Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20091201

Dossier : T‑95‑08

Référence : 2009 CF 1233

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 1er décembre 2009

En présence de Me Roger R. Lafrenière, protonotaire

 

ENTRE :

JOHN FREDERICK CARTEN ET KAREN AUDREY GIBBS

demandeurs

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, JEAN CHRÉTIEN,

EDDIE GOLDENBERG, SERGIO MARCHI, LLOYD AXWORTHY,

PIERRE PETTIGREW, JOHN MANLEY, BILL GRAHAM, JIM PETERSON,

PAUL MARTIN, DAVID EMERSON, TIM MURPHY,

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE,

MICHAEL HARCOURT, GLEN CLARK, UJJAL DOSANJH, GORDON CAMPBELL, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

ALLAN ROCK, ANNE MCLELLAN, MARTIN CAUCHON, IRWIN COTLER,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE,

COLIN GABLEMAN, GEOFF PLANT, WALLY OPPAL,

LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE, JEANNIE THOMAS,

NORMAN SABOURIN, ANTONIO LAMER (défunt), BEVERLEY MCLACHLIN,

ALLAN MCEACHERN (défunt), PATRICK DOHM, DONALD BRENNER,

BRYAN WILLIAMS, JEFFERY OLIPHANT, JOHN MORDEN, JOSEPH DAIGLE,

THEMIS PROGRAM MANAGEMENT AND CONSULTING LTD.,

THE LAW SOCIETY OF BRITISH COLUMBIA, THE LAW SOCIETY OF ALBERTA, DAVID VICKERS, ROBERT EDWARDS (défunt), JOHN BOUCK, JAMES SHABBITS, HOWARD SKIPP, CRYIL ROSS LANDER, RALPH HUTCHINSON,

MICHAEL HALFYARD, HARRY BOYLE, SID CLARK, ALLAN GOULD,

ROBERT METZGER, BRIAN KLAVER, JOHN MAJOR, JOHN HORN,

BARBARA ROMAINE, ADELE KENT, SAL LOVECCHIO, DONALD WILKINS,

ROY VICTOR DEYELL, TIMOTHY LEADEM, WILLIAM PEARCE,

LISA SHEUDROFF, ANN WILSON, RICHARD MEYERS, GILLIAN WALLACE,

MAUREEN MALONEY, BRENDA EDWARDS, STEPHEN OWEN, DON CHIASSON,

CRAIG JONES, JAMES MATTISON, MCCARTHY TÉTRAULT S.E.N.C.R.L., s.r.l.,

HERMAN VAN OMMEN, STEVE KLINE, LANG MICHENER LLP,

THE CORPORATION OF THE CITY OF VICTORIA, MME UNETELLE ET M. UNTEL

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

[1]               Le 21 janvier 2008, les demandeurs, John Frederick Carten (M. Carten) et Karen Audrey Gibbs (Mme Gibbs) ont intenté une action en dommages‑intérêts compensatoires et punitifs contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada (la Couronne fédérale), en qualité de principale partie défenderesse, de même que contre un certain nombre d’autres défendeurs dont il est allégué qu’ils sont des fonctionnaires, des employés, des mandataires ou des sous‑mandataires de la Couronne fédérale.

 

[2]               La déclaration renferme des allégations concernant l’existence d’actes de collusion et d’un vaste complot entre détenteurs du pouvoir, y compris des membres actuels ou passés, dont certains aujourd’hui défunts, du gouvernement de la Colombie‑Britannique, du gouvernement fédéral et de la magistrature, dont l’objectif aurait été de nuire personnellement à M. Carten et à protéger des renseignements prétendument secrets concernant les politiques des gouvernements du Canada et de la Colombie‑Britannique en matière d’exportation d’eau en vrac. Les demandeurs prétendent que les défendeurs ont perpétré divers délits et infractions aux lois en vue de leur causer du tort, notamment en faisant entrave à la justice dans diverses instances judiciaires intéressant les demandeurs et en s’immisçant dans les enquêtes policières entreprises par suite de plaintes déposées par M. Carten. Les demandeurs allèguent en outre que les actes des défendeurs ont porté atteinte aux droits des demandeurs garantis par la Charte des droits et libertés (la Charte) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP).

 

[3]               Les défendeurs ont déposé, en application de l’article 221 des Règles des Cours fédérales (les Règles), une requête en vue d’obtenir la radiation de la déclaration au motif que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable (al. 221a)), que les allégations des demandeurs sont scandaleuses, frivoles ou vexatoires (al. 221c)), que la demande ne relève pas de la compétence de la Cour et qu’elle constitue un abus de procédure (al. 221f)).

 

[4]               Pour les motifs énoncés ci‑après, je conclus que la déclaration devrait être radiée à l’égard de tous les défendeurs, sans autorisation de la modifier.

 

Requêtes présentées à la Cour

[5]               La Cour est saisie de six requêtes en radiation distinctes, présentées respectivement par les parties suivantes :

 

            a)         Sa Majesté la Reine du chef du Canada, Jean Chrétien, Eddie Goldenberg, Sergio Marchi, Lloyd Axworthy, Pierre Pettigrew, John Manley, Bill Graham, Jim Peterson, Paul Martin, l’honorable David Emerson, Tim Murphy, le procureur général du Canada, Allan Rock, Anne McLellan, Martin Cauchon et Irwin Cotler (les défendeurs de la Couronne fédérale);

 

            b)         les défendeurs, Michael Harcourt, Glen Clark, Ujjal Dosanjh, Gordon Campbell, le procureur général de la Colombie‑Britannique, Colin Gableman, Geoff Plant, Wally Oppal, Allan McEachern (défunt), Patrick Dohm, Donald Brenner, Bryan Williams, David Vickers, Robert Edwards (défunt), John Bouck, James Shabbits, Howard Skipp, Cyril Ross Lander, Ralph Hutchinson (défunt), Michael Halfyard, Harry Boyle, Sid Clark (défunt), Allan Gould, Robert Metzger, Brian Klaver, John Major, John Horn, Timothy Leadem, William Pearce, Lisa Shendroff, Ann Wilson, Richard Meyers, Gillian Wallace, Maureen Maloney, Brenda Edwards, Stephen Owen, Don Chiasson, Craig Jones et James Mattison (les défendeurs de la Couronne de la C.‑B.);

 

            c)         le Conseil canadien de la magistrature (CCM), Jeannie Thomas, Norman Sabourin, Antonio Lamer (défunt), Beverley McLachlin, Jeffery Oliphant, John Morden, Joseph Daigle, Barbara Romaine, Adele Kent, Sal LoVecchio, Donald Wilkins et Roy Victor Deyell (les défendeurs de la magistrature);

 

            d)         The Law Society of British Columbia (LSBC), McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. (McCarthy Tétrault) et Herman Van Ommen;

 

            e)         Lang Michener LLP (Lang Michener);

 

            f)         The Law Society of Alberta (LSA).

 

[6]               Les demandeurs ont présenté une requête en jugement par défaut contre Themis Program Management and Consulting Ltd. (Themis), la seule partie défenderesse qui n’a ni produit de défense ni déposé de requête en radiation dans les délais prescrits. L’audition de la requête des demandeurs a été ajournée puisqu’ils n’ont produit aucune preuve permettant d’appuyer leur demande contre Themis : Chase Manhattan Corp. c 3133559 Canada Inc., 2001 CFPI 895. Les demandeurs ont été autorisés à déposer une preuve additionnelle par affidavit et des observations écrites complémentaires.

