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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date: 20091215

Dossier: IMM-2250-09

Référence: 2009 CF 1275

Ottawa, Ontario, le 15 décembre 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE:

JUAN MANUEL BECERRA GARCIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (« SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le 9 avril 2009, le commissaire Normand Leduc a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que ce dernier n’était pas crédible.

 

[2]               Bien que la décision contestée soit peu étayée et même ambiguë à certains égards, j’estime que le demandeur n’a pas réussi à démontrer que les conclusions du commissaire sont déraisonnables. Voici mes motifs pour en arriver à cette évaluation.

I.          Les faits

[3]               Le demandeur est citoyen mexicain. Il allègue avoir été engagé comme garde du corps par une dame nommée Aguede Jaimes Nava en juin 2005. Cette dernière faisait affaire avec différents policiers, notamment Mr. Romero Romero, commissaire de la police fédérale préventive, et M. Martinez Ayala, commandant en chef des investigations de la police judiciaire de l’État de Mexico.

 

[4]               Le 17 novembre 2006, le demandeur se serait rendu compte que sa patronne tenait une maison où des jeunes filles qui avaient été kidnappées étaient forcées de se prostituer. L’une d’elles lui aurait révélé que c’est une femme appelé « Tia » (tante) qui était derrière ces activités, avec l’aide d’agents de police. C’est alors que le demandeur aurait réalisé qu’il devait s’agir de sa patronne, puisque c’est ainsi qu’on la surnommait, ainsi que des agents Romero et Ayala.

 

[5]               Le lendemain, le demandeur dit avoir avisé sa patronne qu’il ne souhaitait plus travailler pour elle étant donné ce qu’il avait découvert. Mme Nava l’aurait alors menacé et intimé l’ordre de garder le silence sur ce qu’il savait, sans quoi ses amis policiers s’occuperaient de lui.

 

[6]               Le 21 novembre, le demandeur aurait été maltraité et menacé par une patrouille de la Police préventive fédérale, qui l’aurait de nouveau averti de ne rien dire de ce qu’il avait appris. Le lendemain, le demandeur dit avoir tenté de loger une accusation au Ministère public fédéral avec l’aide d’un avocat. On lui aurait promis de faire enquête, en lui disant de revenir plus tard pour obtenir copie de sa dénonciation. Il n’a jamais obtenu copie de cette dénonciation par la suite.

 

[7]               Le demandeur prétend être allé se réfugier chez une amie de sa tante, à Acambaro. Quelques jours plus tard, le 24 novembre 2009, des policiers auraient tenté de le retrouver chez sa mère en lui reprochant d’avoir porté de fausses accusations. Le 2 janvier 2007, une patrouille de la Police préventive fédérale l’aurait retrouvé à Acambaro et l’aurait pourchassé et de nouveau menacé.

 

[8]               Le demandeur dit avoir de nouveau tenté de déposer une dénonciation au Ministère public avec l’aide d’un autre avocat. Devant le peu d’intérêt manifesté par l’agent à qui il a fait son récit, le demandeur se serait enfui le 3 janvier 2007 pour se rendre dans une autre ville plus éloignée de Mexico (Mochis). Le 14 mars 2007, deux individus auraient de nouveau tenté de l’atteindre avec des coups de feu.

 

[9]               Suite à cet incident, le demandeur aurait de nouveau porté plainte auprès du Ministère public. L’agent lui aurait demandé de l’argent pour accélérer le traitement de sa plainte, et aurait encore une fois refusé de lui donner copie de sa dénonciation.

 

[10]           Ne se sentant plus en sécurité, le demandeur a quitté le Mexique en direction de Montréal le 27 mars 2007, et y a revendiqué l’asile le 3 avril 2007.

 

II.         La décision contestée

[11]           La décision du commissaire, qui tient en trois pages, porte essentiellement sur l’absence de crédibilité du demandeur. Le commissaire note tout d’abord que le demandeur a indiqué lors de son témoignage avoir été informé de la participation des policiers Romero et Ayala aux activités de sa patronne par l’une des victimes séquestrées, une information qui n’apparaît pas dans son Formulaire de renseignements personnels à la question 31. Aux yeux du commissaire, cette omission était importante : non seulement le demandeur avait-il révélé dans son FRP avoir été mis au fait de la responsabilité de sa patronne par l’une des victimes, mais au surplus, l’implication des policiers était cruciale pour justifier l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de se réfugier ailleurs dans le pays ou d’obtenir la protection des autorités mexicaines.

 

[12]           Le commissaire a, d’autre part, relevé l’absence de copies des plaintes déposées par le demandeur et les contradictions dans les explications fournies par le demandeur pour justifier cette lacune. Quant à la plainte de novembre 2006, le demandeur a d’abord affirmé que son avocat mexicain n’avait pu obtenir une copie de la dénonciation parce qu’on lui aurait dit que l’enquête était terminée. Il a ensuite allégué que le même avocat aurait exigé une somme trop élevée pour lui procurer copie de la plainte. Enfin, le demandeur a soutenu que sa mère, sans avoir reçu une procuration de son fils, avait tenté sans succès d’obtenir copie de la plainte.

