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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20091105

Dossier : IMM-2620-09

Référence : 2009 CF 1131

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2009

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

SUNIL DUTT SHARMA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

 

[1]               Le demandeur, M. Sunil Dutt Sharma, est un citoyen indien qui est entré au Canada en 2000 en vertu d’un permis de travail. Son permis a expiré le 31 décembre 2001 et une demande de prorogation de ce permis lui a été refusée. En dépit de ce refus, le demandeur est resté au Canada illégalement. Durant ce temps, il semble que le demandeur n’ait pas entrepris de démarches afin de régulariser son statut au Canada. Le 22 novembre 2008, soit sept années plus tard, le demandeur a fait l’objet d’une dénonciation pour être resté plus longtemps que ce que lui permettait son visa. Le 25 novembre 2008, il a fait l’objet d’une dénonciation pour avoir travaillé au Canada sans permis de travail. Par conséquent, une mesure d’exclusion a été prise contre lui le 3 décembre 2008. 

 

[2]               Entretemps, le demandeur et Mme Maliha Nawabi, qui se sont rencontrés en 2006, se sont fiancés le 19 octobre 2008 et se sont mariés le 25 novembre 2008. Le 28 novembre 2008, le demandeur a présenté une demande visant à obtenir le statut de résident permanent au titre de la catégorie des époux ou conjoints au Canada. Dans une décision datée du 4 mai 2009, une agente d’immigration a rejeté la demande au motif que, selon la prépondérance de la preuve, le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition du statut de résident permanent au Canada.

 

[3]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.        QUESTIONS EN LITIGE

 

[4]               Comme il a été précisé lors des observations orales, la présente demande soulève deux questions :

 

1.                  L’agente a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le mariage n’était pas authentique en omettant de tenir compte de la preuve documentaire présentée par le demandeur?

 

2.                  L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de déterminer si le demandeur avait contracté le mariage principalement dans le but d’acquérir la résidence permanente au Canada?

 

III.       RÉGIME LÉGISLATIF ET CRITÈRE JURIDIQUE

 

[5]               En vertu des dispositions de la Loi sur la l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) (surtout du paragraphe 12(1)) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), ainsi que de diverses politiques émanant de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), l’époux d’un citoyen canadien peut devenir admissible à la résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Cependant, l’article 4 du Règlement prévoit qu’un étranger n’est pas considéré comme étant l’époux si le mariage « n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la [LIPR] ».

 

[6]               L’interprétation de l’article 4 du Règlement a fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour. Comme l’a dit le juge Mosley dans Donkor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1089, 299 F.T.R. 262, au paragraphe 12 :

[…] l’article 4 du Règlement doit être lu d’une façon conjonctive, c’est-à-dire qu’il faut que la relation en question ne soit pas authentique et qu’elle vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. C’est ce qui semble découler de la simple lecture du texte et cette interprétation est confirmée par plusieurs décisions de la Cour.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[7]               Le juge Hughes a fourni des directives additionnelles dans Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1490, [2006] A.C.F. no 1875, au paragraphe 5 :

Pour qu'une personne ne puisse pas être considérée comme étant l'époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal, il doit être satisfait aux deux volets du critère. Même s’il incombe au demandeur de démontrer à ce stade qu'une erreur susceptible de contrôle a été commise, si le demandeur n'a gain de cause qu'à l'égard de l'un de ces deux volets, il est loisible à la Cour de conclure qu'une erreur susceptible de contrôle a été commise.

 

IV.       ANALYSE

 

[8]               Je vais commencer en passant en revue la décision.

