est ardue, coûteuse et longue, moins l’invention va de soi. Par ailleurs, plus les essais sont courants, plus les résultats sont susceptibles d’« aller de soi » (précité, par. 86 à 89 et 91). La Cour suprême du Canada s’intéresse aux essais, plutôt qu’à la démarche des inventeurs. Dans la présente affaire, les procédés employés pour détecter l’incompatibilité et les solutions trouvées iraient de soi.

 

[129]       En somme, à cette étape de l’analyse de l’arrêt Sanofi-Synthelabo, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention.

 


7.3.2.7.                        Conclusion sur l’évidence

 

[130]       En résumé, je conclus que l’allégation de Pharmascience, suivant laquelle les inventions des revendications 1, 6, 9 et 16 étaient évidentes à la date pertinente, est fondée.

 

7.3.3.      Portée excessive de la revendication 23

 

7.3.3.1.                        Principes généraux de la revendication de portée excessive

 

[131]       Finalement, je vais examiner l’allégation suivant laquelle la revendication 23 a une portée excessive.

 

[132]       Un brevet qui revendique plus que ce qui a été inventé ou divulgué est invalide pour cause de portée excessive (voir, par exemple, Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 499, p. 515 (C.A.F.); Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 320, 75 C.P.R. (4th) 165, par. 52 et 53; Biovail Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2005 CF 9, 37 C.P.R. (4th) 487, par. 15). Un inventeur ne devrait pas revendiquer un résultat mais plutôt un moyen de l’obtenir. Tel qu’il a été mentionné dans Free World Trust, précité, au paragraphe 32 :

[…] [L]’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet.

 

[133]       Lorsque la portée de ce qui est revendiqué est trop large, il s’ensuit que les revendications pertinentes sont invalides.

 

7.3.3.2.                        Application des principes à la revendication 23 (et à la revendication 16)

 

[134]       Schering soutient que la revendication 16 est un exemple de revendication « fonctionnelle ». Une revendication exprimée d’une manière qui permet d’atteindre le résultat souhaité peut être juridiquement admissible (voir, par exemple, Burton Parsons, précité, p. 215; Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 473, p. 485, 188 N.R. 382 (C.A.F.), pourvu que la personne versée dans l’art puisse en arriver directement à ce résultat (voir Procter & Gamble c. Bristol-Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.), p. 159 (Procter & Gamble 1978). La jurisprudence nous prévient également que la revendication fonctionnelle peut mettre les inventeurs en eaux troubles. Comme le juge Noël l’a déclaré dans Burton Parsons :

[traduction] Cependant, il y a, ce faisant, un certain risque que la revendication embrasse plus large que l’invention ou qu’elle soit ambigüe. Il est également possible qu’une revendication ou une clause fonctionnelle couvre quelque chose qui est inexploitable.

(précité, p. 215).

 

 

[135]       Selon le libellé de la revendication 16, que Schering semble avoir adopté, tout composé de DCL qui est stable est, selon les définitions du brevet, « anhydre ». Bien que des revendications fonctionnelles puissent certainement exister, la revendication 16 est, selon moi, au‑delà de toute revendication fonctionnelle acceptable.

 

[136]       Lorsqu’on examine le comprimé de Pharmascience, on s’aperçoit rapidement des faiblesses que comporte pour Schering le fait de s’appuyer sur la revendication 16. Ce comprimé contient bien plus de 3 % d’eau, ce qui, comme l’ont indiqué les experts, constitue un contenu en eau modéré à élevé dans une composition. Malgré cela, comme le comprimé est (apparemment) stable, Schering souhaiterait nous voir conclure qu’il est anhydre et contrefait donc la revendication 16. Il existe deux possibilités. Premièrement, la revendication peut être interprétée de façon à exiger que la stabilité de la composition contenant de la DCL et du lactose résulte de la quantité d’eau. Dans ce cas, comme je l’ai déjà indiqué, Schering n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que le comprimé de Pharmascience contreferait la revendication. Deuxièmement, si mon interprétation est erronée, la revendication 16 vise toute composition stable de DCL et de lactose quelle que soit la raison de sa stabilité.

 

[137]       Il s’agit là, à mon avis, d’un exemple patent de revendication dont la portée est excessive. L’exigence de la stabilité se compare à celle de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie. Comme le juge Binnie l’a dit dans Free World Trust, précité, au paragraphe 32, « [i]l n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet ». La portée de la revendication 16 ne peut être extensible au point de couvrir tout ce qui est stable.

 

[138]       La revendication 23 et la revendication 16 sont tout simplement des exemples évidents de revendications trop larges et, comme l’a dit le juge Harrington dans Biovail, « [i]l est fatal de revendiquer plus que nécessaire » (précité, par. 15).

 

[139]       Je conclus que l’allégation de Pharmascience selon laquelle les revendications 16 et 23 ont une portée excessive est fondée.

 

8.                  LE BREVET 014

 

[140]       Je vais maintenant examiner le brevet 014. Les principes généraux d’interprétation et la description de la personne versée dans l’art ont été énoncés dans l’analyse du brevet 136 et il n’est pas nécessaire de les répéter.

8.1.            Interprétation du brevet 014

8.1.1.      Application des principes aux revendications du brevet 014

 

[141]       La date pertinente pour déterminer l’interprétation appropriée des revendications en cause est la date de publication du brevet 014, soit le 20 janvier 2000.

 

[142]       À la page 1 de l’exposé du brevet 014, les inventeurs indiquent que [traduction] « l’invention vise des compositions pharmaceutiques contenant [de la DCL] et essentiellement exemptes de produits de décomposition de la DCL, compositions indiquées dans le traitement par voie orale des réactions allergiques ». Dans le résumé de leur invention, à la page 2, les inventeurs expliquent ce qui suit :

[traduction] On sait maintenant que la [DCL] change de couleur et se décompose en présence d’excipients divulgués dans les antériorités. Il a été découvert que ces problèmes sont essentiellement résolus lorsqu’on évite d’utiliser un excipient acide et qu’on combine la [DCL] avec un véhicule pharmaceutiquement acceptable comprenant une quantité de sel basique pharmaceutiquement acceptable protectrice de la DCL. Par conséquent, la présente invention vise une composition pharmaceutique comprenant une quantité de [DCL] efficace contre les allergies dans un véhicule pharmaceutiquement acceptable comprenant une quantité de sel basique pharmaceutiquement acceptable protectrice de la DCL.

 

[143]       Cet énoncé établit les deux idées maîtresses de l’invention revendiquée : éviter les excipients acides et utiliser un « sel basique » dans le « véhicule ».

