Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                      

 

Cour fédérale

 

 

 

Federal Court

 


Date :  20091020

Dossier :  T-1573-08

Référence :  2009 CF 1060

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2009

En présence de Monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

GISÈLE BACON

demanderesse

ET

 

COMITÉ D'APPEL DU CONSEIL

DE BANDE DE BETSIAMITES et

PAUL VOLLANT et RAPHAËL PICARD

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Gisèle Bacon (la demanderesse) présente une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1  de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, à l’encontre d’une décision datée du 17 septembre 2008 rendue par le Comité d’appel du Conseil de Bande de Betsiamites, déclarant irrecevable et rejetant sa contestation d’élection.

 

Contexte factuel 

[2]               Le 17 août 2008, lors des élections du Conseil de Bande de Betsiamites (le Conseil), la demanderesse, s'étant portée candidate au poste de conseillère est défaite, elle n'obtient que 291 voix. Un écart de 321 voix la sépare du candidat élu au sixième et dernier poste de conseiller au Conseil. Lors de cette même élection, les défendeurs, Raphaël Picard et Paul Vollant sont respectivement élus aux postes de chef et de conseiller. Le processus électoral du Conseil est géré par le Code concernant les élections du Conseil de bande de Betsiamites (24 mai 1994) (le Code) (pages 38 à 56 du dossier la demanderesse).

 

[3]               La demanderesse affirme que lors de la journée des élections, elle a vu Stéphane Tshernish distribuer de l’alcool et d’autres substances à certains membres de Betsiamites. Suite aux élections, elle fait enquête et dit avoir eu connaissance de manœuvres frauduleuses commises par les défendeurs et un de leurs représentants cherchant à influencer sur le résultat de l’élection. Les défendeurs et Stéphane Tshernish auraient offert de l’argent, de la bière et des stupéfiants à certains électeurs en échange d’une promesse de voter pour leur équipe.

 

[4]               Le 2 septembre 2008, elle dépose une demande d’appel auprès de la présidente d’élection, Me Cynthia Labrie. Cette demande contient sa déclaration assermentée et dix déclarations non-assermentées, manuscrites et signées par des personnes ayant eu connaissance des manœuvres alléguées. Ces déclarations sont toutes rédigées par la demanderesse mais signées par dix personnes différentes.

 

[5]               La présidente d’élection fait parvenir une copie de la demande d'appel aux défendeurs. Ces derniers, au moyen d'un dossier de réponse datée du 11 septembre 2008 s’attaquent à la recevabilité et à l'insuffisance de preuve fournie par la demanderesse. Ce dossier contient les déclarations solennelles des défendeurs ainsi que celle de Stéphane Tshernish dans lesquelles ils nient toutes les allégations de la demanderesse.     

 

[6]               La présidente d’élection transmet la demande d’appel au directeur général du Conseil. Ce dernier convoque le Comité d’appel du Conseil (le Comité d’appel). Le Comité d’appel est composé du directeur général, du chef de police et d’un avocat. La décision du Comité d’appel peut être contestée par voie de demande de contrôle judiciaire.

 

Décision contestée

[7]               Le Comité d’appel conclut que la demande d’appel est irrecevable et la rejette. Les motifs de cette décision sont détaillés et appuyés par la jurisprudence pertinente.

 

[8]               Le Comité d’appel mentionne qu’en vertu du Code électoral, il lui revient de décider si les faits allégués sont suffisants et s’il y a lieu de conduire une enquête suite aux allégations déposées. L’article 8.7 du Code prévoit que « Le président d’élection réfère alors le dossier au directeur général qui forme le comité d’appel qui conduira l’enquête si les faits allégués lui paraissent suffisants pour contester de la validité de l’élection ».    

 

[9]               Dans un premier temps, le Comité d’appel, après avoir analysé les lois d'interprétation fédérale et québécoise, ainsi que la jurisprudence, détermine que la demande de contestation est recevable au sujet du délai (14 jours après l'élection) en tenant compte qu'elle a été déposée le 2 septembre 2008, et ceci en tenant compte des jours fériés, de la fin de semaine et du lundi du long congé de septembre.

