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Date : 20091208

Dossier : T-1761-08

Référence : 2009 CF 1249

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

BAYER SCHERING PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

demanderesse

 

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande introduite par voie d’appel interjeté en vertu de l’article 41 de la Loi sur les brevets, L.R. 1985, ch. P-4, par la demanderesse, Bayer Schering Pharma Aktiengesellschaft, d’une décision en date du 21 mai 2008 par laquelle la commissaire aux brevets a refusé de délivrer un brevet en réponse à la demande de brevet no 508 336 (la demande).

 

Contexte factuel

[2]               […]

 

[3]               Dans sa demande, la demanderesse réclame un brevet complémentaire distinct du brevet visé par […] la « demande principale » et qui […] est depuis devenu […] le « brevet principal […] ». Deux des revendications du brevet principal sont pertinentes en l’espèce : la revendication [L], qui porte sur un procédé de fabrication d’un produit déterminé dont la composition chimique est décrite en détail, et la revendication [B], qui vise le produit décrit dans la revendication [L] lorsqu’il est fabriqué au moyen du procédé décrit dans la revendication [L].

 

[4]               Avant 1989, la Loi sur les brevets ne permettait pas de délivrer des brevets pour des aliments ou des médicaments produits par des procédés chimiques, sauf lorsqu’ils étaient préparés par un mode ou un procédé de fabrication décrit en détail et revendiqué. Ces revendications étaient généralement connues sous le nom de revendications « dépendant d’un procédé » (voir le paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets, ci-après cité, dans sa rédaction en vigueur à l’époque). La demande et, partant, le présent appel, sont régis par la Loi sur les brevets dans sa rédaction en vigueur avant le 1er octobre 1989 :

 

41. (1) Lorsqu’il s’agit d’inventions couvrant des substances préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées à l’alimentation ou à la médication, le mémoire descriptif ne doit pas comprendre les revendications pour la substance même, excepté lorsque la substance est préparée ou produite par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués, ou par leurs équivalents chimiques manifestes.

41. (1) In the case of inventions relating to substances prepared or produced by chemical processes and intended for food or medicine, the specification shall not include any claim for the substance itself, except when prepared by the methods or processes of manufacture particularly describeb and claimed or by their obvious chemical equivalents.

 

[5]               […]

 

[6]               […]

 

[7]               La demande renferme [plusieurs revendications] et chaque revendication dépend d’une manière ou d’une autre de la revendication [L], laquelle porte sur un composé particulier. Il n’y a pas de différence substantielle entre le composé décrit dans cette revendication et celui qui est décrit dans la revendication [B] (et dans la revendication [L]) du brevet principal). La seule différence qui nous intéresse en l’espèce est le fait que le brevet principal ne revendique le produit que lorsqu’il est fabriqué au moyen d’un procédé (comme l’exigeait la loi à l’époque), tandis que la demande ne prétend revendiquer que le produit lui-même (comme la loi actuelle le permettrait maintenant de façon générale).

 

La décision contestée

[8]               Dans sa décision, la commissaire aux brevets a invoqué plusieurs motifs pour rejeter les revendications [L] à [R]. Elle a notamment invoqué le motif de « double brevet relatif à une évidence ». Le brevet principal et la demande ne revendiquaient pas la même invention, de sorte que cette forme de double protection ne s’appliquait pas. La commissaire a toutefois estimé que les revendications de la demande ne démontraient « aucune inventivité » par rapport aux revendications du brevet principal, étant donné qu’elles ne visaient pas un « élément brevetable distinct ». Comme aucune des revendications ne visaient un élément brevetable distinct des revendications du brevet principal, le brevet a été refusé.

 

[9]               La commissaire a également conclu que la demande ne constituait pas une demande de brevet complémentaire appropriée, mais elle n’a pas fondé son refus sur ce motif, se contentant d’expliquer que [traduction] « la demanderesse doit supprimer toute référence à l’état complémentaire dans la présente demande ».

 

[10]           La commissaire a également rejeté les revendications [N] à [R] au motif qu’elles étaient vagues et ambiguës parce que les procédés sur lesquels étaient fondés les composés visés par les revendications en question étaient définis en des termes exclusifs, en excluant par exemple les procédés du brevet principal. La commissaire a par ailleurs rejeté les revendications [N] à [R] au motif qu’elles n’étaient pas appuyées par le mémoire descriptif de la demande […]

 

Questions à trancher

[11]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la commissaire?

2.         La commissaire a-t-elle commis une erreur en rejetant les revendications [L] à [R] pour cause de « double brevet relatif à une évidence »?

3.         La commissaire a-t-elle commis une erreur en concluant que la demande ne constituait pas une demande de brevet complémentaire appropriée?