 

[13]           S’agissant de la plainte du 14 mars 2007, le demandeur a de nouveau prétendu que l’agent ayant reçu sa plainte lui aurait demandé de l’argent pour en obtenir une copie. Pourtant, le demandeur n’aurait pas dénoncé cette demande à qui que ce soit, et n’a fait aucune démarche subséquente pour se faire remettre une copie de sa plainte. Au surplus, le commissaire a estimé que le récit du demandeur n’était pas plausible, compte tenu de la preuve documentaire indiquant qu’un plaignant peut obtenir copie de sa plainte et dénoncer un fonctionnaire qui contreviendrait à cette règle. Confronté à cette preuve, le demandeur n’a pu que soutenir que la situation réelle au Mexique était bien différente de ce que l’on retrouve dans la preuve documentaire.

 

[14]           Enfin, le commissaire a reproché au demandeur de ne pas avoir porté plainte à une instance supérieure, telle que le Bureau du Procureur général de la République. Le demandeur a expliqué avoir choisi de déposer sa plainte au Ministère public sur la recommandation de ses avocats. Pourtant, il n’a pu expliquer comment il avait pu déposer au moins deux plaintes au Ministère public alors qu’il affirme ne pas faire confiance à cette instance.

 

III.       Question en litige

[15]           La seule question en litige dans le présent dossier consiste à déterminer si la SPR a erré dans son évaluation de la crédibilité du demandeur.

 

IV.       Analyse

[16]           Il est de jurisprudence constante que des conclusions de crédibilité s’apparentent à des questions de fait, et doivent faire l’objet d’une grande déférence dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Ayant eu l’avantage de voir et d’entendre le demandeur, la SPR est mieux placée que cette Cour pour évaluer son comportement et se faire une idée de la valeur de ses explications. Ce n’est que dans la mesure où les conclusions de la SPR sont arbitraires, dénuées de tout fondement ou tirées de mauvaise foi que cette Cour acceptera d’intervenir : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12.

 

[17]           Compte tenu de cette norme de contrôle, la question à laquelle cette Cour doit répondre n’est pas tant celle de savoir si elle en serait venue à la même conclusion que le commissaire, mais plutôt de déterminer si la conclusion du commissaire est justifiée au regard de la preuve et si elle fait partie des issues possibles et acceptables.

 

[18]           Une lecture attentive de la transcription révèle que le commissaire était en droit de se questionner à propos des révélations qu’aurait faite une des victimes au demandeur sur l’identité des personnes responsables de la maison dans laquelle était détenu les jeunes filles exploitées à des fins de prostitution. Lors de l’audition, le demandeur a dit que les noms des deux policiers lui avaient été révélés par la jeune victime de sa patronne, alors que dans son FRP, il avait plutôt écrit que les responsables avaient été identifiés comme étant sa patronne et des policiers. Bien que cet écart entre ses deux versions ne soit peut-être pas fatal, à lui seul, le commissaire pouvait néanmoins y voir un élément entachant la crédibilité du demandeur, d’autant plus qu’il s’agissait clairement d’un aspect central de sa revendication.

 

[19]           Le commissaire était également fondé de s’interroger à propos des diverses explications fournies par le demandeur quant à l’absence de toute preuve corroborant les dénonciations qu’il aurait déposées au ministère public. Une lecture attentive de la transcription révèle en effet que le demandeur a changé sa version des faits à plusieurs reprises. Dans la même veine, le commissaire pouvait raisonnablement douter de l’explication donnée par le demandeur pour ne pas se plaindre auprès du Procureur général de la République ou à l’Agence fédérale d’enquêtes plutôt qu’au ministère public, de qui relevait directement les policiers incriminés. Il est vrai que le demandeur n’avait pas l’obligation de s’adresser à des organismes voués à la protection des droits de la personne. Mais il n’était pas dispensé de porter plainte auprès des autorités supérieures mexicaines habilitées à faire enquête relativement à des allégations visant des policiers fédéraux. Au surplus, le demandeur n’a pas vraiment répondu à la question de savoir pourquoi il était allé se plaindre au ministère public alors même qu’il dit ne pas faire confiance aux personnes qui travaillent pour le ministère public.

 

[20]           Enfin, le demandeur a soutenu que le commissaire avait eu tort de lui reprocher de ne pas s’être adressé au consulat ou à l’ambassade mexicaine pour obtenir copie de ses plaintes. Pourtant, ce n’est pas ce que le commissaire lui reproche. Il se demande plutôt pourquoi le demandeur n’a fait aucune démarche depuis son arrivée au Canada pour corroborer ses prétentions et obtenir copie de ses dénonciations, que ce soit par l’entremise d’un membre de sa famille ou d’un autre avocat mexicain.

 

[21]           Bref, je suis d’avis que la décision de la SPR de ne pas prêter foi au récit du demandeur en l’espèce n’était pas arbitraire et trouvait appui dans la preuve. La transcription de son témoignage démontre clairement que son témoignage était empreint d’incohérences, d’omissions et de contradictions. D’autre part, le demandeur n’a fourni aucune explication satisfaisante relativement à l’absence totale de pièces pouvant accréditer ses prétentions. Dans ces circonstances, et malgré que sa décision aurait pu être mieux étoffée, l’intervention de la Cour ne serait pas justifiée. Le demandeur ne s’est pas déchargé du fardeau de démontrer que le commissaire avait tiré des conclusions déraisonnables ou arbitraires, tirées de mauvaise foi ou non étayées par la preuve.

 

[22]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont soumis aucune question pour fins de certification, et ce dossier n’en soulève aucune.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2250-09

 

INTITULÉ :                                       Juan Manuel Becerra Garcia v. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               10 décembre 2009

 

MOTIFS  DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR  :             Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      15 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

407 boul. Saint-Laurent, suite 300

Montréal (Québec)  H2Y 2Y5

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, Q.C.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

                                                                                                

 

 

 

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