 

[10]           Dans un deuxième temps, le Comité d’appel se demande si la déclaration de la demanderesse est suffisante pour contester la validité de l'élection. Après une analyse de la jurisprudence, le Comité d’appel résume les principes qu'il entend appliquer : 

Il est donc important que le présent comité vérifie si la contestation énonce des faits qui paraissent justifier l’annulation de l’élection. Or, pour éventuellement espérer obtenir une déclaration d’annulation d’une élection pour manœuvre frauduleuse ou corruptrice, il faut retrouver au départ, les éléments essentiels suivants :

 

-           une manœuvre frauduleuse;

-           commise par un candidat ou par son agent, mandataire;

-           ou commise par un tiers, mais avec la participation du candidat, suivant ses conseils ou ses ordres, ou avec son encouragement, son consentement, son autorisation ou son incitation, etc.     

 

(paragraphe 51, décision du Comité d’appel)

 

[11]            Le Comité d'appel remarque qu'il n'y a que cinq paragraphes à l'affidavit de la demanderesse dont un est manuscrit et semble avoir été rajouté à la hâte et à la dernière minute. Un seul paragraphe contient des faits qui pourraient être sujets à une enquête, les motifs de la demanderesse ne sont pas clairement détaillés et elle ne fait pas état des faits supportant ses allégations. Le Comité d’appel soulève plusieurs questions qui demeurent sans réponses. Le Comité d’appel s'exprime ainsi à ce sujet :

Sans aller jusqu’à exiger un degré de précision de très haut niveau, ni même exiger la connaissance personnelle de tous les faits, il est essentiel, pour que le comité puisse exercer sa juridiction et contrôler la suffisance des motifs, que ceux-ci soient énoncés et détaillées, et qu’à tout le moins, l’on retrouve une déclaration qui implique non seulement un tiers, dans ses faits et gestes ou ses paroles, mais indique, au moins sommairement, en quoi ces faits et gestes ou ces paroles sont imputables à l’un des candidats.

 

Or, la déclaration à ce chapitre est muette. Il n’est pas suffisant de dire que M. Tshernish demandait aux gens de voter pour Raphaël Picard. Il faudrait retrouver au moins une allégation qui indique en quoi Raphaël Picard et/ou Paul Vollant auraient été parties à cette infraction.

       

(paragraphes 63 et 64, décision du Comité d’appel)

 

[12]           En s'appuyant sur la jurisprudence en semblable matière, le Comité d’appel considère que des allégations de manœuvres frauduleuses dans le cadre d'une contestation d'élection doivent être sérieuses, étoffées et précises afin de pouvoir déclencher une enquête.

 

[13]           Enfin, le Comité d’appel constate que les faits allégués dans la déclaration de la demanderesse ne sont pas suffisants pour contester la validité de l’élection en cause.

 

Questions en litige

[14]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a.                   La décision de transmettre ou non une demande d’appel au directeur général du Conseil de bande de Betsiamites relève-t-elle exclusivement du président d’élection?

b.                  En décidant de transmettre l'appel de la demanderesse et les déclarations manuscrites au directeur général, la présidente a-t-elle épuisé sa juridiction qui lui est attribuée par le Code?

c.                   Le Comité d’appel du Conseil de bande peut-il validement décider de façon préliminaire de la légalité d’une demande d’appel ou doit-il considérer l’ensemble du dossier qui lui est soumis par le directeur général?

d.                  La décision du Comité d'appel est-elle déraisonnable?

e.                   La composition du Comité d’appel, sa rémunération et le statut de ses membres laissent-ils entrevoir une crainte raisonnable de partialité?

f.                    Les règles de justice naturelle s’appliquent-elles au Comité d’appel et ont-elles été respectées le cas échéant?

 

[15]           Les défendeurs ajoutent la question suivante :

g)         À supposer même que la Cour soit «convaincue» que l’un des motifs visés aux sous-paragraphes 18.1(4) a) à f) de la Loi sur les Cours fédérales ait été prouvé par la demanderesse, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 18.1(1) et annuler la décision du Comité d’appel?

 

[16]           La Cour croit plutôt que les questions suivantes sont pertinentes :

a.                   Est-ce que le Comité d’appel a commis une erreur en déterminant de façon préliminaire que les faits allégués étaient insuffisants et ceci avant même de procéder à une enquête?

b.                  Est-ce que la décision du Comité d'appel est déraisonnable?

c.                   Les règles de justice naturelle s’appliquent-elles au Comité d’appel et ont-elles été respectées le cas échéant?

d.                  Existe-t-il une crainte raisonnable de partialité compte tenu de la composition, la rémunération et le statut des membres du Comité d’appel?

e.                   À supposer même que la Cour soit « convaincue » que l’un des motifs visés aux sous-paragraphes 18.1(4) a) à f) de la Loi sur les Cours fédérales ait été prouvé par la demanderesse, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 18.1(1) et annuler la décision du Comité d’appel?