4.         La commissaire a-t-elle commis une erreur en concluant que les revendications [N] à [R] étaient vagues et ambiguës et qu’elle n’étaient pas justifiées par le mémoire descriptif?

 

Dispositions législatives applicables

[12]           Les paragraphes 4(2) et 36(1) et les articles 40 et 41 de la Loi disposent :

4.(2) Le commissaire reçoit les demandes, taxes, pièces écrites, documents et modèles pour brevets, fait et exécute tous les actes et choses nécessaires pour la concession et la délivrance des brevets; il assure la direction et la garde des livres, archives, pièces écrites, modèles, machines et autres choses appartenant au Bureau des brevets, et, pour l’application de la présente loi, est revêtu de tous les pouvoirs conférés ou qui peuvent être conférés par la Loi sur les enquêtes à un commissaire nommé en vertu de la partie II de cette loi.

 

36. (1) Un brevet ne peut être accordé que pour une seule invention, mais dans une instance ou autre procédure, un brevet ne peut être tenu pour invalide du seul fait qu’il a été accordé pour plus d’une invention.

 

40. Chaque fois que le commissaire s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession d’un brevet, il rejette la demande et, par courrier recommandé adressé au demandeur ou à son agent enregistré, notifie à ce demandeur le rejet de la demande, ainsi que les motifs ou raisons du rejet.

 

41. Dans les six mois suivant la mise à la poste de l’avis, celui qui n’a pas réussi à obtenir un brevet en raison du refus ou de l’opposition du commissaire peut interjeter appel de la décision du commissaire à la Cour fédérale qui, à l’exclusion de toute autre juridiction, peut s’en saisir et en décider.

 

 

4.(2) The Commissioner shall receive all applications, fees, papers, documents and models for patents, shall perform and do all acts and things requisite for the granting and issuing of patents of invention, shall have the charge and custody of the books, records, papers, models, machines and other things belonging to the Patent Office and shall have, for the purposes of this Act, all the powers that are or may be given by the Inquiries Act to a commissioner appointed under Part II of that Act.

 

 

 

36. (1) A patent shall be granted for one invention only but in an action or other proceeding a patent shall not be deemed to be invalid by reason only that it has been granted for more than one invention.

 

40. Whenever the Commissioner is satisfied that an applicant is not by law entitled to be granted a patent, he shall refuse the application and, by registered letter addressed to the applicant or his registered agent, notify the applicant of the refusal and of the ground or reason therefor.

 

 

 

41. Every person who has failed to obtain a patent by reason of a refusal of the Commissioner to grant it may, at any time within six months after notice as provided for in section 40 has been mailed, appeal from the decision of the Commissioner to the Federal Court and that Court has exclusive jurisdiction to hear and determine the appeal.

 

 

Analyse

1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la commissaire?

[13]           Les parties ne s’entendent pas au sujet de la norme de contrôle applicable.

 

[14]           La demanderesse soutient que toutes les questions en litige sont des questions de droit et que la norme de contrôle est par conséquent celle de la décision correcte (Belzberg c. Canada (Commissaire aux brevets), 2009 CF 657, et Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, 97 N.R. 185). L’examen et l’interprétation de la jurisprudence relative aux doubles brevets est de toute évidence une question de droit et la commissaire ne possède pas les compétences spécialisées nécessaires pour analyser la jurisprudence applicable.

 

[15]           Le défendeur affirme que les questions en litige ne sont pas toutes nécessairement des questions de droit. En outre, le fait qu’une question est une question de droit ne conduit pas forcément à la conclusion que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[16]           Le défendeur fait valoir que, compte tenu de la jurisprudence récente, la Cour doit, même en ce qui concerne une question de droit, procéder à une analyse de la norme de contrôle pour déterminer s’il y a lieu de faire preuve de retenue envers l’auteur de la décision en cause.

 

[17]           Bien que la norme de la décision correcte ait été reconnue comme étant celle qui s’applique dans le cas des questions portant sur l’interprétation de la Loi sur les brevets (Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, [2002] 4 R.C.S. 45), la Cour est d’avis qu’en l’espèce, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et ce, pour les motifs qui suivent.

 

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 55 et 56, la Cour suprême du Canada a récemment résumé les divers facteurs dont on doit tenir compte lorsqu’on analyse la norme de contrôle applicable dans le cas d’une question de droit :

 

Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

 

·      Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

 

·      Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

 

·      La nature de la question de droit.  Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62).  Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

 

 

[19]           Dans un arrêt plus récent, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, la Cour suprême a confirmé les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir en particulier sur les deux aspects suivants : le respect dont il convient de faire preuve lorsque le législateur a confié une décision particulière à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires (surtout lorsque ce décideur possède des compétences spécialisées) et le respect dont on doit faire preuve à l’égard de l’interprétation d’une question de droit faite par ce même décideur. La Cour suprême a également rappelé qu’un tribunal judiciaire ne doit pas substituer son opinion à celle du tribunal administratif lorsque la décision de ce dernier appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier.

