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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091210

Dossier : IMM-1582-09

Référence : 2009 CF 1260

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

RONNIE TJIUEZA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ou la LIPR), d’une décision rendue par la Section de l’Immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour des motifs de sécurité puisqu’il est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force, en vertu de l’al. 34(1)f) de la Loi.

 

[2]               Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision et ordonnant que la preuve présentée à l’agent ne donne pas lieu à une interdiction de territoire. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande doit être rejetée.

 

I.          Faits

[3]               Le demandeur, Ronnie Tjiueza, est un citoyen de Namibie, où il était membre du  « Mouvement de libération de Caprivi » (CLM). Il est arrivé au Canada le 2 octobre 2006 et il a présenté une demande d’asile, laquelle a initialement été considérée comme recevable et a ensuite été renvoyée à la SPR. 

 

[4]               Monsieur Tjiueza a fait diverses déclarations aux agents à propos de sa demande d’asile. Le 2 octobre 2006, M. Tjiueza a rempli le formulaire de renseignements de base (FRB) au moment où il a présenté sa demande. Le 3 octobre 2006, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) l’a interrogé à propos de sa demande. Le 11 octobre 2007, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) l’a interrogé à sujet de son appartenance et de son rôle au sein du CLM. Enfin, le 13 octobre 2006, il a rempli le formulaire de renseignements personnels à l’appui de sa demande d’asile.

 

[5]               Il est difficile de savoir quand M. Tjiueza est devenu membre du CLM. À différents moments, il a déclaré s’être joint au CLM en octobre ou en novembre 1999, à la fin de l’année 1999 ou en octobre 2000. Sa preuve comprend également une carte de membre du CLM, selon laquelle il est membre [traduction] « depuis 1998 », mais celle-ci ne porte aucune date d’expiration.

 

[6]               Le 2 août 1999, une attaque armée contre des édifices gouvernementaux s’est produite dans la ville de Katima Mulilo, dans la région de Caprivi de la Namibie. Selon la preuve documentaire, les sécessionnistes de Caprivi, dirigés par M. Muyongo, ont violemment tenté de renverser le gouvernement une seule fois pendant cette période. Plus d’une douzaine de personnes ont été tuées pendant l’attaque. En octobre 1998, avant l’attaque d’août 1999, M. Muyongo s’est rendu à Botswana quand le gouvernement a découvert un camp d’entraînement militaire à Caprivi et a pris des mesures de répression contre les sécessionnistes présumés. Il a ensuite obtenu l’asile au Danemark.

 

[7]               Dans son FRB, le demandeur a reconnu qu’il avait été « associé à un groupe qui a ou a eu recours à la lutte armée ou à la violence afin d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques, ou qui les défend ou les a défendus »  et qu’il s’était livré à des « actes inhumains contre des civils ».

 

[8]               Lorsqu’il a été interrogé par le SCRS le lendemain, il a décrit les activités du CLM de la façon suivante :

[traduction] Ils ont décidé de faire sortir le gouvernement namibien de Caprivi. Cela a commencé en 2002 et en 2003. Ils se sont battus et ont tiré sur les militaires namibiens. Ils ont capturé le dirigeant du CLM en 2003 et ils l’ont (Mushake Muyongo) envoyé au Danemark. Le CLM continue de se battre, mais le nombre de membres a baissé.

 

 

[9]               Monsieur Tjiueza a dit qu’il ne savait pas se servir d’une arme et que pendant le combat, il s’occupait des enfants. Au cours de l’interrogatoire, il a déclaré avoir caché les enfants dans des maisons pendant le combat, lequel a duré plus de 5 jours en novembre 2004. Il a dit que les militaires namibiens se battaient contre les membres du CLM, que les membres du CLM tiraient sur les militaires et que, par conséquent, le dirigeant du CLM a été capturé et expulsé vers le Danemark. Il a affirmé qu’il ne faisait pas partie du CLM à ce moment-là, qu’il ne croyait pas que la violence était la solution et qu’il est resté membre du mouvement malgré les activités auxquelles il se livrait parce qu’il avait la même conviction à l’égard de l’indépendance de Caprivi.

