Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20100107

Dossier : IMM‑2393‑09

Référence : 2010 CF 21

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

LEONARDO MACIAS BARAJAS

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire formée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), portant sur la décision en date du 20 avril 2009 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de M. Macias Barajas revendiquant la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen mexicain qui craint d’être persécuté par les forces de sécurité de son pays. Il était camionneur au Mexique, et le commandant de la police judiciaire de Guadalajara lui a demandé de transporter des stupéfiants dans son camion. Après qu’il lui ait opposé un refus, le commandant a menacé de s’en prendre à sa famille. M. Macias Barajas a alors cherché de l’aide auprès de la police judiciaire de Guadalajara, qui l’a éconduit lorsqu’elle a appris que sa plainte visait un haut gradé. Le lendemain, le demandeur a été agressé par trois policiers, qui lui ont dit qu’il n’aurait pas dû s’adresser à la police.

 

[3]               À un autre moment, le demandeur a encore été battu par des policiers, qui lui ont en outre ordonné sous la menace d’armes à feu de se rendre à un endroit déterminé pour s’y mettre à leur disposition. Le demandeur a essayé de déposer une dénonciation dans un autre poste de police du Mexique, où on l’a repoussé en le traitant de menteur.

 

[4]               Le demandeur a fui le Mexique et est arrivé au Canada en juin 2008. Il a déposé une demande d’asile en novembre 2008.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[5]               La Commission a établi que les questions déterminantes de la demande d’asile du demandeur étaient le lien avec les motifs prévus par la Convention, le dépassement du délai de dépôt de sa demande d’asile, la protection de l’État et l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

[6]               La Commission, interprétant les réponses du demandeur aux questions qu’elle lui avait posées, a noté son « manque d’éducation et de raffinement », mais a conclu à sa crédibilité. La Commission a également pris en considération les Directives du président pour ce qui concerne la vulnérabilité de M. Macias Barajas en tant que demandeur d’asile.

 

[7]               Bien que le demandeur eût allégué qu’il ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État puisque celui‑ci protégeait en fait ses agresseurs, la Commission a conclu que, bien que des agents de la police judiciaire fussent en cause, ce n’était pas en leur qualité de policiers qu’ils exerçaient des activités illégales. La Commission, invoquant Rivero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1517, a établi qu’il n’y a pas de lien avec un motif prévu par la Convention lorsque le demandeur d’asile est exposé « à une vengeance privée ou à des représailles personnelles » de la part d’un fonctionnaire. La Commission a aussi examiné la décision Mehrabani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 427, où la Cour a conclu que la crainte de représailles de la part des fonctionnaires dont le demandeur avait dénoncé les activités ne permettait pas de fonder sa demande d’asile sur la persécution pour opinions politiques. De même, la Commission a conclu que la crainte du demandeur n’était pas liée à la race, à la nationalité, à la religion, aux opinions politiques ni à l’appartenance à un groupe social. En conséquence, elle a rejeté la demande qu’il avait formée sous le régime de l’article 96.

 

[8]               La Commission, bien qu’elle se soit posé des questions sur le temps écoulé entre l’arrivée du demandeur au Canada et le dépôt de sa demande d’asile, a décidé d’accepter l’explication qu’il en donnait. Elle a aussi accepté son explication du fait que sa famille ne l’ait pas accompagné.

 

[9]               La Commission a reconnu les efforts déployés par le demandeur pour s’assurer la protection de l’État, mais a conclu qu’il y avait « d’autres autorités étatiques auxquelles il aurait pu s’adresser ». Elle a noté à ce sujet que le Mexique est un pays démocratique, pourvu d’un appareil judiciaire relativement indépendant et impartial.

 

[10]           La Commission a aussi noté que les forces de sécurité d’État et municipales comptent plus de 500 000 agents. Elle a conclu que ces forces sont organisées de telle sorte que quiconque est insatisfait de leurs services peut exercer un recours devant une instance supérieure. En outre, il existe un certain nombre d’autorités auxquelles peuvent s’adresser les citoyens qui ont affaire à un fonctionnaire corrompu ou pour toute autre raison ont à se plaindre des forces de sécurité.

