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Date : 20091217

Dossier : T -1431-09

Référence : 2009 CF 1286

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

WARREN MCDOUGALL

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Par voie de requête présentée par écrit le 12 novembre 2009, le demandeur, Warren McDougall, interjette appel de l’ordonnance du 3 novembre 2009 du protonotaire Lafrenière portant rejet des demandes suivantes formulées par le demandeur :

 a) de procéder avec dispense des frais en vertu de l’article 19 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »);

 

b) de recevoir tous les éléments matériels indiqués dans l’avis de requête présenté en vertu de l’article 317 des Règles.

 

[2]               Le demandeur est incarcéré dans un pénitencier fédéral.

 

[3]               Le 26 août 2009, le demandeur a délivré un avis de demande pour solliciter le contrôle judiciaire de la décision rendue au troisième palier d’examen du grief par le sous-commissaire principal (le « SCP ») du Service correctionnel du Canada (le « SCC ») le 2 juin 2009.

 

[4]               Le demandeur soutient que sa demande de contrôle judiciaire vise non seulement le contrôle de la décision rendue au troisième palier d’examen du grief par le SCP le 2 juin 2009, mais aussi l’obtention d’une ordonnance par certiorari annulant le « Bulletin de sécurité » de la Division des opérations et de la sécurité de l’administration centrale du SCC envoyé au personnel le 30 juin 2008 pour préciser les procédures relatives au nouvel ordre permanent (OP) no 770 de l’établissement concernant la visite de détenus.

 

[5]               L’avis de requête comportait notamment la demande d’éléments matériels, en vertu du paragraphe 317(2) des Règles. En plus du dossier des procédures devant le SCP, que le demandeur a reçu le 16 septembre 2009, le demandeur sollicite les éléments matériels suivants :

a)      les renseignements sur l’identité des visiteurs qui visitent plus d’un détenu ou plus d’un pénitencier en tant que source de préoccupation quant à l’introduction de drogues dans les pénitenciers fédéraux, y compris tout élément de preuve qui étaye ou corrobore prétendument les renseignements et tout élément de preuve permettant de croire que les familles présentent un risque moins élevé que les amis et d’autres personnes en dehors du pénitencier;

 

b)      les procès-verbaux des réunions du comité consultatif des visiteurs de Matsqui, dans lesquels Noelle Anderson figure au dossier en tant que membre active;

 

c)      le dossier des visites du demandeur concernant Noelle Anderson et Ralna Burridge.

 

Décision faisant l’objet du pourvoi

 

[6]               Le protonotaire Lafrenière a conclu dans son ordonnance du 3 novembre 2009 qu’il n’y avait pas suffisamment de faits pour démontrer les circonstances exceptionnelles nécessaires pour être dispensé du paiement des droits de dépôt : Pearson c. Canada, [2000] A.C.F. no 1444, (2000), 195 F.T.R. 31. Reconnaissant que les moyens financiers du demandeur sont manifestement limités, le protonotaire a conclu qu’il n’est pas indigent. Le demandeur ayant admis qu’il pouvait payer les droits de dépôt modestes pour demander une audience au besoin, le protonotaire a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’accueillir la demande de procéder avec dispense des frais.

 

[7]               En ce qui concerne les éléments matériels sollicités par le demandeur dans son avis de requête, le protonotaire Lafrenière a indiqué que le demandeur doit d’abord établir que les éléments matériels sont pertinents quant à la requête pour qu’une réparation lui soit accordée en vertu de l’article 318 des Règles. En examinant les éléments matériels sollicités par le demandeur, décrits précédemment au paragraphe 5, le protonotaire a souligné que le demandeur conteste la décision rendue au troisième palier d’examen du grief par le SCP le 2 juin 2009 par laquelle le grief du demandeur a été rejeté.

 

[8]               Le protonotaire Lafrenière a décidé que le demandeur n’avait pas établi que le SCP était saisi des documents sollicités lorsqu’il a rejeté le grief du demandeur. Il est mentionné dans l’ordonnance que la requête en transmission de documents devrait être rejetée pour ce seul motif.

 

[9]                De plus, il a été décidé que le demandeur n’avait pas établi que les documents sollicités sont pertinents quant aux questions soulevées dans le cadre de la requête.

