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Date : 20091201

Dossier : IMM-2359-09

Référence : 2009 CF 1231

 

Toronto (Ontario), le 1er décembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

David RAMIREZ ALBOR

Consuelo MONZALVO PEREA

XIADANI GUADALUPE RAMIREZ MONZALVO

(alias XIADANI GUADALU RAMIREZ MONZALVO)

YAZMIN ITZEL RAMIREZ MONZALVO

DAVID RAMIREZ MONZALVO

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) visant la décision du 21 avril 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés division de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

Question en litige

[2]               La présente demande soulève la question suivante : le défendeur a-t-il commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État au Mexique?

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs suivants.

 

Historique

[4]               David Ramirez Albor (le demandeur principal ou le demandeur), son épouse Consuelo Monzalvo Perea et leurs enfants Xiadani Guadalupe Ramirez Monzalvo, Yazmin Itzel Ramirez Monzalvo et David Ramirez Monzalvo sont tous citoyens du Mexique. Les demandeurs demandent l’asile suivant les articles 96 et 97 de la Loi.

 

[5]               Le demandeur prétend qu’il vivait avec sa famille à Mexico lorsque sa voiture a été vandalisée et que ses biens dans la voiture ont été volés à la fin de 2005. Sa fille, Yazmin, l’a informé qu’un enfant habitant de l’autre côté de la rue et nommé Jonathan avait vu l’auteur du crime.

 

[6]               Le demandeur a déposé une plainte auprès du bureau du procureur général, mais comme la mère de Jonathan refusait de permettre à l’enfant de témoigner dans l’affaire, Benjamin Escudero Alarcon du bureau du procureur général a contraint le demandeur à retirer sa plainte. Quatre agents de la police judiciaire auraient alors commencé à extorquer de l’argent du demandeur qui a été forcé de leur verser des mensualités jusqu’à son départ du Mexique.

[7]               Plus tard, au cours de l’année scolaire de 2006-2007, le fils du demandeur, David, est devenu la cible de sa professeure, Teresita Hernandez Perez, qui le maltraitait à l’école. Soutenue par le directeur de l’école, l’épouse du demandeur a déposé une plainte contre la professeure. Cependant, avant que les autorités de l’école ne prennent quelque mesure, la professeure a incité d’autres enfants à se tourner contre le fils du demandeur et ils lui ont infligé des mauvais traitements physiques et psychologiques. Après le congédiement de la professeure, un représentant syndical a affronté l’épouse du demandeur et lui a fait des menaces de mort, à elle et à sa famille, et des complices ont fait quatre appels téléphoniques à l’épouse du demandeur pour lui faire des menaces de mort. Le demandeur a par conséquent décidé de s’enfuir du Mexique avec sa famille.

 

La décision contestée

[8]               Sur le fondement de l’ensemble de la preuve présentée, la Commission a conclu qu’il existe au Mexique une protection de l’État suffisante pour les individus tels que le demandeur et sa famille. Elle a en outre conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de donner une preuve « claire et convaincante » de l’absence de protection de l’État pour les personnes dans sa situation au Mexique.

 

Les prétentions du demandeur

[9]               Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État et que l’obligation du demandeur d’asile de tenter d’obtenir la protection n’est pas absolue. À leurs avis, le tribunal administratif doit plutôt se pencher sur les raisons pour lesquelles le demandeur d’asile croit qu’il n’aurait pu se prévaloir de la protection de l’État (Mallado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 74 F.T.R. 54, 46 A.C.W.S. (3d) 743). Ils font valoir que cela n’a pas été fait comme il se doit par la Commission en l’espèce et soutiennent que l’examen de la possibilité de bénéficier de la protection de l’État en l’espèce n’a été ni approfondi, ni suffisant (Espinoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 343, 137 A.C.W.S. (3d) 1204).

 

[10]           Selon les demandeurs, la Commission n’a pas pris en considération la capacité réelle du Mexique de protéger ses citoyens et qu’elle s’est contentée de souligner des déclarations du gouvernement sur ses intentions d’améliorer la situation.

 

[11]           Les demandeurs font valoir que les simples déclarations du gouvernement sur son désir de s’attaquer au problème ne permettent pas d’assurer une protection suffisante. Si le demandeur croit que la police n’a pas la capacité de le protéger, lui et sa famille, et que sa croyance est objectivement justifiée, alors, selon le demandeur, aucune autre institution au Mexique ne peut le protéger.

 

Les prétentions du défendeur

[12]           Selon le défendeur, il incombe aux demandeurs d’étayer leur demande d’asile au moyen de preuves crédibles et fiables. Les demandeurs n’ont pas satisfait à ce fardeau, car, selon la preuve indépendante présentée, ils auraient pu bénéficier d’une protection de l’État suffisante, quoique non parfaite, au Mexique, s’ils avaient cherché à l’obtenir.