 

[11]           La Commission a conclu que le Mexique a aussi promulgué des lois pour réprimer la corruption chez les fonctionnaires qui en sont déclarés coupables. Elle a aussi noté l’existence, au Bureau du procureur général, d’un service d’enquêtes spéciales sur le grand banditisme qui travaille en collaboration étroite avec les autorités américaines pour réprimer ce genre de criminalité au Mexique.

 

[12]           Tout en reconnaissant que le Mexique se trouve encore aux prises avec des problèmes de criminalité et de corruption, la Commission a conclu que le président de ce pays « fait de sérieux efforts pour régler ces problèmes ». Elle était par conséquent convaincue que le demandeur disposait d’une protection suffisante de l’État.

 

[13]           La Commission s’est aussi demandé s’il existait une PRI pour le demandeur. Se fondant sur la conviction de ce dernier selon laquelle il était visé parce qu’il avait accès aux ports, la Commission a commencé par conclure que, à son avis, il était improbable en l’occurrence que les agents de persécution continuent à le poursuivre, puisqu’il n’avait plus accès aux ports, ne travaillant plus comme camionneur pour l’entreprise qui l’avait employé.

 

[14]           La Commission a ensuite conclu que, même si l’on continuait à poursuivre le demandeur, ce dont elle avait établi l’improbabilité, il pourrait disposer d’une protection suffisante de l’État dans le district fédéral.

 

[15]           La Commission a reconnu que la corruption et le trafic de stupéfiants restaient des problèmes au Mexique, mais elle a néanmoins conclu qu’il existe dans le district fédéral des organismes d’État auprès desquels le demandeur pourrait chercher protection si l’on continuait à le poursuivre. Elle a aussi pris en considération la santé psychologique du demandeur et établi qu’il pourrait se faire traiter à son retour au Mexique si besoin était.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]           Les questions en litige dans la présente demande peuvent se formuler comme suit :

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les efforts déployés par le demandeur pour dénoncer le commandant ne constituaient pas une expression d’opinion politique?

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant à l’existence d’une possibilité viable de refuge intérieur?

4.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’examiner le point de savoir si le demandeur risquait d’être soumis à la torture au Mexique?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[17]           Les dispositions de la Loi applicables à la présente espèce sont les suivantes :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

 

[18]           La Cour suprême, dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a reconnu que, malgré la différence théorique séparant la norme de la raisonnabilité simpliciter et celle du manifestement déraisonnable, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes [réduisaient] à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, paragraphe 44). En conséquence, elle a décidé qu’il y avait lieu de fondre les deux normes de raisonnabilité en une seule : celle « de la décision raisonnable ».

 

[19]           La Cour suprême a aussi posé en principe dans le même arrêt qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse en vue de déterminer la norme de contrôle applicable. Lorsque la jurisprudence établit sans ambiguïté la norme de contrôle applicable à la question dont la cour de révision est saisie, celle‑ci peut l’adopter. C’est seulement lorsque le dépouillement de la jurisprudence ne donne pas de résultats que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs autour desquels s’articule l’analyse permettant de déterminer la norme applicable.

 

[20]           La question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que les efforts déployés par le demandeur pour dénoncer le commandant ne constituaient pas une expression d’opinion politique met en jeu l’application d’un critère juridique aux faits de l’espèce. Par conséquent, la norme de contrôle à retenir dans ce cas est celle de la décision raisonnable, et la Cour doit faire preuve de déférence envers le décideur. Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 164.

 

[21]           La question de la protection de l’État est aussi à examiner suivant la norme de la décision raisonnable. Voir Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 467, [2008] A.C.F. no 591. De même, la norme de la décision raisonnable est à retenir s’agissant d’établir si la Commission a commis une erreur dans sa conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur pour le demandeur. Voir Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, [2008] A.C.F. no 571, et Agudelo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 465, [2009] A.C.F. no 583, paragraphe 17.

 

[22]           La cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable fonde son analyse sur le principe que le caractère raisonnable tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[23]           Le demandeur soulève le point de savoir si la Commission a appliqué le critère juridique qui convient. Les questions relatives au critère juridique applicable relèvent de la norme de la décision correcte. Voir Dunsmuir, ainsi que Golesorkhi c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, [2008] A.C.F. no 637. Par conséquent, la norme de contrôle applicable au point de savoir si la Commission s’est trompée en omettant d’établir si le demandeur risquait d’être soumis à la torture au Mexique est celle de la décision correcte.