 

[10]           Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), M. Tjiueza a déclaré s’être joint au CLM, alors dirigé par Mushake Muyongo, à la fin de 1999. Il a dit qu’en 1999, le CLM voulait renverser le gouvernement namibien et que, pendant que les membres du CLM combattaient, il s’occupait des jeunes enfants.

 

[11]           Lorsqu’il a été interrogé par l’ASFC, M. Tjiueza a affirmé être devenu membre du CLM en octobre ou en novembre 1999. Il a dit qu’il appuyait la cause de M. Muyongo, dirigeant du CLM, lequel voulait prendre des mesures contre le gouvernement pour permettre à la région de Caprivi de devenir indépendante. Selon lui, le combat qu’il a décrit a eu lieu en 2004 et on lui aurait dit que les membres du CLM tiraient sur les policiers et les militaires. C’était le seul événement dont il pouvait se rappeler. Selon lui, peu après ces événements de 2004, M. Muyongo est parti ou a été capturé et il est allé à Botswana, puis au Danemark, où il a obtenu le statut de réfugié. Lorsqu’il a été interrogé sur les incohérences dans les dates entre ses diverses déclarations, M. Tjiueza n’a pas été en mesure de fournir une explication.

 

[12]           Le 3 octobre 2008, M. Tjiueza a fait l’objet d’un rapport indiquant qu’il était interdit de territoire au Canada pour des motifs de sécurité en application de l’al. 34(1)f) de la LIPR. Il a été renvoyé pour enquête à la SI. Le demandeur a admis être un membre du CLM et, dans une décision datée du 10 mars 2009, la SI a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le CLM s’était livré à l’attaque du 2 août 1999. Par conséquent, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada et a prononcé une mesure d’expulsion contre lui. Cette décision rendue par la SI fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[13]           Le 30 mars 2009, un agent d’exécution a donné avis qu’il avait conclu que la demande d’asile du demandeur était irrecevable en vertu de l’al.101(1)f) de la Loi, en raison de la décision de la SI. Cet avis est l’objet du contrôle judiciaire dans le dossier connexe IMM-1851-09.

 

II.         La décision contestée

[14]           La SI a conclu que, comme le demandeur a admis avoir été membre du CLM, la question dont elle était saisie était celle de savoir s’il existait une preuve crédible ou digne de foi suffisante établissant des motifs raisonnables de croire que le CLM était responsable de l’attaque survenue le 2 août 1999. Cette attaque était une tentative de renversement du gouvernement namibien par la force, en vue d’essayer de réaliser l’objectif politique de l’indépendance de la région de Caprivi.

 

[15]           La SI a remarqué qu’il n’existe aucune preuve documentaire établissant l’existence d’un parti politique appelé le Mouvement de libération de Caprivi (CLM). Toutefois, même s’il y a de nombreuses erreurs et incohérences dans ses observations, M. Tjiueza a toujours affirmé être un membre d’un groupe ou d’un parti politique fondé et dirigé par Mishake Muyongo.

 

[16]           Les documents dont dispose la SI sont concordants en ce qui concerne Mishake Muyongo. Selon un des documents, l’auteur de l’attaque était le Front de libération de Caprivi (CLF) et l’un des dirigeants était Mishake Muyongo. Un rapport du Département d’État américain indique que l’auteur de cette attaque est l’Armée de libération de Caprivi (CLA) et que le dirigeant était Mishake Muyongo. Selon deux reportages de la BBC, Mishake Muyongo était le principal dirigeant des rebelles de Caprivi et il avait assumé la responsabilité de l’attaque.

 

[17]           Compte tenu de ces éléments de preuve, la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Muyongo n’a dirigé qu’un seul groupe et que ce groupe était responsable de l’attaque perpétrée le 2 août 1999. Comme le demandeur admet que M. Muyongo a dirigé le CLM, il existe des motifs raisonnables de croire que le CLM est simplement un autre nom donné à la CLA ou au CLF et qu’il a perpétré l’attaque.