 

[17]           Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Législation

[18]           Les extraits de la législation en cause se retrouvent en annexe.

 

Analyse

La norme de contrôle applicable

[19]      La première question concerne l'interprétation du Code. La troisième touche aux règles de justice naturelle. Les parties sont d'accord que ces deux questions doivent être analysées en fonction de la décision correcte. Quant aux deux autres questions, les critères de la décision raisonnable déterminée dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) sont applicables.

 

[20]       La Cour partage l'avis des parties à ce sujet. Dunsmuir nous enseigne aux paragraphes 59 à 61 que lorsque le décideur n'a pas une expertise particulière pour interpréter sa loi habilitante ou des lois connexes, on doit utiliser les éléments de la décision correcte lorsqu'il s’agit d'une question d'interprétation. Dans le cas qui nous occupe, le Comité d’appel ne possède pas cette expertise particulière.

 

[21]           Quant aux principes de justice naturelle et à l'équité procédurale, la norme de la décision correcte doit trouver application (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392; Dunsmuir, au paragraphe 57).

 

Est-ce que le Comité d’appel a commis une erreur en déterminant de façon préliminaire que les faits allégués étaient insuffisants et ceci avant même de procéder à une enquête?

[22]           Depuis 1994, les élections du Conseil sont régies par un code électoral coutumier. Le Code prévoit le déroulement des élections et la façon de les contester.

 

[23]           Le Code stipule que dans un délai de 14 jours après l'élection, une contestation peut être déposée pour les motifs prévus aux articles 8.1. et 8.2. On constate qu’un Comité d'appel a déjà été mis en place après la présentation des candidats, donc avant l'élection, afin de régler une contestation future.

 

[24]            Le directeur général du Conseil, le chef de police, ainsi qu'un avocat désigné par ces deux membres forment le Comité d'appel (8.3 du Code).

 

[25]            Une copie de la demande d’appel est envoyée aux candidats dont l’élection est contestée. Ils peuvent produire une réponse écrite (articles 8.4 et 8.5). Le président réfère alors le dossier en entier au directeur général du Conseil.

 

[26]           L’article 8.7 du Code électoral prévoit ceci :  

Le président d’élection réfère alors le dossier au directeur général qui forme le comité d’appel qui conduira l’enquête si les faits allégués lui paraissent suffisants pour contester de la validité de l’élection.

 

 

[27]           À la lecture de cette disposition, le Comité d’appel a conclu qu’il lui appartenait de décider de la suffisance des faits allégués par la demanderesse avant même de passer à l’étape suivante c'est-à-dire une enquête.

 

 

Arguments de la demanderesse

[28]           La demanderesse suggère que l'interprétation du Code démontre que c'est à la présidente d'élection qu'il appartient de vérifier si l'appel est conforme à l'article 8.1 et non au Comité d'appel. Une fois ce travail fait, la présidente d'élection réfère le dossier au directeur général qui lui, décide alors de convoquer le Comité d'appel s'il (directeur général) est convaincu de la suffisance des faits allégués. Le seul rôle du Comité d'appel est de procéder à une enquête et rendre une décision conforme à l'article 8.8 du Code.

 

[29]           Avec cette interprétation, on doit nécessairement retenir que le mot « qui » après  les mots « le comité d'appel » dans la deuxième phrase de l'article 8.7 du Code qui se lit comme suit « Le président d'élection réfère alors le dossier au directeur général qui forme le comité d'appel qui conduira l'enquête … » désigne nécessairement le directeur général. [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           Cette façon d'interpréter le Code tient compte selon la demanderesse, d'éviter de convoquer inutilement le Comité d’appel dans les cas où les faits sont jugés insuffisants par le directeur général.

 

[31]           Le Comité d’appel a donc excédé sa juridiction en s'appropriant un pouvoir qui est dévolu dans un premier temps, à la présidente d'élection et dans un deuxième, au directeur général.

 

[32]           Avec respect, la Cour ne peut être d'accord avec cette interprétation. Le Chapitre 8 du Code électoral prévoit qu'une fois que tous les détails et toutes les pièces déposées conformément aux articles 8.1 et 8.4, c'est à la présidente d'élection de référer le dossier au directeur général. Nulle part dans le Code n’y voit-on une discrétion particulière attribuée au directeur général afin que ce dernier décide de la suffisance ou de l'insuffisance des faits concernant la contestation de l'élection.

