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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091216

Dossier : T‑300‑09

Référence : 2009 CF 1278

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2009

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

RHEA TAIT

demanderesse

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]         La demanderesse, Rhea Tait, a demandé des prestations d’invalidité et obtenu une décision favorable d’un tribunal de révision (le Tribunal) nommé en vertu du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 (la Loi). Le défendeur a demandé une prorogation de délai de 17 jours afin de solliciter la permission d’interjeter appel de la décision du Tribunal. Le 18 août 2008, un membre de la Commission d’appel des pensions (CAP) a fait droit à la demande de prorogation de délai et de permission d’interjeter appel (la décision de la CAP). La demanderesse conteste cette décision au moyen de la présente demande de contrôle judiciaire. Cependant, elle s’oppose uniquement à l’octroi de la prorogation de délai.

 

[2]         La demanderesse n’était pas représentée par avocat dans la présente demande.

 

LES FAITS

 

[3]         La demanderesse est âgée de 53 ans et vit à Welland, en Ontario, où elle conduit un autobus scolaire environ deux heures par jour.

 

[4]         La demanderesse a des problèmes au genou gauche depuis 1986. En 2002, elle a commencé à avoir du mal à respirer et à souffrir d’infections pulmonaires récurrentes. Selon le diagnostic qu’elle a reçu, la demanderesse souffre de fibrose pulmonaire et d’arthrose, en plus d’avoir un genou gauche instable.

 

[5]         La demanderesse a présenté pour la première fois une demande de prestations d’invalidité fondée sur le du Régime de pensions du Canada (RPC)le 22 février 2006, mais sa demande a été refusée.

 

[6]         La demanderesse a sollicité la révision de la décision portant refus de sa demande de prestations, mais sa demande de révision a aussi été refusée. Elle a ensuite interjeté appel devant le Tribunal. Dans une décision datée du 17 mars 2008, le Tribunal a accueilli la demande de la demanderesse, concluant que cette dernière était réputée être devenue invalide en novembre 2004, et a ordonné que des paiements lui soient versés rétroactivement à compter de mars 2005 (la décision du Tribunal).

 

[7]         Cependant, il semble que, selon le sous‑alinéa 44(1)b)(i) de la Loi, la demanderesse n’était pas admissible à toucher des prestations d’invalidité à cette date, parce qu’elle n’avait pas satisfait au critère de la période minimale d’admissibilité (PMA) dont la définition figure au paragraphe 44(2) de la Loi. La demanderesse n’avait pas versé de cotisations au RPC pendant au moins quatre des six années civiles précédant la date présumée de son invalidité. Cette erreur du Tribunal est ci‑après appelée « erreur relative à la PMA ».

 

[8]         Les faits suivants, qui concernent les mesures que le défendeur a prises après avoir reçu la décision du Tribunal, sont tirés de l’affidavit de Sheryl Bell souscrit le 10 juillet 2008 (l’affidavit de Bell). Sheryl Bell est une évaluatrice médicale à l’emploi de la Division de l’expertise médicale (DEM) du défendeur. Il appartient à la DEM de décider s’il y a lieu d’interjeter appel des décisions rendues par le Tribunal.

 

[9]         La décision du Tribunal dont il est question en l’espèce a d’abord été reçue par le bureau régional du défendeur à Chatham, en Ontario, le 26 mars 2008. Le bureau régional de Chatham l’a acheminée à la DEM à Ottawa, le 7 avril 2008. La DEM n’a pas remarqué l’erreur relative à la PMA et a donc décidé de ne pas interjeter appel de la décision du Tribunal. En conséquence, le 24 avril 2008, la DEM a retourné le dossier de la demanderesse au bureau régional de Chatham à des fins de traitement.

 

[10]           Le 12 juin 2008, le bureau régional a fait savoir à Sheryl Bell, par téléphone et par courriel, que son système informatique était incapable de traiter le paiement de la demanderesse, parce que celle‑ci n’avait pas satisfait aux exigences relatives à la PMA qui sont énoncées dans la Loi.

 

[11]           Dans le même courriel, le bureau régional a donné à Mme Bell l’avertissement suivant : [traduction] « Notre délai d’appel est presque expiré ». Tel qu’il est précisé ci‑dessous, ce fait n’est pas mentionné dans l’affidavit de Bell.