 

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            Le demandeur

                        Opinions politiques

 

[24]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant sur le fondement d’une jurisprudence désuète que la révélation de faits de corruption n’établit pas le lien nécessaire avec un motif prévu par la Convention.

 

[25]           Le demandeur cite et invoque à cet égard le paragraphe 34 de la décision Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327, [2000] A.C.F. no 228 :

L’opinion exprimée par M. Klinko a pris la forme d’une dénonciation de la corruption de représentants de l’État. Cette dénonciation d’infractions commises par des représentants de l’État a mené à l’exercice de représailles contre lui. Il ne fait pas de doute, selon moi, que les agissements corrompus largement répandus au sein du gouvernement, dont le revendicateur a fait état dans son opinion, constituent une « question dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé ».

 

[26]           Par conséquent, affirme le demandeur, ses actes constituaient bel et bien l’expression d’opinions politiques, et la Commission s’est trompée en concluant au contraire.

 

La protection de l’État

 

[27]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents et en arrivant à une conclusion déraisonnable pour ce qui concerne la question de la protection de l’État.

 

[28]           La Commission a reconnu la crédibilité du demandeur et de son témoignage. Par conséquent, elle a aussi reconnu qu’il avait demandé la protection de l’État à deux reprises et à deux endroits différents. Dans les deux cas, soit on l’a accusé de mentir, soit on lui a simplement refusé l’aide demandée.

 

[29]           La Commission a néanmoins conclu que le demandeur aurait dû prendre d’autres mesures pour obtenir la protection de l’État, pour les raisons suivantes :

Il y a un certain nombre d’autorités et d’organismes qui aident les membres du public s’ils croient avoir rencontré un agent corrompu ou s’ils ne sont pas satisfaits des services des forces de sécurité. Les contrevenants membres des forces de sécurité peuvent faire l’objet de sanctions, de destitution, de suspension ou de renvoi.

 

[30]           Selon le demandeur, la Commission a fondé ses conclusions relatives à la protection de l’État sur a) la possibilité pour lui de trouver d’autres formes de protection de cette nature et b) la supposition que les policiers corrompus sont punis de leurs méfaits. Il soutient que ces conclusions sont déraisonnables.

 

[31]           La Commission a énuméré d’autres services auxquels le demandeur aurait pu s’adresser selon elle, notamment le Bureau du sous-procureur général, la Commission nationale des droits de la personne, le Secrétariat de l’administration publique et une ligne ouverte 24 heures sur 24. Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que l’aide qu’auraient pu fournir ces services entrait dans la définition de la protection de l’État.

 

[32]           La Cour fédérale, dans Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2008] A.C.F. no 625, a rejeté à propos d’un bon nombre des services énumérés par la Commission l’idée que leur aide serait assimilable à la protection de l’État. Elle y a conclu que le seul organisme ayant le mandat de protéger les citoyens est la police. Par conséquent, là où la police manque à son obligation de protection, on ne peut dire qu’il y ait protection de l’État. La Commission a commis une erreur en concluant que la simple existence des services et organismes susdits constitue une protection suffisante de l’État.

 

[33]           En outre, poursuit le demandeur, la Commission doit prendre en considération la preuve documentaire produite et ne peut rendre sa décision sans en tenir compte. La Commission ne devait pas se contenter de conclure que la simple existence au Mexique de forces de l’ordre, d’un appareil judiciaire et d’instances pouvant recevoir des plaintes constitue une protection suffisante de l’État. De même, il ne lui était pas permis d’écarter les éléments de preuve documentaire produits par le demandeur qui contredisaient ses conclusions en déclarant simplement qu’elle les avait « tous pris en considération ».

 

[34]           Le demandeur a produit des éléments de preuve provenant de sources respectables qui contredisaient les conclusions de la Commission. Cette dernière a tiré sa conclusion sur la protection de l’État sans évaluer ces éléments. En outre, elle a omis de tenir compte du fait que les Mexicains n’ont pas confiance dans les institutions censées les protéger à cause de la corruption généralisée qui afflige le pays.