 

[20]           Bien qu’il n’existe pas de clause privative en l’espèce, la Cour suprême a déclaré dans les termes les plus nets, dans l’arrêt Khosa, qu’une certaine déférence pouvait néanmoins être appropriée :

Dans Dunsmuir, notre Cour a reconnu que, sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires […] Le principe de la déférence « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause.

 

[21]           La Cour est également d’accord avec le défendeur pour dire que le législateur fédéral a, dans la Loi sur les brevets, confié au commissaire aux brevets le soin de faire et d’exécuter « tous les actes et choses nécessaires pour la concession et la délivrance des brevets » et de refuser de délivrer un brevet lorsqu’il « s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession d’un brevet » (paragraphe 4(2) et article 40 de la Loi sur les brevets actuelle). Il est clair que le soin de prendre ces décisions a donc été confié, non pas au législateur, mais bien au commissaire, compte tenu de ses connaissance spécialisées et de celles de son personnel (Genencor International Inc. c. Commissaire aux brevets et Procureur général du Canada, 2008 CF 608, [2009] 1 R.C.F. 361).

 

[22]           Si l’on applique ces principes au cas qui nous occupe, il est très difficile de contester, compte tenu des dispositions de la Loi sur les brevets, que la commissaire aux brevets ne dispose pas de connaissances spécialisées considérables reconnues dans le domaine des brevets.

 

[23]           La Cour continue à penser qu’il faut analyser individuellement chaque revendication et chaque brevet et que chaque cas est un cas d’espèce, mais elle reconnaît aussi qu’avant que les arrêts Dunsmuir et Khosa ne soient rendus, les tribunaux estimaient que les questions portant sur l’évidence constituaient des questions mixtes de fait et de droit (Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, 353 N.R. 60, aux paragraphes 39 et 40).

 

[24]           La demanderesse a également soutenu, à l’audience, que la présente affaire n’était pas une instance en contrôle judiciaire, mais bien un appel interjeté en vertu de la Loi sur les brevets et que, pour cette raison, la norme de contrôle applicable était plutôt celle de la décision correcte.

 

[25]           La Cour n’est pas de cet avis. À ce propos, il vaut la peine de citer la décision Harvard College, étant donné que celle-ci portait sur la norme de contrôle applicable à une décision du commissaire aux brevets. Dans cet arrêt, le juge Bastarache, qui écrivait au nom de la majorité, a expliqué que « le fait que la Loi sur les brevets ne comporte aucune clause privative et qu’elle confère aux demandeurs un droit général d’en appeler de la décision du commissaire est pertinent et laisse entrevoir une norme de contrôle plus stricte ». Il a toutefois tenu les propos suivants deux paragraphes plus loin :

 

Cela ne signifie absolument pas que les décisions du commissaire feront toujours l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Si, par exemple, la question à trancher était de savoir si une forme de vie particulière comme un champignon doit être considérée comme une forme de vie supérieure ou inférieure, la décision du commissaire ferait probablement l’objet de retenue.  Comme nous l’avons vu, l’art. 40 de la Loi prévoit que c’est le commissaire qui doit s’être « assuré » qu’il n’y a pas lieu de délivrer un brevet.  Le cas échéant, en raison de l’expertise scientifique du commissaire, les tribunaux devraient faire preuve de retenue à l’égard de la décision dans laquelle il se dit assuré que la forme de vie en question tombe dans une catégorie d’objets brevetables. (Harvard College, au paragraphe 151)

 

(Mon soulignement.)

 

[26]           De plus, la Cour cite l’arrêt que la Cour d’appel fédérale a rendu dans l’affaire Scott Paper Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 129, 377 N.R. 173, et dans lequel la Cour applique l’arrêt Dunsmuir au paragraphe 11. Bien que cette affaire porte sur la Loi sur les marques de commerce, L.R. 1985, ch. T-13 plutôt que sur la Loi sur les brevets, la Cour d’appel fédérale a relevé que certaines questions de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable et ce, même lorsqu’il existe un droit d’appel :

Bien qu’il existe un droit d’appel à l’égard de la décision de l’agente d’audience, le sujet traité en est un pour lequel le registraire et ses agents d’audience délégués ont une expertise spéciale, et les questions juridiques en cause entrent sans contredit dans ce champ d’expertise : voir Dunsmuir, au paragraphe 55.