 

[13]           Le défendeur fait valoir que l’aversion du demandeur à obtenir la protection de l’État n’était pas objectivement raisonnable et qu’elle reposait dans une certaine mesure sur le défaut du demandeur d’étudier les options qui s’offraient à lui et à sa famille. En l’espèce, les documents présentés à la Commission contenaient, entre autres, des éléments de preuve qui indiquaient que la police et le système de justice fonctionnaient adéquatement au Mexique et que les organismes de l’État au Mexique déploient des efforts véritables pour combattre le crime, y compris la corruption.

 

Analyse

[14]           Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission sur la protection de l’État est celle de la raisonnabilité (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 263 N.R., 1 au paragraphe 38; Huerta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, 167 A.C.W.S. (3d) 968, au paragraphe 14; Chagoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 721, [2008] A.C.F. no 908 (QL), au paragraphe 3; Dunsmuir, au paragraphe 55, 57, 62 et 64). Selon la Cour suprême du Canada, les facteurs à prendre en compte sont la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus de prise de décision. L’issue doit pouvoir se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[15]           La question centrale en l’espèce est la protection de l’État.

 

[16]           Il est bien connu que, bien qu’il soit un État démocratique et un partenaire dans l’ALENA, le Mexique souffre d’un problème continu et bien documenté de corruption (Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)). Dans ce contexte, l’avocat des demandeurs et l’avocat du défendeur ont invoqué à l’audience des courants jurisprudentiels opposés relativement à la question de la protection de l’État. Selon l’un de ces courants, le demandeur qui sollicite la protection de l’État doit faire appel à des organisations lorsque la police n’a pas la capacité ou la volonté d’offrir une protection. Selon l’autre courant, la police demeure la seule entité qui doit être prise en compte dans le contexte de la protection de l’État.  

 

[17]           Selon l’avocat des demandeurs, la Commission a commis une erreur en exigeant des demandeurs qu’ils aient tenté d’obtenir l’aide d’organisations ou d’organismes autres que la police dans les circonstances. À l’appui de cet argument, il a été fait référence à l’arrêt Zepeda dans lequel la juge Tremblay-Lamer de notre Cour a récemment mis en question la possibilité de bénéficier de la protection de l’État au Mexique et a conclu que, bien que le Mexique soit une démocratie disposée à protéger ses citoyens, les problèmes de corruption demeurent. La juge Tremblay-Lamer a statué, en conséquence, que les décideurs doivent procéder à une analyse approfondie de la preuve qui leur est présentée pour déterminer si le Mexique est capable ou non de protéger ses citoyens. 

 

[18]           On a en outre relevé que dans Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1491, 143 A.C.W.S (3d) 1094, le juge de Montigny a statué que la protection dispensée par l’État, même lorsqu’il s’agit d’un État démocratique (l’Inde par exemple), ne doit pas « seulement être théorique, elle doit être aussi […] réelle et efficace ». (Voir aussi D’Mello c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 77 A.C.W.S. (3d) 387, [1998] A.C.F. no 72 (QL) (C.F. 1re inst.); Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994), 85 F.T.R. 13, 50 A.C.W.S. (3d) 850 (C.F. 1re inst.)).

 

[19]           Je conviens que les autres organisations ou organismes mis sur pied dans un État donné pour s’attaquer aux problèmes de la corruption doivent être davantage que des coquilles vides dépourvues de véritables moyens pour réaliser leur vocation et protéger des personnes comme les demandeurs. De telles organisations ou institutions doivent représenter une véritable solution de remplacement et donner lieu à des résultats valant plus que les bonnes intentions du gouvernement. La seule expression par l’État de son intention de s’attaquer au problème de la corruption sans autre preuve de suivi est généralement insuffisante.

 

[20]           En l’espèce, la décision de la Commission (par exemple, aux pages 18 et 19) renvoie à la preuve documentaire, laquelle démontre clairement l’existence d’organisations et d’institutions qui parviennent  réellement à des résultats pour éliminer les problèmes de corruption au Mexique :

Le président Fox a déclaré en juin 2004 que les autorités fédérales allaient travailler avec les gouvernements des États et des municipalités [traduction] « afin de coordonner les efforts de lutte contre les enlèvements ». Par conséquent, une grande partie des mesures d’application de la loi visant à lutter contre les enlèvements ont été prises principalement par des agences de police fédérales comme l’AFI (Agence fédérale d’investigations). En septembre 2004, un magazine de Mexico a mentionné que les gens d’affaires mexicains avaient une meilleure opinion de l’AFI en ce qui concerne la façon dont elle traite les délits comme les enlèvements. Entre décembre 2001 et le mois de juin 2004, l’AFI aurait démantelé 48 bandes de ravisseurs, arrêté 305 ravisseurs présumés et résolu 419 cas d’enlèvement. En outre, l’AFI a aidé les autorités étatiques dans 91 cas d’enlèvement. De plus, les autorités fédérales ont annoncé que, de janvier à août 2005, elles avaient mis en détention 72 ravisseurs présumés et avaient [traduction] « complètement démantelé » 11 bandes de ravisseurs. Ce document indique également qu’il y a, parmi les personnes accusées de plusieurs enlèvements récents, des employés, anciens et actuels, des différentes divisions des forces policières fédérales et municipales. [...]

