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Date : 20091103

Dossier : IMM-1044-09

Référence : 2009 CF 1125

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

PREMNAUTH PREMNAUTH

NALENE PREMNAUTH et

ANDENA PREMNAUTH

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 6 février 2009 (la décision) par laquelle l’agente d’immigration (l’agente) a refusé la demande de résidence permanente des demandeurs présentée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire conformément au paragraphe 25(1) de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Les demandeurs sont un homme, sa femme et leur fille et sont citoyens du Guyana. Ils ont quitté le Guyana pour venir au Canada et ont demandé l’asile en 2002. Leur demande reposait sur le fait que Premnauth, le demandeur principal, avait été victime d’attaques et de menaces au travail. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a tenu une audience le 28 avril 2004. Elle a rendu une décision défavorable le 18 juin 2004 dans laquelle elle a conclu que les demandeurs pouvaient bénéficier de la protection de l’État au Guyana. Les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas présenté de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR parce que leur avocat de l’époque ne les avait pas informé de cette possibilité. Les demandeurs ont retenu les services du même avocat pour déposer une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en 2004, laquelle n’a pas été déposée avant 2007.

 

[3]               En 2007, les demandeurs ont présenté une demande d’ERAR avec l’aide d’un avocat différent, laquelle a été refusée le 21 janvier 2009. Ils ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, laquelle est actuellement en instance dans le dossier IMM-1039-09.

 

[4]               Les demandeurs ont ensuite retenu les services de leur avocat actuel et ont déposé des observations et des éléments de preuve supplémentaires dans le cadre de leur demande de 2007 fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs reposait sur leur établissement au Canada et sur les difficultés auxquelles ils seraient exposés s’ils étaient renvoyés au Guyana. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée le 9 février 2009.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[5]               Selon la décision rejetant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les demandeurs ne subiraient pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils retournaient au Guyana pour déposer leur demande de résidence permanente.

 

[6]               L’agente en l’espèce est la même agente qui a examiné la demande d’ERAR des demandeurs. L’agente a établi une distinction entre la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la demande d’ERAR en concluant que le risque invoqué par les demandeurs dans une demande fondée sur le paragraphe 25(1) est examiné dans le contexte des difficultés.

 

[7]               L’agente a accepté le récit des demandeurs selon lequel Premnauth, le demandeur principal, était camionneur et a été agressé par des criminels lorsqu’il a refusé d’obéir à leurs ordres et de livrer un colis. Au moment où il allait rapporter cet incident au poste de police local, il a vu des bandits tirer sur des policiers. Premnauth est retourné au poste de police pour rapporter l’incident, mais les policiers l’ont informé qu’ils ne pouvaient enquêter puisqu’ils avaient peu de moyens. Plus tard, le demandeur a reçu de nombreux appels de menace.

 

[8]               En plus de l’histoire relatée par le demandeur, l’agente a tenu compte des conditions du pays au Guyana. L’agente a souligné que le crime, la corruption et les tensions raciales sont omniprésents au Guyana. Toutefois, elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas prouvé qu’ils étaient personnellement exposés à ce risque.

 

[9]               L’agente a effectué une recherche indépendante sur les conditions du pays au Guyana et a conclu que le gouvernement avait adopté nombre de mesures pour combattre le crime et la corruption.

 

[10]           L’agente a reconnu que les demandeurs ont conservé un emploi stable au Canada. Ils ont réussi sur le plan financier et ont fondé leur propre entreprise. Bien qu’elle ait constaté que les demandeurs sont indépendants sur le plan financier, l’agente a conclu qu’[traduction] « [ils] ont reçu un traitement équitable dans le cadre du programme pour les réfugiés, ce qui signifie [qu’]on est en droit de s’attendre à un certain degré d’établissement et d’intégration ». L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils ne pouvaient connaître une telle réussite financière à leur retour au Guyana.

 

[11]           L’agente a déterminé que les personnes qui habitent au Canada sans avoir le statut de résident permanent courent toutes le risque de perdre des biens. De plus, les demandeurs ont assumé ce risque lorsqu’ils ont choisi d’acheter des biens avant d’obtenir leur statut.

 

[12]           L’agente n’était pas convaincue que les demandeurs se trouvaient au Canada en raison de « circonstances indépendantes de [leur] volonté », puisqu’ils auraient pu quitter le pays après le rejet de leur demande d’asile en 2004.

 

[13]           L’agente a tenu compte des lettres d’appui fournies par la famille et les amis des demandeurs. Elle a également souligné le fait que les demandeurs ont de la famille proche au Canada, notamment la mère de la demanderesse qui dépend d’eux pour ses déplacements et qui compte sur leur aide.