 

[7]               Avant qu’une décision ne soit rendue sur les requêtes des parties, les demandeurs ont interjeté appel de l’ordonnance par laquelle le juge en chef a désigné un protonotaire à titre de juge responsable de la gestion de l’instance. Par respect envers le processus d’appel, l’audition des requêtes a été mise en suspens jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel des demandeurs. Dans l’intervalle, Themis a présenté une requête en vue d’être autorisée à déposer sa défense.

 

[8]               Le 6 octobre 2009, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel des demandeurs. Le 7 octobre 2009, les demandeurs ont écrit au juge en chef de la Cour fédérale pour l’informer de leur intention de ne pas en appeler de la décision de la Cour d’appel fédérale et pour lui demander de donner au protonotaire l’instruction de [traduction] « rendre sans délai les motifs de jugement relatifs aux deux affaires dont [la Cour] est saisie depuis juillet 2008 ».

 

[9]               Je traiterai d’abord des requêtes en radiation car, à mon sens, cette question influencera sensiblement l’examen de la requête des demandeurs visant l’obtention d’un jugement par défaut à l’encontre de Themis et de la requête de Themis pour obtenir la prorogation du délai pour produire une défense. Comme nous l’avons vu, les défendeurs ont cité de nombreuses raisons de radier la déclaration sans autorisation de la modifier. Je me propose de procéder, dans un premier temps, à un bref examen des allégations formulées dans la déclaration et des principes applicables aux requêtes en radiation, puis de traiter un à un des quatre motifs invoqués.

 

Allégations formulées dans la déclaration

[10]           La déclaration comporte 56 pages et 311 paragraphes à intervalle simple. Pour les besoins des présents motifs, il n’est pas nécessaire d’examiner dans le détail toutes les allégations énoncées dans l’acte de procédure. Il convient par ailleurs de rappeler qu’aux fins de l’examen d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 221a), pour décider si l’acte de procédure révèle une cause d’action valable, la Cour doit considérer les faits qui y sont allégués comme avérés.

 

[11]           En 1992, Sun Belt Water Inc. (Sun Belt) et Snowcap Waters Ltd. (Snowcap) ont retenu les services de M. Carten pour qu’il les représente en qualité d’avocat dans le cadre d’une poursuite en vue d’obtenir un dédommagement pour des pertes économiques résultant d’un changement qu’a apporté Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique (la Couronne de la C.‑B.) à sa politique sur l’exportation d’eau en vrac. Les procédures ont été engagées devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (la CSCB) en janvier 1993.

 

[12]           Les demandeurs affirment avoir été mis au courant de certains renseignements à l’étape des interrogatoires préalables et par suite des enquêtes qu’ils ont personnellement menées pendant les procédures devant la CSCB et après qu’elles eurent pris fin. Ils prétendent avoir découvert des preuves que des employés et des fonctionnaires de la Couronne fédérale et de la Couronne de la C.‑B. avaient secrètement accordé des faveurs illégales à des « amis du gouvernement précédent », par l’entremise d’une société appelée W.C.W. Western Canada Water Enterprises Ltd. (WCW). M. Carten a appris que WCW avait été créée par des familles appartenant à la mafia de Chicago et que plusieurs députés de la Chambre des communes en exercice avaient investi dans cette société.

 

[13]           Les demandeurs affirment qu’un accord datant de septembre 1989 a été conclu entre la Couronne fédérale et WCW et que cet accord prouve que les deux parties ont ourdi un complot en vue de contourner l’Accord de libre‑échange Canada‑États‑Unis, la Water Act et l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. L’accord aurait permis à WCW de se soustraire à l’obligation de payer les droits prévus dans la Water Act relativement à l’eau en vrac.

 

[14]           Suivant les allégations centrales de la déclaration, les personnes occupant les échelons les plus élevés au sein de la Couronne fédérale ont approuvé et employé, avec d’autres défendeurs, un stratagème comportant une fraude et sa dissimulation afin de nuire personnellement à M. Carten, et ce, dans le but de protéger les renseignements prétendument secrets. Des dizaines de particuliers et d’entités auraient collectivement causé du tort aux demandeurs par le biais de divers actes d’inconduite et d’omissions pendant une quinzaine d’années. La déclaration regorge d’allégations de complot entre divers défendeurs, dont des juges des cours provinciales et supérieures et des membres du CCM (paragraphes 3, 32, 38, 46, 71, 75, 77, 78, 83, 84, 135, 148, 151, 176, 178, 180, 184, 185, 194, 206, 218, 219, 223, 229, 235, 239, 243, 244, 246, 252, 260, 261, 301 et 311), et d’« ingérence » des défendeurs dans diverses enquêtes judiciaires, quasi judiciaires et policières (paragraphes 4, 5, 6, 8, 12, 28, 32, 39, 40, 65, 66, 69, 71, 73, 135, 148, 151, 153, 157, 161,163, 168, 169, 170, 171, 174, 178, 184, 186, 194, 196, 213, 245, 269, 277, 278, 285, 286, 292 et 302).

 

[15]           Selon les demandeurs, après qu’un paiement de 335 000 $ a permis de régler le litige Snowcap en juillet 1996, la Couronne de la C.‑B. s’est retirée des négociations en vue d’obtenir un règlement pour la réclamation de Sun Belt, même si elle avait dit qu’elle négocierait de bonne foi. Les demandeurs prétendent que les défendeurs de la Couronne de C.‑B. ont repris le litige et ont adopté une stratégie de défense qui comportait une « fraude envers la cour ». Les allégations d’inconduite visent notamment :

 

a)         la suppression d’éléments de preuve, la dissimulation de documents, le recours au parjure et aux faux témoignages, tant dans les réponses données lors des interrogatoires préalables que par le dépôt d’affidavits mensongers, et la présentation d’observations fausses et trompeuses au juge saisi des demandes interlocutoires présentées dans le cadre des procédures intéressant Sun Belt;

 

b)         l’exercice en secret d’une influence indue sur les fonctionnaires judiciaires désignés pour présider diverses audiences tenues dans le cadre des procédures intéressant Sun Belt;

 

c)         une attaque déguisée contre M. Carten par l’exercice en secret d’une influence indue sur les fonctionnaires judiciaires désignés pour présider l’instruction d’une instance en matière familiale intéressant personnellement M. Carten.