 

[144]       Seules les revendications 1 et 38 sont en litige en l’espèce :

[traduction]

1.         Une composition pharmaceutique pour administration orale comprenant une quantité de descarbonyléthoxyloratadine efficace contre les allergies dans un véhicule pharmaceutiquement acceptable comprenant une quantité d’un sel basique pharmaceutiquement acceptable protectrice de la DCL et au moins un agent de désintégration pharmaceutiquement acceptable, où le véhicule pharmaceutiquement acceptable est essentiellement exempt d’excipients acides.

 

38.       La composition pharmaceutique décrite dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 36, où ladite composition est une forme pharmaceutique orale solide et la quantité de descarbonyléthoxyloratadine est de 5 mg.

 

[145]       La revendication 38 est dépendante de la revendication 1 (les autres revendications n’étant pas pertinentes en l’espèce), ce qui signifie que la revendication 38 réduit l’application de la revendication 1 à des comprimés oraux de 5 mg. Par conséquent, l’interprétation de la revendication 1 est un élément clé pour la compréhension de la demande en l’espèce.

 

[146]       La revendication 1 vise une « composition pharmaceutique ». Les parties reconnaissent maintenant que ce terme désigne le comprimé, ou une autre forme pharmaceutique, en entier. Selon mon interprétation, la revendication 1 vise un comprimé qui contient de la DCL si : a) la DCL est dans un véhicule; b) le véhicule contient une quantité de sel basique suffisante pour protéger la DCL contre la dégradation, y compris son changement de couleur; et c) le véhicule est essentiellement exempt d’excipients acides. Les trois éléments sont essentiels. J’en arrive maintenant aux termes de la revendication 1 qui sont en litige :

 

1.                  Le terme « véhicule » englobe‑t‑il l’ensemble de la « composition pharmaceutique » à l’exception de la DCL, comme le prétend Pharmascience? Ou, le terme désigne‑t‑il seulement les matières en association avec la DCL et non pas les excipients qui peuvent être présents dans [l’espace à l’extérieur de la forme], comme l’allègue Schering?

 

2.                  Le terme « sel basique » désigne‑t‑il tout composé ionique, comme le soutient Schering? Ou, le terme, tel qu’il est employé dans le brevet 014, se limite‑t‑il aux sels de calcium, magnésium et aluminium, comme le fait valoir Pharmascience?

 

3.                  Qu’entend-on par le terme « quantité protectrice de la DCL »?

 

4.                  Qu’entend-on par le terme « excipient acide”?

 

8.1.1.1.                        Véhicule

 

[147]       Pharmascience, s’appuyant sur l’opinion de MM. Rhodes (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 13) et Fiese (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 472), allègue que le terme « véhicule » englobe toutes les composantes de la forme pharmaceutique autres que l’ingrédient actif , en l’espèce la DCL. Selon ce raisonnement, une interprétation juste des revendications 1 et 38 impliquerait que le comprimé entier doit être « essentiellement exempt » d’excipients acides.

 

[148]       J’estime que l’interprétation du terme « véhicule » proposée par les experts de Pharmascience n’est ni juste ni téléologique. La revendication 1 comporte deux indices éloquents qui orientent vers l’interprétation du terme « véhicule » mise en avant par Schering.

 

[149]        Le premier est le fait que la revendication 1 vise des comprimés qui contiennent de la DCL lorsque cette dernière est « dans » un véhicule. La revendication n’indique pas que la DCL est « dans » la composition. Les mots employés m’incitent fortement à déduire que la personne versée dans l’art conclurait que le terme « véhicule » n’est pas synonyme de « composition pharmaceutique ».

 


[150]       Le deuxième indice est l’utilisation du mot « comprenant ». Tous les experts ont convenu que ce mot n’a pas le sens de « limité à ». Comme l’a mentionné M. Jerry Atwood dans son affidavit (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 8, p. 353-354) :

[traduction] La première occurrence du mot « comprenant » révèle clairement que la composition pharmaceutique peut comprendre autre chose que la DCL dans son véhicule. . . La composition pharmaceutique peut « comprendre » d’autres matières, mais celles‑ci ne sont pas le véhicule pharmaceutiquement acceptable décrit dans les revendications.

 

[151]       Au cours du contre‑témoignage sur son affidavit, M. Rhodes a convenu que, à la date pertinente, la personne versée dans l’art aurait su que le mot « comprenant » signifie « qui peut englober d’autres choses » (dossier des demanderesses, vol. 8, onglet 19, p. 1989).

 

[152]       Donc, lorsque la revendication 1 indique que la composition pharmaceutique comprend de la DCL dans un véhicule, il s’ensuit en toute logique que la composition pharmaceutique dans son ensemble peut contenir d’autres ingrédients. L’analyse pourrait s’arrêter là. Lorsque le libellé d’une revendication est clair, [traduction] « il n’est pas nécessaire de chercher plus loin pour découvrir la nature d’une invention (Procter & Gamble, précité, par. 10). Toutefois, même si j’examine l’argumentaire de Pharmascience en m’appuyant sur certains mots du mémoire descriptif, l’interprétation proposée par Pharmascience ne me convainc toujours pas.

 

[153]       Pour étayer son interprétation, Pharmascience présente trois passages clés du mémoire descriptif (aux pages 6, 7 et 10) qui, selon elle, démontrent que le mot « véhicule » devrait être interprété au sens de « composition pharmaceutique ». Je vais m’attarder à chacun de ces passages.

 

[154]       M. Fiese, l’expert de Pharmascience (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 470), invoque les mots utilisés à la page 7 du mémoire descriptif, où [traduction] « le véhicule pharmaceutiquement acceptable inerte comprend une ou plusieurs substances qui peuvent aussi agir comme diluants, aromatisants, solubilisants, lubrifiants…matières d’enrobage ». Pharmascience allègue que, étant donné que les lubrifiants et les matières d’enrobage sont utilisés après la granulation, le mot « véhicule » ne désigne pas seulement la [forme] interne, mais l’ensemble de la forme pharmaceutique finale.

 

[155]       Cet argument ne me convainc pas. À mon avis, M. Fiese a cité l’extrait de la page 7 hors contexte. Je remarque d’abord que le passage entier figure sous le titre « Composition pharmaceutique », que les inventeurs présentent comme la forme pharmaceutique finale. Cette « composition » renferme le « véhicule », qui enveloppe l’ingrédient actif. Il s’ensuit que l’ingrédient actif est entouré du véhicule; il est donc en association avec lui. Plus loin, à la même page, les inventeurs indiquent que les excipients du « véhicule » comprennent un sel basique, de la cellulose, etc. Ils poursuivent en disant que ces excipients « peuvent aussi agir comme » lubrifiants ou matières d’enrobage et qu’ils constituent donc un autre moyen d’enrober ou de protéger l’ingrédient actif.

