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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20091014

Dossier : IMM‑4770‑08

Référence : 2009 CF 1033

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2009

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

 

ENTRE :

LUIS FERRERA DIAZ

demandeur

 

 

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande se rapportant à l’évaluation par un agent d’immigration (l’agent) de l’intérêt supérieur de Luna Lidia Diaz Van Cliffe, une fillette de quatre ans qui est née le 22 février 2005. L’agent a réalisé cette évaluation dans le cadre du rejet de la demande pour motifs d’ordre humanitaire présentée le 12 mars 2008 par l’oncle de la fillette sous le régime du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), dans l’attente de son expulsion du Canada en raison de ses activités criminelles. La décision rejetant la demande pour motifs d’ordre humanitaire qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire a été rendue le 9 octobre 2008 (la décision).

 

[2]               Le demandeur s’appelle Luis Ferrera Diaz (soit l’oncle ou l’époux). Lui et son épouse Patricia Ferrera, qui est une citoyenne canadienne (l’épouse), élèvent Luna à la place de ses parents depuis sa naissance. À l’époque, la mère biologique a perdu la garde de l’enfant en raison de son alcoolisme et est morte par la suite dans un accident de la route. Son père biologique (le père) n’a jamais eu la garde de la fillette. Il rend visite à Luna les fins de semaine chez l’oncle et son épouse, mais ces visites se déroulent sous surveillance parce que le père a été accusé d’agression sexuelle à l’endroit d’une fillette de huit ans.

 

[3]               L’oncle et son épouse n’ont pas la garde juridique de Luna. Les arrangements sont informels.

 

[4]               Il s’agit de la deuxième fois que l’oncle est expulsé. Les autorités l’ont renvoyé au Honduras le 8 juillet 1997 à la suite du rejet de sa demande d’asile, rejet fondé sur des conclusions défavorables quant à sa crédibilité. De 1998 à 2005, il a vécu aux États-Unis. Durant cette période, les autorités américaines l’ont expulsé deux fois, mais il est retourné aux États‑Unis. Par la suite, il est retourné au Canada, sans autorisation, en 2005. Avant sa première expulsion du Canada, il avait été reconnu coupable des délits suivants :

a.       4 juin 1991 – possession de marchandises volées d’une valeur supérieure à 1 000 $;

b.      13 mars 1992 – voies de fait – 30 jours et période de probation d’un an;

c.       15 août 1995 – voies de fait – 2 chefs d’accusation – 15 jours et période de probation de 18 mois;

d.      23 octobre 1995 – voies de fait – 1 chef d’accusation – 90 jours et période de probation de 2 ans;

e.       19 février 1996 – possession de stupéfiant, illégalement en liberté, défaut de comparaître au tribunal – 90 jours;

f.        17 avril 1997 – voies de fait, défaut de se conformer à un engagement, profération de menaces – 16 mois et période de probation de 2 ans.

 

[5]               Dans son formulaire de renseignements personnels, l’oncle a répondu par la négative à la question lui demandant s’il avait déjà été accusé ou reconnu coupable d’un crime dans quelque pays que ce soit, y compris le Canada. Dans le cadre de son examen des risques avant renvoi en date du 8 janvier 2008, il a encore une fois répondu par la négative à cette question, bien qu’il ait signalé avoir été accusé de conduite avec facultés affaiblies aux États-Unis en mars 2004. L’agent a conclu que ces mensonges reflétaient une absence de remords et un risque de récidive.

 

[6]               L’agent a pris en considération les éléments de preuve suivants :

a.       l’oncle travaille dans le domaine de la construction et est l’unique soutien de famille pour son épouse et Luna;

b.      l’oncle n’a pas été reconnu coupable d’une infraction criminelle grave au Canada depuis onze ans;

c.       il n’y a aucune indication que l’épouse ait déjà travaillé ou possède des compétences monnayables;

d.      l’oncle et son épouse ont un mariage durable et authentique;

e.       l’oncle et son épouse prennent soin affectueusement de Luna depuis sa naissance;

f.        Luna considère que l’épouse est sa mère;

g.       la mère biologique de Luna l’a abandonnée et si l’oncle est expulsé et l’épouse l’accompagne, Luna sera à nouveau abandonnée;

h.       il n’y aucune indication que l’épouse se séparerait de son époux pour prendre soin de Luna si elle ne pouvait compter sur le soutien financier et affectif de son époux;

i.         l’épouse a accompagné son mari quand les autorités l’ont expulsé pour la première fois du Canada au Honduras;

j.        le père ne peut prendre soin de Luna. Sa déclaration solennelle du 28 février 2008, faite devant l’agent, le signale clairement;

k.      il n’y a aucune indication que d’autres membres de la famille aient manifesté le moindre intérêt à prendre soin de Luna;

l.         d’après le rapport du psychologue, que l’agent a accepté, la perte de son oncle constituerait un nouveau traumatisme pour Luna et le départ de l’épouse la toucherait encore davantage à cette période déterminante dans sa vie. Ces nouveaux abandons pourraient entraîner des dépendances et des troubles de l’alimentation.