 

[16]           Les demandeurs allèguent que la Couronne de la C.‑B. et la Couronne fédérale ont exercé en secret une influence indue sur des fonctionnaires judiciaires dans un litige opposant Rain Coast Water Corp., connue antérieurement sous le nom d’Aquasource Ltd. (Aquasource), et la Couronne de la C.‑B., relativement à une demande déposée par Aquasource en vertu de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act de la Colombie‑Britannique ainsi qu’à une demande d’indemnisation présentée par Aquasource par suite d’un changement de la politique d’exportation d’eau en vrac. Pour situer le contexte, signalons qu’Aquasource a présenté une demande d’information au sujet de la décision d’appliquer le décret en conseil no 331 daté du 18 mars 1991. En réponse à la demande, la Couronne de la C.‑B. a transmis une version expurgée d’un document (une présentation au Cabinet) : plusieurs pages avaient été caviardées et d’autres, retirées. Aquasource a demandé que ces pages lui soient communiquées. M. Carten soutient que la requête a été rejetée parce que des mandataires de la Couronne fédérale se sont ingérés dans le dossier et ont comploté avec divers juges pour que ceux‑ci rendent des décisions privant Aquasource du bénéfice d’une communication préalable complète et conforme de la preuve. M. Carten prétend que de 2000 à 2004, la Couronne de la C.‑B. a retenu des documents relatifs aux procédures sur l’exportation d’eau en vrac intéressant Aquasource parce qu’elle savait que M. Carten fournissait des conseils stratégiques à Aquasource et qu’elle voulait l’empêcher d’obtenir de l’information qu’il pourrait utiliser dans les procédures intéressant Sun Belt.

 

[17]           Les demandeurs allèguent également que la Couronne fédérale a subrepticement attaqué Mme Gibbs en influençant secrètement et indûment des fonctionnaires judiciaires dans le cadre de litiges privés en matière familiale et relatifs à des biens, auxquels elle était partie. Les demandeurs prétendent que la Couronne fédérale a confié à divers juges l’instruction des procédures en matière de garde de Mme Gibbs, complotant avec ces derniers et les incitant à rendre des décisions défavorables à Mme Gibbs et, par extension, à M. Carten lui‑même. M. Carten allègue que les mandataires de la Couronne fédérale se sont ingérés dans l’instance relative à des biens à laquelle Mme Gibbs était partie, ce qui a donné lieu à des décisions défavorables à cette dernière et à lui‑même. Les mandataires de la Couronne fédérale auraient fait cela dans le but de nuire à Mme Gibbs en raison de ses liens avec M. Carten.

 

[18]           En 1999, la CSCB a rejeté les procédures intéressant Sun Belt. En novembre 1999, Sun Belt a signifié la notification d’une plainte ainsi qu’une demande d’arbitrage en vertu du chapitre 11 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain (ALENA). L’instance engagée sous le régime de l’ALENA n’a pas progressé en raison du manque de ressources de Sun Belt.

 

[19]           M. Carten a déposé des plaintes auprès de la GRC et du service de police de Vancouver et demandé à ce qu’ils enquêtent au sujet de l’inconduite de certains fonctionnaires. Les demandeurs soutiennent qu’en 2002 et en 2005, des mandataires de la Couronne fédérale se sont ingérés dans les enquêtes et en ont entravé le cours.

 

[20]           Par ailleurs, la Couronne fédérale aurait tenté d’obtenir que M. Carten soit radié du tableau de l’ordre des avocats de façon à l’empêcher de continuer à agir pour le compte de Sun Belt. Elle aurait, à cette fin, chargé ses mandataires de s’immiscer dans les affaires de deux défenderesses, la LSBC et la LSA. Au paragraphe 100 de la déclaration, les demandeurs déclarent : [traduction] « [L]es demandeurs ne connaissent pas tous les détails de l’inconduite des [défendeurs de la Couronne fédérale], mais ceux‑ci seront révélés par les interrogatoires préalables. »

 

[21]           Les demandeurs soutiennent qu’un certain nombre de juges des cours supérieures, dont les juges en chef de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique et de la Cour suprême du Canada, ont manqué à leurs obligations dans l’exercice de leurs fonctions et ont entravé le cours de la justice dans les instances intéressant Sun Belt et des poursuites connexes. Les demandeurs allèguent que des affaires inscrites au rôle ont été reportées, que de nouveaux juges ont été désignés et que des ordonnances ont été rendues contre eux en raison d’actes accomplis par des mandataires de la Couronne fédérale, qui se sont immiscés dans les affaires de l’appareil judiciaire.

 

[22]           Par exemple, au paragraphe 71 de la déclaration, les demandeurs prétendent que des mandataires de la Couronne fédérale ont comploté avec un juge de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique afin de l’inciter à [traduction] « rendre des motifs de jugement contraires au droit et à la preuve et destinés à contraindre Sun Belt à communiquer l’ensemble de sa preuve et de ses arguments juridiques avant la conclusion des interrogatoires préalables ».

 

[23]           Un autre exemple signalé d’ingérence dans le système judiciaire concerne la demande de garde que l’ex‑mari de Mme Gibbs a déposée en Alberta, en 1995. Les demandeurs affirment que le tribunal albertain n’aurait pas dû se reconnaître compétent dans l’affaire et que les diverses décisions à l’effet contraire rendues par les tribunaux de l’Alberta et de la Colombie‑Britannique sont erronées. M. Carten prétend que des mandataires de la Couronne fédérale se sont immiscés dans les procédures en matière de garde afin d’empêcher Mme Gibbs d’assister M. Carten dans le cadre des instances intéressant Sun Belt.

 

[24]           M. Carten a porté plainte au CCM à de nombreuses reprises pour qu’il enquête sur les allégations d’inconduite des juges dans les instances intéressant Sun Belt. Selon les demandeurs, divers membres et employés du CCM auraient manqué à leurs obligations en ne faisant pas enquête sur les plaintes formulées par M. Carten et en camouflant des actes d’inconduite et des activités illégales. La conduite des dirigeants du CCM est décrite [traduction] « comme une entrave à la justice et une violation des dispositions du Code criminel du Canada ».

 

[25]           M. Carten allègue que la LSBC a manqué aux obligations que lui impose la loi en omettant de faire enquête sur les plaintes qu’il a déposées contre divers avocats représentant la Couronne fédérale et la Couronne de la C.‑B. La LSBC aurait exigé, [traduction] « par des manœuvres de corruption et en violation des obligations que lui impose la loi », que M. Carten subisse un examen psychiatrique et utilisé une stratégie de [traduction] « démolition de la réputation par la psychiatrie ». Les demandeurs soutiennent que la LSBC a secrètement incité la LSA à s’ingérer dans une procédure engagée par M. Carten sous le régime de la Family Maintenance Enforcement Act (la FMEA) en faisant secrètement annuler l’audience du 30 juin 2006. Les demandeurs soutiennent que la LSBC a persuadé en secret le juge présidant l’instance relative à la FMEA à rendre une ordonnance interdisant à M. Carten de convoquer des témoins sans l’autorisation du juge.

 

[26]           Les demandeurs allèguent qu’en 1999 ou en 2000, des mandataires de la LSA, agissant en qualité de sous‑mandataires de la Couronne fédérale, lui ont envoyé des lettres de menace par suite d’une communication secrète entre la LSBC et la LSA. Ils prétendent que la LSA a refusé d’enquêter sur des plaintes déposées par Mme Gibbs au sujet d’avocats qui l’avaient représentée en Alberta. Ils ajoutent qu’en 1999 ou en 2000, la LSA a chargé deux enquêteurs de procéder à une enquête illégale et irrégulière au sujet de la résidence de Mme Gibbs, à Calgary.

 

[27]           Les demandeurs allèguent que la Couronne fédérale s’est immiscée dans les activités de Themis et a incité l’entreprise à entreprendre des actions belliqueuses, abusives et illégales contre M. Carten, notamment à demander qu’il fasse l’objet d’une saisie‑arrêt pour les arriérés de pension alimentaire pour enfants qu’il devait ainsi que la suspension de son permis de conduire et à mener à son endroit une campagne de diffamation fallacieuse en informant des représentants du gouvernement en Alberta du fait qu’il avait des antécédents de violence.