 

[156]       Un autre argument de Pharmascience s’appuie sur un passage du mémoire descriptif relatif à l’inclusion de talc dans le véhicule. M. Fiese se réfère à la page 6 du mémoire descriptif, où les inventeurs décrivent une réalisation privilégiée dans laquelle le « véhicule » contient du talc. M. Fiese passe ensuite au procédé de fabrication décrit aux pages 8 à 10 du mémoire descriptif, où il est indiqué que le talc est ajouté après la granulation, mais avant la compression. M. Fiese en conclut que le mot « véhicule » doit désigner le comprimé entier (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 472). Le problème avec cet argument est que M. Fiese a choisi une seule réalisation parmi les nombreuses que renferme le mémoire descriptif. Bien d’autres réalisations n’exigent pas la présence de talc dans le véhicule. Le fait pour M. Fiese d’extraire une réalisation pour démontrer son point de vue n’est pas un exemple d’interprétation téolologique.

 

[157]       Le troisième argument de Pharmascience est axé sur un énoncé figurant à la page 10 du mémoire descriptif, où les inventeurs décrivent ainsi le processus de production des comprimés :

[traduction] On peut enrober les comprimés d’un film en les plaçant dans un appareil d’enrobage convenable muni d’une cuve rotative et d’un dispositif de chauffage. Dans la cuve, les comprimés entrent en contact à une température d’environ 30 à 50 °C avec une solution d’enrobage obtenue en dissolvant des matières d’enrobage claires ou colorées et de l’eau purifiée. Une fois les comprimés complètement enrobés, on peut les recouvrir d’une poudre de polissage pour leur donner un fini poli. Les matières d’enrobage colorées peuvent aussi être ajoutées sous forme de poudre sèche à l’étape 5 ou 10, mais de préférence à l’étape 5, de l’étape de granulation du procédé. Il est préférable qu’une matière d’enrobage colorée soit essentiellement exempte, c.‑à‑d. < 1 % environ, ou, encore mieux, totalement exempte d’excipients dommageables tels que le lactose.

 

[158]       Pharmascience fait valoir que les mots employés dans ce paragraphe établissent une équivalence directe entre le véhicule et la composition. À son avis, c’est l’extérieur du comprimé qui doit faire l’objet d’un « enrobage », ce qui étaye son interprétation. En revanche, Schering propose une autre interprétation de cette étape de fabrication dans laquelle l’« enrobage » peut être appliqué aux [formes]. Selon moi, le paragraphe de la page 10 peut être interprété des deux façons. Face à cette ambiguïté, et vu le libellé de la revendication 1 elle‑même, qui établit une distinction entre le « véhicule » et la « composition pharmaceutique », l’interprétation la plus téléologique est celle proposée par Schering.

 

[159]       Par ailleurs, je note que Pharmascience et ses experts n’ont pas tenu compte d’un certain nombre de passages du mémoire descriptif qui établissent une distinction claire entre la « composition pharmaceutique » et le « véhicule ». Nulle part ne sont-ils considérés comme équivalents. Par exemple, les inventeurs indiquent ce qui suit à la page 6 :

[traduction] Par hasard, nous avons découvert que lorsqu’on combine du descarbonyléthoxyloratadine à un véhicule comprenant du phosphate de calcium dibasique et de la cellulose microcristalline 70 – en l’absence d’excipients divulgués dans les antériorités, tels l’acide stéarique ou le lactose – nous produisons une composition pharmaceutique qui ne se décolore pas lorsqu’elle est conservée pendant quatre semaines dans des boîtes de Pétri ouvertes à une température de 40 degrés Celsius et à une humidité relative de 75 %.

 

[Non souligné dans l’original].

 

[160]       En résumé, je conclus que la personne versée dans l’art interpréterait le mot « véhicule » comme désignant la substance ou le mélange de substances contenant la quantité d’un sel basique pharmaceutiquement acceptable protectrice de la DCL, ce sel étant mélangé avec la DCL ou associé avec elle. Par conséquent, le « véhicule » ne comprend que les matières en association avec la DCL et non pas les excipients qui peuvent être présents dans l’[espace à l’extérieur de la forme].

 


8.1.1.2.                        Sel basique pharmaceutiquement acceptable

 

[161]       Le désaccord suivant concerne la signification du terme « sel basique » dans la revendication 1. À la page 5 du mémoire descriptif du brevet 014, le terme « sel basique pharmaceutiquement acceptable » est défini comme suit :

[traduction] . . . un sel de calcium, magnésium ou aluminium, ou un mélange de ces sels, notamment des carbonates, phosphates, silicates ou sulfates de calcium, magnésium ou aluminium. Habituellement, les sels basiques pharmaceutiquement acceptables qui conviennent comprennent le sulfate de calcium anhydre, les hydrates de sulfate de calcium tels que le sulfate de calcium dihydraté, le sulfate de magnésium anhydre, les hydrates de sulfate de magnésium, le phosphate de calcium dibasique, le phosphate de calcium dibasique anhydre, le phosphate de calcium tribasique, le silicate de calcium, le silicate de magnésium, le trisilicate de magnésium, le silicate d’aluminium et le silicate de magnésium et d’aluminium. Le phosphate de calcium est un bon choix. Les hydrates du phosphate de calcium dibasique sont un meilleur choix. Le phosphate de calcium dibasique dihydraté est le meilleur choix.

 

[162]       Le mémoire descriptif ne mentionne pas explicitement les [composés du type du composé confidentiel numéro un] ni le [composé confidentiel numéro un]. La question précise à se poser en l’espèce est de savoir si le terme « sel basique » englobe le [composé confidentiel numéro un].

 

[163]       L’expert de Schering, M. Cartilier, est d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait que le terme « sel basique pharmaceutiquement acceptable » engloberait le [traduction] « [composé confidentiel numéro un] avec de nombreux autres sels de calcium, magnésium et aluminium » (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 190). M. Cartilier se réfère à la définition de « sel » figurant dans les publications de l’Union internationale de chimie pure et appliquée (UICPA). Selon Schering, l’UICPA est la principale autorité en ce qui concerne la nomenclature chimique utilisée par les étudiants du premier cycle en chimie et faisant donc partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. L’UICPA définit un sel comme : [traduction] « un composé chimique formé d’une combinaison de cations et d’anions ». De l’avis de M. Cartilier, cette définition englobe nécessairement le [composé confidentiel numéro un], étant donné que ce dernier est composé de [confidentiel] (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 191). M. Cartilier indique également que [traduction] « le [composé confidentiel numéro un] est de nature basique » (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 191).