 

[9]               Je relève que l’agente commet une erreur dans la lettre de présentation datée du 4 mai 2009, en faisant référence à Mme Nawabi comme étant la « conjointe de fait » du demandeur. Il n’est pas contesté que le demandeur et Mme Nawabi ont contracté un mariage valide, et n’étaient pas des conjoints de fait. Il est manifeste, à la lumière de la décision et des motifs (contenus aux notes de l’agente au dossier, lesquelles constituent les motifs en l’espèce), que l’erreur commise par l’agente en était une d’inadvertance et qu’elle était sans conséquence. Elle ne justifie pas l’annulation de la décision

 

[10]           Dans la décision et les motifs, l’agente commence par passer en revue les antécédents du demandeur en matière d’immigration, mentionnant que le demandeur s’est marié le même jour où il a été dénoncé pour avoir travaillé au Canada sans permis. L’agente énonce ensuite le critère à satisfaire pour remplir les exigences de l’alinéa 124a) du Règlement. Fait particulièrement important pour la demande dont elle est saisie, l’agente mentionne que l’article 4 du Règlement :

[traduction]

[...] [précise] qu’un étranger ne sera pas considéré comme étant l’époux « si le mariage […] n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la [LIPR] ».

 

[11]           Après avoir correctement identifié le critère, l’agence amorce son examen de l’authenticité du mariage. L’agence renvoie abondamment aux entrevues qu’elle a menées avec le demandeur ainsi qu’avec Mme Nawabi, et relève 17 questions auxquelles le couple a donné des réponses différentes. Bien que certaines de ces divergences peuvent sembler être sans conséquence pour le lecteur, il ne fait pas de doutes que plusieurs d’entres elles étaient importantes et que, lues dans leur ensemble, elles soulevaient de sérieux doutes concernant l’authenticité du mariage.

 

[12]           L’agente ne s’arrête pas là. Elle qualifie explicitement ainsi la preuve présentée par le demandeur pour étayer sa « relation d’époux » :

[traduction]

Pour établir leur relation, le demandeur et la répondante ont fourni leur certificat de mariage, un talon de chèque du gouvernement envoyé à leur adresse commune, quelques photos (de leurs fiançailles, de leur mariage, ainsi qu’une fête d’anniversaire d’enfant à laquelle ils étaient présents), des factures de téléphone cellulaire se rapportant à deux numéros au nom de la répondante, ainsi qu’une lettre de leur propriétaire qui atteste la cohabitation. Le demandeur et la répondante ont aussi produit des lettres de recommandation du demandeur, les relevés bancaires de la répondante pour les trois derniers mois, ainsi que divers factures et relevés adressés à la répondante qui ont été envoyés à leur adresse. Puisque la répondante vivait déjà à cette adresse, j’ai accordé peu de [poids] à ces documents à titre de preuve de leur relation conjugale. Le demandeur et la répondante ont tous les deux affirmé qu’ils n’ont pas de biens communs. J’ai examiné leurs observations et je les considère comme insuffisantes en tant que preuve d’un couple qui vivait une relation intime.

 

[13]           En ce qui concerne la question de l’authenticité du mariage, il est apparent, à la lecture de la décision dans son ensemble, que l’agente a tenu compte de toute la preuve dont elle était saisie. La preuve produite par le demandeur n’avait tout simplement pas prépondérance sur celle obtenue lors des entrevues individuelles.

 

[14]           Le demandeur prétend que l’agente a commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi elle a rejeté certaines informations ou ne leur a pas accordé de poids. À mon avis, l’agence a fourni des explications suffisantes. En résumé, même si chaque élément de preuve documentaire avait été accepté, l’agente n’était pas convaincue que la preuve établissait une véritable relation amoureuse – en d’autres mots, un mariage authentique. Un examen de la preuve dont l’agente était saisie démontre qu’il était loisible à celle-ci de parvenir à cette conclusion. Par exemple, un propriétaire aurait pu écrire la même lettre concernant deux colocataires. Les photos des fiançailles peuvent constituer la preuve que les « fiançailles » ont eu lieu, mais ne permettent pas de conclure quoique ce soit au sujet du caractère authentique du couple ou du mariage. L’agente a évalué et pondéré la totalité des éléments de preuve.