 

[28]           Les allégations visant expressément Lang Michener se trouvent aux paragraphes 292 à 295 de la déclaration. Les demandeurs soutiennent que le cabinet s’est ingéré dans la relation avocat‑client qui existait entre M. Carten et Sun Belt, qu’il agissait secrètement en qualité de mandataire de la Couronne fédérale et qu’il a divulgué à des tiers non identifiés des renseignements de nature privée qu’il avait obtenus de M. Carten et de Sun Belt, manquant ainsi à ses obligations professionnelles.

 

[29]           M. Carten affirme qu’en 1997, McCarthy Tétrault a accepté de rédiger un avis juridique quant à une éventuelle action intentée en vertu de l’ALENA pour le compte de Sun Belt. Ce faisant, le cabinet a manqué à ses obligations puisque, ayant accepté par le passé des mandats de WCW et de la Couronne fédérale, il s’est placé en situation de conflit d’intérêts et qu’il a omis de le déclarer. Le cabinet a de nouveau manqué à ses obligations professionnelles lorsque l’un de ses associés, M. Van Ommen, faisant abstraction du fait que M. Carten avait déjà été client chez eux, a accepté de la LSBC un mandat se rapportant à la demande de réinscription au tableau de l’ordre que cette dernière a reçue de M. Carten en 2005. Les demandeurs ajoutent que M. Van Ommen a incité un psychiatre à rédiger une lettre dans laquelle on pouvait lire que M. Carten souffrait possiblement de [traduction] « graves troubles psychiatriques non diagnostiqués et non traités ».

 

Principes applicables aux requêtes en radiation

[30]           Le critère à appliquer, dans le cadre d’une requête visant à radier un acte de procédure au titre de l’alinéa 221a) des Règles, consiste à se demander s’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable : voir Hunt c Carey, 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 RCS 959, [1990] ACS no 93 au paragraphe 32 (QL). Le fait que la demande soulève une question nouvelle ou difficile n’est pas un motif suffisant pour ordonner sa radiation. Le fardeau qui incombe au défendeur est très lourd et la Cour ne devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la radiation que dans les cas les plus manifestes. L’acte de procédure devrait être interprété de manière généreuse, et la souplesse s’impose à l’égard des impropriétés dues à des lacunes de rédaction.

 

[31]           Dans le cas d’une requête en radiation d’un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable, on doit tenir pour acquise la véracité des allégations qui sont susceptibles d’être établies : Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959. Toutefois, cette règle ne s’applique pas aux allégations fondées sur des suppositions et des conjectures : Operation Dismantle Inc. c La Reine (1985), 18 DLR (4th) 481 (CSC) aux pages 486‑487 et 490‑491. En outre, la Cour n’est pas tenue d’accepter comme vraies de simples allégations, des allégations de fait pouvant être considérées comme scandaleuses, frivoles ou vexatoires, ou des arguments juridiques déguisés en allégations factuelles.

 

La déclaration révèle‑t‑elle une cause d’action valable?

[32]           À titre préliminaire, signalons que, suivant le paragraphe 221(2) des Règles, aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête où est invoqué le motif visé à l’alinéa (1)a). Par conséquent, l’affidavit souscrit par John Carten le 23 juin 2008 n’a pas été pris en compte pour déterminer si la déclaration révèle ou non une cause d’action valable.

 

[33]           Au paragraphe 3 de la déclaration, les demandeurs résument en ces mots la teneur de leur demande :

[traduction] […] les défendeurs ont causé un préjudice aux demandeurs en contrevenant aux principes du droit de la responsabilité délictuelle, notamment ceux concernant les délits d’abus de fonctions, de complot, de détention illégale, d’infliction intentionnelle de souffrances morales, d’ingérence intentionnelle dans des relations économiques, d’atteinte intentionnelle à la vie privée, de fraude, de dol, de dissimulation d’une fraude commise par le titulaire d’une charge publique et de stratagème visant à tromper le tribunal et ses fonctionnaires [...]

 

[34]           On trouve des exemples typiques des allégations d’inconduite formulées par les défendeurs à la partie 5 de la déclaration, intitulée [traduction] « INGÉRENCE AUPRÈS DE LA MAGISTRATURE – PROCÈS CARTEN ». Les paragraphes 196 à 207 sont reproduits intégralement ci‑dessous afin d’illustrer la façon dont les allégations sont formulées.

 

[traduction]

196.     Les [demandeurs] allèguent que des mandataires du gouvernement du Canada se sont immiscés dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire indépendant dans le cadre d’une instance matrimoniale à laquelle M. Carten était personnellement partie.

 

197.     Vers le mois de février 1996, M. Vickers, ancien sous‑procureur général du PGCB, a convenu avec des mandataires du gouvernement du Canada, en violation des devoirs de sa charge, de présider une conférence préparatoire à l’instance entre M. Carten et sa femme dans le cadre d’un stratagème destiné à faire échec à une requête dont l’instruction devait avoir lieu dans le cadre de l’instance Sun Belt en nuisant à l’avocat de cette dernière, M. Carten.

 

198.     En mai 1996, des mandataires du gouvernement du Canada ont chargé le défendeur et ancien sous‑procureur général du PGCB de 1989 à 1993, feu Robert Edwards [ci‑après, « M. Edwards »], de présider l’instruction de certaines questions litigieuses entre M. Carten et son ex‑femme, une manœuvre s’inscrivant comme le prolongement du stratagème du gouvernement du Canada visant à faire échec à une requête dont l’instruction devait avoir lieu dans le cadre d’une poursuite en matière d’exportation de l’eau en nuisant à l’avocat de Sun Belt, M. Carten.

 

199.     Les demandeurs allèguent que des mandataires du gouvernement du Canada ou du gouvernement de la C.‑B., agissant sans l’autorisation du gouvernement du Canada, ont secrètement incité M. Edwards, un fonctionnaire du gouvernement du Canada, à se rendre coupable d’inconduite dans l’exercice de ses fonctions et à rendre des motifs de jugement contraires au droit établi afin priver Sun Belt du bénéfice d’un processus d’interrogatoire préalable normal et complet, ce qui aurait aidé Sun Belt à prouver que les politiques du gouvernement de la C.‑B. en matière d’exportation d’eau en vrac et les faveurs que celui‑ci a accordées à WCW étaient contraires au GATT et à l’Accord de libre‑échange Canada‑États‑Unis.

 

200.     Vers le mois de juin 1998, des mandataires du gouvernement du Canada ont désigné le défendeur Sid Clark afin qu’il préside l’instruction de la requête présentée par le PGCB en vue d’obtenir l’annulation de subpoenas signifiés par M. Carten pour contraindre Mme Shendroff et MM. Clark et Dosanjh à comparaître comme témoins à une audience.

 

201.     Les demandeurs allèguent que des mandataires du gouvernement du Canada ont secrètement incité Sid Clark à se rendre coupable d’inconduite dans l’exercice de ses fonctions et à rendre des motifs de jugement contraires au droit établi afin de priver M. Carten du droit à une défense pleine et entière.