 

[12]           Le 20 juin 2008, Sheryl Bell a joint un cadre supérieur de Règlements et appels du programme de prestations d’invalidité du RPC afin de lui faire part de ce problème. Le même jour, selon l’affidavit de Bell, le cadre supérieur a communiqué avec le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision et demandé au Tribunal de « modifier » sa décision. Lorsque le Tribunal a refusé, le défendeur a décidé de solliciter la permission d’interjeter appel de la décision du Tribunal.

 

[13]           Selon le paragraphe 83(1) de la Loi, le ministre peut demander la permission d’interjeter appel d’une décision du Tribunal de révision dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle la décision lui est communiquée. Dans la présente affaire, le bureau régional du défendeur à Chatham (Ontario) a reçu la décision du Tribunal le 26 mars 2008. En conséquence, le délai d’appel a expiré 90 jours plus tard, soit le 24 juin 2008.

 

[14]           Le défendeur a présenté sa demande d’autorisation d’interjeter appel et sa demande de prorogation de délai le 11 juillet 2008, soit 17 jours après l’expiration du délai d’appel.

 

[15]           Le défendeur a invoqué les motifs suivants au soutien de son appel :

1.      L’erreur relative à la PMA;

2.      La conclusion du Tribunal selon laquelle la demanderesse était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, étant donné qu’elle est en mesure de conduire un autobus scolaire à temps partiel;

3.      L’effet de la décision du Tribunal, laquelle signifiait que la demanderesse pouvait à la fois être cotisant et prestataire du RPC, ce qui était contraire à la Loi.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Gattellaro, 2005 CF 883, madame la juge Judith Snider a reconnu que, pour décider s’il y a lieu d’accorder une prorogation du délai prévu pour demander l’autorisation d’interjeter appel devant la CAP, il faut tenir compte des quatre critères suivants :

1.      Il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;

2.      La cause est défendable;

3.      Le retard a été raisonnablement expliqué;

4.      La prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

 

[17]           Le membre de la CAP a examiné la décision de madame la juge Snider et a conclu que les quatre critères avaient été respectés en l’espèce.

 

[18]           Au cours de l’audience, la demanderesse a reconnu qu’elle n’avait subi aucun préjudice. Elle a également convenu que le Tribunal avait commis une erreur dans le traitement de la PMA qui s’appliquait à elle et qu’elle n’avait pas droit à des paiements depuis mars 2005. Cela signifie que le défendeur a une cause défendable aux fins d’un appel devant la CAP.

 

[19]           En conséquence, les seules questions à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire concernent l’existence d’une intention persistante de poursuivre l’appel et le caractère raisonnable de l’explication que le défendeur a invoquée au sujet de son retard.

 

ANALYSE

 

[20]           Voici les commentaires que la CAP a formulés au sujet des questions en litige en l’espèce :

[traduction]

J’ai examiné l’affidavit de Sheryl Bell souscrit le 10 juillet 2008 et je reconnais que le ministre avait une intention persistante de poursuivre l’appel et que le retard lié au dépôt de l’appel était imputable à une erreur administrative quant à la date d’expiration du délai d’appel de 90 jours.

 

[21]           L’affidavit de Bell comportait les renseignements suivants au sujet des questions en litige :

[traduction]

Malheureusement, j’ai cru que le [défendeur] avait jusqu’au 7 juillet 2008, soit 90 jours après le 7 avril 2008, date à laquelle la décision a été communiquée à la DEM, pour demander l’autorisation d’interjeter appel. J’ai appris que la décision du Tribunal de révision datée du 17 mars 2008 a été reçue au bureau régional du défendeur à Chatham le 26 mars 2008, soit la date à laquelle le délai d’appel de 90 jours a commencé à courir [. . .]

 

Le ministre a l’intention de demander l’autorisation d’interjeter appel depuis qu’il a été mis au courant du refus [par le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision] de corriger et de modifier la décision du Tribunal de révision datée du 17 mars 2008.

 

 

Y avait‑il une intention persistante de poursuivre l’appel?