 

[15]           La deuxième question sérieuse soulevée par le demandeur est que l’agente n’a pas fourni suffisamment de motifs pour lesquels elle a conclu que le mariage vise principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la LIPR.

 

[16]           Comme il a précédemment été mentionné, l’article 4 du Règlement exige que l’agente examine si le mariage vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR. Il incombe au demandeur de démontrer que son mariage ne vise pas principalement à acquérir le statut de résident permanent au Canada. Je reconnais qu’il est difficile pour un demandeur de prouver un élément négatif; il s’agit cependant du fardeau de preuve dont doit s’acquitter le demandeur.

 

[17]           Quelle sorte de preuve permettrait de s’acquitter de ce fardeau? Premièrement, un mariage « authentique » pencherait de manière importante en faveur d’un mariage ne visant pas l’acquisition d’un statut au Canada. En l’espèce (et, peut être, dans la plupart des situations), il existe un lien étroit entre les deux volets du critère. Le moment du mariage peut aussi être pertinent. Par exemple, si le demandeur s’est marié alors qu’il avait encore un statut juridique (un permis de travail valide ou autre), cela aurait constitué un élément de preuve significatif en sa faveur. Il ne s’agissait toutefois pas de la situation dont était saisie l’agente.  

 

[18]           L’agente a conclu – à juste titre, selon moi – que le mariage n’était pas authentique. Une grande partie de la preuve et des observations portant sur le caractère authentique du mariage sont aussi pertinentes quant à la question de savoir si le mariage visait principalement l’acquisition de la résidence permanente au Canada. Le manque d’authenticité constitue une preuve convaincante que le mariage visait principalement à acquérir un statut. De plus, l’agente était saisie d’éléments de preuve montrant que le demandeur s’était marié seulement après avoir été dénoncé aux agents d’immigration, et qu’il ne respectait pas les règlements en matière d’immigration depuis plus de sept ans. Il s’agissait de considérations pertinentes, qui ont été pondérées par l’agente.

 

[19]           L’agente a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve – particulièrement de ceux montrant que le demandeur et Mme Nawabi étaient fiancés cinq mois avant que celui-ci ne soit interrogé par l’agent d’application de la loi à l’intérieur du pays? Je ne le crois pas. Dans les motifs, l’agente note qu’elle a examiné les photos de leurs fiançailles. Un examen des notes que l’agente a consignées au SSOBL, lesquelles sont contenues dans le dossier certifié du tribunal, démontre aussi que l’agente a tenu compte des photos des fiançailles. Cependant, le fait que le demandeur ne pouvait produire des photos que de trois occasions, même s’il prétendait être en couple depuis trois ans, venait en quelque sorte annuler les photos des fiançailles.

 

[20]           Je ne suis pas convaincue que la preuve a été négligée. La preuve des fiançailles du demandeur était non seulement insuffisante pour convaincre l’agente que le mariage était authentique, mais aussi insuffisante pour démontrer que le mariage en soi ne visait pas l’acquisition d’un statut au Canada.

 

[21]           En l’espèce, il est manifeste que l’agente a tenu compte de la preuve dont elle était saisie. L’existence de toute la preuve, y compris les photos des fiançailles, a été examinée comparativement à la preuve substantielle que ce mariage visait principalement des fins liées à l’immigration.

 

V.        CONCLUSION

 

[22]           Puisque je suis convaincue que l’agente a appliqué le bon critère à la question dont elle était saisie, qu’elle n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve et que, globalement, la décision appartient aux issues possibles acceptables (Voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59), la Cour ne modifiera pas la décision.

 

[23]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

 

2.                  Aucune question de portée générale ne soit certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2620-09

 

INTITULÉ :                                       SUNIL DUTT SHARMA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 5 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Baldev Sandhu

 

POUR LE DEMANDEUR

Edward Burnet

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sandhu Law Office

Avocat

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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