 

[164]       M. Banker a exprimé un point de vue analogue lorsqu’il a affirmé que la personne versée dans l’art [traduction] « donnerait au terme “sel basique pharmaceutiquement acceptable” le sens de tout sel de calcium, magnésium ou aluminium pharmaceutiquement acceptable (ou mélange de ces sels) dont le pH est basique » (dossier des demanderesses, vol. 3, onglet 10, p. 478). M. Banker s’appuie sur les mêmes publications de l’UICPA que M. Cartilier.

 

[165]       Par contre, MM. Fiese et Rhodes expriment un point de vue contraire. Dans son affidavit (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 479), M. Fiese estime que l’inventeur n’avait pas l’intention d’inclure tous les composés ioniques basiques dans le terme « sel basique pharmaceutiquement acceptable ». M. Fiese se réfère à la longue liste d’exemples fournie avec la définition et constate que [traduction] « le brevet ne comporte nulle mention de l’utilisation des [composés du type du composé confidentiel numéro un] ou d’un [confidentiel] comme “sel basique pharmaceutiquement acceptable”, même si un [confidentiel] tel que [confidentiel] . . . est connu comme étant un composé basique convenable dans les formulations pharmaceutiques » (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 479).

 

[166]       Selon la prépondérance des probabilités, je privilégie l’opinion de MM. Rhodes et Fiese sur cette question. Les inventeurs du brevet 014 fournissent au lecteur versé dans l’art une définition explicite du terme « sel basique ». Il faut considérer la définition complète. MM. Cartilier et Banker proposent une interprétation fondée uniquement sur la définition générale du mot « sel » contenue dans les publications de l’UICPA. Ils ne semblent pas avoir pris en considération les nombreux exemples donnés par les inventeurs, qui, selon moi, précisent ce qu’ils entendent par le terme. J’admets que, d’un point de vue purement académique, le [composé confidentiel numéro un] peut répondre à la définition de « sel » contenue dans les livres de chimie. J’admets également que les inventeurs tentent de généraliser en utilisant des mots tels que « notamment » et « habituellement ». Toutefois, l’utilisation de ces mots ne peut masquer le fait que les inventeurs n’incluent pas de [composés du type du composé confidentiel numéro un] dans la longue liste de « sels basiques » courants de leur définition. Je déduis de cette omission que les inventeurs n’avaient pas à l’esprit les [composés du type du composé confidentiel numéro un] et le [confidentiel] ou avaient rejeté l’utilisation de ces « sels ».

 

[167]       Lorsque cette question a été abordée au cours de son contre‑témoignage, M. Rhodes a admis ce qui suit : [traduction] « Je comprends très bien que la définition de l’UICPA est la définition ultime » (dossier des demanderesses, vol. 8, onglet 18, p. 1914-1915). Toutefois, sauf votre respect, la définition de l’UICPA n’est pas la question. Le lecteur du brevet 014 versé dans l’art peut très bien accepter la définition de « sel » de l’UICPA, mais conclure tout de même que les inventeurs n’avaient pas l’intention de revendiquer toutes les possibles « combinaisons de cations et d’anions ». La personne versée dans l’art respecterait la définition fournie par les inventeurs.

 

[168]       Je conclus que le terme « sel basique pharmaceutiquement acceptable » tel qu’il est utilisé dans la revendication 1 du brevet 014, représente un sous‑ensemble de la grande classe de tous les composés ioniques qui répondraient à la définition de « sel » dans les publications de référence de l’UICPA. Il englobe les classes de sels décrites à la page 5 du mémoire descriptif. Fait particulièrement important en l’espèce, le terme n’englobe pas les [composés du type du composé confidentiel numéro un].

 

8.1.1.3.                        Quantité protectrice de la DCL

 

[169]       Comme le précise la revendication 1, la quantité de sel basique qui doit être utilisée est décrite comme la « quantité protectrice de la DCL », ce qui n’offre que peu d’éléments d’orientation à la personne versée dans l’art qui tenterait de comprendre la revendication. Le terme n’est pas défini dans le mémoire descriptif, comme c’est le cas du terme « sel basique pharmaceutiquement acceptable ». Le seul élément d’orientation précis figure à la page 5 du mémoire descriptif, où les inventeurs indiquent ce qui suit :

[traduction] La quantité de sel basique pharmaceutiquement acceptable protectrice de la DCL dans les compositions de la présente invention est normalement d’environ 50 % en poids de la composition totale; avec un rapport poids:poids de sel basique sur la DCL variant de 5:1 à 60:1, de préférence 7:1 à environ 11:1, et encore mieux d’environ 10:1 à environ 11:1.

 

[170]       La question est de savoir si les rapports suggérés à la page 5 devraient être intégrés dans la revendication 1, ce qui établirait des limites quant aux quantités de sel basique à utiliser.

 

[171]       Pharmascience fait valoir que le mémoire descriptif du brevet 014 indique un intervalle de pourcentages qui représente une « quantité de sel basique protectrice de la DCL ». Selon Pharmascience, cette interprétation est étayée par les exemples 1 à 5 du brevet, où le sel basique représentait 53 à 5,3 fois le poids de la DCL. En substance, Pharmascience prétend qu’un élément essentiel de la revendication 1 est que le rapport du sel basique sur la DCL se situe dans les intervalles précisés à la page 5 du mémoire descriptif.

 

[172]       S’appuyant sur l’opinion de MM. Cartilier et Banker, Schering avance que la « quantité protectrice » est « une quantité différente de zéro ». Essentiellement, le sel basique peut être présent en n’importe quelle quantité pourvu que cette quantité protège la DCL contre la dégradation. Comme l’indique M. Cartilier (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 165‑166) :

[traduction] À la lecture de la revendication 1 du brevet 014, le formulateur qualifié comprendrait que la quantité protectrice de la DCL ne se limite pas à une quantité ou à un rapport de quantités précis. Un examen des revendications dépendantes de la revendication 1 confirment mon interprétation, étant donné que des rapports précis sont indiqués dans certaines des revendications dépendantes, mais pas dans la revendication 1 elle‑même.

 

. . .