 

En 2007, le Secrétariat de la fonction publique, qui enquête sur la corruption dans l’ensemble du gouvernement fédéral, a fait état de 6253 demandes de renseignements et enquêtes relativement à des cas de méfaits et d’inconduite possibles; des 4877 employés du gouvernement fédéral visés, 410 ont été licenciés, 1023 autres ont été licenciés et visés par des restrictions à la réembauche, 1664 ont été suspendus, 2173 ont reçu un blâme et 9 ont reçu une lettre d’avertissement. De plus, 974 sanctions ont été imposées. Le Mexique a également travaillé de façon multilatérale pour promouvoir des politiques efficaces de lutte contre le trafic de stupéfiants et la corruption.

 

La preuve documentaire[1] indique également que le gouvernement a adopté des lois sévères contre la corruption et les pots‑de‑vin, lois qui prévoient en moyenne des peines d’emprisonnement de cinq à dix ans. Même si l’application de la loi concernant les actes de corruption représentait un défi, certains fonctionnaires ont été reconnus coupables et ont été condamnés à des peines d’emprisonnement et à des amendes. L’administration Fox a pris plus de 13 000 sanctions contre des fonctionnaires, mesures qui ont entraîné 1297 licenciements, 278 mises en accusation et 53 déclarations de culpabilité.

 

[21]           Par conséquent, la Cour estime que, compte tenu des circonstances et nonobstant le problème persistant de la corruption au Mexique, la preuve démontre qu’il y existe des possibilités, quoique imparfaites, pour obtenir la protection de l’État dont les demandeurs, s’ils l’avaient voulu, auraient pu se prévaloir (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, 163 N.R. 232, aux paragraphes 5 et 6; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1514, [2004] 3 R.C.F. 501, au paragraphe 50, confirmé par Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.F.C. 239; Ward; Villafranca). La preuve au dossier confirme donc que l’intention et la volonté du gouvernement de contrer la corruption s’accompagnent d’efforts réels donnant lieu à des résultats tangibles.

 

[22]           Dans Kadenko, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le refus d’un agent de police local d’intervenir ne permettait pas de systématiquement conclure à l’incapacité d’un État démocratique de protéger l’un de ses citoyens. De plus, les demandeurs n’ont pas cherché avec diligence à obtenir la protection de leur pays en 2007, avant de venir au Canada, et n’ont pas réfuté de manière claire et convaincante la présomption que l’État du Mexique avait la capacité de les protéger. Il incombe aux défendeurs de réfuter la présomption relative à la protection de l’État (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 134, 165 A.C.W.S. (3d) 336) et, pour cela, le demandeur doit démontrer, au moyen d’une preuve pertinente, fiable et convaincante et selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est insuffisante (Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636).

 

[23]           En outre, plus l’État est démocratique, plus le demandeur doit faire de démarches pour épuiser tous les recours raisonnables visant à obtenir la protection de l’État avant de demander la protection internationale (N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1996), 206 N.R. 272, 68 A.C.W.S. (3d) 334 (Kadenko); Ward). La preuve démontre que le demandeur aurait pu s’adresser aux organisations mises sur pied par le gouvernement mexicain pour s’attaquer à la corruption, en  2005, et aux autorités, entre 2005 et 2007, mais il ne l’a pas fait. 

[24]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré de manière claire et convaincante l’incapacité du gouvernement mexicain de garantir leur protection, car ils n’avaient pas épuisé tous les recours que fournit l’État dont ils disposaient au Mexique avant de demander la protection internationale. La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’avaient pas démontré de manière claire et convaincante l’incapacité du Mexique à le protéger, lui et sa famille, était raisonnable.

 

[25]           La Cour conclut que la décision de la Commission est raisonnable. La Commission a procédé à un examen exhaustif de la preuve, y compris du témoignage du demandeur et de la totalité de la preuve documentaire au dossier. Les demandeurs n’ont pas cherché à se prévaloir de la protection de l’État par d’autres moyens et ils n’ont pas démontré qu’ils ne pouvaient raisonnablement se prévaloir de la protection de l’État au Mexique. La décision était raisonnable dans les circonstances et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

[26]           Il n’a été proposé de certifier aucune question et il n’y en a pas en l’espèce.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2359-09

 

INTITULÉ :                                                   David Ramirez Albor et al c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 26 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT:                         LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 1er décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LES DEMANDEURS

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Avocats

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]               Pièce R/A‑1, Réponse à la demande d’information MEX42663.EF.

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