 

[14]           L’agente a conclu que les demandeurs avaient déjà quitté leur famille et leurs amis lorsqu’ils ont quitté le Guyana. Par conséquent, ils avaient [traduction] « déjà vécu une séparation familiale ».

 

[15]           L’agente a reconnu que les demandeurs s’étaient faits beaucoup d’amis au Canada, mais n’était pas persuadée qu’ils ne pouvaient établir de relations semblables au Guyana. Ainsi, elle n’estimait pas que les demandeurs subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiés ou excessives en rompant les liens avec leur communauté et leur emploi au Canada.

 

QUESTIONS

 

[16]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

1.                  L’agente a‑t‑elle confondu à tort les critères applicables aux demandes d’ERAR et ceux applicables aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, et donc ignoré la preuve de l’existence d’un risque et des difficultés qui en découleraient?

2.                  La décision de l’agente concernant les difficultés que subirait la mère de Nalene Premnauth était‑elle déraisonnable et manquait‑elle à la justice naturelle?

3.                  L’agente a‑t‑elle pris sa décision sans évaluer l’établissement des demandeurs ou, sinon, a‑t‑elle déraisonnablement qualifié l’établissement des demandeurs d’insuffisant?

4.                  La décision de l’agente était‑elle déraisonnable? L’agente a‑t-elle appliqué le mauvais critère en rejetant les difficultés des demandeurs au motif qu’elles n’étaient « pas indépendantes de [leur] volonté »?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[17]           La disposition suivante de la Loi s’applique en l’espèce :

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[18]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement raisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de « raisonnabilité ».

 

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise au tribunal de révision est bien établie par la jurisprudence, ce dernier doit adopter cette norme. Si elle ne l’est pas, alors le tribunal de révision doit tenir compte des quatre facteurs se rapportant à l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[20]           La question de savoir si un agent a appliqué le bon critère dans son évaluation des risques à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481. Par conséquent, pour décider si l’agente a combiné les critères applicables à une demande d’ERAR et ceux applicables aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, il convient d’appliquer la norme de la décision correcte.

 

[21]           Pour examiner la façon dont l’agente a appliqué le critère aux faits de l’espèce, il convient d’appliquer la norme de la raisonnabilité. Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 164.

 

[22]           Il convient d’appliquer la norme de la décision correcte pour examiner les questions visant l’équité procédurale et la justice naturelle. Voir Lak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 350, aux paragraphes 5 et 6. Ainsi, pour savoir si l’agente a manqué à l’équité procédurale dans son appréciation des difficultés subies par la mère de la demanderesse, il convient d’appliquer la norme de la décision correcte.

 

[23]           Les deux dernières questions soulevées en l’espèce seront examinées selon la norme de la raisonnabilité, puisqu’elles concernent des décisions discrétionnaires fondées sur les faits particuliers de l’affaire : Dunsmuir, au paragraphe 51. Par conséquent, il convient d’appliquer la norme de la raisonnabilité pour déterminer si l’agente a commis une erreur dans sa décision visant l’établissement des demandeurs au Canada et lorsqu’elle a examiné si les difficultés des demandeurs étaient indépendantes de leur volonté.

 

[24]           Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tiendra à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir uniquement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

Les demandeurs

 

[25]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a fusionné à tort les critères applicables aux demandes d’ERAR et ceux applicables aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, elle a mal évalué le risque allégué par les demandeurs et les difficultés qui en découlent. Les demandeurs affirment avoir prouvé qu’ils courent un risque tant personnel que généralisé et que l’agente doit évaluer ces risques pour pouvoir prendre une décision raisonnable. Le demandeur principal prétend qu’il est exposé à un risque personnel en raison des voies de fait et des menaces qu’il a subies par le passé et des menaces auxquelles il fait face actuellement. Les demandeurs affirment qu’ils sont exposés à un risque général en raison de la forte criminalité au Guyana, en plus des tensions raciales.

 

Le risque général

 

[26]           L’agente n’a pas tenu compte du risque général auquel les demandeurs seraient exposés à leur retour au Guyana. Elle a plutôt demandé que ce risque soit individualisé comme le requiert l’ERAR. Les demandeurs prétendent que l’exposition à un risque généralisé peut justifier une exemption au titre du paragraphe 25(1). L’agente a commis une erreur en n’évaluant pas adéquatement ce risque. Bien que la situation déplorable dans le pays en cause ne soit peut‑être pas un facteur déterminant dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, elle peut néanmoins constituer un facteur pertinent à examiner. Voir Mooker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 518.

 

[27]           L’agente a reconnu que [traduction] « le crime et la corruption sont endémiques au Guyana ». Par conséquent, les demandeurs font valoir que l’agente aurait dû examiner si l’exposition à un crime endémique constitue une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive.