 

(Mon soulignement)

 

[27]           Pour ces motifs, la Cour estime que la conclusion de la commissaire ne sera pas infirmée, faute d’erreur manifeste et dominante.

 

2.         La commissaire a-t-elle commis une erreur en rejetant les revendications [L] à [R] pour cause de « double brevet relatif à une évidence »?

Arguments de la demanderesse

[28]           Alors que la demande était en instance, l’ancienne Loi sur les brevets a été modifiée et le législateur a supprimé l’obligation de ne revendiquer des médicaments que sous forme de revendications dépendant d’un procédé. La demanderesse s’est prévalue de cette modification en revendiquant un médicament sous forme de revendication ne dépendant pas d’un procédé. Pour ce faire, la demanderesse a présenté une demande de brevet complémentaire parce que le brevet principal avait déjà été délivré. La commissaire n’a pas contesté le droit de la demanderesse de procéder aux modifications qui ont donné lieu aux présentes revendications.

 

[29]           Le seul motif invoqué par la commissaire pour rejeter les revendications [L] à [P] était l’existence d’un double brevet. La demanderesse ne conteste pas que les revendications en question visent le même objet que les revendications de produit du brevet principal, sauf […] [pour une différence] dans les revendications [L] à [P] de la demande […] [et le fait que] les revendications [L] à [P] ne dépendent pas d’un procédé. La seule question qui se pose en ce qui concerne la double protection est donc celle de savoir si les revendications [L] à [P] font à juste titre l’objet d’une objection fondée sur l’existence d’un double brevet relatif à une évidence compte tenu du fait qu’elles visent le même produit que le brevet principal, bien qu’elles le fassent sans dépendre d’un procédé.

 

[30]           Il est acquis aux débats que les revendications de la demande et du brevet principal ne sont pas identiques et qu’il ne peut être question en l’espèce de double brevet portant sur la même invention. La demanderesse reconnaît l’existence du principe du double brevet relatif à une évidence énoncé par la Cour suprême du Canada, mais elle soutient qu’il ne s’applique pas aux faits de l’espèce. La demanderesse affirme que, dans l’affaire Aventis Pharma Inc. c. Mayne Pharma (Canada) Inc., 2005 CF 1183, 142 A.C.W.S. (3d) 325, notre Cour comparait un brevet portant sur un produit avec un brevet visant un produit obtenu grâce à un procédé, alors que les produits étaient identiques, ce qui est la même situation en ce qui a trait aux revendications [L] à [P] de la demande, ce que la commissaire n’a pas contesté. Ainsi que la Cour le signale dans le jugement Aventis c. Mayne, au paragraphe 74 :

Une fois qu’on a obtenu un brevet sur une substance en soi, on ne peut obtenir de protection additionnelle sur cette substance. Cependant, il est possible de se faire délivrer un brevet sur le procédé de fabrication par lequel est fabriquée la substance, indépendamment du brevet en soi. Un tel brevet est valide et n’étend pas à la substance en soi le monopole légal conféré par le brevet.

 

[31]           La demanderesse ajoute que l’idée que tous les procédés imaginables sont envisagés fait intrinsèquement partie de toute revendication portant sur un composé en soi, même ceux qui ne sont pas connus.

 

[32]           La commissaire a établi une distinction entre la présente espèce et l’affaire Aventis c. Mayne pour le seul motif que, dans cette dernière affaire, [traduction] « l’existence du double brevet relatif à une évidence n’était pas alléguée » et que, par conséquent [traduction] « la Cour n’a pas tenu compte de la question du double brevet relatif à une évidence et ne s’est pas demandé si les revendications du second brevet démontraient “de la nouveauté ou de l’ingéniosité” par rapport aux revendications du premier brevet » (décision de la commissaire, à la page 8). La demanderesse affirme que la commissaire s’est méprise dans la façon dont elle a qualifié l’affaire Aventis c. Mayne.

 

[33]           Dans l’affaire Aventis c. Mayne, l’avis d’allégation soumis à la Cour parlait de « double protection » en termes généraux, et il ne se limitait pas au double brevet relatif à la « même invention ». La demanderesse affirme que l’avis d’allégation ne pouvait être limité de cette façon parce que les revendications portant sur un produit ne sont de toute évidence pas identiques aux revendications d’un brevet visant un produit obtenu grâce à un procédé. Dans l’affaire Aventis c. Mayne, la Cour était au courant de l’arrêt Camco de la Cour suprême et elle en a tenu compte et la demanderesse soutient qu’il est impossible d’interpréter l’arrêt Camco sans être au courant de la doctrine du double brevet relatif à une évidence. De plus, à l’audience, la demanderesse a souligné qu’il ressortait nettement du fait qu’elle avait employé le mot « évident » dans le jugement Aventis c. Mayne que la Cour avait présents à l’esprit les deux volets de la doctrine de la double protection. De surcroît, dans l’affaire Aventis c. Mayne comme dans la présente, le principe de la double protection portant sur « la même invention » ne pouvait de toute évidence pas s’appliquer. La demanderesse soutient que rien ne permettait à la commissaire de conclure que, dans l’affaire Aventis c. Mayne, la Cour n’avait pas en tête la question du double brevet relatif à une évidence.