 

[33]           Le libellé de l’article 8.7 est clair. Le mot « qui » est placé immédiatement après les mots « … le comité d'appel ... ». Selon la Cour, ceci renvoie nécessairement au Comité d'appel et non au directeur général.

 

[34]           Cette façon de lire ce texte s'harmonise avec le but et les autres dispositions qui ont trait avec une contestation d'élection. Il serait pour le moins très surprenant de laisser une discrétion aussi importante à une seule personne. Ceci pourrait conduire à des abus.

 

[35]           Le Code a été rédigé afin de mettre en place des mécanismes pour que les élections soient justes et équitables et que des redressements rapides puissent être effectués s'il y a constat de motifs d'appel prévu à l'article 8.1.

 

[36]           La Cour ne croit pas que le Comité d'appel ne possède que des fonctions de tenir une enquête et de rendre une décision selon l'article 8.8. La question préliminaire de juger de l'insuffisance ou de la suffisance des faits pour contester une élection est trop importante pour que seul un individu soit investi du pouvoir final de décider.

 

[37]           Le Comité d'appel avait donc juridiction pour décider de façon préliminaire si les faits allégués tels que présentés étaient suffisants ou non pour déclencher une enquête.

 

Est-ce que la décision du Comité d'appel est déraisonnable?

[38]           La demanderesse soutient que le Comité d'appel aurait dû conclure que la preuve était suffisante pour entamer une enquête. Cependant, le Comité d'appel a commis une erreur révisable en exigeant que la demanderesse fasse la démonstration qu'elle avait eue une connaissance personnelle des faits allégués comme condition sine qua non pour supporter  la suffisance des faits.

[39]           Elle ajoute que le Comité d'appel a imposé un fardeau plus lourd que la prépondérance des probabilités et aurait dû accepter en preuve les dix déclarations manuscrites qui appuyaient l'affidavit demanderesse. Cette dernière cite les causes suivantes Pellerin c. Thérien, [1996] J.Q. no 2895 (C.Q. civ); Pellerin c. Thérien, [1997] R.J.Q. 816 (C.A.) (QL).

 

[40]           Les défendeurs plaident que la décision du Comité d’appel est raisonnable si on tient compte des exigences du Code électoral, en particulier les articles 8.1 et 8.5. Ces dispositions assurent que le processus de réexamen d’une élection soit fondé sur une preuve fiable. Ceci est d’autant plus important puisque la décision doit être rendue dans un court délai. Le Code ne prévoit pas d’audience formelle, ni l’audition de témoins.

 

[41]           De plus, le pouvoir conféré au Comité d’appel à l’article 8.7 est un pouvoir de nature discrétionnaire. Ce dernier peut tirer des conclusions au sujet de la valeur probante de la preuve ou de conclure qu’une plainte ne mérite pas d’être poursuivie à cause d'un vice apparent dans la mesure où les règles d’équité procédurale sont observées (Abbott c. Le comité d'appel de la bande du lac Pélican, 2003 CFPI 340, 231 F.T.R. 69 (Abbott); Bill c. Bande du Lac Pélican, 2006 CF 679, 294 F.T.R. 189).

 

[42]           Les défendeurs font valoir que le Comité d’appel a justement à bon titre soulevé les lacunes fondamentales dans la documentation déposée par la demanderesse pour contester l'élection.

 

 

[43]           La Cour doit se poser la question suivante « Est-ce que la décision du Comité d'appel rencontre les critères de la décision raisonnable eu égard à l'arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Est-elle justifiée, transparente, intelligible et sa finalité participe-t-elle à une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit? »

 

[44]           Tout d’abord, la Cour note que le Comité d'appel a structuré sa décision en commençant par l'objet de l’appel, la demande d'appel et son rôle et sa juridiction. Par la suite, en se fondant sur la jurisprudence pertinente, en particulier en ce qui concerne le degré de preuve exigible en matière de contestation d'élection, le Comité d'appel a examiné et analysé la recevabilité de la preuve en tenant compte des exigences du Code électoral pour enfin conclure qu'il y avait insuffisance et qu’il n'était pas nécessaire d'entamer une enquête.

 

[45]           Après une analyse minutieuse de cette décision, la Cour est convaincue, qu'elle possède toutes les caractéristiques de la décision raisonnable.