 

[35]           La Cour fédérale a formulé la conclusion suivante au paragraphe 86 de Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336, 76 Imm. L.R. (3d) 102 :

[...] la preuve contredisant les conclusions tirées par la Commission relativement à la présente question était tellement pertinente et cruciale quant à la cause des demanderesses que le fait que la Commission a omis d’examiner cette preuve et qu’elle s’est simplement fondée sur la présomption habituelle – la présomption de protection de l’État – donne à penser qu’elle défendait une prétention générale quant au Mexique plutôt que d’apprécier la preuve dont elle disposait en l’espèce.

 

 

[36]           Tout comme les demanderesses de Sanchez, le demandeur à la présente instance a produit des éléments de preuve pertinents et convaincants qui établissent : a) le caractère généralisé de la corruption au Mexique, b) l’inefficacité des groupes nationaux de défense des droits de la personne, c) l’inefficacité de la poursuite des fonctionnaires corrompus et d) le fait que les Mexicains hésitent à s’adresser à la police à cause de l’impunité dont jouissent ses agents. La Commission a omis de traiter ces éléments de preuve qui contredisaient radicalement sa conclusion relative à la protection de l’État et a ainsi commis une erreur donnant lieu à révision.

 

[37]           La Commission a aussi commis une erreur en tirant la conclusion suivante :

Les contrevenants membres des forces de sécurité peuvent faire l’objet de sanctions, de destitution, de suspension ou de renvoi. Selon les rapports, les nouvelles lois du gouvernement visant à lutter contre la corruption et la subornation ainsi que les peines de cinq à dix ans d’emprisonnement imposées aux agents déclarés coupables ont eu un effet marqué.

 

[38]           Cette conclusion est en contradiction avec la preuve produite par le demandeur, selon laquelle une proportion extrêmement restreinte des affaires de corruption de fonctionnaires examinées par le PGR ont été portées devant les tribunaux en 2007. Ce n’est pas là une preuve convaincante que le gouvernement prenne des mesures pour « épurer » les services chargés de faire respecter la loi. La Commission a commis une erreur en concluant au contraire et en omettant de prendre en compte les éléments produits par le demandeur qui contredisaient radicalement sa conclusion.

[39]           Le demandeur, s’il reconnaît que la Commission n’est pas tenue de faire référence à chaque élément de la preuve produite devant elle, cite et invoque à ce sujet le paragraphe 47 de Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 :

[...] plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] ». Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion.

 

 

La possibilité de refuge intérieur

 

[40]           Le demandeur soutient aussi que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il disposait d’une possibilité viable de refuge intérieur. La Commission a en effet estimé que si le demandeur était poursuivi à Mexico, il pourrait trouver protection dans cette ville. Plus précisément, la Commission a conclu que « le demandeur d’asile ne serait pas considéré comme une personne à poursuivre dans l’avenir [parce qu’il] ne conduit plus un camion pour la même entreprise ».

 

[41]           Le demandeur affirme que la Commission s’est trompée en concluant de la sorte. Il n’était pas en danger simplement parce qu’il était camionneur : il était – et continue d’être – en danger parce qu’il possède des renseignements sur des fonctionnaires corrompus et qu’il a essayé de les communiquer à la police. 

 

[42]           Le témoignage du demandeur établit qu’on a continué de le rechercher même après son arrivée au Canada et qu’il est encore poursuivi. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne serait pas poursuivi contredit directement le témoignage, tenu pour crédible, du demandeur.

 

[43]           Le demandeur ajoute que la Commission s’est aussi trompée sur le caractère de la ville même de Mexico. Elle a en effet conclu que « Mexico est une destination internationale pour les touristes, ce qui crée un climat dans lequel la criminalité est combattue afin d’assurer un tourisme florissant. »

 

[44]           Selon le demandeur, cette conclusion est déraisonnable, puisque la preuve documentaire montre que les taux de criminalité sont plus élevés à Mexico que partout ailleurs au Mexique. La Commission aggrave son erreur en supposant que Mexico offre une possibilité viable de refuge intérieur parce qu’il est « une destination internationale pour les touristes », où le tourisme est « florissant ». La conclusion de la Commission selon laquelle la criminalité est combattue à Mexico parce que cette ville est une destination touristique contredit absolument la preuve documentaire.