 

[18]           La SI a aussi tenu compte d’un rapport produit par Amnistie Internationale, lequel mentionne une organisation appelée le Mouvement de libération de Caprivi, distincte de la CLA. Ce rapport semble indiquer un lien entre la CLA et l’attaque du 2 août 1999. Selon ce rapport,  Mishake Muyongo était uniquement partisan de la CLA, mais il dirigeait le Mouvement de libération de Caprivi. La SI a toutefois conclu que le groupe dirigé par M. Muyongo était celui responsable de l’attaque. La SI a souligné que cette conclusion s’appuyait sur la grande majorité de la preuve, alors qu’un seul rapport indiquait le contraire.

 

[19]           Par conséquent, la SI a conclu que M. Tjiueza était membre d’une organisation dirigée par M. Muyongo et que cette organisation a perpétré une attaque armée le 2 août 1999 contre le gouvernement namibien dans le but de le renverser et d’assurer l’indépendance politique de la région de Caprivi. Même si M. Tjiueza n’était pas personnellement impliqué dans l’attaque, il était membre de l’organisation qui en est responsable. Le simple fait d’être membre d’une telle organisation suffit pour que M. Tjiueza soit assujetti à l’application de l’al. 34(1)f) de la Loi.

 

[20]           À la demande de M. Tjiueza, la SI a ajouté qu’il n’existait aucune preuve selon laquelle le demandeur aurait participé à un acte de violence ou qu’il savait au préalable que les membres de l’organisation de M. Muyongo envisageaient d’avoir recours à la violence armée pour réaliser leurs objectifs. Le seul élément de preuve dont disposait la SI était que M. Tjiueza croyait en l’objectif de l’indépendance de Caprivi et qu’il croyait être membre d’un parti politique qui tenterait d’atteindre ses objectifs sans recourir à la violence.

 

III.       Questions en litige

[21]           J’accepte les questions proposées par le demandeur et je les ai reformulées de la façon suivante :

a)         La SI a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait en concluant que le CLM était impliqué dans l’attaque du 2 août 1999?

 

b)         La SI a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le demandeur était interdit de territoire en application de l’al. 34(1)f) même s’il n’était pas membre du CLM au moment de l’attaque, qu’il n’a pas participé à l’attaque et qu’il ne savait rien de l’attaque avant qu’elle ne se produise?

 

 

IV.       Analyse

[22]           La première question porte sur les conclusions de fait de la SI et, par conséquent, commande la norme de la raisonnabilité : Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 568, [2007] A.C.F. n° 763; Daud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 701, [2008] A.C.F. n° 913. La Loi est moins exigeante en ce qui concerne l’établissement des faits à l’appui de la conclusion d’interdiction de territoire en application de l’al. 34(1)f) et c’est dans cette optique que la norme de contrôle de la raisonnabilité doit être appliquée :

Interprétation

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

Rules of interpretation

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

[23]           La norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables de croire » a été expliquée de la façon suivante par la Cour suprême du Canada : 

La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : […] La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi […]

Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 114.

 

 

[24]           Par conséquent, la Cour doit déterminer s’il était manifestement déraisonnable pour la SI de conclure qu’il existait plus qu’une simple possibilité que les faits justifiant l’interdiction de territoire prévus à l’al. 34(1)f) « so[ie]nt survenus, surviennent ou [puissent] survenir » : Moiseev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 88, [2008] A.C.F. n° 113, par. 16-17.

 

[25]           La deuxième question comporte une question de droit puisqu’elle concerne l’interprétation correcte de l’al. 34(1)f) de la Loi; il faut alors appliquer la norme de la décision correcte. Voir : Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2006] A.C.F. n° 1512, par. 15; Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] A.C.F. n° 381, par. 18-23.