 

[10]           Enfin, il est déclaré dans l’ordonnance du protonotaire Lafrenière que l’article 318 des Règles n’est pas destiné à permettre l’examen préalable de tous les documents susceptibles d’être en la possession du SCC.

 

 

Question en litige

 

[11]           Le présent pourvoi soulève la question de savoir si le protonotaire Lafrenière a commis une erreur en rejetant les deux demandes formulées par le demandeur, soit celles : a) de procéder avec dispense des frais, et b) de recevoir tous les éléments matériels indiqués dans l’avis de requête.

 

Norme de contrôle

 

[12]           La norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d’un protonotaire a été établie par la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), [1993] A.C.F. no 103, et a reçu l’approbation de la Cour suprême du Canada dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, [2003] A.C.S. no 23, au paragraphe 18 :

Le juge des requêtes ne doit modifier l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire que dans les cas suivants : a) l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits, ou b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond […].

 

[13]           Le critère du jugement Aqua-Gem a été reformulé dans Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 CF 459, (2003), 315 N.R. 175, [2003] A.C.F. no 1925, en ces termes :

 

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir, sauf dans les deux cas suivants :

 

            a)         l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal;

 

            b)         l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

Discussion

 

[14]           La question finale dont notre Cour est saisie dans le cadre du présent contrôle judiciaire concerne l’application par le SCP de la politique de visite établie dans l’OP no 770 concernant la visite de détenus. La question de savoir si le demandeur est indigent, ou s’il peut procéder avec dispense des frais, n’a pas d’influence déterminante sur cette question.

 

[15]           En outre, il n’y a aucun motif en l’espèce de déroger au principe général selon lequel une requête en vue d’une ordonnance de transmission de documents n’est pas une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal : Gaudes c. Canada (Procureur général), 2005 CF 351, [2005] A.C.F. no 434, au paragraphe 8; Deer Lake Regional Airport Authority Inc. v. Canada (Attorney General), 2008 CF 1281, [2008] A.C.F. no 1707, au paragraphe 37.

 

[16]           Le demandeur cherche à contester ce qui suit dans sa demande de contrôle judiciaire : (1) l’application de la politique liée à l’OP no 770 à sa liste de visiteurs approuvée et (2) la mise en œuvre de cette politique par le SCC. Étant donné que rien ne prouve que le SCP était saisi des documents sollicités, je conclus qu’il ne s’agit pas d’une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal et que l’évaluation de l’ordonnance du protonotaire doit donc chercher à savoir si elle est entachée d’erreur flagrante : Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., précité.

 

[17]           Notre Cour ne doit intervenir à l’égard de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière que si elle décide qu’il a commis une [traduction] « erreur flagrante » parce qu’il a fondé sa décision sur un mauvais principe juridique ou sur une mauvaise appréciation des faits et, dans ce cas, seulement si la Cour en arrive à une autre conclusion sur les faits et le droit après un nouvel examen des éléments de preuve.

 

 

[18]           Le nouvel examen se limite aux éléments de preuve dont le protonotaire était saisi. Le défendeur s’est opposé à juste titre à la production dans le dossier de demande du demandeur d’un élément de preuve supplémentaire. Ce nouvel élément de preuve, qui ne sera pas admis, consiste en l’affidavit fait sous serment par le demandeur le 12 novembre 2009. Étant donné que le protonotaire Lafrenière n’était pas saisi de cet affidavit, je ne peux pas l’examiner pour parvenir à une décision : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2003 CF 1229, [2003] A.C.F. no 1551, au paragraphe 10. Ce que j’examinerai est l’affidavit du demandeur déposé à l’appui de la requête initiale.

 

[19]           Je ne partage pas le point de vue exprimé par le demandeur selon lequel le protonotaire a mal apprécié les faits parce qu’il a fondé sa décision sur la croyance erronée selon laquelle le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la seule décision du 2 juin 2009 concernant le grief. À la lecture du premier paragraphe de la page 3 de l’ordonnance, il est évident que le protonotaire savait que le demandeur contestait le grief dont le SCP était saisi et qu’il s’opposait aussi à la mise en œuvre et à l’application d’une politique du SCC imposant des limites à la visite de détenus.