 

Comme la quantité de sel basique protectrice de la DCL dépend d’un certain nombre de facteurs liés à une composition donnée, le formulateur qualifié saurait que l’expression « quantité protectrice de la DCL » désigne simplement « la quantité de sel basique pharmaceutiquement acceptable qui est suffisante pour protéger la DCL contre le changement de couleur et la décomposition dans une composition donnée » et lirait la revendication dans cette optique.

 

[173]       M. Banker a formulé une opinion similaire. Il a lui aussi fait référence aux revendications du brevet 014 où des rapports précis sont indiqués (par exemple, les revendications 3 à 5 et 9 à 11).

 

[174]       M. Fiese, en revanche, était plutôt d’avis que l’inventeur du brevet 014 avait fourni « une orientation claire» dans le mémoire descriptif quant aux rapports à utiliser (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 473). M. Rhodes a exprimé une opinion analogue (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 85). Néanmoins, aucun de ces deux experts n’a laissé entendre qu’une personne versée dans l’art ne serait pas en mesure de déterminer un rapport utilisable d’un sel donné. Aucun des deux n’a expliqué pourquoi, si leur interprétation devait être acceptée, il aurait été nécessaire d’établir des rapports précis dans les revendications 3 à 5 et 9 à 11.

 

[175]       Après l’examen de la preuve qui m’a été présentée, je conclus que la personne versée dans l’art comprendrait que le terme « quantité protectrice de la DCL » désigne toute quantité d’un sel qui est nécessaire pour prévenir la dégradation de la DCL. La revendication 1 ne limite pas le rapport du sel sur la DCL à une quantité donnée. Plus particulièrement, cette quantité n’est pas limitée aux rapports indiqués à la page 5 du mémoire descriptif.

 

[176]       Tout d’abord, j’admets que la quantité de sel nécessaire pour protéger la DCL varie selon la nature du sel utilisé et la quantité de DCL. Je crois aussi que la personne versée dans l’art serait capable de déterminer la quantité d’un sel donné requise pour protéger la DCL au moyen de méthodes de formulation qui auraient été connues à la date pertinente. Par ailleurs, l’utilisation des mots « normalement » et « environ » dans l’explication indique clairement que les rapports indiqués à la page 5 du mémoire descriptif visent à fournir une orientation ou des exemples à la personne versée dans l’art et ne constituent pas nécessairement une exigence. Par ailleurs, l’utilisation de rapports précis dans certaines des revendications m’amène à déduire que la revendication 1 englobe tous les rapports qui protégeraient la DCL contre la dégradation.

 

[177]       Finalement, Pharmascience voit effectivement dans la revendication 1 une limitation qui n’est tout simplement pas présente. Dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 52, le juge Binnie a fait l’observation suivante :

J’estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire descriptif, […] pour comprendre le sens du mot « ailette » utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, ainsi, interprétée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[178]       L’interprétation proposée par Pharmascience limiterait la revendication 1 d’une manière qui n’est ni écrite ni interprétée.

 

8.1.1.4.                        Essentiellement exempt d’excipients acides

 

[179]       Toutes les parties admettent que le lactose est un excipient acide aux fins du brevet 014. Toutefois, le terme n’est pas défini dans le brevet 014, ce qui a entraîné un désaccord relativement aux autres excipients possibles. Le terme englobe‑t‑il tout excipient dont le pH dan l’eau est inférieur à 7,0, en particulier le [composé confidentiel numéro deux]?

 

[180]       Pharmascience utilise [le type de composés du composé confidentiel numéro deux] en association avec la DCL dans ses comprimés. Contrairement au lactose, cet ingrédient est [à l’intérieur de la forme] ou en association avec la DCL. Comme elle le mentionne dans son AA :

[traduction] Le terme « excipients acides » tels qu’il est utilisé dans les revendications est aussi correctement interprété comme englobant des excipients tels que l’amidon de maïs et l’amidon prégélatinisé, étant donné que tous deux ont un pH dans l’eau inférieur à 7 (Boylan et coll, Handbook of Pharmaceutical Excipients, American Pharm. Assoc. & the Pharma. Society of G. Britain: 289-293, 296-297 [1986]).

 

[181]       Un acide est défini couramment comme un composé dont le pH est inférieur à 7,0. Tous les experts conviennent que le [composé confidentiel numéro deux] utilisé par Pharmascience a un pH se situant entre 4,5 et 7,0. Par conséquent, à un pH de 7,0, le [composé confidentiel numéro deux] pourrait être faiblement basique.

 

[182]       MM. Banker et Cartilier estimaient que le [composé confidentiel numéro deux] ne serait généralement pas considéré comme un excipient acide au sens où ces mots seraient compris par la personne versée dans l’art. D’après M. Banker, le [composé confidentiel numéro deux] « a un pH se situant entre 4,5 et 7,0 », ce qui inclut la neutralité (dossier des demanderesses, vol. 3, onglet 10, p. 509). M. Cartilier partageait cet avis : « Un [composé confidentiel numéro deux] à pH inférieur à 7,0 ne serait que faiblement acide et ne serait pas considéré comme un excipient acide au sens courant du formulateur qualifié qui lirait le brevet » (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 194). Selon eux, le terme « excipient acide » ne comprendrait pas de composés faiblement acides ou dont le pH se situe dans un intervalle dont la limite supérieure englobe la neutralité. Je partage leur point de vue sur ce point. Même si, dans son affidavit, M. Fiese présentait un avis différent, il a admis, au cours de son contre‑témoignage, que le [composé confidentiel numéro deux] n’était pas un excipient acide aux fins de la revendication 1.

 

8.1.1.5.                        Conclusions relatives à l’interprétation des revendications 1 et 38 du brevet 014

 

[183]       Après avoir examiné les observations des parties et des experts, je conclus que la personne versée dans l’art comprendrait que la revendication 1 vise une forme pharmaceutique qui contient de la DCL et dans laquelle: a) la DCL est dans un véhicule; b) le véhicule contient assez de sel basique pour protéger la DCL contre la dégradation; et c) le véhicule est essentiellement exempt d’excipients acides. Les termes en litige en l’espèce seraient interprétés comme suit :

 

1.                  Le terme « véhicule pharmaceutiquement acceptable » désigne uniquement les excipients en association avec la DCL et non pas les excipients qui peuvent être présents dans [l’espace à l’extérieur de la forme] de la composition pharmaceutique;

2.                  Le terme « sel basique » désigne un sel de calcium, magnésium ou aluminium, ou un mélange de ces sels, notamment des carbonates, phosphates et sulfates de calcium, magnésium ou aluminium; le [composé confidentiel numéro un] n’est pas inclus dans cette définition;

 

3.                  La « quantité protectrice de la DCL » est la quantité de sel basique pharmaceutiquement acceptable qui est suffisante pour protéger la DCL contre le changement de couleur et la décomposition dans une composition donnée;

 

4.                  Le terme « excipient acide » n’englobe pas les excipients tels que le [composé confidentiel numéro deux] dont la limite supérieure de l’intervalle de pH serait normalement de 7,0 ou plus.