 

[34]           La demanderesse explique que la décision Aventis c. Mayne a été citée et approuvée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108, 377 N.R. 9, en ce qui concerne le double protection, et qu’elle a donc depuis valeur de précédent.

 

[35]           La Cour suprême du Canada a récemment souscrit au même principe dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, au paragraphe 102, où le brevet en cause était contesté sur le fondement d’une double protection visant un brevet antérieur portant sur un genre qui comprenait les revendications du brevet en cause. La Cour suprême a expressément conclu qu’il n’y avait absolument pas lieu de tenir compte de certaines des revendications du procédé ainsi que d’une des revendications du produit obtenu grâce à un procédé du brevet de genre en ce qui concerne la question de la double protection parce qu’il n’y avait aucune identité entre ces revendications et les revendications du produit du brevet en cause. La Cour a conclu que la seule comparaison dont on devait tenir compte était celle qui existait entre les revendications de produit respectives des deux brevets. La Cour suprême n’a cité ni le jugement Aventis c. Mayne ni la décision Pfizer, mais la demanderesse affirme qu’il est évident que la Cour suprême était d’avis que le double protection ne s’appliquait pas lorsqu’on comparait une revendication visant un produit obtenu grâce à un procédé avec une revendication portant sur un produit.

 

[36]           Suivant la demanderesse, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont donc bien précisé que la double protection ne s’applique pas lorsqu’on compare une revendication de produit avec une revendication visant un produit obtenu grâce à un procédé, et la demanderesse fait valoir que le rejet des revendications [L] à [R] pour cause de double protection doit par conséquent être infirmé pour ce seul motif.

 

[37]           La demanderesse ajoute que la double protection n’aurait même pas dû entrer en ligne de compte eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire. Dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, 35 N.R. 390, une demande de brevet complémentaire avait, comme en l’espèce, été déposée par suite d’une restriction imposée par le Bureau des brevets. La Cour suprême a estimé qu’aucun de ces brevets complémentaires ne devait être tenu pour invalide ou contestable « du seul fait de l’octroi du brevet original ».

 

[38]           La commissaire a examiné l’arrêt Consolboard mais a estimé qu’il portait sur des faits différents étant donné que [traduction] « les revendications qui se trouvent présentement dans la demande n’ont pas été supprimées de la demande de brevet en raison d’une objection de l’examinateur au sujet du manque d’unité ». L’observation de la commissaire est juste sur le plan des faits, mais la demanderesse soutient qu’il ne s’agit pas d’une distinction valide sur le plan juridique, compte tenu des principes posés dans l’arrêt Consolboard. La présente demande est une demande de brevet complémentaire qui fait suite à une restriction qui a été imposée par le bureau des brevets et qui a été régulièrement modifiée pour se prévaloir d’une modification apportée à la loi. La demanderesse affirme que chacun possède le droit fondamental de se prévaloir d’une modification apportée aux lois du Canada qui lui est favorable (voir l’article 12 et l’alinéa 44c) de la Loi d’interprétation, L.R. 1985, ch. I-21) et la demanderesse a droit à une interprétation juste, large et libérale des dispositions de la Loi sur les brevets qui régissent la demande. La demanderesse peut se prévaloir d’une modification apportée à la loi, dans le cadre d’une demande de brevet complémentaire ou autrement (Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, 3 N.R. 553), et la commissaire n’aurait pas dû tenir compte de la double protection dans les circonstances de l’espèce.

 

Arguments du défendeur

[39]           Le défendeur affirme qu’aucune invention n’a droit à la protection de plusieurs brevets et ajoute qu’avant qu’un brevet puisse être accordé, il faut démontrer « l’inventivité » de que ce qu’on veut faire breveter par rapport à tout ce qui a déjà été élaboré. Ainsi, si lorsqu’on la compare à quelque chose qui a déjà été breveté, la présumée invention est identique ou ne fait preuve d’aucune inventivité, aucun brevet ne peut être délivré pour cette « invention », sous peine de violer le principe interdisant la « double protection ».