 

Le risque individualisé

 

[28]           Les demandeurs ont peur de retourner au Guyana en raison de la présence constante de menaces. L’agente a rejeté le risque parce qu’elle a reconnu que le Guyana a adopté des mesures pour réduire la criminalité.

 

[29]           Les demandeurs prétendent que la protection offerte par l’État ne suffit pas à contrer les difficultés qu’ils subiraient à leur retour au Guyana. L’agente a commis une erreur en rejetant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sans examiner si la crainte des demandeurs constitue une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive.

 

[30]           Les demandeurs s’appuient sur la décision Pacia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 804, où il a été décidé que même si l’agent conclut à l’existence de la protection de l’État, il est tout de même tenu de déterminer si le demandeur est exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Dans le cas qui nous occupe, l’agente a conclu que les demandeurs bénéficiaient de la protection de l’État et a mis fin à l’analyse à ce moment‑là. Suivant la décision Pacia, cette conclusion constitue une erreur de droit.

 

            La protection de l’État

 

[31]           La conclusion de l’agente relative à la protection de l’État ne portait pas sur le risque individualisé des demandeurs. Les demandeurs prétendent que la protection de l’État est [traduction] « fonction du risque qu’ils craignent » et doit être appliquée au risque auquel ils sont personnellement exposés. Dans la décision R.M.P c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 83 (Pech), où la demanderesse en cause était exposée à un risque, le juge a conclu au paragraphe 21 que « ce n’est pas la protection de la police qui pourra empêcher ce colonel de [la] poursuivre comme un fanatique et un psychopathe ». Par conséquent, l’agente doit examiner la mesure dans laquelle la protection offerte réduira le risque de préjudice, et donc de difficultés, aux demandeurs.

 

[32]           L’agente a conclu que les demandeurs bénéficiaient de la protection de l’État sans examiner la totalité de la preuve. Par exemple, elle a cité et invoqué le rapport du Département d’État des États‑Unis sur le Guyana pour l’année 2007, lequel énonçait que la corruption policière, les abus des droits de la personne et les homicides coupables par la police demeuraient un grave problème au Guyana. Les demandeurs soutiennent que l’agente a ignoré les éléments de preuve qu’ils avaient présentés pour établir l’existence d’un risque et des difficultés qui en découlent et s’est plutôt concentrée sur les quelques éléments de preuve qui appuyaient sa conclusion.

 

Manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle

 

[33]           Dans sa décision visant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent doit tenir compte non seulement des difficultés du demandeur, mais également des difficultés que pourrait subir toute autre personne visée. Voir, par exemple, Malekzai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1099, et Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 899. De plus, le guide IP 5 — Demande présentée par des immigrants pour des motifs d’ordre humanitaire (les directives IP5) prévoit à l’article 12.1 que l’agent d’ERAR doit tenir compte de « l’incidence sur les membres de la famille […] du renvoi éventuel du demandeur ».

 

[34]           Les demandeurs ont fourni des éléments de preuve démontrant qu’eux et leur famille élargie éprouveraient de graves difficultés s’ils retournaient au Guyana en raison de leur interdépendance émotionnelle et sociale. Plus particulièrement, les demandeurs se soucient de la mère de la demanderesse, une citoyenne canadienne souffrant de nombreuses maladie, et veulent la visiter régulièrement.

 

[35]           L’agente a commis une erreur en se fondant sur le fait que les demandeurs s’étaient auparavant séparés de leur famille au Guyana pour atténuer l’incidence de cette nouvelle séparation. Elle a eu tort de conclure que comme les demandeurs s’étaient antérieurement séparés de leur famille au Guyana, ils éprouveraient moins de difficultés à se séparer de leur famille au Canada. Cette conclusion reposait sur la présomption erronée que la nature et l’importance des relations que les demandeurs entretenaient au Guyana sont égales à celles qu’ils entretiennent au Canada.

 

[36]           La Cour fédérale a rejeté un raisonnement similaire dans Ebonka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 80. Dans cette affaire, l’agent avait écarté la difficulté découlant de la séparation du demandeur d’avec son épouse au Canada parce qu’il avait auparavant été séparé de ses enfants et de sa mère au Nigeria. Au paragraphe 25 de sa décision, la Cour a conclu ce qui suit :

L’agent s’est basé sur la séparation du demandeur d’avec ses enfants, qu’il connaît à peine, et sur sa séparation d’avec sa mère, une relation au sujet de laquelle il n’y a pas de preuve dans le dossier, pour tirer la conclusion selon laquelle la séparation du demandeur d’avec son épouse ne constituerait pas une difficulté inhabituelle. Ce fondement n’était pas raisonnable. Cela démontre que l’agent n’a pas tenu compte de la situation particulière du demandeur.

 

 

Les demandeurs prétendent que le raisonnement inadéquat adopté dans la décision Ebonka est similaire au raisonnement de l’agente en l’espèce.