 

[7]               Le défendeur reproche au demandeur le fait qu’il n’ait présenté aucun élément de preuve concernant les plans de l’épouse, à savoir si elle laisserait Luna pour aller au Honduras ou si elle demeurerait au Canada avec cette dernière. Je ne suis pas convaincue que ces reproches sont justifiés. Il se peut fort bien qu’il n’y ait pas de preuve concernant les intentions de l’épouse parce qu’elle n’a pas encore pris de décision. Prendre une telle décision lui briserait le cœur et je peux comprendre qu’elle attende jusqu’à la toute dernière minute.

 

[8]               Le défendeur critique aussi le fait que la demande pour motifs d’ordre humanitaire ne contient aucun renvoi aux sœurs du demandeur. L’agent a pris connaissance de leur existence grâce à d’autres documents d’immigration. Le défendeur soutient que demandeur était tenu de fournir des éléments de preuve concernant leur volonté de prendre part ou non à l’éducation de Luna. Toutefois, je doute de l’importance de tels éléments de preuve. J’ai l’impression que la venue soudaine d’une tante inconnue ne réduirait pas de manière significative les répercussions que l’abandon de l’épouse auraient sur Luna. Cela étant dit, je pense qu’en règle générale quand l’intérêt supérieur d’un enfant est en jeu, un demandeur devrait signaler la disponibilité de tous ceux sur qui on pourrait raisonnablement compter pour contribuer à l’éducation de l’enfant.

 

CONCLUSIONS

 

[9]               Je garde à l’esprit que la norme de contrôle judiciaire qui s’applique à la décision est celle de la décision raisonnable.

 

[10]           Mettant en application cette norme, je conclus que, en ce qui a trait à l’intérêt supérieur de Luna, la décision était déraisonnable sur le point suivant :

[traduction]

Je suis convaincue qu’il y a suffisamment de personnes prenant part à son éducation et des solutions de rechange adéquates pour ce qui est d’assurer son bien-être physique et affectif, même en l’absence du demandeur.

 

[11]           Il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui de cette conclusion. L’avis de l’agent reposait, en partie, sur la pure supposition que d’autres membres de la famille au Canada « peuvent » ou pourraient » prêter assistance à l’éducation de Luna, même s’il n’y avait aucun élément de preuve suggérant qu’un membre de la parenté avait un tel intérêt.

 

[12]           L’agent a également imaginé que le père pourrait assumer la garde de Luna. Il s’agit d’une supposition sans fondement dans un contexte où le père ne visitait sa fille que chez l’oncle et où il avait été accusé d’agression sexuelle à l’endroit d’une enfant. De plus, le père a reconnu son inaptitude à assumer le rôle d’un parent.

 

[13]           Enfin, l’agent a supposé que l’épouse resterait au Canada pour prendre soin de Luna. Cette supposition était déraisonnable étant donné que :

a.       l’épouse a un mariage solide et est retournée au Honduras avec son époux lors de sa première expulsion du Canada;

b.      l’épouse n’a pas de lien de parenté avec Luna et n’a aucune obligation juridique de prendre soin d’elle;

c.       l’épouse n’a aucun moyen de subvenir à ses propres besoins et aux besoins de Luna au Canada.

 

[14]           De plus, l’agent n’a pas pris en considération le sort de Luna si l’épouse devait choisir de quitter le pays. À mon avis, Luna serait probablement placée dans une famille d’accueil et risquerait de développer les dépendances et les maladies signalées par le psychologue.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que, pour les motifs exposés ci-dessus, la demande soit accueillie.

 

            La demande pour motifs d’ordre humanitaire est renvoyée à un agent qui n’a pas précédemment examiné le dossier du demandeur pour que cet agent rende une nouvelle décision.

 

            Le demandeur a le droit de présenter de la nouvelle documentation lors de l’instruction de sa demande pour motifs d’ordre humanitaire.

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4770‑08

 

INTITULÉ :                                                   LUIS FERRERA DIAZ C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 8 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 OCTOBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Blake Hobson

 

POUR LE DEMANDEUR

Edward Burnett

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hobson and Company

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Bureau régional de la C.‑B.

Ministère de la Justice

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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