 

[20]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’ordonnance du protonotaire portant rejet de la demande d’autorisation du demandeur de procéder avec dispense des frais n’est pas entachée d’erreur flagrante. Je tiens à souligner que le dossier indique que, bien que M. McDougall soit un détenu, il a des ressources financières limitées, mais peut payer des dépenses mensuelles liées notamment à des services de câblodistribution, à des frais de scolarité et à des services de téléphonie et pourrait vendre certains de ses tableaux pour gagner un peu d’argent afin de payer les présentes procédures. Reconnaissant que le demandeur dispose de fonds limités, je ne peux conclure que le protonotaire a commis une erreur flagrante lorsqu’il a aussi souligné que le demandeur pouvait payer les droits de dépôt modestes pour demander une audience selon son propre témoignage : Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., précité.

 

 

[21]           Là encore, je conclus que le protonotaire n’a commis d’erreur flagrante lorsqu’il a conclu que les documents sollicités sont sans pertinence. Le protonotaire savait que le demandeur s’oppose à la mise en œuvre et à l’application de la politique du SCC imposant des limites à la visite de détenus. Le protonotaire Lafrenière a conclu que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer que les documents du dossier certifié du tribunal, en vertu de l’article 317 des Règles, n’étaient pas complets. En l’absence de preuve contraire, il n’y a aucun motif pour que notre Cour puisse conclure qu’il a eu manifestement tort de conclure que le dossier certifié du tribunal qui a été fourni était complet et suffisant.

 

[22]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur sollicite des documents afin de démontrer que l’OP no 770 (limitant la visite de détenus) est une politique injuste. L’équité procédurale au sens juridique ne vise toutefois pas l’équité d’une politique. L’équité procédurale concerne plutôt le franc‑jeu dans le processus décisionnel : Uniboard Surfaces Inc. c. Kronotex Fussboden GmbH et Co. KG., 2006 CAF 398, [2006] A.C.F. no 1837, au paragraphe 7. Là encore, je ne peux conclure que le protonotaire a commis une erreur flagrante lorsqu’il a conclu que les documents, qui portent sur la politique du SCC, ne sont pas pertinents quant au manque d’équité procédurale allégué dans l’avis de demande.

 

[23]           Rien ne prouve que le SCP était saisi des documents sollicités lorsqu’il a rejeté le grief du demandeur.

 

[24]           La demande de documents formulée par le demandeur est assimilable à l’examen préalable de documents. Ce n’est pas l’objet d’une demande fondée sur l’article 317 des Règles. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les articles 317 et 318 des Règles ont pour objet de limiter la transmission de documents à ceux dont le décideur était saisi lorsqu’il a pris la décision et qui ne sont pas en la possession de l’auteur de la demande : 1185740 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du revenu national), 1998 CanLII 7910 (CF), (1999), 247 N.R. 287, [1999] A.C.F. no 1432.

 

[25]           Cette démarche est conforme au caractère sommaire du contrôle judiciaire. Je conclus que le protonotaire a appliqué correctement les principes ci-dessus liés à l’article 317 des Règles dans son ordonnance : Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, [2007] A.C.F. no 814, aux paragraphes 20 et 21; Beno c. Létourneau, (1997), 130 F.T.R. 183, [1997] A.C.F. no 535, aux paragraphes 15 et 17.

 

[26]           Le défendeur sollicite une ordonnance rejetant l’appel du demandeur avec dépens. Bien que les dépens suivent normalement l’issue de la cause, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire de ne pas en adjuger. Je tiens compte du fait que le demandeur est incarcéré dans un pénitencier fédéral et que ses ressources financières sont limitées.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR REND L’ORDONNANCE SUIVANTE :

1.      L’appel du demandeur est rejeté.

2.      Les parties assumeront leurs propres dépens.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T -1431-09

 

INTITULÉ :                                       WARREN McDOUGALL

 

                                                            et

 

                                                            CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 décembre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren McDougall

 

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

Me Charmaine de los Reyes

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WARREN McDOUGALL

a/s Ferndale Institution

Mission (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

Me JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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