 

La crédibilité

 

[37]           Le demandeur principal a présenté un affidavit non contesté expliquant les soins que les demandeurs fournissent à la mère de la demanderesse. Les demandeurs prétendent que sans ces soins, elle serait obligée de déménager dans une maison de soins infirmiers. Néanmoins, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la mère de la demanderesse avait besoin de leur aide.

 

[38]           Les demandeurs font valoir que la conclusion de l’agente à l’égard des éléments de preuve insuffisants en l’espèce portait sur la crédibilité. La conclusion de l’agente n’avait aucun fondement probant et était contredite par la preuve des demandeurs. Les demandeurs prétendent qu’il était nécessaire de procéder à une entrevue, car on avait conclu que la crédibilité était une question principale en l’espèce. Ainsi, l’agente a manqué à l’équité procédurale et à la justice naturelle en ne procédant pas à une entrevue. Voir, par exemple, Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714, et Khan c. Université d’Ottawa (1997), 34 O.R. (3d) 535.

 

Aucune possibilité de retourner au Canada

 

[39]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a pris sa décision en supposant qu’ils seraient autorisés à retourner au Canada. Toutefois, ils font l’objet d’ordonnances d’expulsion et ils affirment qu’ils ne seront pas autorisés à retourner au Canada. Les demandeurs citent et invoquent le paragraphe 64 de la décision Malekzai, où le juge O’Keefe a conclu que « lorsque le motif énoncé par l’agent pour avoir refusé une demande est fondé sur la possibilité que surviennent certains événements, ces événements ne doivent pas être qu’illusoires ». Les demandeurs font valoir que la possibilité de retourner au Canada est illusoire et n’est pas réaliste compte tenu de la preuve soumise à l’agente.

 

[40]           Même s’ils sont autorisés à retourner, les demandeurs prétendent que l’agente a agi déraisonnablement en les forçant à quitter le Canada. Les demandeurs affirment qu’il est inutile de les renvoyer au Guyana pour ensuite les ramener au Canada si leur demande est accueillie. Cette façon de procéder « ne tient absolument pas compte de la douleur, du bouleversement et des difficultés émotionnelles que cause un renvoi ». (Benjamin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 582).

 

 

Évaluation inadéquate de l’établissement des demandeurs

 

[41]           Les demandeurs soutiennent qu’ils répondent aux critères d’établissement énoncés dans les directives IP5. Ils ont démontré qu’ils étaient bien établis au Canada, notamment qu’ils occupent un emploi, que des membres de leur famille proche habitent au pays et qu’ils sont bien établis sur le plan financier. Quoi qu’il en soit, l’agente a conclu que leur établissement était insuffisant.

 

[42]           Les demandeurs invoquent la décision Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, où un agent a déraisonnablement minimisé le facteur de l’établissement. Les demandeurs comparent les faits de l’affaire Jamrich aux leurs et affirment qu’ils sont tout aussi établis, sinon plus, que les demandeurs dans cette affaire.

 

Examen inadéquat

 

[43]           L’agente a commis une erreur en rejetant les difficultés des demandeurs au motif qu’elles n’étaient pas injustifiées. Elle s’est fondée principalement sur la décision des demandeurs d’entrer au Canada et d’y rester pour conclure que leur établissement au Canada était illégitime.

 

[44]           L’agente a commis une erreur en rejetant les difficultés des demandeurs au motif qu’elles étaient justifiables parce qu’elles n’étaient pas « injustifiées ». Même si les difficultés n’étaient pas « injustifiées », elles pouvaient néanmoins être « excessives ».

 

[45]           De plus, l’agent doit toujours tenir compte de l’établissement du demandeur, même s’il s’est établi sans statut. Voir, par exemple, Laban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 661. L’agente a focalisé à tort sur la question de savoir si les difficultés des demandeurs étaient « justifiées » et, par conséquent, elle a ignoré la preuve à l’appui d’une conclusion favorable.

 

[46]           Les demandeurs affirment également que dans son évaluation des difficultés des demandeurs, l’agente a ignoré le fait qu’ils sont venus au Canada en raison de facteurs indépendants de leur volonté, à savoir les menaces qu’ils subissaient au Guyana. Les demandeurs sont alors restés au Canada en raison de ces menaces et pour prendre soin de la mère malade de la demanderesse.

 

Le défendeur

 

[47]           Le défendeur affirme que dans son évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agente a bien examiné le risque des demandeurs. Le risque en l’espèce a été pris en considération dans le contexte du nombre de difficultés qu’il causerait.

 

[48]           Les demandeurs n’ont pas parlé des difficultés dans leurs observations écrites relatives à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ils ont plutôt inclus une partie de l’affidavit du demandeur principal. Par conséquent, la preuve présentée à l’agente ne démontrait pas pourquoi les risques des demandeurs étaient inhabituels et injustifiés ou excessifs.

