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Federal Court

 

Cour fédérale

 


 

Date : 20091218

Dossier : IMM-2838-09

Référence : 2009 CF 1292

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

ANNA UKLEINA

 

demanderesse

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Anna Ivanovna Ukleina est citoyenne azerbaidjanaise. Elle est veuve, âgée de 72 ans, et elle a une fille qui vit au Canada.

 

[2]               Deux événements sont au cœur de sa demande d’asile. À titre de membre de l’Assemblée des citoyens d’Helsinki, elle a manifesté avec d’autres contre la tenue d’élections parlementaires frauduleuses. La manifestation a été violemment dispersée par la police. Elle a été battue et a dû obtenir des soins médicaux.

[3]               Six mois plus tard, en mai 2006, elle a visité à l’hôpital une victime de la violence policière. Au moment de quitter l’hôpital, elle a été accostée par deux policiers, tabassée, contrainte de monter dans une voiture de police, puis conduite au poste, où elle a été détenue durant quatre heures. Elle n’a été remise en liberté qu’après avoir été contrainte de signer un document où elle promettait de mettre fin à ses liens avec l’Assemblée des citoyens d’Helsinki.

 

[4]               Si elle devait être crue, alors il aurait fallu que la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a entendu sa demande d’asile, se demande sérieusement si elle était une réfugiée au sens de la Convention des Nations Unies qui avait une crainte fondée de persécution en Azerbaïdjan à cause de ses opinions politiques, ou bien si elle était par ailleurs une personne à protéger, deux cas envisagés par les articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[5]               Il se trouve que la SPR a conclu que la version de la demanderesse était une invention et que son désir de vivre au Canada n’était pas motivé par la crainte, mais plutôt par un désir d’avoir une vie meilleure. Il ne s’agit pas d’un motif justifiant une demande d’asile.

 

[6]               Mme Ukleina sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la SPR était déraisonnable et que la demande d’asile doit être renvoyée à une nouvelle formation de la SPR, qui rendra une nouvelle décision.

 

[7]               La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de fait, y compris aux questions de crédibilité, est celle de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339). Selon le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir et le paragraphe 59 de l’arrêt Khosa, la norme de la décision raisonnable appelle la retenue judiciaire. La Cour n’imposera pas sa propre opinion, mais examinera plutôt si la décision contestée appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[8]               Il est cependant établi de longue date que les conclusions de fait fondées sur des conjectures sont intrinsèquement déraisonnables. Celle à laquelle est arrivée la SPR dans la présente affaire relève du domaine de la conjecture. Elles n’étaient pas des déductions raisonnables tirées de faits établis.

 

[9]               Le premier élément clé de la demande d’asile est le fait que Mme Ukleina a subi des blessures au cours d’une manifestation en novembre 2005. Ainsi que l’écrivait la SPR :

 

La demandeure d’asile a déposé en preuve une note médicale[1] visant à corroborer le fait qu’elle se serait fait battre par la police au cours de la manifestation survenue en novembre 2005. Le tribunal souligne que cette note médicale n’indique pas quelle est la cause de sa blessure à la tête ni de ses éraflures et de sa blessure au coude droit et il conclut, selon la prépondérance des probabilités, que cette note a été fabriquée dans le but d’embellir sa demande d’asile. Le tribunal n’accorde aucun poids à cet élément de preuve.

 

 

[10]           Sur quel fondement la SPR a-t-elle décidé qu’un rapport médical de l’Azerbaïdjan devrait mentionner la cause des blessures? Rien ne permet de présumer que les blessures sont survenues en la présence du médecin. D’innombrables raisons pourraient expliquer l’origine des blessures subies par Mme Ukleina. L’absence d’énoncé aurait constitué une déposition sur la foi d’autrui, qui, de toute façon, ne saurait autoriser la conclusion selon laquelle le rapport médical est un faux.

 

[11]           S’agissant maintenant de la visite de Mme Ukleina à l’hôpital en mai 2006, la SPR s’est exprimée ainsi :

 

À la question de savoir comment la police pouvait savoir à qui elle allait rendre visite à l’hôpital, la demandeure d’asile a répondu qu’elle en avait conclu que la police la suivait. Lorsqu’elle s’est vu demander pourquoi la police la suivait, la demandeure d’asile n’avait aucune explication raisonnable à donner, sauf que c’était ce qu’elle avait fini par conclure après sa détention et après que la police eut affirmé qu’elle s’opposait au gouvernement. Le tribunal estime non crédible, selon la prépondérance des probabilités, le fait que la demandeure d’asile aurait eu l’autorisation de rendre visite au patient puisque, selon son témoignage, elle ne le connaissait pas et qu’il était gravement blessé, d’autant plus que son cas avait été médiatisé et que le gouvernement s’y intéressait. Il serait raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, de s’attendre à ce que les policiers aient empêché la demandeure d’asile de rendre visite à la victime, s’ils la suivaient et s’opposaient à cette visite. Le tribunal estime que cet élément de preuve n’est ni digne de foi ni crédible.

 

 

[12]           Il est dangereux de poser une question du genre de celle-ci : pourquoi croyez-vous que telle ou telle personne savait telle chose? C’est un appel à des suppositions. Le témoignage de Mme Ukleina a été très clair. Elle ne savait pas pourquoi la police savait qu’elle se trouvait à l’hôpital. Elle a été invitée à faire des suppositions, et c’est ce qu’elle a fait. Elle a supposé qu’on l’avait sans doute suivi. Elle aurait pu également supposer que la personne hospitalisée était surveillée par la police. La SPR a ensuite ajouté à cette supposition en en ajoutant une autre de son cru. Si elle était suivie par la police, pourquoi alors aurait-elle était autorisée à entrer dans la chambre d’hôpital?

 

[13]           La SPR n’était absolument pas autorisée à conclure que le témoignage de Mme Ukleina n’était pas digne de foi.

 

[14]           La distinction entre une supposition et une inférence est très importante. Ainsi que l’écrivait lord Macmillan dans l’arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 38 (H.L.), à la page 45 :

[traduction]

La ligne de démarcation entre une supposition et une inférence est souvent très difficile à tracer. Une supposition peut être vraisemblable, mais elle n’a aucune valeur juridique, car il s’agit essentiellement d’une intuition. En revanche, une inférence, au sens juridique, est une déduction tirée de la preuve, et, si c’est une déduction raisonnable, elle pourrait être valide juridiquement.

 

[15]           On pourrait formuler plusieurs autres critiques à l’encontre de la décision de la SPR, qui s’est livrée à un examen microscopique de points accessoires, mais, vu ce qui précède, il n’est pas nécessaire de le faire.

 

[16]           Le désir de Mme Ukleina de vivre auprès de sa fille n’exclut pas la possibilité qu’elle soit également une réfugiée. Si elle craint la persécution en Azerbaïdjan, ne préférerait-elle pas vivre auprès d’un membre de sa famille plutôt que dans un pays où elle ne connaît personne?


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS, LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée. L’affaire est renvoyée à une nouvelle formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, pour nouvelle décision. Il n’y a aucune question sérieuse à certifier.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2838-09

 

INTITULÉ :                                       ANNA UKLEINA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 DÉCEMBRE 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 18 DÉCEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

JACK DAVIS

 

POUR LA DEMANDERESSE

ADA MOK

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]           Pièce C-2, p. 9.

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