 

[26]           Pour ce qui est de la première question, le demandeur soutient que rien n’indique qu’il est membre de la CLA ou du CLF, ou de toute autre organisation de la région de Caprivi de la Namibie, autre que le CLM. En effet, le rapport produit par Amnistie Internationale fait une distinction entre la CLA et le CLM et, selon le rapport, M. Muyongo était un dirigeant des deux groupes. Par conséquent, le rapport indique expressément que plusieurs groupes réclamaient l’indépendance de Caprivi. À la lumière de ces éléments de preuve, le demandeur prétend qu’il était déraisonnable pour la SI de conclure que M. Muyongo n’avait dirigé qu’un seul groupe et que le CLM et la CLA n’étaient qu’un seul et même groupe. Comme ces organisations sont différentes, il était déraisonnable de conclure que le CLM était impliqué dans l’attaque, puisque toute la preuve documentaire démontre que la CLA ou le CLF était responsable de l’attaque.

 

[27]           Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions de fait tirées par la SI. Contrairement à ce que le demandeur affirme, le rapport d’Amnistie Internationale n’établit aucune distinction entre l’Armée de libération de Caprivi et le CLM. Le CLM n’a pas été mentionné du tout. Le rapport fait état des activités de M. Muyongo [traduction] « dans le cadre de son appui » au CLA. Il indique également que M. Muyongo est ensuite devenu le dirigeant du Mouvement de libération de Caprivi. Contrairement aux autres rapports, celui-ci ne désigne pas M. Muyongo comme étant le dirigeant de la CLA, ne fait aucune référence au CLF et n’établit aucun lien entre M. Muyongo et l’attaque perpétrée en août 1999.

 

[28]           Selon le rapport, il existe plusieurs organisations revendiquant l’indépendance de Caprivi, et la SI est arrivée à la même conclusion. Elle a simplement conclu qu’il n’y avait qu’un seul groupe dirigé par M. Muyongo, et que son nom changeait selon les différentes sources. Après avoir pris connaissance de la preuve sur laquelle la SI s’est fondée, je crois qu’elle pouvait raisonnablement tirer cette conclusion. Rien n’indiquait que le CLM n’était pas responsable de l’attaque survenue en août 1999. Monsieur Tjiueza ne prétend pas que le CLM était une faction distincte non violente dirigée par M. Muyongo. Compte tenu du témoignage de M. Tjiueza sur  le pouvoir et les activités du CLM, la décision de la SI est raisonnable et ne justifie pas que la Cour intervienne.

 

[29]           De plus, la SI a expressément pris en compte le rapport d’Amnistie Internationale, selon lequel M. Muyongo n’avait pas dirigé le groupe responsable de l’attaque. La SI a apprécié ce rapport au regard des autres éléments de preuve indiquant que M. Muyongo avait dirigé le groupe responsable de l’attaque, et elle a estimé que ces derniers éléments de preuve étaient plus crédibles. La SI pouvait tirer cette conclusion relative à la crédibilité compte tenu des exigences peu élevées auxquelles il faut satisfaire en matière de preuve pour établir l’interdiction de territoire pour des motifs de sécurité.  

 

[30]           Pour ce qui est de la deuxième question soulevée par le demandeur, il soutient que la SI n’aurait pas dû conclure qu’il était une personne visée à l’al. 34(1)f) de la Loi parce qu’il n’a pas personnellement participé aux actes de violence. Monsieur Tjiueza soutient également qu’il ne savait pas au préalable que le CLM risquait de se livrer à des actes de violence armée pour réaliser ses objectifs et qu’il n’était pas raisonnablement prévisible que de tels actes soient commis. Enfin, il soutient que rien n’indiquait clairement qu’il était membre du CLM au moment du soulèvement.  