 

[49]           Il incombe aux demandeurs d’établir les faits sur lesquels repose leur demande, et l’agente n’a pas à statuer sur autre chose que les documents qu’ils ont fournis. Voir, par exemple, Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, aux paragraphes 8 et 9, Oyinloye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 582, aux paragraphes 12 et 13, et Raji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 653.

 

Le risque généralisé

 

[50]           L’agente a pris acte de l’observation des demandeurs selon laquelle les Guyaniens d’origine indienne ont tous peur. Toutefois, elle n’était pas convaincue que les risques allégués par les demandeurs étaient personnalisés. La Cour fédérale a conclu que les allégations de risque présentées dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doivent être liées à un risque qui est personnel au demandeur : Lalane c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6, aux paragraphes 1 et 38, et Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 138, au paragraphe 39. Il incombait aux demandeurs d’établir le lien entre la preuve de l’existence d’un risque et leur situation personnelle.

 

[51]           Dans Ramotar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 362, la Cour fédérale a conclu qu’un Indo‑Guyanien renvoyé au Guyana doit démontrer qu’il subit un risque personnalisé :

Tous les Indo‑Guyaniens sont confrontés à la même menace de criminalité lorsqu’ils quittent le Canada pour retourner en Guyana [sic]. Il était donc raisonnablement loisible à l’agent d’immigration de décider que les demandeurs ne s’exposeraient pas à des [traduction] « difficultés inhabituelles ou excessives » par rapport à tous les Indo‑Guyaniens renvoyés dans leur pays après le rejet d’une demande d’asile au Canada. Sans cela, une conclusion CH [traduction] « ouvrirait tout grand la porte » comme l’a laissé entendre le défendeur, en ce sens que tous les Indo‑Guyaniens prolongeraient indûment leur statut juridique au Canada et déposeraient une demande CH en disant qu’ils s’exposent à un risque de « difficultés » s’ils sont renvoyés […] en Guyana [sic].

 

 

[52]           Les demandeurs n’ont pas établi le lien nécessaire pour démontrer qu’ils s’exposent à un risque personnalisé en raison du taux de criminalité élevé, de la corruption et des tensions raciales qui existent au Guyana.

 

Le risque individualisé

 

[53]           Dans son évaluation, l’agente a tenu compte de la situation des demandeurs, notamment de l’agression du demandeur principal, de l’incapacité de la police à enquêter et des appels de menace.

 

[54]           Les demandeurs ont présenté à l’agente des allégations de risque provenant du FRP du demandeur principal, mais n’ont présenté aucune observation concernant la raison pour laquelle le risque qu’ils allèguent constitue une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive. Il incombe aux demandeurs d’établir la corrélation entre le risque qu’ils allèguent et les difficultés.

 

La protection de l’État

 

[55]           Le défendeur soutient également que l’agente a bien examiné la question de la protection de l’État. En fait, ce sont les demandeurs qui ont soulevé cette question en prétendant que leur crainte reposait sur l’absence de protection de la part de la police et du gouvernement. L’examen de l’agente portant sur la protection de l’État était raisonnable parce qu’il a permis d’atténuer les difficultés alléguées par les demandeurs.

 

[56]           L’agente a signalé les efforts actuels qui sont déployés pour atténuer la criminalité et la corruption au Guyana. Dans son évaluation, elle a estimé que la preuve lui permettait de conclure que la protection de l’État offerte aux demandeurs était suffisante. L’agente a utilisé la bonne méthode d’évaluation – le caractère adéquat est le critère qu’il convient d’examiner relativement à la question de la protection de l’État. Voir Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, au paragraphe 23, Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723, aux paragraphes 10 et 11, et Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94.

 

Les difficultés que subirait la belle‑mère du demandeur

 

[57]           Le défendeur prétend que l’agente a tenu compte des difficultés que subirait la belle‑mère du demandeur principal. L’agente a tenu compte du fait que les demandeurs conduisaient la mère de la demanderesse à ses rendez‑vous et l’aidaient à faire ses courses. Toutefois, les demandeurs n’ont pas démontré que la mère de la demanderesse serait incapable de s’organiser autrement pour le transport.

 

            La décision ne portait pas sur la crédibilité

 

[58]           La conclusion de l’agente selon laquelle la preuve concernant les difficultés de la belle‑mère était insuffisante ne constituait pas une appréciation défavorable de la crédibilité des demandeurs. Comme il a été statué dans Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, aux paragraphes 16 et 21 à 27, le caractère suffisant de la preuve et la crédibilité sont évalués séparément. Par conséquent, il ne faut pas confondre l’évaluation du poids de la preuve et l’évaluation de la crédibilité.