 

[45]           En outre, toujours suivant le demandeur, la Commission a commis une erreur en omettant de démontrer en quoi Mexico offrirait une meilleure possibilité de refuge intérieur que d’autres villes mexicaines, par exemple Zapopan, où le demandeur s’était installé pour essayer d’échapper à ses persécuteurs. La Commission s’est trompée : a) en ne proposant aucun élément expliquant en quoi la situation serait le moindrement différente à Mexico qu’à n’importe quel autre endroit du Mexique et b) en omettant d’expliquer pourquoi le demandeur serait plus en sécurité à Mexico.

 

[46]           La Cour fédérale se prononce sur une erreur semblable au paragraphe 12 de Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 399, [2008] A.C.F. no 487 :

[...] la conclusion quant à une possibilité de refuge intérieur au Mexique a été tirée sans aucun fondement probatoire établissant la raison pour laquelle les conditions étaient différentes à Mexico. La conclusion quant à une possibilité de refuge intérieur a aussi été tirée sans avoir apparemment tenu compte de la preuve ci‑dessus, laquelle contredisait la conclusion de la SPR [...] Elle est donc déraisonnable.

 

 

Le risque de torture

 

 

[47]           La Commission a aussi fait une erreur en omettant d’examiner le point de savoir si, sous le régime de l’article 97 de la Loi, le demandeur se trouvait exposé au risque d’être soumis à la torture au Mexique. Selon le demandeur, la Commission aurait dû analyser cette question et formuler une conclusion à ce sujet, et elle a commis une erreur en omettant de le faire. Le demandeur ajoute que cette erreur est aggravée par le fait que des policiers l’ont menacé de leurs revolvers.

 

            Le défendeur

 

[48]           Le défendeur note d’abord que le demandeur a eu besoin d’un interprète d’espagnol à l’audition de sa demande d’asile, mais que son affidavit a été fait devant le commissaire à l’assermentation en anglais et qu’il n’était pas accompagné d’une attestation de conformité de la traduction.

 

Le demandeur ne peut invoquer l’article 96

 

[49]           La Commission a eu raison de conclure que la crainte du demandeur d’être persécuté par des trafiquants de stupéfiants, qu’il affirme être des policiers corrompus, veut tout simplement dire qu’il est la victime de criminels. Par conséquent, il n’est pas permis au demandeur d’invoquer l’article 96, puisqu’il n’y a pas de lien entre sa crainte de persécution et un motif prévu par la Convention. Comme la Cour le rappelle au paragraphe 10 de Kang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1128, [2005] A.C.F. no 1400, « [l]es victimes réelles ou potentielles de crime, de corruption ou de vendetta personnelle ne peuvent généralement pas établir un lien entre leur crainte de persécution et les motifs prévus par la Convention ». Le fait que les persécuteurs supposés du demandeur soient aussi des fonctionnaires, soutient le défendeur, n’a pas pour effet d’établir un lien entre la persécution dont il fait l’objet et un motif prévu par la Convention.

 

La preuve a été valablement prise en considération

 

[50]           Selon le défendeur, l’exposé des motifs de la Commission démontre qu’elle a pris en considération la preuve documentaire et les pièces produites par le demandeur. Par conséquent, le fait qu’elle ne se soit pas explicitement reportée à chacun des éléments de preuve dans ledit exposé n’entache pas sa décision de nullité. En effet, le tribunal administratif est présumé jusqu’à l’établissement du contraire avoir pris en considération chacun des éléments de la preuve. Voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598.

 

La protection de l’État

 

[51]           La charge pèse sur le demandeur de renverser la présomption de protection de l’État. Pour ce faire, il doit produire une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à assurer sa protection. Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74, et Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399, paragraphes 17‑19, 28 et 30.