 

[31]           Encore là, je ne pense pas que la SI a commis une erreur dans son interprétation de l’al. 34(1)f) de la Loi. Cette disposition fait en sorte qu’un étranger est interdit de territoire en raison de son appartenance à une organisation; elle n’exige pas une participation active. S’il était nécessaire de jouer un rôle actif, l’al. 34(1)f) serait redondant parce que participer activement à des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force est un motif d’interdiction de territoire en vertu de l’al. 34(1)b) de la LIPR. Les alinéas 34(1)b) et 34(1)f) sont des « motifs distincts qui se chevauchent » : Jilani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 758, [2008] A.C.F. n° 974, par. 20; Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 122, [2005] A.C.F. n° 587, par. 30.

 

[32]           Monsieur Tjiueza soutient également que l’al. 34(1)f) n’est pas censé s’appliquer à un étranger qui n’était pas un membre de l’organisation au moment du fait qui a entraîné l’interdiction de territoire, ou par la suite. Contrairement à ce que M. Tjiueza affirme, il n’était pas nécessaire pour la SI de conclure expressément qu’il était membre du CLM au moment de l’attaque perpétrée en août 1999. La Cour a rejeté l’argument de M. Tjiueza dans Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457, [2006] A.C.F. n° 1826, par. 11, où elle a conclu que le facteur temps n’est pas à prendre en compte dans le cadre d’une analyse en application de l’al. 34(1)f) de la LIPR. La SI n’est pas tenue de se demander si l’organisation a cessé ses activités ou si elle avait mis fin à ses activités pour un certain temps. La SI n’est pas non plus tenue de prouver que la personne jouait un rôle actif au moment où l’organisation s’est livrée à ses activités. Le renversement d’un gouvernement par la force peut survenir avant ou après qu’il soit devenu membre ou pendant qu’il était membre.

 

[33]           Ce qui préoccupe principalement le demandeur est le fait qu’une personne visée par la définition de réfugié au sens de la Convention, et non exclue par l’article 1(F) de la Convention, peut être interdite de territoire en vertu de l’al. 34(1)f). La Convention relative au statut des réfugiés exclut du droit de demander l’asile les personnes qui ont été membres de groupes qui se sont livrés à des activités antidémocratiques, des actes de subversion ou des actes de terrorismes en vertu de l’article1(F), mais le demandeur soutient qu’elle n’exclut pas les personnes qui étaient membres avant que les groupes ne se livrent à des activités prohibées.  

 

[34]           Le demandeur a raison de dire qu’une personne qui cesse d’être membre avant que de telles atrocités soient commises, et qui n’est pas au courant des atrocités, n’est pas exclue par l’article 1(F). Cette personne n’a commis aucun « acte précis » de subversion, n’a pas poursuivi « les mêmes buts » et « sa participation aux activités de l’organisation [n’est pas] personnelle et en toute connaissance de cause ». Dans Murcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 287, [2006] A.C.F. n° 364, le juge Michael L. Phelan a dit que la période pertinente dans le cadre de l’analyse en application de l’article 1(F) est la période pendant laquelle l’acte de subversion a été commis.

 

[35]           Cela dit, l’article 1(F) ne s’applique qu’aux demandeurs d’asile. Contrairement au par. 34(1), il ne s’agit pas d’une disposition générale sur la sécurité. Il définit l’exclusion en des termes différents de ceux utilisés à l’art. 34 : il exclut de la protection les demandeurs qui ont commis, ou qui ont été complices, des crimes de guerre, des crimes contre la paix ou des crimes contre l’humanité. En vertu de l’alinéa 34(1)f), l’étranger n’est pas tenu d’avoir commis un acte visant au renversement d’un gouvernement par la force ou d’avoir été complice d’un tel acte.   

 

[36]           De plus, le libellé des articles 33 et 34 de la Loi est clair : aucun facteur temps n’est à prendre en compte dans le cadre d’une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de ces dispositions et le simple fait d’être membre suffit à entraîner l’interdiction de territoire d’un étranger. En revanche, le fait simple d’être membre d’une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas pour exclure un demandeur d’asile en vertu de l’article 1(F): Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, [1992] A.C.F. n° 109 (C.A.).