 

[59]           Les demandeurs n’ont pas fourni suffisamment d’indications ou d’éléments de preuve expliquant pourquoi leur mère subirait des difficultés. Selon la décision Ferguson au paragraphe 27, « [s]’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve ». En pareil cas, le décideur n’apprécie pas la crédibilité de la personne qui fournit la preuve, mais conclut simplement que la preuve en soi n’a pas de valeur probante suffisante (Ferguson, au paragraphe 27).

 

L’évaluation raisonnable de l’établissement

 

[60]           L’agente a longuement évalué la preuve des demandeurs concernant leur établissement au Canada et a conclu qu’ils n’étaient pas assez établis pour justifier l’exemption prévue par la loi.

 

[61]           Les demandeurs estiment qu’ils répondent à tous les critères d’établissement d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cependant, cela ne leur donne pas droit à une décision qui leur est favorable. L’établissement n’est qu’un seul des facteurs à examiner lorsqu’on évalue une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Tant que l’agente a suffisamment tenu compte de tous les facteurs se rapportant à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la Cour n’a pas à intervenir pour réévaluer le poids qu’elle a décidé d’accorder à ces facteurs : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 11.

 

[62]           En l’espèce, l’agente a adéquatement soupesé le facteur de l’établissement ainsi que les autres facteurs nécessaires pour prendre une décision raisonnable.

 

Les raisons ne sont pas indépendantes de leur volonté

 

[63]           L’agente n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la question de savoir si les circonstances étaient dépendantes de la volonté des demandeurs. Le défendeur cite et invoque l’article 5.16 des directives IP5 qui prévoit qu’« [u]ne décision favorable peut être justifiée si le demandeur se trouve au Canada depuis assez longtemps en raison de circonstances indépendantes de sa volonté ». Selon les directives, les circonstances indépendantes de la volonté d’un demandeur conjuguées à un degré appréciable d’établissement au Canada peuvent amener le décideur à accueillir la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, ce seuil est difficile à atteindre.

 

[64]           Les demandeurs habitent au Canada depuis 2004, malgré la conclusion qu’ils ne seraient pas exposés à un risque à leur retour au Guyana. Par conséquent, l’agente a estimé à bon droit que les demandeurs ont choisi de rester au Canada.

 

[65]           De plus, la Cour fédérale a conclu que la charge qui incombe aux demandeurs établis au Canada alors qu’ils y demeurent illégalement pendant plusieurs années de prouver qu’on devrait leur accorder une dispense spéciale est plus onéreuse : Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 107, aux paragraphes 16 et 17. Les demandeurs doivent s’acquitter de cette charge onéreuse en raison de leur présence illégale au Canada.

 

ANALYSE

 

[66]           Les demandeurs ont soulevé bon nombre de questions pour tenter de démontrer que la décision est déraisonnable et que le traitement de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne respectait pas l’équité procédurale. En fin de compte, les motifs qu’ils ont soulevés reposent sur une interprétation particulière de la décision qui, à mon avis, n’est pas appuyée par une lecture attentive des motifs et une prise en compte de ces motifs dans leur ensemble.

 

Confusion erronée des critères applicables à une demande d’ERAR et ceux applicables à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

 

[67]           Les demandeurs affirment qu’une exposition à un risque généralisé peut représenter une difficulté même si elle peut les empêcher de présenter une demande fondée sur les articles 96 et 97. Je suis d’accord. Toutefois, l’agente n’a pas négligé d’examiner si le risque généralisé constitue une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive pour les demandeurs. Elle a simplement affirmé que la preuve présentée par l’avocat des demandeurs [traduction] « ne [la] convainc pas que les risques sont personnels ». L’agente a examiné [traduction] « leur situation personnelle et la preuve dont [elle disposait] pour déterminer si le risque justifie une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire ».

 

[68]           La situation personnelle des demandeurs (et les risques auxquels ils ont été exposés dans le passé) est analysée en détail. L’agente affirme simplement que les éléments de preuve supplémentaires présentés par l’avocat portent sur les [traduction] « conditions générales du pays ». Les difficultés que les demandeurs connaîtront en raison de ces conditions générales ne sont pas ignorées ou écartées. L’agente analyse simplement la preuve afin de décider si ces difficultés générales peuvent [traduction] « équivaloir à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » pour les demandeurs.

 

[69]           L’agente analyse également en détail les difficultés vécues par les demandeurs dans le passé et prend acte de leur témoignage indiquant que [traduction] « les Guyaniens d’origine indienne craignent constamment pour leur vie ». Lorsqu’elle tient compte des difficultés, l’agente n’ignore pas ces facteurs simplement parce que la protection de l’État est offerte. Qui plus est, l’analyse approfondie de l’agente indique qu’elle a examiné l’efficacité de la protection de l’État, une question qui a également été examinée dans les demandes d’asile et d’ERAR des demandeurs.