 

202.     Vers le mois de juin 1998, des mandataires du gouvernement du Canada ont désigné le défendeur Harry Boyle [M. Boyle] afin qu’il préside l’instruction de l’appel interjeté par M. Carten à l’encontre du jugement de Sid Clark, mentionné précédemment.

 

203.     Les demandeurs allèguent que des mandataires du gouvernement du Canada ont secrètement incité M. Boyle à se rendre coupable d’inconduite dans l’exercice de ses fonctions et à rendre des motifs de jugement contraires au droit établi afin de priver M. Carten du droit à une défense pleine et entière.

 

204. Vers le mois d’août 1998, des mandataires du gouvernement du Canada ont désigné le défendeur Donald Brenner [M. Brenner] afin qu’il préside l’instruction d’une demande présentée par l’ex‑femme de M. Carten en vue d’obtenir l’augmentation du montant de pension alimentaire pour enfants.

 

205.     Les demandeurs allèguent que des mandataires du gouvernement du Canada ont secrètement incité M. Brenner à se rendre coupable d’inconduite dans l’exercice de ses fonctions et à rendre des motifs de jugement contraires au droit établi afin de causer à M. Carten de nouvelles difficultés financières de façon à ce qu’il ne puisse continuer de représenter Sun Belt dans le cadre des instances intéressant Sun Belt.

 

206.     Vers le mois d’octobre 1998, des mandataires du gouvernement du Canada ont comploté avec le défendeur Robert Metzger, alors juge en chef de la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique [le juge Metzger], afin que soit désigné le défendeur Allan Gould [M. Gould] pour présider l’instruction d’une demande présentée par le PGCB et Themis concernant les arriérés de pension alimentaire pour enfants dus par M. Carten.

 

207.     Les demandeurs allèguent que des mandataires du gouvernement du Canada ont secrètement incité M. Gould à se rendre coupable d’inconduite dans l’exercice de ses fonctions et à rendre des motifs de jugement contraires au droit établi afin de faire incarcérer M. Carten et de poser un obstacle supplémentaire à sa capacité de continuer de représenter Sun Belt dans le cadre des procédures intéressant cette dernière.

 

208.     Vers le mois de mars 2000, M. Carten s’est plaint auprès du juge Metzger du fait que M. Gould s’était rendu coupable d’inconduite et lui a demandé de procéder à une enquête, mais le juge Metzger a refusé, en violation des devoirs de sa charge, de mener une enquête en bonne et due forme sur M. Gould, dont il a camouflé les agissements. En juin 2000, des mandataires du gouvernement du Canada ont récompensé le juge Metzger en le nommant à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique.

 

209.     Vers le mois de septembre 2001, des mandataires du gouvernement du Canada ont désigné James Taylor, ancien employé de longue date du PGCB et fonctionnaire du gouvernement du Canada, afin qu’il préside l’instruction d’une demande de M. Carten visant la réduction du montant de pension alimentaire pour enfants conformément aux Lignes directrices fédérales et la radiation des arriérés de pension.

 

210.     M. Taylor a été nommé au poste de juge par M. Chrétien en 1995 et a aussi été l’associé d’un cabinet avec MM. Hutchinson, Shabbits et Horn.

 

211.     Les demandeurs allèguent que des mandataires du gouvernement du Canada ont secrètement incité M. Taylor à se rendre coupable d’inconduite dans l’exercice de ses fonctions et à rendre des motifs de jugement contraires au droit établi afin d’empêcher M. Carten de poursuivre son travail auprès de Sun Belt et d’exposer plus avant la nature criminelle des arrangements conclus entre WCW et le gouvernement de la C.‑B, auxquels ont pris part des députés et d’anciens députés de la Chambre des communes de même que des fonctionnaires du gouvernement du Canada.

 

212.     De plus, les demandeurs allèguent que M. Taylor, en tant que mandataire du gouvernement du Canada, s’est saisi du dossier de M. Carten de façon à pouvoir faire obstacle à toute demande de réparation que ce dernier pourrait présenter et à servir l’objectif poursuivi par les mandataires du gouvernement du Canada, qui est d’empêcher M. Carten de mettre au jour leurs agissements criminels.

 

 

[35]           L’article 174 des Règles exige que tout acte de procédure contienne un exposé concis des faits pertinents sur lesquels la partie se fonde. L’article 181 des Règles dispose que l’acte de procédure doit contenir des précisions sur chaque allégation qui y figure. L’article 182 des Règles précise que la déclaration doit définir la nature des dommages‑intérêts demandés.

 

[36]           Ces dispositions imposent au demandeur l’obligation d’exposer les faits pertinents révélant une cause d’action valable, qui fait entrer en jeu quatre exigences fondamentales : a) chaque acte de procédure doit exposer des faits et non pas simplement des conclusions de droit; b) il doit exposer des faits pertinents; c) il doit exposer des faits, non les éléments de preuve qui serviront à étayer ces faits; d) il doit exposer les faits avec concision.

 

[37]           La déclaration des demandeurs contrevient en tous points aux règles à suivre pour la rédaction des actes de procédures. Au lieu d’énoncer les faits pertinents permettant d’établir l’existence d’une cause d’action valable, la déclaration renferme de simples affirmations, des déclarations non étayées, une argumentation et des conclusions. Les allégations contenues dans la déclaration ont une portée si vaste et si générale qu’elles sont foncièrement incompréhensibles et qu’il est impossible d’y répondre sérieusement. Il est pareillement impossible de traiter systématiquement de toutes les lacunes que comporte la déclaration dans les présents motifs. C’est pourquoi j’axerai mon analyse sur les principales allégations des demandeurs.

 

La relation mandant‑mandataire

[38]           En vertu de l’alinéa 17(5)b) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence dans les actions visant des mandataires de la Couronne fédérale. La question de savoir si les faits de l’espèce permettent de conclure à l’existence d’une relation mandant‑mandataire est une question de droit.

 

[39]           Bien que les demandeurs aient allégué en termes généraux qu’un certain nombre de défendeurs agissaient en qualité de mandataires ou de sous‑mandataires de la Couronne fédérale, ils ne font état d’aucun fait substantiel, ni même d’autres faits ou précisions, propres à étayer l’existence d’une telle relation. Or, est défectueux l’acte de procédure contenant une allégation se résumant à une simple conclusion de droit : Paradis c. Vaillancourt et al, [1943] OWN 359. Je ne trouve rien dans la déclaration qui, une fois avéré, établirait que les défendeurs, soit dans leur rôle officiel collégial, soit à titre individuel, agissaient comme fonctionnaires, préposés ou mandataires de la Couronne.

 

[40]           Les demandeurs n’invoquent aucun fait à l’appui de la conclusion de droit alléguée selon laquelle les défendeurs de la magistrature, les défendeurs de la Couronne de C. B., la LSBC, la LSA, les cabinets juridiques poursuivis ou Themis étaient mandataires ou sous‑mandataires de la Couronne fédérale. Par conséquent, dans la mesure où une relation de mandataire y est invoquée comme fondement des prétentions des demandeurs, l’acte de procédure est incomplet. Les allégations formulées contre les défendeurs – à l’exception des défendeurs de la Couronne fédérale – ne peuvent être retenues parce qu’elles reposent sur un acte de procédure irrégulier dans lequel les demandeurs affirment que ces défendeurs agissaient comme mandataires ou sous‑mandataires de la Couronne fédérale sans préciser les faits qui ont donné naissance à une relation mandant‑mandataire.