 

[52]           Le défendeur soutient que la Commission ne s’est pas trompée en concluant qu’il incombait au demandeur de chercher protection au‑delà de la police locale. La Cour d’appel fédérale a en effet posé en principe qu’il faut épuiser les recours qu’offre son propre pays avant de demander la protection d’un autre État. Voir N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, 206 N.R. 272. Or le Mexique est pourvu d’institutions et d’organismes aussi bien politiques que judiciaires capables de protéger ses habitants. Par conséquent, le refus d’agir opposé au demandeur par certains policiers ne signifie pas nécessairement que l’État mexicain soit incapable de le protéger. Voir Kadenko, précitée.

 

[53]           De plus, les actes d’un policier unique ne dispensent pas le demandeur de son obligation de chercher ailleurs la protection de l’État. En effet, le harcèlement du demandeur par un policier unique a) ne fait pas de l’État un agent de persécution, b) ne prouve pas le refus de l’État d’assurer sa protection, ni c) ne démontre l’impossibilité pour lui de trouver protection. Voir par exemple le paragraphe 16 de la décision De Baez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 785, 236 F.T.R. 148, et le paragraphe 14 de Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1654, [2005] A.C.F. no 2107.

 

[54]           Le demandeur à la présente instance avait à sa disposition d’autres ressources, dont il n’a pas essayé de se prévaloir. Par conséquent, la Commission ne s’est pas trompée en concluant qu’il avait échoué à renverser la présomption de protection de l’État du fait qu’il avait omis de chercher aide et protection auprès des organismes en question.

 

[55]           La Cour fédérale rappelle au paragraphe 9 de Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134, [2008] A.C.F. no 82, qu’« [i]l est bien établi en droit que les personnes qui sont exposées à la catégorie de risque décrite par les demandeurs doivent tenter de se prévaloir de tels services avant de solliciter la protection à l’étranger ». La Cour d’appel fédérale a elle aussi établi que la SPR peut raisonnablement subordonner le renversement de la présomption de protection de l’État, s’agissant de demandeurs d’asile originaires du Mexique, à la condition qu’ils aient cherché de l’aide auprès des organismes d’État de ce pays. Voir Carillo, précité, paragraphes 34 et 36.

 

Le demandeur disposait d’une PRI

 

[56]           La charge pèse sur le demandeur d’établir selon la prépondérance des probabilités qu’il risque sérieusement d’être persécuté à l’endroit censé offrir une PRI et que les conditions dans cette partie du pays sont telles qu’il serait déraisonnable d’y chercher refuge. Voir Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, [2000] A.C.F. no 2118, paragraphe 15.

 

[57]           Le demandeur n’a pas démontré que la conclusion à l’existence d’une PRI à Mexico ne fût pas permise à la Commission en l’espèce. Il n’a pas non plus démontré l’existence d’un risque sérieux de persécution. Il se contente plutôt d’affirmer que les trafiquants de stupéfiants vont le rechercher où qu’il soit. La Commission a tiré la conclusion raisonnable que la cause de l’inquiétude du demandeur a disparu, puisqu’il ne travaille plus comme camionneur pour la même entreprise ou n’a plus accès aux ports.

 

[58]           Selon le défendeur, il était également loisible à la Commission de conclure comme elle l’a fait que le demandeur pouvait en toute raison s’installer ailleurs au Mexique. Le demandeur ne s’est pas acquitté de la charge de produire des éléments concluants et dignes de foi établissant que sa sécurité et sa vie seraient menacées s’il s’installait provisoirement ailleurs. La Commission, quant à elle, a conclu que le demandeur pouvait trouver un autre emploi comme camionneur et recevoir à Mexico les services thérapeutiques dont il aurait besoin.

 

ANALYSE

 

[59]           La décision attaquée soulève plusieurs problèmes, mais les questions déterminantes sont celles de la protection de l’État et de la possibilité de refuge intérieur.

 

[60]           La Commission a estimé crédibles les déclarations du demandeur comme quoi il avait demandé la protection de la police le 30 avril 2008 à Guadalajara et le 14 mai 2008 à Zapopan. Dans le premier cas, les agents avaient refusé d’établir un rapport parce que la plainte en corruption du demandeur mettait en cause un haut gradé de la police. Dans le second cas, la police avait traité le demandeur de menteur et lui avait bien fait comprendre qu’il ne pouvait attendre d’aide de sa part.