 

[22]           Au cours du délai d’appel, le défendeur a d’abord décidé de ne pas interjeter appel, puis s’est ravisé lorsque l’erreur relative à la PMA a été découverte. Selon la demanderesse, cette conduite démontre que le défendeur n’avait pas une intention persistante de poursuivre l’appel. Cependant, si je souscrivais à la thèse de la demanderesse, les parties n’auraient pas la possibilité d’utiliser la totalité du délai d’appel de 90 jours pour arriver à une décision finale au sujet de l’appel. À mon avis, le critère de l’existence d’une intention persistante de poursuivre l’appel signifie qu’une décision finale d’interjeter appel doit être prise au cours du délai d’appel et demeurer inchangée à compter de cette date jusqu’à celle à laquelle une prorogation est sollicitée.

 

[23]           Il appert clairement de la preuve que le défendeur a pris la décision finale de demander la permission d’interjeter appel le 20 juin 2008, avant la date à laquelle le délai d’appel de 90 jours a expiré, soit le 24 juin 2008. Bien que le défendeur n’ait pris sa décision que vers la fin du délai d’appel, il avait le droit de le faire et il est indéniable que l’intention d’interjeter appel a persisté par la suite.

 

Le retard a‑t‑il été raisonnablement expliqué?

 

[24]           Au cours de son témoignage, Mme Bell a affirmé ignorer que le délai d’appel de 90 jours avait commencé à courir à compter de la date de réception par le défendeur de la décision du Tribunal au bureau régional de Chatham. Cependant, eu égard aux faits qui suivent, je doute sérieusement de la crédibilité de son explication.

1.      La DEM est la division responsable du comité qui est chargé de décider s’il y a lieu de demander ou non la permission d’interjeter appel des décisions du Tribunal. En conséquence, il n’est pas raisonnable de penser que la DEM ignorerait comment calculer le délai d’appel.

2.      Sheryl Bell travaillait à la DEM depuis 1993 et comptait quinze ans d’expérience lors de la période pertinente. Dans ces circonstances, je ne puis admettre qu’elle n’a pas compris que le délai d’appel avait commencé à courir dès la date de réception de la décision du Tribunal par le défendeur.

3.      Sheryl Bell a mentionné dans son affidavit que le bureau régional de Chatham avait communiqué avec elle le 12 juin 2008 pour l’informer de l’erreur relative à la PMA. Cependant, comme je l’ai signalé plus haut, elle a omis de mentionner la troisième ligne du courriel qu’elle avait reçu ce jour‑là, selon laquelle [traduction] « Notre délai d’appel est presque expiré ». Elle a dit qu’elle pensait que le délai d’appel expirait le 7 juillet 2008. Nous savons maintenant qu’elle a cru que c’était le cas malgré un avertissement. En raison de l’avertissement, cette opinion semble moins raisonnable et l’omission de sa part de dévoiler l’avertissement m’incite à douter encore davantage de sa crédibilité.

 

[25]           J’arrive donc à la conclusion qu’il était déraisonnable de la part du membre de la CAP d’accepter l’explication que Sheryl Bell a donnée au sujet du retard.

 

[26]           Je passe maintenant à la façon de trancher la présente demande.

 

[27]           Dans Canada (Procureur général) c Blondahl, 2009 CF 118, madame la juge Johanne Gauthier a examiné les quatre critères formulés par madame la juge Snider avait dans Gattellaro et a déclaré ce qui suit :

Je porte mon attention sur une autre question. Il est maintenant clair que, en définitive, le critère à quatre volets sert à satisfaire à l’exigence sous‑jacente ‑ et le procureur général en convient ‑, à savoir veiller à ce que justice soit faite entre les parties (voir le paragraphe 33 de l’arrêt Hogervorst et le paragraphe 34 de l’arrêt Pentney). Une prorogation de délai peut donc être accordée même si le demandeur ne satisfait pas à l’un des volets du critère.

 

[28]           Si la décision du Tribunal était confirmée, la demanderesse recevrait des paiements auxquels elle n’a pas droit. De plus, je souligne que le défendeur n’avait que 17 jours de retard et que trois des quatre critères énoncés dans Guattellaro ont été respectés.

 

[29]           En conséquence, eu égard à l’ensemble des circonstances, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, mais sans frais.

 


JUGEMENT

 

Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑300‑09

 

INTITULÉ :                                      RHEA TAIT c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 11 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           MADAME LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 16 DÉCEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rhea Tait

Welland (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Dale L. Noseworthy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rhea Tait

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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