 

[70]           Rien dans la décision n’indique que l’agente a confondu les critères et n’a pas entièrement tenu compte de la situation personnelle des demandeurs dans le contexte des risques généraux et des difficultés subies par les Guyaniens d’origine indienne.

 

La décision déraisonnable par opposition au manquement à la justice naturelle

 

[71]           Les demandeurs prétendent que le fait qu’ils se soient auparavant séparés de leur famille au Guyana ne signifie pas qu’ils ne subiront pas de difficultés s’ils quittent le Canada. Cette préoccupation découle du commentaire suivant de l’agente : [traduction] « Bien que je reconnaisse que les demandeurs ont une famille au Canada, je constate qu’ils ont quitté leur famille et leurs amis lorsqu’ils ont décidé de fuir le Guyana et de venir au Canada. Ainsi, j’estime que les demandeurs ont déjà vécu une séparation familiale. »

 

[72]           À mon avis, ce commentaire ne signifie pas que les demandeurs ne connaîtront pas de difficultés à leur départ du Canada parce qu’ils se sont auparavant séparés de leur famille au Guyana. L’agente reconnaît tout à fait les difficultés que subiront les demandeurs en quittant le Canada, mais signale qu’ils ont vécu une séparation familiale dans le passé et ont montré qu’ils pouvaient la surmonter.

 

[73]           De plus, il ressort clairement de la décision dans son ensemble que l’agente ne se prononce pas sur la crédibilité. En particulier, les demandeurs attirent l’attention sur l’affidavit non contesté de Premnauth et affirment qu’ils fournissent régulièrement des soins et de la compagnie à la mère de Nalene et que celle‑ci dépend de ces soins, sans lesquels elle devra probablement déménager dans une maison de soins infirmiers.

 

[74]           L’affidavit en question fournit la preuve suivante :

[traduction] La mère de ma femme, Parbattie Ramootar, soixante‑six (66) ans, est également citoyenne canadienne. Elle habite près de chez nous à Scarborough et compte sur nous de bien des façons. Comme elle est diabétique, nous la conduisons à ses nombreux rendez‑vous chez le médecin et à la pharmacie pour qu’elle achète ses médicaments. Nous l’amenons également faire ses courses, comme l’épicerie. Si nous devons quitter le Canada, je crois sincèrement que ma belle‑mère devra déménager dans une maison de soins infirmiers, ce que notre famille ne peut se permettre. De plus, puisqu’elle est si proche de ma femme, ces dernières subiraient des difficultés affectives si notre renvoi est effectué par l’ASFC. Ma belle‑mère vieillit et si nous devons quitter le pays, je ne crois pas que nous pourrions revenir pour la voir si sa santé dépérit et qu’elle meurt.

 

[75]           L’agente affirme ce qui suit à propos de cette preuve :

[traduction] Le demandeur principal affirme que sa belle‑mère est dépendante de lui et de sa femme en ce sens qu’ils la conduisent à ses rendez‑vous chez le médecin et à la pharmacie pour acheter ses médicaments. Toutefois, je souligne que les demandeurs n’ont pas fourni suffisamment de preuve pour établir que la belle‑mère du demandeur principal ne pouvait se rendre à ses rendez‑vous et acheter ses médicaments d’une autre façon.

 

 

[76]           L’agente s’est également penché sur les aspects émotionnels de la séparation.

 

[77]           Comme l’indique le défendeur, la Cour a énoncé une méthode d’analyse raisonnée quant à la question de la crédibilité par opposition au caractère suffisant de la preuve. Voir Ferguson, aux paragraphes 16 et 21 à 27.

 

[78]           Dans son affidavit, le demandeur principal a livré un témoignage de ce qui arrivera à sa belle‑mère, selon lui. Bien que l’agente ne l’ait jamais remis en question, cette opinion subjective, dont l’agente n’a aucune raison de douter, ne suffit pas. En effet, l’agente exige la preuve que l’opinion du demandeur principal peut être vérifiée objectivement. La crédibilité du demandeur principal n’est pas mise en doute. L’agente indique simplement que la preuve objective concernant la situation de la mère ne suffit pas à démontrer l’ampleur de la dépendance.

 

[79]           À mon avis, l’agente n’a pas statué sur la crédibilité en l’espèce. Elle s’est arrêtée au caractère suffisant de la preuve. Aucune entrevue n’était nécessaire et il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

 

Possibilité de retourner au Canada

 

[80]           Les demandeurs se plaignent que la décision de l’agente reposait sur la conclusion qu’ils pouvaient présenter une demande à partir du Guyana en vue de retourner au Canada, et la preuve a démontré que cette possibilité n’est pas réaliste.