 

L’ingérence

[41]           Au paragraphe 196, les demandeurs allèguent que des mandataires de la Couronne fédérale se sont immiscés dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire indépendant dans le cadre d’une instance matrimoniale de nature privée à laquelle M. Carten était personnellement partie. Ailleurs dans la déclaration, les demandeurs allèguent, dans le même ordre d’idée, que des mandataires de la Couronne fédérale ont incité des juges à se rendre coupables d’inconduite et à prononcer des décisions contraires au droit dans le but de porter préjudice aux demandeurs personnellement (paragraphes 65, 71, 77, 78, 135, 176‑179, 184, 199, 201, 203, 205, 207, 211, 229, 234 et 237).

 

[42]           L’allégation d’ingérence est défectueuse, car elle ne constitue pas une cause d’action reconnue en droit. Même si elle l’était, les demandeurs ne présentent aucun fait tendant à démontrer qu’il y a eu manipulation de la part des juges. Les seuls éléments qui peuvent être prouvés sont l’existence d’une instance judiciaire, les vagues allégations d’« ingérence » par des personnes dont l’identité est inconnue et l’issue de l’affaire. Le lien établi entre la décision rendue dans les diverses instances et les manquements allégués relève de la pure conjecture et est impossible à prouver.

 

[43]           Dans la mesure où les demandeurs fondent leurs prétentions sur des allégations d’ingérence intentionnelle d’ordre économique, je conclus que la preuve n’en a pas été faite, car trois éléments constitutifs essentiels du délit doivent être plaidés de façon précise : voir Canada Steamship Lines Inc. c Elliott, 2006 CF 609; Lineal Group Inc. c Atlantis Canadian Distributors Inc. (1998), 42 OR (3d) 157 (CA Ont). Ces éléments constitutifs sont les suivants :

 

            1.         l’intention de porter préjudice au demandeur;

            2.         l’atteinte, par des moyens illicites, à la manière dont autrui gagne sa vie ou exerce une activité commerciale;

            3.         le préjudice économique qui en découle.

 

[44]           Les allégations ne permettent tout simplement pas de soutenir qu’il y a eu ingérence intentionnelle d’ordre économique. En effet, les demandeurs n’ont ni fait valoir l’intention des défendeurs ni invoqué de préjudice économique, qui étaient pourtant nécessaires.

 

La détention illégale

[45]           Au paragraphe 207 de la déclaration, les demandeurs allèguent que des mandataires de la Couronne fédérale ont secrètement usé de leur influence afin d’amener un juge à rendre des motifs de jugement contraires à la loi dans le but de faire emprisonner M. Carten. Les demandeurs allèguent des faits analogues au paragraphe 32, où ils affirment que la Couronne de la C.‑B., agissant en qualité de mandataire de la Couronne fédérale, [traduction] « a fait preuve d’ingérence et a comploté » avec certains juges et d’autres employés de la Couronne de la C.‑B. et de Themis [traduction] « afin de priver M. Carten du droit fondamental de faire entendre des témoins et de l’incarcérer illégalement pendant quarante jours ».

 

[46]           La détention illégale s’entend du fait de délibérément séquestrer une personne ou restreindre sa mobilité contre sa volonté, sans autorisation ou justification légales. Premièrement, pour qu’un demandeur ait gain de cause dans une poursuite pour détention arbitraire, la conduite du défendeur doit avoir été intentionnelle et être la cause de la séquestration. Deuxièmement, la séquestration du demandeur doit être totale. Troisièmement, le détenu qui obtempère aux ordres du défendeur doit le faire contre son gré. Enfin, même si les trois conditions qui précèdent sont remplies, la détention est arbitraire uniquement si la conduite délibérée du défendeur est illégale ou non autorisée.

 

[47]           Vu les faits plaidés, l’emprisonnement de M. Carten n’est pas la conséquence directe d’un acte accompli par l’un des défendeurs; il résulte plutôt de l’intervention de l’appareil judiciaire : Foth c O’Hara et al, (1958), 24 WWR 533 (CS Alb). Les demandeurs n’ont invoqué aucun fait concernant la nature de la séquestration de M. Carten ou le fait qu’il n’y ait pas consenti. Par ailleurs, l’allégation voulant que l’emprisonnement ait été arbitraire constitue une conclusion, et non un fait.

 

L’immunité judiciaire

[48]           Les demandeurs reconnaissent que le principe de l’immunité judiciaire s’applique à tous les juges dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires : Morier et Boily c Rivard, [1985] 2 RCS 716 (Morier). Toutefois, ils affirment que s’ils parviennent à prouver que les juges identifiés agissaient en qualité de mandataires du pouvoir exécutif, contrairement à leur serment professionnel, et si leur conduite est sanctionnée par une condamnation à des dommages‑intérêts punitifs d’un montant approprié, cela aura pour effet de faire bien comprendre au pouvoir exécutif et au pouvoir judiciaire qu’ils ont l’un et l’autre l’obligation de défendre et de protéger le principe de l’indépendance de la magistrature. Les demandeurs soutiennent que si un juge accepte un pot‑de‑vin, cède au chantage ou accepte de rendre une décision qu’il sait ne pas être conforme à la loi, la partie a droit d’obtenir réparation en justice.

 

[49]           La déclaration ne renferme aucune allégation de corruption ou de chantage. Par conséquent, la seule question qui se pose est de savoir si l’immunité judiciaire cesse de s’appliquer lorsqu’un juge rend sciemment une décision contraire à la loi. Dans l’arrêt Morier, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans la mesure où le juge est sincèrement convaincu d’agir dans les limites de sa compétence, il est à l’abri de toute poursuite, même s’il a fait preuve de mauvaise foi. Les demandeurs ont omis de présenter des faits pertinents montrant que certains juges qui ont rendu des décisions défavorables n’ont pas agi dans le cadre de leur fonction judiciaire tout en sachant qu’ils n’avaient pas compétence pour agir.

 

[50]           On ne peut contourner l’immunité judiciaire en se contentant de présenter de simples allégations d’inconduite : Baryluk (Wyrd Sisters) c Campbell, 2008 CanLII 55134 (CS Ont). La même règle devrait s’appliquer au simple fait d’affirmer que des juges ont agi en qualité de mandataires de la Couronne fédérale. Les juges ne devraient pas être amenés à défendre la manière dont ils exercent leurs fonctions judiciaires dans des procédures judiciaires ultérieures intentées par des parties mécontentes. Le recours approprié est l’appel de la décision, et non une action contre l’officier de justice.

 

[51]           Je souscris à la conclusion tirée par le juge Hackland dans Baryluk : [traduction] « [I]l ne se dégage aucune apparence de vraisemblance, et rien dans les faits essentiels invoqués ou dans les renseignements autrement portés à l’attention de la Cour ne peut justifier les allégations calomnieuses [des demanderesses]… » Les faits plaidés ne révèlent aucune cause d’action valable contre l’un ou l’autre des juges désignés comme défendeurs.