 

Existe-t-il une crainte raisonnable de partialité compte tenu de la composition, la rémunération et le statut des membres du Comité d’appel?

Arguments de la demanderesse

[46]           En se référant à l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 18 à 28 (Baker), la demanderesse soutient que le Comité d'appel aurait dû procéder à une enquête. En mettant fin prématurément aux procédures, le Comité d'appel a commis une brèche aux principes de justice naturelle et à l'équité procédurale.

 

[47]           La demanderesse prétend aussi qu'elle avait droit à une audition orale avant de voir sa demande d’appel rejetée de façon sommaire. De plus, elle affirme qu'on lui a enlevé le droit de répliquer aux prétentions des défendeurs. Elle cite les causes suivantes : Abbott; Sound c. Première nation de Swan River, 2003 CF 850, [2004] 1 R.C.F. 336.

 

Arguments des défendeurs

[48]           Les défendeurs soulignent que Lameman c. Cardinal, 138 F.T.R. 1, [1997] A.C.F. no 1518 (CF) (QL) s'applique ici car les exigences de l'équité procédurale sont minimales lorsqu'il s'agit d'une contestation d'élections d'un conseil autochtone. Les délais ont été raccourcis justement pour éviter l'incertitude. Il est donc normal qu’il n'y ait pas à chaque fois une audition formelle.

 

[49]           Quant à la prétention de la demanderesse de ne pas avoir pu fournir de réplique aux réponses des défendeurs, ces derniers font remarquer que le Comité d'appel n'a pas tenu compte de leur dossier de réponse. Ceci paraît évident à la lecture de la transcription du contre-interrogatoire de Maître Nepveu (Président du Comité d’appel) à ce sujet, et une lettre de sa part le confirme. Il n'était donc pas nécessaire dans les circonstances, d'octroyer un droit de réplique à la demanderesse.

 

[50]           La Cour constate que la jurisprudence établit que l’équité procédurale et les principes de justice naturelle doivent être suivis par un Comité d’appel créé par un code coutumier en matière de contestation électorale autochtone.

 

[51]           La Cour est d'accord avec la demanderesse que l’équité procédurale est « souple et variable et qu'elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés » (Baker, au paragraphe 22). Par contre, la Cour ne peut accepter l'argument de la demanderesse à l'effet que la jurisprudence confirme sa prétention à l'effet que dans toute contestation d'élection autochtone, une enquête soit nécessairement entamée.

 

[52]           Les codes électoraux coutumiers des différents conseils de bande au Canada sont très différents les uns des autres. Dans le cas qui nous occupe, rien n’oblige le Comité d'appel d'amorcer une enquête aussitôt qu'un appel lui a été transmis.

 

[53]           Comme l’a rappelé la Cour d’appel fédérale, « [l]a jurisprudence de la Cour fédérale relative à l'équité procédurale dans le contexte de l'élection d'une bande conduite selon la coutume montre que le contenu de l'obligation dans ce contexte doit prendre en compte et respecter la coutume pertinente de la bande concernée [citations omises] » (Bande indienne de Samson c. Bande indienne de Samson (Commission d'appel en matière électorale), 2006 CAF 249, [2006] A.C.F. no 1051 (QL), au paragraphe 21). Dans Polson c. Première nation de Long Point, 2007 CF 983, 331 F.T.R. 25, le demandeur alléguait avoir le droit à une audition orale à l’étape de l’évaluation préliminaire de sa plainte. Après avoir analysé les facteurs dans Baker, le juge Frenette a conclut que le défendeur pouvait  présenter ses observations, mais a jugé qu'il n'avait pas droit à une audition orale.

 

[54]           Ici, je suis satisfait que la demanderesse a pu présenter sa position au moyen de représentations écrites. Il lui incombait de présenter des raisons détaillés pour soutenir sa demande et je ne peux accepter qu'elle avait droit à une audition orale pour compléter ou ajouter à ses prétentions écrites.

 

[55]           La preuve prépondérante me convainc aussi que le Comité d'appel n'a pas tenu compte de la réponse des défendeurs et en ce sens il n'était pas nécessaire d'accorder une réplique à la demanderesse dans les circonstances. En somme, le Comité d'appel n'a pas commis de brèches aux principes de justice naturelle ou à l'équité procédurale.

