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Cour fédérale

 

 

 

 

Federal Court

 


Date :  20091102

Dossier :  IMM-277-09

Référence :  2009 CF 1118

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

Valentina Esther HENRIQUEZ PINEDO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judicaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi) à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 5 janvier 2009, selon laquelle Valentina Esther Henriquez Pinedo (la demanderesse), n’est pas une réfugiée au sens de l’article 96 de la Loi, ni une personne à protéger en vertu de l’article 97.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les raisons qui suivent.

 

[3]               La demanderesse, âgée de 56 ans est citoyenne de Colombie. Elle allègue que son conjoint de fait depuis 20 ans avec qui elle a eu deux enfants l’a abusée physiquement et sexuellement depuis 16 ans.

 

[4]               Elle affirme qu'elle ne s'est jamais présentée à l'hôpital et n'a pas eu recours à une maison de refuge pour femmes violentées. Elle n'a jamais porté plainte auprès des autorités en raison des menaces de mort proférées par son conjoint parce que ce dernier avait des contacts privilégiés avec la police en leur versant des paiements illicites.      

 

[5]               La demanderesse quitte son conjoint en début de 2007 et va vivre chez sa sœur. Elle arrive au Canada le 23 mai 2007 à titre de visiteuse. Quelques mois plus tard, elle dépose sa demande d'asile.

 

La décision contestée

[6]               Dans sa décision, le tribunal remarque que les allégations de violence de la demanderesse ne sont corroborées par aucune preuve documentaire. Il lui reproche aussi de n'avoir fait aucun effort pour se prévaloir de la protection soit de sa famille ou des organismes publics qui s'occupent de violence familiale.

 

[7]               En se référant à la preuve documentaire, le tribunal accepte que la violence conjugale en Colombie constitue en 2004 un grave problème. Cependant, il n'accepte pas que la demanderesse n'ait pas eu recours aux services policiers. De plus, il considère que les éléments de preuve documentaire fournie par la demanderesse concernent des transactions immobilières entre son conjoint de fait et une de ses filles qui demeure au Canada en tant que résidente permanente.

 

[8]             L'appréciation de la preuve relève de la compétence du tribunal. Depuis la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, les conclusions du tribunal quant à la crédibilité d'un demandeur d'asile continuent de bénéficier de la déférence de la Cour et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64; Rajadurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 119, [2009] A.C.F. no 147 (QL) au paragraphe 23). Alors, la Cour n'interviendra que si la décision ne fait pas partie de la gamme des solutions possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[9]               Dans la cause sous étude, la crédibilité de la demanderesse n'est pas contestée. Le tribunal ne relève aucune contradiction, incohérence ou invraisemblance dans le récit de la demanderesse. Le défendeur admet d'ailleurs au paragraphe 7 de son mémoire supplémentaire que la crédibilité des déclarations faites par la demanderesse n'est pas mise en doute par le tribunal.

 

[10]             Le défendeur soutient que le défaut de la demanderesse de fournir des preuves à l’appui de ses allégations est une lacune fatale en vertu du paragraphe 100(4) de la Loi et de l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 qui exige qu’une preuve soit présentée à l’appui d’une demande.

 

[11]           Il ajoute que la décision du tribunal n'est pas déraisonnable du seul fait qu'il a remarqué que la demanderesse n'avait fait aucun effort pour se prévaloir de la protection soit de sa propre famille ou des organismes publics venant en aide aux femmes violentées.

 

[12]           Il est important de rappeler que le témoignage d'un demandeur d'asile bénéficie d'une présomption de véracité à moins d’un constat d'invraisemblances, d'incohérences ou de contradictions (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 F.C. 302; Puentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1335, [2007] A.C.F. no 1729 (QL) au paragraphe 16; Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131 (QL) aux paragraphes 6 à 8).

 

[13]           Un tribunal ne peut tirer une inférence négative du seul fait qu'une partie n'a produit aucun document extrinsèque corroborant ses allégations sauf  lorsque la crédibilité du demandeur est mise en question (Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137 (CFPI); Nechifor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1004, [2003] A.C.F. no 1278 (QL) au paragraphe 6).

 

[14]           Ici, la crédibilité de la demanderesse n'étant pas en jeu, la Cour considère que l'erreur du tribunal est d'avoir exigé de cette dernière des preuves pour corroborer ses allégations.

[15]           En d'autres mots, dans les circonstances particulières du présent dossier, l'inférence négative tirée par le tribunal par l'absence de preuve de corroboration au sujet des abus commis par le conjoint de fait de la demanderesse mérite l'intervention de la Cour.

 

[16]           Il est vrai aussi, que la demanderesse a déposé des documents concernant des transactions immobilières entre son conjoint de fait et sa fille. Mais, le tribunal ne commente aucunement les allégations de manipulation et de menaces de la part du conjoint de fait entourant ces transactions énoncées dans le FRP de la demanderesse (pages 24 et 25, dossier du tribunal) ainsi que le courriel qu’il lui a fait parvenir en date du 21 mars 2007 (pages 84 et 85, dossier du tribunal).

 

[17]           Aucune question à certifier n’a été proposée et ce dossier ne contient aucune.      

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le dossier est retourné pour être réévalué par un tribunal différemment constitué. Aucune question n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge


ANNEXE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

100. (…)

 

(4) The burden of proving that a claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division rests on the claimant, who must answer truthfully all questions put to them. If the claim is referred, the claimant must produce all documents and information as required by the rules of the Board.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

100. (…)

 

(4) La preuve de la recevabilité incombe au demandeur, qui doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées et fournir à la section, si le cas lui est déféré, les renseignements et documents prévus par les règles de la Commission.

 

 

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228.

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-277-09

 

INTITULÉ :                                       Valentina Esther HENRIQUEZ PINEDO

                                                            et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 29 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 2 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anabela Cosme

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Cristine Bernard

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anabela Cosme

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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