 

Le complot

[52]           Les demandeurs ont tenté d’étayer leurs allégations d’inconduite par diverses allégations de complot entre les défendeurs. Le délit de complot comporte l’imputation d’une mauvaise conduite et d’un manque d’honnêteté et il doit être plaidé avec une attention et une précision spéciales : Pellikaan c Canada, 2002 CFPI 221 (CanLII), [2002] 4 CF 169 (Pellikan). Dans l’arrêt Ciments Canada LaFarge Ltée c British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., [1983] 1 RCS 452, la Cour suprême du Canada conclut, aux pages 471 et 472, que l’existence d’un délit de complot est établie si, selon le cas :

 

            a)         indépendamment du caractère légal ou illégal des moyens employés, la conduite des défendeurs vise principalement à causer un préjudice au demandeur;

 

            b)         lorsqu’il s’agit d’une conduite illégale, elle est dirigée contre le demandeur seul ou contre lui et d’autres personnes en même temps et que les défendeurs eussent dû savoir dans les circonstances que le préjudice subi par le demandeur était une conséquence probable.

 

[53]           La déclaration n’expose pas les circonstances entourant les prétendus complots ni l’identité de certains des présumés conspirateurs; qui plus est, elle ne fait pas état de l’existence d’une entente entre les défendeurs visant à nuire aux demandeurs. Elle omet également de préciser la nature des dommages‑intérêts demandés, comme d’établir un lien de causalité entre les dommages subis et les actes reprochés aux défendeurs.

 

L’inconduite dans l’exercice d’une charge et le manquement à une obligation

[54]           À la partie 3E de la déclaration (paragraphes 123 à 151), les demandeurs allèguent qu’entre 1998 et 2007, M. Carten s’était plaint au CCM à vingt‑et‑une reprises du fait que certains juges de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique avaient agi de manière irrégulière. Les demandeurs prétendent que divers fonctionnaires et membres du CCM ont refusé de procéder à des enquêtes ou ont rejeté les plaintes dans le but précis de nuire aux demandeurs et de protéger des secrets d’État. Aux dires des demandeurs, le défaut d’enquêter correctement sur les plaintes constituait une inconduite dans l’exercice d’une charge et un manquement au devoir. Il est également allégué que les défendeurs de la magistrature ont comploté avec des membres de la magistrature afin de coordonner des batailles procédurales contre les demandeurs en influençant l’issue des instances judiciaires auxquelles ils étaient parties.

 

[55]           L’omission d’enquêter sur une plainte n’est pas une cause d’action reconnue en droit. Quoi qu’il en soit, il est expressément prévu au paragraphe 63(1) de la Loi sur les juges, LRC 1985, c J‑1 que le CCM n’est pas tenu de faire enquête sur une plainte, sauf si le ministre de la Justice le lui ordonne. Par ailleurs, on ne constate aucun fait substantiel reliant l’omission de faire enquête et le préjudice qu’auraient subi les demandeurs.

 

[56]           Les autres allégations formulées contre les défendeurs de la magistrature – mensonges, actes de dissimulation et de fraude – sont de simples affirmations qu’aucun fait substantiel n’étaie et que rien ne relie aux dommages subis par les demandeurs.

 

[57]           On peut en dire autant des allégations visant McCarthy Tétrault et M. Van Ommen. Le simple fait que McCarthy Tétrault ait pu se trouver en situation de conflit d’intérêts en représentant Sun Belt en 1997, parce que le cabinet avait représenté WCW antérieurement, ne révèle pas de cause d’action valable. D’abord, les demandeurs n’ont pas qualité pour se plaindre d’un présumé conflit d’intérêts. Ensuite, il n’existe aucun lien entre l’inconduite reprochée par les demandeurs et les dommages‑intérêts qu’ils demandent.

 

[58]           Étant donné que les demandeurs ne peuvent s’appuyer sur les allégations contre les autres défendeurs, il ne fait aucun doute qu’ils ne peuvent obtenir gain de cause contre la Couronne fédérale, puisqu’il n’existe aucune cause d’action indépendante à l’égard de cette dernière.

 

La Cour fédérale est‑elle sans compétence?

[59]           Les requérants soutiennent que la Cour fédérale n’a pas compétence pour trancher la présente demande. Les demandeurs répondent que la Cour a compétence pour connaître des affaires propres à améliorer l’application du droit canadien, dont la Charte et le PIRDCP. Ils prétendent qu’il y a eu atteinte aux droits tirés de la Constitution par des fonctionnaires judiciaires corrompus des cours supérieures de la Colombie‑Britannique et de l’Alberta et que ces cours n’ont pas compétence pour instruire la présente affaire. Selon les demandeurs, la Cour fédérale est le seul tribunal compétent au Canada pour entendre la présente affaire.

 

[60]           Je ne souscris pas au point de vue des demandeurs selon lequel la Cour fédérale acquiert en quelque sorte la compétence voulue par défaut. Pour conclure qu’elle a compétence, la Cour doit satisfaire au critère à trois volets établi dans l’arrêt ITO‑International Terminal Operators Ltd. c Miida Electronics Inc., 1986 CanLII 91 (CSC), [1986] 1 RCS 752. Premièrement, il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. Deuxièmement, il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence. Troisièmement, la loi invoquée dans l’affaire doit être une « loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[61]           La Cour n’a manifestement pas compétence à l’égard des défendeurs, à l’exception des défendeurs de la Couronne fédérale (à supposer, naturellement, qu’une cause d’action valable soit révélée), et ce n’est pas par des allégations vagues et non étayées voulant que les défendeurs aient agi en qualité de mandataires de la Couronne fédérale qu’elle se verra attribuer la compétence requise.

 

[62]           De plus, en Colombie‑Britannique, l’article 86 de la Legal Profession Act, SBC 1998, c 9, met la LSBC à l’abri de toute responsabilité pour les actes et les omissions commis de bonne foi. En Alberta, la Legal Professions Act, RSA 2000, c L‑8, énonce, au paragraphe 115(1), qu’aucune action n’est recevable contre la LSA ni contre quiconque fait enquête au sujet d’un avocat membre du barreau, agit selon les directives de la LSA ou fait enquête concernant un acte accompli de bonne foi par l’une des personnes susmentionnées.

 

Les allégations formulées par les demandeurs sont‑elles scandaleuses, frivoles ou vexatoires?

[63]           Pour décider si une demande devrait être radiée parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable, le critère à appliquer consiste à déterminer si, en présumant que le demandeur réussit à prouver tout ce qu’il allègue dans sa demande, l’affaire n’a néanmoins aucune chance raisonnable d’être accueillie. L’analyse se situe sur un tout autre plan lorsqu’il s’agit de décider s’il faut radier une déclaration en entier en vertu de l’alinéa 221(1)c) des Règles au motif qu’elle est frivole ou vexatoire ou constitue un abus de procédure. Au lieu de se limiter à l’examen de l’acte de procédure pour déterminer s’il suffit à fonder une cause d’action valable, cette analyse peut s’étendre à l’évaluation du bien‑fondé de la demande et des motivations qui ont conduit le demandeur à la présenter. 