 

Existe-t-il une crainte raisonnable de partialité compte tenu de la composition, la rémunération et le statut des membres du Comité d’appel?

Arguments de la demanderesse

[56]           En invoquant l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369 (Committee for Justice and Liberty), en particulier les paragraphes 394 et 395, la demanderesse soutient qu’il existe une crainte de partialité dû à la composition du Comité d’appel.

 

[57]            Le directeur général est sujet à réévaluation après chaque élection. Ce poste est politique car il est comblé par l'administration nouvellement élue soit celle d’un des défendeurs Raphaël Picard. Donc, il est raisonnable de penser que l'actuel directeur général Gérald Hervieux soit favorable à la thèse de M. Picard lorsque son élection est contestée.

 

[58]           Quant au chef de police, ayant assermenté la déclaration de la demanderesse, il aurait dû se récuser et aurait dû plutôt débuter une enquête concernant un trafic de stupéfiants allégué dans une déclaration manuscrite jointe à l'affidavit demanderesse.

 

[59]           Finalement, la demanderesse soulève un conflit d'intérêts envers la présidente d'élection car elle fait partie du même cabinet qui représente le Conseil. De plus, elle ajoute que la rémunération des membres du comité et leur inamovibilité sont inconnus des membres du public et de la communauté autochtone ce qui soulève encore une fois une crainte de partialité.

 

Arguments des défendeurs

[60]           De leur côté, les défendeurs rappellent que le Code à l’article 8.3 prévoit expressément que le directeur général est membre d’office du Comité d’appel. Ils soulèvent que l’argument invoqué par la demanderesse n'est que pure hypothèse sans fondement. Ils font remarquer que le seul élément invoqué par cette dernière est une décision d’un tribunal d’arbitrage concernant un autre directeur général et non celui en place. Lors de son contre-interrogatoire, la demanderesse a d'ailleurs admis ne pas être au courant des conditions d’emploi ou des résolutions d’engagement du directeur général actuel.

 

[61]           Pour ce qui est du chef de police, les défendeurs mettent en évidence la déclaration solennelle du chef de police et son contre-interrogatoire où il a confirmé que lorsqu’il a assermenté la déclaration de la demanderesse, il n’a pris aucunement connaissance des documents annexés (déclarations manuscrites). Avant d'assermenter la demanderesse, le chef de police lui a offert d'être assermenté par une autre personne, ce qu'elle a refusé. Le Code ne prévoit aucun mode de substitution des membres formant le Comité d’appel.

 

[62]           Quant à l’argument de la demanderesse à l'endroit de la présidente d'élection, les défendeurs plaident que la demanderesse était déjà au courant depuis très longtemps que la présidente l'élection faisait partie du cabinet juridique Nadeau Boisjoli Bhérer ayant elle-même reçu une lettre de ce cabinet le 10 janvier 2008. En aucun temps, la demanderesse a-t-elle soulevé un conflit d'intérêts et elle est maintenant forclose de le faire.

 

[63]            En ce qui concerne la rémunération et l’inamovibilité des membres du Comité d’appel, aucun élément de preuve n'a été déposé pour soutenir l'argument de la demanderesse.    

 

[64]           La demanderesse a bien identifié la question que la Cour doit se poser lorsqu'il s'agit de constater l'existence d'une crainte raisonnable de partialité « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (Committee for Justice and Liberty, aux pages 394 et 395).

 

[65]           Il faut cependant une preuve probante et vraisemblable. Les soupçons ou les hypothèses ne font pas partie de cette équation.

 

[66]           La Cour n'est pas satisfaite ici que la demanderesse s'est déchargée de son fardeau de démontrer l'existence d'une crainte raisonnable de partialité.

 

[67]           En ce qui concerne le directeur général, rien dans la preuve ne démontre que son poste devait être révisé après l'élection de 2008. Il est en place depuis 2005 et il a obtenu un renouvellement de mandat en 2006. 

 

[68]           Quant au chef de police, la preuve soumise par sa déclaration et son contre-interrogatoire confirme qu'il n'a pas pris connaissance des déclarations non assermentées annexées à l'affidavit de la demanderesse. On ne peut donc lui reprocher de ne pas avoir débuté une enquête au sujet des allégations de trafic de stupéfiants contenues dans les déclarations non assermentées. Une personne raisonnable confrontée à une telle situation n'en viendrait pas à la conclusion que le chef de police ne pourrait pas rendre une décision juste au sujet de la contestation de l’élection.