[61]           Or, malgré ces efforts déployés par le demandeur, la Commission a estimé qu’il n’avait pas suffisamment essayé d’obtenir la protection de l’État avant de venir au Canada et qu’il aurait dû demander de l’aide à divers autres organismes qui offrent leurs services aux citoyens ayant à se plaindre de fonctionnaires corrompus.

 

[62]           La Commission a tiré ses conclusions sur ce que le demandeur aurait dû faire selon elle sans tenir compte de plusieurs faits reconnus touchant la situation dans laquelle il se trouvait. Après qu’il se fut adressé à la police de Guadalajara, le demandeur a été battu par trois policiers qui lui ont dit qu’il n’aurait pas dû le faire. De plus, le 14 mai 2008, deux policiers ont voulu l’obliger sous la menace de revolvers à les aider à transporter des stupéfiants. Lorsqu’il a signalé cet incident, on l’a traité de menteur. 

 

[63]           Le demandeur s’est donc trouvé menacé de mort s’il ne collaborait pas avec les policiers corrompus, après que les services de police de deux grandes villes lui aient fait comprendre qu’ils ne l’aideraient pas.

 

[64]           Or, malgré ce danger immédiat que lui faisaient courir des policiers corrompus, la Commission aurait voulu que le demandeur misât sur la capacité protectrice des organismes de lutte contre la corruption policière.

 

[65]           Il me semble que la protection que de tels organismes peuvent offrir doit être évaluée en général en fonction de la gravité du danger couru par le demandeur. Or le demandeur à la présente espèce risquait la mort, et ce danger était pour lui immédiat. On lui avait mis un revolver sur la tempe, et la police lui avait fait comprendre qu’elle ne le protégerait pas. En fait, c’étaient des policiers qui avaient pointé leurs armes sur lui et l’avaient menacé.

 

[66]           On voit mal comment des institutions parallèles auraient pu plausiblement assurer au demandeur la moindre protection contre un danger si grave et si immédiat. Je pense que c’est à des cas de ce genre que pensait la juge Tremblay‑Lamer lorsqu’elle a conclu dans Zepeda, sur le fondement des faits de l’espèce, que les institutions parallèles n’offraient pas de protection à proprement parler, sauf preuve du contraire, et que c’était principalement à la police qu’il incombait de protéger les citoyens. Dans la présente espèce, non seulement la police ne voulait pas protéger le demandeur, mais elle était la source même du danger, qui était immédiat et mortel. La police ne s’est pas contentée de refuser d’enregistrer sa dénonciation ou de l’aider : elle l’a menacé d’arrestation et d’emprisonnement.

 

[67]           Dans une telle situation, j’estime qu’il était tout à fait déraisonnable de la part de la Commission de penser que le demandeur aurait pu parer au danger en s’adressant aux institutions parallèles qui s’occupent de la corruption des policiers et autres fonctionnaires.

 

[68]           Plutôt que de prendre acte du danger immédiat que courait le demandeur, la Commission s’est contentée de reprendre les formules habituelles sur la présomption de protection de l’État et le fait que le Mexique est une démocratie. Ainsi que le montre la jurisprudence de notre Cour, l’aptitude du Mexique à protéger ses propres habitants n’est pas invariablement reconnue. La conclusion dépend en grande partie des faits de chaque instance et de la preuve qui y est produite. Dans la présente espèce, la Commission ne me paraît pas avoir traité la question principale, qui était le danger immédiat couru par le demandeur. Comme ce danger était aussi bien mortel qu’immédiat, je ne pense pas que le recours aux institutions autres que la police fût une possibilité raisonnable. La Commission a omis d’effectuer le genre d’analyse que la juge Tremblay‑Lamer a déclaré applicable aux situations de cette nature dans Zepeda.

 

[69]           Ce problème se trouve aggravé par le fait que la Commission a passé sous silence des éléments de preuve péremptoires contredisant ses propres conclusions touchant l’aptitude de l’État mexicain à protéger ses citoyens. Voir Cepeda‑Gutierrez. Bien que la charge de renverser la présomption de protection de l’État pèse sur le demandeur, la Commission paraît ici avoir laissé de côté les éléments de preuve produits par lui concernant les dangers qu’il courait et la nature de la protection dont il avait besoin – éléments dont elle avait reconnu la crédibilité. La Cour fait observer au paragraphe 21 de Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1733, que [TRADUCTION] « le fait d’analyser la question de la protection de l’État sans avoir établi la nature de l’agent de persécution risque de tronquer l’évaluation de la demande d’asile ». À mon sens, un problème semblable se pose dans le contexte des faits de la présente espèce, où la Commission paraît s’être méprise sur l’imminence du danger couru par le demandeur et avoir négligé d’effectuer l’analyse prescrite par la décision Zepeda.