 

[40]           En l’espèce, la demanderesse détenait un brevet pour un produit fabriqué selon le procédé précisé dans le brevet et elle a par la suite demandé un brevet pour le produit lui-même. Le défendeur affirme toutefois que le produit revendiqué dans la seconde demande ne démontrait aucune inventivité par rapport aux revendications du premier brevet, étant donné que les revendications de la demande ne démontraient « aucune inventivité » en comparaison de celles du brevet principal, puisqu’elles ne visaient pas un « élément brevetable distinct ». C’est donc à juste titre que la commissaire aux brevets a refusé de délivrer le brevet réclamé.

 

[41]           Lorsque la question de la double protection se pose, il y a lieu de se demander jusqu’à quel point les revendications doivent être « identiques » pour que le premier brevet invalide le second. Lorsque les deux brevets « coïncident exactement », on considère que la revendication ultérieure viole le principe interdisant de délivrer deux brevets pour une seule et même invention. Le défendeur admet que cette forme de double protection n’est pas en cause en l’espèce. Toutefois, une autre forme de double protection a été reconnue, celle concernant le « double brevet relatif à une évidence » (voir l’arrêt Camco, aux paragraphes 66 et 67) et l’idée qu’un brevet ne doit pas contrevenir au principe interdisant le « double brevet relatif à une évidence » est acceptée depuis longtemps (Camco, aux paragraphes 37 et 63).

 

[42]           Suivant le défendeur, dans une situation d’éventuelle double protection, sauf dans le cas où la seconde revendication présente de la nouveauté ou de l’ingéniosité par rapport à la revendication précédente, on considère que les deux revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » et la délivrance du second brevet est interdite (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 1471, 303 F.T.R. 284, aux paragraphes 99 à 102; Bayer AG c. Novopharm Ltd., 2006 CF 379, 289 F.T.R. 263, aux paragraphes 41, 42, 56 et 57; Apotex c. Sanofi-Synthelabo, précité, aux paragraphes 111, 112 et 113; Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2006 CAF 229, [2007] 2 R.C.F. 103, aux paragraphes 67 et 68).

 

[43]           Les revendications qui dépendent d’un procédé illustrent bien ce principe. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que ce n’est que lorsque le procédé et le produit font tous les deux preuve d’inventivité que chacun est considéré comme une invention brevetable distincte. Sinon, ils ne sont que des aspects différents de la même chose et ils ne constituent pas des inventions distinctes (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323, [2007] 3 R.C.F. 588, au paragraphe 32, citant CIBA-Geigy AG c. (Canada) Commissaire aux brevets, (1982), 42 N.R. 587, 15 A.C.W.S. (2d) 218 (C.A.F.); Hoffmann-LaRoche & Co. c. Canada (Commissaire aux brevets), [1955] R.C.S. 414, 23 C.P.R. 1).

 

[44]           En l’espèce, le défendeur affirme que les revendications que l’on retrouve dans la demande ne présentent aucune ingéniosité par rapport au brevet principal. À l’exception d’une légère différence, le produit décrit dans les revendications de la demande est exactement le même que celui qui est décrit dans les revendications du brevet principal.

 

[45]           La décision de la commissaire est correcte et raisonnable et la demanderesse va même jusqu’à reconnaître qu’il n’y a pas de différence appréciable entre le composé qui est décrit dans les revendications de la demande et le composé décrit dans la revendication [B] (et dans la revendication [L]) du brevet principal. En conséquence, les revendications de la demande ne présentent aucune nouveauté ou ingéniosité par rapport aux revendications du brevet principal. Le défendeur soutient que les revendications en question ne visent pas un élément brevetable distinct et ajoute que la délivrance d’un brevet pour ces revendications irait à l’encontre du principe interdisant le « double brevet relatif à une évidence », d’autant plus que toutes les revendications de la demande dépendent de la revendication [L].

 

[46]           La demanderesse cite les décisions Aventis c. Mayne, Pfizer et Sanofi-Synthelabo et soutient que le droit a changé de sorte qu’une revendication visant un produit ne doit pas présenter d’inventivité par rapport à une revendication qui dépend d’un procédé et qui porte sur le même produit. Le défendeur soutient toutefois que c’est à tort que demanderesse met l’accent sur ces décisions étant donné que celles-ci ne portent que sur le double brevet relatif à la « même invention ». Si l’on retenait les arguments de la demanderesse, on méconnaîtrait le concept du double brevet relatif à une évidence.

 

[47]           Dans l’affaire Aventis c. Mayne, la Cour, qui était saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, était appelée à décider si l’allégation d’invalidité du fabricant du médicament générique était justifiée. Dans cette affaire, c’est la validité du brevet qui était en cause, et non la décision du commissaire. Aucune allégation de « double brevet relatif à une évidence » n’était formulée et la Cour n’en avait pas fait mention, et la question de savoir si les revendications du second brevet présentaient de la nouveauté ou de l’ingéniosité par rapport au premier brevet n’avait pas été abordée. Selon le défendeur, il est évident que la Cour n’a examiné que la question de la double protection portant sur la « même invention » (Aventis c. Mayne, au paragraphe 76).