 

[184]       La revendication 38 serait interprétée de la même façon, mais se limiterait aux formes pharmaceutiques solides (c’est‑à‑dire les comprimés) de 5 mg.

 

8.2.            Contrefaçon du brevet 014

 

[185]       Après avoir interprété les revendications en cause, je vais examiner la question de savoir si l’allégation de Pharmascience concernant l’absence de contrefaçon des revendications 1 et 38 du brevet 014 est fondée. Les trois éléments essentiels de la revendication 1 doivent être réunis pour qu’il y ait contrefaçon.

 

[186]       Une description du comprimé de Pharmascience a déjà été donnée. Vu mon interprétation du mot « véhicule » dans les revendications 1 et 38, il s’ensuit que Pharmascience n’inclut pas de lactose – un excipient acide – dans le véhicule de son comprimé. Son lactose est plutôt à l’extérieur de la [forme] qui constitue le « véhicule » de ses comprimés. De plus, le [composé confidentiel numéro deux] qui est utilisé en association avec la DCL par Pharmascience n’est pas un « excipient acide » au sens de la revendication 1. Par conséquent, le véhicule des comprimés de Pharmascience ne contient pas d’excipient acide et satisfait au premier élément essentiel de la revendication 1.

 

[187]       Toutefois, Pharmascience utilise le [composé confidentiel numéro un] dans ses comprimés. J’ai conclu que, au sens où le terme est utilisé dans la revendication 1, le [composé confidentiel numéro un] n’est pas un « sel basique pharmaceutiquement acceptable ». Par conséquent, Pharmascience ne satisfait pas à cet élément essentiel des revendications 1 et 38.

 

[188]       Par conséquent, l’allégation de Pharmascience suivant laquelle il y a absence de contrefaçon des revendications 1 et 38 du brevet 014 est fondée.

 

[189]       Puisque j’ai conclu que l’allégation d’absence de contrefaçon est fondée, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si les allégations d’invalidité sont fondées. Toutefois, comme il pourrait m’être utile de formuler de brèves observations sur ces allégations, je vais les examiner. Ces observations deviendront pertinentes seulement s’il s’avérait que j’ai eu tort sur la question de la contrefaçon.

 

8.3.            Validité des revendications 1 et 38 du brevet 014

 

[190]       Pharmascience allègue que les revendications pertinentes du brevet 014 sont invalides pour un certain nombre de motifs :

 

1.                  le manque d’utilité et l’inexploitabilité;

 

2.                  l’évidence;

 

3.                  la portée excessive.

 

Je vais examiner chacune de ces allégations.

 

8.3.1.      Manque d’utilité, prédiction valable et inexploitabilité

 

[191]       Il n’est pas contesté que, à la date de l’invention, une invention doit avoir une utilité ou présenter une prédiction valable d’utilité.

 

[192]       À mon sens, l’argumentaire de Pharmascience concernant le manque d’utilité, la prédiction valable et l’inexploitabilité des espèces repose essentiellement sur l’absence de divulgation par les inventeurs du brevet 014 de toute réaction avec un excipient acide autre que le lactose. La revendication 1 établit que le véhicule doit être « essentiellement exempt d’ingrédients acides »; elle ne se limite pas au lactose. Pharmascience allègue que les inventeurs du brevet 014 n’ont fourni ni données ni raisons leur permettant de conclure que le fait d’éviter d’autres excipients acides, tels l’acide stéarique, la povidone et la crospovidone, aurait une quelconque utilité dans une composition pharmaceutique contenant de la DCL. Par conséquent, Pharmascience soutient que les inventeurs ne pouvaient s’appuyer sur aucune donnée pour prédire de façon valable qu’une dégradation surviendrait en présence de tout expédient acide autre que le lactose.

 

[193]       La lacune dans cet argument est que Pharmascience a mal interprété la promesse du brevet 014. Le brevet promet que, si une personne suit les indications des inventeurs, elle obtiendra une composition qui ne se dégrade pas. Autrement dit, en utilisant un sel basique tout en évitant d’utiliser des excipients acides, cette personne obtiendra une composition qui ne se dégradera pas. Le brevet n’établit pas que tout excipient acide provoquera la dégradation de la composition. En conséquence, il n’est pas d’une importance cruciale de savoir si un excipient acide en particulier provoquera une dégradation. La revendication 1 remplit donc la promesse du brevet.

 

[194]       Quoi qu’il en soit, si l’on en croit le mémoire descriptif du brevet et le témoignage des experts, d’autres excipients acides causeraient en effet une dégradation. À la page 4 du mémoire descriptif, les inventeurs révèlent que l’exposition de la DCL à de nombreux autres acides, tels l’acide stéarique, la povidone, la crospovidone et le benzoate de sodium, s’est soldée par une dégradation. À la page 12, l’acide stéarique est mentionné de manière spécifique.

 

[195]       S’il était nécessaire de le faire, je conclurais que l’allégation d’invalidité formulée par Pharmascience concernant ce motif n’est pas fondée.

 

8.3.2.      Évidence

 

[196]       Les principes de l’évidence ont été abordés précédemment dans l’analyse du brevet 136. De la même manière qu’à l’égard du brevet 136, je vais examiner l’allégation d’évidence en m’appuyant sur l’analyse en quatre volets énoncée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo. Pour le brevet 014, la date pertinente pour apprécier l’évidence est le 10 juillet 1998.

 

8.3.2.1.                        La personne versée dans l’art

 

[197]       Comme pour le brevet 136, la personne versée dans l’art serait titulaire d’un baccalauréat en chimie ou dans un domaine connexe et serait spécialisée dans les formulations pharmaceutiques et les formes pharmaceutiques solides administrées par voie orale. Elle posséderait aussi quatre ans d’expérience dans le domaine.

 

8.3.2.2.                        Connaissances générales courantes

 

[198]       Les connaissances générales courantes mentionnées à l’égard du brevet 136 s’appliquent au brevet 014 avec des modifications mineures seulement. J’invite le lecteur à consulter mon analyse antérieure des connaissances pertinentes et je vais examiner dans la présente section seulement les références additionnelles.