 

[69]           Finalement, les raisons invoquées pour tenter de démontrer que la présidente d'élection aurait un préjugé favorable en faveur des défendeurs ne sont pas probants. La demanderesse savait depuis janvier 2008 que la présidente d'élection faisait partie du cabinet juridique représentant le Conseil. En aucun temps avant la contestation d'élection, la demanderesse a-t-elle invoqué cette question. La Cour considère que cette question aurait dû être soulevée bien avant, soit, au moment ou la présidente d'élection a été nommée par résolution du Conseil ou lorsque la demanderesse lui a fait parvenir sa déclaration assermentée pour contester l'élection (8.1 du Code) ou tout au moins avant la formation du Comité d'appel.

 

[70]           La Cour conclut donc qu'aucune crainte raisonnable de partialité n'a été établie.

 

[71]           Compte tenu des réponses fournies aux quatre premières questions, il n'est pas nécessaire de répondre à la cinquième, posée par les défendeurs de façon subsidiaire.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. La demanderesse devra payer à titre de frais sous forme d'une somme globale un montant unique de 3 000 $ aux défendeurs.

 

 

Juge

 

 

 


 

ANNEXE

 

Conseil de bande de Betsiamites, Code électoral concernant les élections du Conseil de bande de Betsiamites (24 mai 1994).

 

CHAPITRE 8       APPEL À L’ÉGARD DE L’ÉLECTION

 

Motif d’appel

8.1

Dans un délai de quatorze jours après une élection, un candidat à l’élection ou un électeur ayant voté ou s’étant présenté pour voter peut, après avoir versé un dépôt de 300,00$ non remboursable, contester l’élection tenue, s’il a des motifs raisonnables de croire :

a)      qu’il y a eu manœuvre corruptrice en rapport avec une élection à un poste; ou

b)      qu’il y a eu violation du présent code qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection à un poste; ou

c)      qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible à ce poste, il peut interjeter appel en faisant parvenir au président d’élection par courrier recommandé les détails de ses motifs au moyen d’une déclaration assermentée.

 

Comité d’appel

8.2

Un comité d’appel sera mis en place après la présentation des candidats afin de régler une contestation éventuelle.

 

Composition

8.3

Le comité d’appel est formé du directeur général du Conseil de bande, du chef de police et d’un avocat désigné par les deux membres.

 

Délai d’appel

8.4

Lorsqu’un appel est interjeté, conformément à l’article 8.1, auprès du président d’élection, ce dernier doit faire parvenir par courrier recommandé aux candidats une copie de cet appel accompagnée de toutes les pièces à l’appui dans les sept jours qui suivent la réception de cet appel.

 

Réponse d’appel

8.5

Tout candidat dont l’élection est contestée peut, dans les sept jours de la réception de la copie de l’appel, répondre par écrit aux détails spécifiés dans l’appel et joindre toutes les pièces dûment certifiées sous serment.

 

Dossier d’appel

8.6

Tous les détails et toutes les pièces déposées conformément aux dispositions des articles 8.1 et 8.4 constitueront et formeront le dossier.

 

Enquête

8.7

Le président d’élection réfère alors le dossier au directeur général qui forme le comité d’appel qui conduira l’enquête si les faits allégués lui paraissent suffisants pour contester de la validité de l’élection.

 

Décision

8.8

Le comité rend une décision dans les quatorze jours suivant la réception de la réponse d’appel stipulée à l’article 8.5 et après analyse du dossier d’appel décide :

 

a)      si l’élection est nulle;

b)      si le candidat dont l’élection est contestée a été dûment élu;

c)      si une autre personne a été élue et quelle est cette autre personne;

d)      si la personne qui a contesté l’élection n’est pas satisfaite de la décision du comité d’appel, elle peut s’adresser au tribunal compétent qui tranchera le litige.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      T-1573-08

 

INTITULÉ :                                       GISÈLE BACON ET

COMITÉ D’APPEL DU CONSEIL DE BANDE DE BETSIAMITES et PAUL VOLLANT et RAPHAËL PICARD

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 5 octobre 2009

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

François Lévesque                                                        POUR LA DEMANDERESSE

 

Michel Beaupré                                                            POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GAUCHER LÉVESQUE TABET                                POUR LA DEMANDERESSE

Québec (Québec)

 

Langlois Kronström Desjardins s.e.n.c.r.l.                     POUR LES DÉFENDEURS

Québec (Québec)

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.