 

[48]           La Cour d’appel fédérale a déterminé que, pour qu’on puisse en tenir compte, il fallait formuler expressément une allégation de « double brevet relatif à une évidence » (Bayer AG c. Apotex Inc., 2001 CAF 263, 278 N.R. 178, au paragraphe 14). Dans une affaire similaire, (Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. 2008 CSC 61, [2008] 3 C.S.R. 265), la Cour suprême du Canada n’a examiné que la question de la double protection portant sur la « même invention » et a déclaré au paragraphe 102 : « … il est évident qu’en ce qui concerne la question de la double protection, les revendications de produit 1 et 5 du brevet 777 et les revendications  1, 8 et 15 du brevet 875 ne sont pas identiques… ». Le concept d’« identité » ne vaut que dans le cas de l’interdiction frappant la double protection portant sur la « même invention » et le défendeur fait valoir que la Cour n’aurait pas écarté l’exigence relative à l’« inventivité » dans le cas du double brevet relatif à une évidence sans discuter de la question.

 

[49]           Le défendeur affirme enfin que la demanderesse semble se fonder sur quelque chose qui ressemble à un argument d’équité qui ne trouve pas application en l’espèce, étant donné que le commissaire est tenu de refuser de délivrer un brevet lorsqu’il est convaincu que le requérant n’y a pas légalement droit. Le défendeur soutient que si la commissaire avait délivré en l’espèce le brevet réclamé, elle aurait prolongé indûment le monopole prévu par la loi, procédant ainsi à ce qu’on appelle un « renouvellement à perpétuité », une mesure fortement décriée par les tribunaux. La décision de la commissaire était par conséquent bien fondée et la Cour ne doit pas la modifier.

 

Analyse

[50]           L’arrêt de principe en ce qui concerne la double protection est celui qu’a rendu la Cour suprême du Canada dans l’affaire Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067 (Camco), qui portait sur un brevet qui, comme celui qui nous intéresse dans le présent appel, était régi par la Loi sur les brevets dans sa version antérieure à 1989. Dans l’arrêt Camco, la Cour suprême a accepté qu’il existe une interdiction inhérente contre la double protection dans la Loi sur les brevets. La Cour a également jugé que l’interdiction portant sur la double protection comportait deux volets, en l’occurrence, l’interdiction du double brevet relatif à la « même invention », qui exige qu’il y ait « identité » des revendications des deux brevets, et le volet dit du double brevet relatif à une « évidence », qui interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du premier brevet.

 

[51]           L’inventeur n’a droit qu’à un brevet pour chaque invention (Camco, au paragraphe 63) et, dès lors qu’un brevet a été délivré pour une invention, aucun autre brevet ne peut être accordé pour la même invention, car le brevet délivré ultérieurement aurait pour effet de prolonger illégalement le monopole conféré par le premier brevet (Canada (Commr. of Patents) c. Farbwerke Hoechst A/G Vormals Meister Lucius Bruning, [1964] R.C.S. 49, à la page 53, 41 C.P.R. 9; Consolboard, précité, aux pages 536 et 537). Un second brevet ne saurait être justifié que si les revendications font preuve « de nouveauté ou d’ingéniosité » par rapport au premier brevet (Farbwerke Hoechst, précité; Consolboard, précité). Ainsi que les deux parties l’ont signalé à l’audience, il est possible d’obtenir un brevet pour un produit et un brevet pour le procédé servant à fabriquer ce produit.

 

[52]           L’étendue du droit exclusif est déterminée par les revendications du brevet. La revendication est ce qui décrit l’élément essentiel de l’invention et définit le monopole revendiqué par le breveté dans sa demande. Une comparaison entre les revendications des deux brevets est essentielle pour déterminer s’il y a double brevet (Bayer c. Novopharm, au paragraphe 42).

 

[53]           Ainsi que le défendeur le signale, l’interdiction du double brevet est rattachée au problème du « renouvellement à perpétuité ». L’inventeur n’a droit qu’à un brevet pour chaque invention (Loi sur les brevets, paragraphe 36(1)). Si un brevet comportant des revendications identiques est par la suite délivré, il y a une prolongation inacceptable du monopole.