 

[70]           On constate une omission semblable dans la manière dont la Commission a traité la question de la PRI. Elle déclare estimer que le demandeur ne sera pas poursuivi au Mexique parce qu’il « ne conduit plus un camion pour la même entreprise et [que], par conséquent, il n’a pas accès aux ports, raison pour laquelle il croit qu’il était ciblé ». Elle ajoute que, « même s’il était poursuivi, et la Commission estime que cela est peu susceptible, celle-ci est d’avis que la protection de la police pourrait raisonnablement être assurée au demandeur d’asile dans le district fédéral ».

[71]           Ces conclusions, à mon avis, se fondent sur une idée fausse du danger couru par le demandeur. Ce dernier avait été battu par des policiers, qui lui avaient dit qu’il n’aurait pas dû essayer de signaler les faits de corruption policière. Des policiers lui avaient aussi ordonné de collaborer à leur trafic sous la menace d’armes à feu. Or tout ce que dit la Commission sur la PRI et la protection dans le district fédéral se fonde sur son erreur d’évaluation du danger immédiat couru par le demandeur et la source de ce danger. C’est la police qui menaçait le demandeur, lequel, en plus de refuser de mettre son camion à la disposition de policiers corrompus pour le transport de stupéfiants, avait essayé par deux fois de signaler des faits de corruption policière, pour être ensuite passé à tabac par des policiers en représailles. Qui plus est, le demandeur a produit des éléments incontestés prouvant qu’il était encore poursuivi par ses persécuteurs. Après son arrivée au Canada, des policiers à sa recherche se sont présentés chez sa mère, qui a aussi reçu des menaces par téléphone. Ces faits montrent que les policiers corrompus continuent à s’intéresser de très près au demandeur, facteur que la Commission a omis de prendre en considération.

 

[72]           En outre, la Commission semble avoir commis l’erreur relevée dans Martinez, précitée, ainsi que dans Emma Georgina Astorga Favela et al. c. Canada ( Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑174‑09, ordonnance rendue par le juge suppléant Frederick Gibson le 28 août 2009. Dans Favela, le juge Gibson, citant la décision Martinez, précitée, due à la juge Dawson, a conclu que la Commission avait commis une erreur donnant lieu à révision en définissant Mexico, Monterey et Tijuana comme des PRI viables [TRADUCTION] « malgré ce qu’avait subi la défenderesse à Guadalajara, sans citer aucun élément de preuve qui aurait pu établir que la situation dans ces trois régions métropolitaines fût qualitativement différente de celle qui caractérise Guadalajara ». Dans la présente espèce, le demandeur a été menacé par des policiers à Guadalajara et à Zapopan, soit deux grandes villes. Aucun élément de la preuve n’établit en quoi la situation à Mexico serait différente ou pourquoi le demandeur y serait plus en sécurité. Voir Martinez, précitée, paragraphe 12.

 

[73]           En outre, l’analyse de la PRI et de la protection dans le district fédéral effectuée par la Commission ne me paraît témoigner d’aucune conscience ou prise en considération de la source et du caractère immédiat du danger couru par le demandeur, en dépit de la preuve produite par lui. Par conséquent, je ne pense pas que les conclusions de la Commission sur ces questions puissent être dites raisonnables. Voir Cepeda‑Gutierrez, précitée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contrôlée est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour réexamen par un autre de ses membres.

 

2.                  Il n’est proposé aucune question à la certification.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2393‑09

 

INTITULÉ :                                                   LEONARDO MACIAS BARAJAS

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 novembre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron  M. Thomas, M.A., LL.B.

 

POUR LE DEMANDEUR

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron  M. Thomas, M.A., LL.B.

Société professionnelle

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.