 

[81]           Dans leurs observations présentées à l’agente, les demandeurs ont indiqué que selon eux, ils ne pourraient obtenir le statut de résident permanent sous le régime de la Loi.

 

[82]           Ils ont également indiqué que la mère de la demanderesse dépend d’eux. Selon eux, ils ont très peu de chance d’être autorisés à visiter la mère de la demanderesse parce qu’ils seront bannis à vie du fait qu’ils font l’objet d’ordonnances d’expulsion, à moins que le ministre ne les autorise à revenir conformément à l’article 52 de la Loi.

 

[83]           Les demandeurs affirment maintenant que la possibilité de revenir au Canada est illusoire. Ils renvoient la Cour à une série de décisions où elle a conclu que les agents avaient commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’ils avaient supposé que les demandeurs pouvaient revenir au Canada. Voir Maleksai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1099; Arulraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 529; Shchegolevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 527; et Raposo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 118.

 

[84]           J’ai examiné les décisions attentivement et il me semble que l’agente en l’espèce n’est pas arrivée au même genre de conclusion que celle sous-tendant ces décisions. Par exemple, dans la décision Malekzai, le juge O’Keefe s’est penché sur un cas où « l’agente chargée d’examiner la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas pris en compte la possibilité que le demandeur soit interdit de territoire lorsqu’elle a examiné l’intérêt supérieur de son enfant née au Canada ».

 

[85]           En l’espèce, la personne dépendante serait la belle‑mère du demandeur. Mais la possibilité des demandeurs de retourner au Canada n’était pas en litige parce que l’agente a estimé que la preuve ne suffisait pas à prouver la dépendance de la belle‑mère du demandeur principal et, en particulier, [traduction] « à établir qu’elle ne pouvait se rendre à ses rendez‑vous et acheter ses médicaments d’une autre façon ».

 

[86]           Il ne s’agit pas d’un cas où l’agente a fondé sa décision sur une supposition que les demandeurs pourraient revenir au Canada pour s’occuper de la mère de la demanderesse.

 

[87]           Les demandeurs ont également demandé à l’agente de tenir compte de leur opinion portant que, s’ils sont renvoyés au Guyana, ils ne pourront retourner au Canada parce qu’ils ne sont pas admissibles au programme leur permettant d’obtenir la résidence permanente.

 

[88]           Cependant, les demandeurs ne semblent pas savoir qu’une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire ne leur accorde pas la résidence permanente. L’agente a simplement décidé si les demandeurs devaient présenter une demande de la manière habituelle, soit à l’extérieur du Canada, ou s’ils devaient être autorisés à présenter une demande depuis le Canada. L’agente n’a pas été appelée à décider s’ils seront admissibles à la résidence permanente.

 

[89]           Rien dans la décision n’indique que l’agente a supposé que les demandeurs pouvaient retourner au Canada de façon permanente ou temporaire. Elle a simplement conclu qu’ils devraient présenter une demande de la manière habituelle.

 

Les questions de l’établissement

 

[90]           Il ne fait aucun doute que l’agente a tenu compte de tous les aspects de l’établissement des demandeurs au Canada et qu’elle n’était [traduction] « pas convaincue que les demandeurs étaient établis à un degré tel que l’obligation de présenter une demande de la façon habituelle leur causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives ».

 

[91]           Essentiellement, à cet égard, je dois convenir avec le défendeur que les demandeurs demandent en fait à la Cour de soupeser la preuve à nouveau et d’en arriver à une conclusion qui leur est favorable. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle.

 

[92]           Je ne crois pas que l’agente a eu tort de tenir compte du fait que les demandeurs ont choisi de rester au Canada : [traduction] « Les demandeurs auraient pu quitter après le rejet de leur demande d’asile en juin 2004, il y a de ça presque cinq ans. » Les demandeurs avaient peut‑être de bonnes raisons de rester au Canada, mais cela ne signifie pas qu’ils y sont restés en raison de circonstances indépendantes de leur volonté.

 

Conclusions

 

[93]           Je suis bien conscient que la situation des demandeurs est très difficile en raison du traitement qui leur est réservé au Guyana et en raison de leur établissement et de leur situation familiale au Canada. Je suis également conscient qu’il est possible de s’opposer aux conclusions de l’agente. Il me semble qu’une décision favorable aux demandeurs aurait été raisonnable. Toutefois, je ne saurais dire que la décision de l’agente était erronée ou déraisonnable. J’ai examiné attentivement les préoccupations et les questions soulevées, et bien que je ne sois pas insensible à la situation des demandeurs, je ne saurais dire que la décision n’appartient pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1044-09

 

INTITULÉ :                                                   PREMNAUTH PREMNAUTH, NALENE PREMNAUTH et ANDENA PREMNAUTH

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 30 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 3 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Kingwell

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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