 

[54]           L’interdiction de la double protection suppose que l’on compare les revendications et non les mémoires descriptifs, parce que ce sont les revendications qui définissent le monopole. Il existe deux façons de déterminer si l’on a affaire à une double protection : la première consiste à se demander si les revendications sont identiques, une méthode qui est parfois désignée sous le nom de « double brevet relatif à la « même invention », la seconde consiste à se demander si le second brevet est « évident » ou s’il vise ou non un « élément brevetable distinct » du brevet antérieur, d’après les connaissances usuelles du travailleur moyen à la date de la publication du brevet (Camco, aux paragraphes 63 à 75; Apotex c. Sanofi, aux paragraphes 94 à 115; Bayer AG c. Novopharm Ltd., aux paragraphes 40 à 63; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 455, [2008] 2 R.C.F. 636, au paragraphe 359; Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137, 74 C.P.R. (4th) 85, au paragraphe 175).

 

[55]           Il est de jurisprudence constante qu’il existe divers types de revendications dans l’industrie pharmaceutique, à savoir les revendications portant sur un produit et les revendications visant un procédé. Dès lors qu’on a obtenu un brevet pour une substance en soi, on ne peut obtenir de protection additionnelle pour la même substance. Toutefois, comme la Cour l’a fait remarquer dans le jugement Aventis c. Mayne, au paragraphe 76, il est possible d’obtenir un brevet pour le procédé employé pour fabriquer une substance, indépendamment du brevet visant la substance en soi. Ce type de brevet est valide et il n’a pas pour effet de prolonger le monopole accordé par la loi au brevet sur la substance en soi.

 

[56]           Le critère incontesté de l’évidence consiste à déterminer si, à la date de l’invention, le technicien versé dans son art mais dépourvu d’imagination, compte tenu de ses connaissances générales, ainsi que des documents et renseignements dont il pouvait disposer sur le sujet à cette date, aurait été conduit directement et sans difficulté à ladite invention (Proctor & Gamble Co. c. Beecham Canada Ltd. (1982), 40 N.R. 313, 12 A.C.W.S. (3d) 491 (C.A.F.)).

 

[57]           En l’espèce, la Cour conclut que les revendications [L] à [P] de la demande ne sont pas inventives. Bien que la revendication [L] porte sur le même composé que la revendication [B] du brevet principal, il ne s’agit pas d’une revendication qui dépend d’un procédé comme la revendication [B] du brevet principal, et bien que les revendications [F] et [P] visent le même objet que la revendication [L], […] [il y a une différence]. Ainsi que la commissaire l’a fait observer dans la décision en cause :

[traduction] Les revendications [L] à [P] de la présente demande portent sur les mêmes composés que ceux qui sont revendiqués dans le [brevet principal], à cette seule différence près que les composés sont revendiqués sous forme de revendication qui dépend d’un procédé alors qu’il n’y a aucune mention d’un procédé dans les revendications [L] à [P] de la demande.

 

Les composés énumérés dans les revendications [L] à [P] sont les mêmes que ceux qui sont revendiqués dans les revendications du brevet. En outre, il s’agit des mêmes composés qui sont produits grâce aux procédés exposés dans les autres revendications du brevet, tel que le procédé visé à la revendication [L] du [brevet principal].

 

[58]           Le brevet principal revendique un procédé visant un composé déterminé ainsi qu’un composé produit au moyen d’un procédé particulier, également connu sous le nom de composé dépendant d’un procédé, ainsi que l’exigeait à l’époque la Loi sur les brevets. Toutes les revendications de la présente demande dépendent de la revendication [L], laquelle vise un composé particulier. Il n’y a pas de différence appréciable entre le composé visé par la revendication [L] de la demande et le composé dont il est question dans les revendications [L] et [B] du brevet principal. L’exigence essentielle de l’inventivité n’est donc pas respectée en l’espèce. Il est de jurisprudence constante que la nouveauté et l’inventivité sont nécessaires pour pouvoir écarter une allégation de double brevet relatif à une évidence.

 

[59]           Qui plus est, le brevet principal et la demande portent sur la même structure moléculaire fondamentale. Compte tenu du fait que le brevet principal a été délivré, la revendication [L] que l’on trouve dans la demande ne vise pas un élément brevetable distinct du brevet antérieur parce que le même composé est décrit dans le brevet principal […].

 

[60]           La Cour est par conséquent d’avis qu’il était évident de réclamer ces procédés et cet objet et que ces revendications ne font pas preuve « de nouveauté ou d’ingéniosité » au sens de l’arrêt Camco, précité. Je conclus donc qu’il s’agit d’un cas de double protection. Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

[61]           Vu la conclusion de la Cour sur cette question, il n’est pas nécessaire d’examiner les questions (3) et (4).


 

JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE l’appel.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1761-08

 

INTITULÉ :                                                   BAYER SCHERING PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A.Gaikis

Jeremy E. Want

POUR LA DEMANDERESSE

F.B. (Rick) Woyiwada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Avocats

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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