 

[199]       La principale différence entre le brevet 136 et le brevet 014 réside dans l’utilisation d’un « sel basique » dans le brevet 014. En ce qui concerne la question d’un sel basique pour protéger la DCL, je ne suis pas convaincue que l’utilisation d’un sel basique à cette fin faisait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. M. Cartilier, témoin de Schering, s’est référé au Handbook et a déclaré que la réaction de Maillard ou [traduction] « la réaction de brunissement est catalysée par des bases et peut donc être accélérée si des lubrifiants alcalins sont utilisés » (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 7, p. 317). Cela signifie que les bases peuvent parfois provoquer ou accélérer l’effet Maillard plutôt que le retarder. M. Fiese, témoignant pour Pharmascience, a déclaré que l’utilisation d’un sel basique [traduction] « serait moins évidente que le fait d’éliminer les excipients inadéquats », en particulier parce que la quantité doit « protéger » la DCL (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 494). J’en conclus donc que l’utilisation d’un sel basique pour protéger la DCL ne faisait pas partie, à la date pertinente, des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art.

 

8.3.2.3.                        Le concept inventif

 

[200]       Le concept inventif du brevet 014 débute de la même manière que celui du brevet 136. En premier lieu, les inventeurs du brevet 014 ont découvert que la DCL change de couleur ou se dégrade en présence d’excipients acides tels que le lactose. De là, les inventeurs des deux brevets ont pris des chemins différents pour réussir à obtenir un produit à base de DCL stable. La solution trouvée par les inventeurs du brevet 014 était plus complexe que celle adoptée par M. Wald et les autres inventeurs du brevet 136. Le concept inventif du brevet 014 consiste à éviter d’utiliser le lactose et d’autres excipients acides comme véhicule et à utiliser un sel basique pour stabiliser la composition.

 

8.3.2.4.                        Différences entre les connaissances générales courantes et les concepts inventifs

 

[201]       Je passe maintenant à la partie suivante de l’analyse. Je dois déterminer les différences qui existent, le cas échéant, entre la matière définie comme faisant partie de l’état de la technique et le concept inventif de la revendication ou de la revendication telle qu’elle est interprétée. À l’examen des connaissances générales courantes invoquées, il m’apparaît que les différences sont les suivantes :

 

1.                  Il n’était pas généralement connu que la réaction de Maillard surviendrait entre la DCL, une amine secondaire, et le lactose (ou un autre excipient réactif).

 

2.                  Il n’était pas généralement connu que les réactions entre la DCL et le lactose pouvaient être évitées si l’on s’assurait de ne pas mélanger intimement le lactose avec la DCL dans la composition pharmaceutique.

 

[202]       Par ailleurs, l’écart entre l’état de la technique et le concept inventif en ce qui concerne l’utilisation d’un sel basique est important. Comme je l’ai déjà mentionné, M. Fiese était d’avis que l’utilisation d’un sel basique pour protéger la DCL est « moins évidente » que l’élimination du lactose ou des excipients acides (dossier du défendeur, vol. 2, onglet 2, p. 494). En outre, le Handbook (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 7, p. 317) et l’article de Blaug et Huang utilisé par Pharmascience (dossier des demanderesses, vol. 3, onglet 11, p. 597-598) mentionnent tous deux qu’une dégradation peut survenir en milieu basique.

 

8.3.2.5.                        Inventivité des étapes

 

[203]       Finalement, selon les enseignements de Sanofi-Synthelabo, la Cour doit se demander : ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité? De façon particulièrement pertinente, à cette étape-ci, il me faut déterminer si je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention.

 

[204]       Comme je l’ai souligné dans l’analyse concernant le brevet 136, des expériences de préformulation seraient réalisées avant que tout produit ne soit mis sur le marché. Pour les mêmes motifs que ceux exposés à l’égard du brevet 136 et m’appuyant sur la même preuve, je conclus que l’étape de détermination de l’incompatibilité allait de soi.

 

[205]       Toutefois, la situation est plus complexe en ce qui concerne l’utilisation d’un sel basique. L’utilisation d’un sel basique pour protéger la DCL n’était sans doute pas « évidente à essayer » en 1998. Comme je l’ai déjà indiqué, l’utilisation d’un sel basique pour ralentir la réaction de Maillard est contestée par les publications et les sommités dans le domaine. Les experts des deux parties citent le Handbook et conviennent que les substances basiques peuvent accélérer la dégradation.

 

[206]       M. Rhodes est fermement d’avis que l’invention était évidente. Toutefois, sa logique et son raisonnement sont quelque peu contradictoires. Il soutient que les essais de préformulation portant sur le pH des substances ne sont pas nouveaux : il est connu qu’un milieu basique ou acide peut accélérer la dégradation. Par conséquent, les résultats des essais étaient évidents (dossier du défendeur, vol. 1, onglet 1, p. 96-97). Cependant, comment un résultat peut-il « aller de soi » lorsque tant les bases que les acides peuvent provoquer la dégradation ou la retarder? Donc, si l’on s’en tient à la logique de M. Rhodes, il n’existe [traduction] « qu’une possibilité d’en arriver à l’invention », soit qu’un sel basique peut protéger la DCL. Si l’on en croit la Cour suprême, ce n’est pas suffisant.

 

[207]       Parmi les questions soulevées en interrogatoire qui sont susceptibles d’aider la Cour, il y a la démarche adoptée par les inventeurs. Si la démarche comportait des études et des essais, il est plus probable que l’invention résultante n’était pas évidente.

 

[208]       En l’espèce, Pharmascience soutient que les essais réalisés par les inventeurs du brevet 014 étaient des essais courants, rapides, simples et peu coûteux, et qu’ils ne nécessitaient donc pas de capacités inventives. Par contre, M. Banker décrit les [traduction] « nombreuses expériences de formulation » menées par l’inventeur, M. Jim Kou (voir le dossier des demanderesses, vol. 3, onglet 11, p. 600-611) :

 

a)                  Le carnet de M. Kou décrit en détail de nombreuses expériences de formulation et études de stabilité réalisées sur de nombreux mois.

 

b)                  M. Kou a fabriqué des comprimés au moyen de techniques de compression directe et de granulation et a surveillé l’évolution des caractéristiques des comprimés dans le temps.

 

c)                  M. Kou a examiné diverses conditions afin de déterminer les spécifications pour l’enrobage des comprimés.

 

d)                  L’inventeur était préoccupé par la formation d’un produit de dégradation N‑formylé dans la composition de DCL. Il a surveillé la formation de ce produit dans le temps (jusqu’à 8 mois, selon ce qui est indiqué) dans diverses conditions accélérées. Ses études visaient aussi à déterminer si les comprimés enrobés présentaient aussi des problèmes de dégradation similaires.