 

[37]           Quoi qu’il en soit, si l’interprétation de l’article 1(F) est pertinente à l’interprétation de l’al. 34(1)f), l’affaire Murcia appuie la décision de la SI puisque M. Tjiueza était membre du CLM au moment de l’attaque contre les forces gouvernementales. Même si la SI n’a pas tiré une conclusion explicite sur ce point, elle a cité la carte de membre du demandeur pour dire qu’il était membre [traduction] « depuis 1998 ». Cela suppose que la SI a estimé qu’il a continué d’être membre après 1998. De plus, comme l’illustrent les faits relatés ci-dessus, il y avait des éléments de preuve qui indiquaient qu’il est devenu membre à la fin de l’année 1999 ou en 2000. Par conséquent, bien qu’il ne soit pas nécessaire de trancher, la preuve donne à penser que le demandeur était membre du CLM après 1998.

 

[38]           Enfin, la Cour a conclu dans Al Yamani, précité, que tout préjudice apparent causé par une interprétation large de l’al. 34(1)f) est réparé par l’application du par. 34(2) de la LIPR, ce qui permet au ministre d’autoriser une personne à rester au Canada malgré l’interdiction de territoire. Le demandeur réplique que l’exception prévue au par. 34(2) ne s’applique qu’à l’interdiction de territoire, et non à l’application des autres droits garantis par la Convention relative au statut des réfugiés. En d’autres termes, si le demandeur devait présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), et s’il devait être sujet à un risque, la protection contre le refoulement accordée aux personnes interdites de territoire en vertu de l’al. 34(1)f) ne serait pas suffisante pour garantir la conformité aux obligations du Canada aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés parce que le demandeur n’aurait pas le droit de travailler et d’étudier. Cet argument est hors de propos et prématuré.

 

[39]           Monsieur Tjiueza ne s’est pas adressé au ministre pour obtenir une dispense quant à l’interdiction de territoire prévue à l’al. 34(1)f) en application du par. 34(2) de la Loi. La Cour d’appel a conclu qu’une demande de dispense en application du par. 34(2) peut être présentée même si la SI a déjà décidé qu’un étranger est interdit de territoire en vertu de l’al. 34(1)f) de la Loi : Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 121, [2005] A.C.F. n° 602. Lorsqu’il examine une demande de dispense de l’application de l’al. 34(1)f), le ministre prend en compte de nombreux facteurs, dont les questions qui, selon M. Tjiueza, pencheraient en sa faveur, comme celles de savoir si la personne représente un danger pour le public, si l’activité était un événement isolé, si la personne était personnellement impliquée dans les activités de l’organisation ou en a été complice, quel est le rôle ou le poste de la personne au sein de l’organisation, si la personne était au courant des activités de l’organisation et si les liens la rattachant à l’organisation ont été rompus : voir Guide d’exécution de la loi de Citoyenneté et Immigration, chapitre 2, section 13.7.

 

[40]           De plus, rien n’indique que M. Tjiueza a présenté une demande d’ERAR. S’il a présenté une telle demande et qu’il a été jugé en danger, l’exécution de la mesure d’expulsion serait suspendue. Contrairement à ce que prétend le demandeur, il pourrait présenter une demande de permis d’étude et, s’il ne pouvait subvenir à ses besoins autrement qu’en travaillant, une demande de permis de travail : voir les par. 112(1) et 112(3) et l’al. 114(1)b) de la Loi; les al. 215(1)d) et 206b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. La question de savoir si M. Tjiueza peut être considéré comme sujet à un risque est théorique à ce stade.

 

[41]            Pour tous les motifs exposés ci-dessus, j’arrive à la conclusion que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et aucune ne se pose.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1582-09

 

INTITULÉ :                                       Tjiueza c. MCI

                                                           

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin L. Klassen

 

POUR LE DEMANDEUR

Caroline Christiaens

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin L. Klassen

Avocat

708-1155, rue West Pender

Vancouver (C.-B.)  V6E 2P4

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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