 

e)                  Il divulgue les résultats d’essais visant à déterminer la puissance de la DCL dans différents lots et dans diverses conditions accélérées.

 

f)                    Les certificats d’analyse démontrent que l’inventeur a surveillé la présence du produit de dégradation N-formylé dans le temps jusqu’au dépôt de la première demande de brevet visant l’invention revendiquée dans le brevet 014.

 

[209]       Bien que les étapes puissent avoir été longues, je ne suis pas persuadée qu’elles étaient très ardues ou complexes. Elles semblent plutôt avoir consisté en expériences de préformulation courantes. Par conséquent, ce facteur ferait plutôt pencher la balance en faveur de l’évidence, mais pas fortement.

 

8.3.2.6.                        Conclusion sur l’évidence

 

[210]       En soupesant bien toute la preuve dont je dispose, s’il était nécessaire de le faire, je conclurais que les éléments probants sont insuffisants pour me convaincre que l’utilisation d’un sel basique pour stabiliser la composition pharmaceutique était évidente. Par conséquent, l’allégation d’évidence de Pharmascience ne serait pas fondée.

8.3.3.      Portée excessive

 

[211]       Pharmascience allègue que la revendication 1 est l’équivalent d’une revendication visant « n’importe quel moyen [de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie] » et qu’elle devrait être déclarée invalide en raison du principe de la portée excessive. Les principes de la revendication de portée excessive ont été examinés dans le contexte du brevet 136. L’argument, tel qu’il a été expliqué au cours de la plaidoirie, porte essentiellement sur la partie de la revendication qui traite de la quantité protectrice de la DCL. Selon cet argument, si la quantité protectrice de la DCL est interprétée aussi largement que l’a proposé Schering, la portée de la revendication est excessive.

 

[212]       J’estime que cet argument ne tient pas la route. L’invention visée par le brevet 014 inclut la protection de la DCL par l’utilisation d’un sel basique couplée à la non‑utilisation d’excipients acides. La revendication 1 exige que la composition pharmaceutique ne renferme pas d’excipients acides et contienne « une quantité de sel basique pharmaceutiquement acceptable protectrice de la DCL ». L’aspect inventif du brevet 014 repose sur la description d’un moyen particulier pour obtenir le résultat consistant à réduire la dégradation de la DCL.

 

[213]       Schering décrit cet aspect de la revendication 1 comme une « revendication fonctionnelle », c’est‑à‑dire que la quantité de sel basique nécessaire pour protéger la DCL est fonction du sel utilisé par le formulateur. Comme je l’ai déjà souligné dans les présents motifs dans le cas du brevet 136, une revendication exprimée en des termes qui mènent à un résultat souhaitable est admissible (voir, par exemple, Burton Parsons, précité, p. 215; Mobil Oil, précité, p. 485) pourvu que la personne versée dans l’art puisse en arriver directement à ce résultat (voir Proctor & Gamble, 1978, p. 159). Tant M. Cartilier que M. Banker semblent avoir accepté que la personne versée dans l’art posséderait les connaissances nécessaires pour déterminer la stabilité de tout rapport du sel basique sur la DCL. Comme l’indique M. Cartilier (dossier des demanderesses, vol. 2, onglet 6, p. 169) :

[traduction] Étant donné que le brevet 014 est orienté vers une solution pratique, le formulateur qualifié comprendrait que l’absence souhaitée de décomposition et de changement de couleur devrait être maintenue dans des limites acceptables pendant toute la durée de vie prévue du produit.

 

[214]       En bref, le fait qu’aucune quantité précise de sel basique ne soit indiquée dans la revendication 1 ne transforme pas cette revendication en « n’importe quel moyen de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie ». La situation en ce qui concerne la revendication 1 et la « quantité protectrice de la DCL » est très différente de celle qui concerne la revendication du brevet 136 portant sur le caractère « anhydre ». À mon avis, la portée de la revendication 1 n’est pas plus large que l’invention.

 

[215]       S’il était nécessaire de le faire, je conclurais que l’allégation d’invalidité de Pharmascience à l’égard de ce motif n’est pas fondée.

 

8.3.4.      Conclusion relative aux allégations de validité

 

[216]       En somme, si je devais le faire, je conclurais que les allégations d’invalidité formulées par Pharmascience à l’égard des revendications 1 et 38 du brevet 014 ne sont pas fondées.

 

9.                  CONCLUSION GÉNÉRALE

 

[217]       En résumé, les conclusions déterminantes de la Cour sont les suivantes :

 

a)                  Brevet 136 :  Les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation d’absence de contrefaçon par Pharmascience n’est pas fondée. En tout état de cause, Pharmascience a présenté une preuve suffisante pour réfuter la présomption de validité et les demanderesses, pour leur part, n’ont pas réussi à démontrer, comme elles se devaient de le faire, que l’allégation d’invalidité n’est pas fondée.

 

b)                  Brevet 014 :  Les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation d’absence de contrefaçon par Pharmascience n’est pas fondée.

 

[218]       Par conséquent, la demande sera rejetée.

 

[219]       Au début de l’audience, les parties ont avisé la Cour qu’une entente concernant les dépens avait été conclue. Sepracor, m’informe-t-on, est partie à cette entente. Par voie de conséquence, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


POST-SCRIPTUM

 

[220]       Les présents motifs de jugement constituent une version expurgée des motifs confidentiels de jugement rendus le 4 novembre 2009 conformément à l’ordonnance de non‑divulgation datée du 9 avril 2008. Les modifications ont été apportées conformément aux indications reçues de la défenderesse Pharmascience et autorisées par la Cour et sont maintenant incorporées aux présents motifs publics du jugement.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Motifs confidentiels – le 4 novembre 2009

Motifs publics – le 22 décembre 2009

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-2102-07

 

INTITULÉ :                                                   SCHERING-PLOUCH CANADA ET AL. c.

                                                                        PHARMASCIENCE INC. ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 17 et 18 septembre 2009 et les

                                                                        21, 22 et 23 septembre 2009

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT :       LA JUGE SNIDER

 

MOTIFS CONFIDENTIELS DU JUGEMENT déposés le 4 novembre 2009

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT déposés le 22 décembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew J. Reddon

Steven Tanner

 

POUR LES DEMANDERESSES

Nicholas McHaffie

Ryan Sheahan

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétreault LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Stikeman Elliott LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SEPRACOR INC.

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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