 

[64]           Dans Pellikan, feu le protonotaire John Hargarve a conclu que la procédure sur laquelle il serait difficile pour la Cour d’exercer un contrôle pourrait donner lieu à une radiation au motif qu’elle est vexatoire. Il s’exprime en ces termes :

Lorsqu’une déclaration est beaucoup trop générale et dépourvue de détails, de sorte qu’elle empêche le défendeur de mener une enquête ou de donner une réponse appropriée, elle peut fort bien être radiée. […] [P]areilles déclarations [sont] fondamentalement vexatoires, car elles ne révèl[ent] pas suffisamment de faits pour démontrer le fondement de la demande, de sorte qu’il [est] impossible pour le défendeur de répondre à la demande ou, de fait, pour un tribunal de réglementer l’instance. Pareille déclaration générale et englobante, qui est dépourvue de précisions à un point tel qu’un défendeur ne serait pas en mesure de rédiger une réponse, est fondamentalement vexatoire et ne donnera aucun résultat pratique.

 

 

[65]           La déclaration des demandeurs est excessivement longue et les allégations qu’elle renferme visent de vastes complots impliquant des dizaines de personnes ainsi que des torts intentionnels et malhonnêtes perpétrés contre les demandeurs, en particulier, et contre la population canadienne, en général. L’hypothèse fondatrice des allégations est qu’il existe entre les membres des gouvernements du Canada et de la Colombie‑Britannique et ceux de la magistrature un complot destiné à porter préjudice aux demandeurs personnellement.

 

[66]           La Cour doit envisager le cadre factuel de chaque affaire dans une perspective générale en se laissant guider par le bon sens. La difficulté consiste à dépasser le simple examen de la façon dont la demande est structurée sur le plan juridique pour arriver à en cerner l’essence.

 

[67]           En l’espèce, l’acte de procédure renferme de nombreuses allégations dénuées de fondement contre la magistrature, des titulaires de charges publiques et d’autres acteurs, qui seraient impliqués dans un complot si vaste et si généralisé que, si la description qui en est donnée recelait la moindre parcelle de vérité, il entraînerait la faillite totale du système judiciaire canadien. Il ressort clairement de l’acte de procédure que les demandeurs ne sont pas d’accord avec le résultat de plusieurs décisions judiciaires, et sautent à la conclusion que toutes les personnes ayant le moindre lien avec ces décisions défavorables sont forcément impliquées dans un vaste complot dont ils sont l’objet. Tout acte de procédure qui attaque l’intégrité d’une partie par des déclarations incendiaires et sans aucun fondement et qui renferme des allégations de diffamation spéculatives et non étayées doit être radié au motif qu’il est scandaleux et vexatoire.

 

[68]           À mon sens, la déclaration est, dans son ensemble, dénuée de tout caractère rationnel, sans fondement et fondamentalement vexatoire. Essentiellement, les demandeurs contestent les décisions rendues par divers tribunaux judiciaires et administratifs et tentent de les remettre en cause. Ils auraient pu faire appel de ces décisions; ils ne peuvent maintenant les attaquer indirectement.

 

L’instance constitue‑t‑elle un abus de procédure?

[69]           Les tentatives répétées d’un demandeur pour faire trancher le même litige en désignant les parties sous des noms légèrement différents ou en agissant en diverses qualités, et en invoquant des dispositions législatives légèrement différentes peuvent également constituer un abus de procédure : Black c Creditors of The Estate NsC Diesel Power Inc. (2000), 183 FTR 301 (CF 1re inst).

 

[70]           La déclaration comporte des allégations très semblables à celles que la CSCB a précédemment examinées puis rejetées. Dans la décision Carten c Canada (Attorney General), 2008 BCSC 7, le juge Curtis décrit en ces termes la demande de M. Carten :

[traduction] M. Carten qui, autrefois, exerçait la profession d’avocat sur l’île de Vancouver, doit des arriérés de pension alimentaire pour enfants dépassant 325 000 $ aux termes d’une ordonnance de divorce. Dans sa requête, il signale avoir représenté deux sociétés qui demandaient à être indemnisées pour des pertes économiques subies en raison des changements apportés par la Province de la Colombie‑Britannique à sa politique sur l’exportation d’eau en vrac, par suite de quoi le procureur général de la Colombie‑Britannique (entre autres) se serait immiscé dans sa procédure de divorce, aurait tenté de le faire radier du tableau de l’ordre des avocats, aurait nommé à des postes de juge des « amis du pouvoir » chargés de rendre des décisions défavorables et aurait influencé des juges de la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique dans une telle mesure que cette dernière ne devrait plus être autorisée à intervenir dans sa cause. Les prétentions de M. Carten sont précisées en long et en large dans sa requête.

 

[71]           Dans cette requête, M. Carten avait désigné les parties suivantes à titre de défendeurs : Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le procureur général du Canada, Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique, le procureur général de la Colombie‑Britannique, le directeur du programme d’exécution des obligations alimentaires, Themis Program Management and Consulting Limited, la Law Society of British Columbia, Kavia Carten, Tim McGee, Allan Gould, John Horn et Brian Klaver. La procédure a été rejetée au motif qu’elle ne révélait aucune réclamation valable contre l’un ou l’autre des défendeurs désignés.

 

[72]           Il ne fait aucun doute que les demandeurs tentent maintenant de débattre à nouveau de nombreuses questions qui ont déjà été soulevées et rejetées dans le cadre de l’action intentée par M. Carten devant la CSCB. Les actes de procédure conçus dans le but d’utiliser le processus judiciaire à des fins illégitimes constituent un abus de procédure. Il peut notamment s’agir de harceler ou d’accabler des parties par une multiplication des recours ou de saisir le tribunal de questions déjà soulevées et tranchées ou d’affaires qui ont été réglées.

 

[73]           Je fais miennes les observations éloquentes de l’avocat des défendeurs de la Couronne de C.‑B. :

 

[traduction]

93.       Le paragraphe 17(1) de la Loi sur les Cours fédérales établit clairement que la Cour fédérale a compétence uniquement dans les cas où une réparation est demandée contre la Couronne fédérale. Les demandeurs n’ont invoqué aucun fait pertinent propre à établir qu’un seul des défendeurs de la Province aurait agi en qualité de mandataire de la Couronne fédérale. Les allégations des demandeurs selon lesquelles les actes de la Couronne fédérale et ceux des divers défendeurs de la Province seraient si étroitement liés qu’ils conféreraient compétence à la Cour fédérale vont bien au‑delà des intentions sous‑jacentes à l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales. Les demandeurs s’en remettent à des présomptions et des théories pour conclure que les Couronnes fédérale et provinciale ont agi de connivence afin de nuire aux demandeurs. Même à supposer que ce soit le cas, ce que nous nions formellement, cela n’aurait pas pour effet de conférer compétence à la Cour. La Couronne fédérale n’a jamais été partie aux litiges concernant les demandeurs, pas plus que ces litiges n’ont soulevé de questions tombant sous le coup de lois conférant compétence. Il ne suffit pas que la Couronne fédérale nomme les fonctionnaires de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour que les demandeurs soient autorisés à instituer une action devant la Cour fédérale.

 

94.       Dans leur essence, les allégations d’inconduite contenues dans la déclaration sont le fruit d’une théorie échafaudée par les demandeurs et sont dépourvues de toute assise concrète. Ce qui sert de liant aux éléments de cette théorie est l’exécution légitime par les défendeurs de la Province d’obligations juridiques et professionnelles qui s’opposent aux souhaits, aux idées et aux conceptions des demandeurs. Ces derniers considèrent que le refus des divers défendeurs de la Province d’adapter leurs positions et leurs points de vue constitue le fait pertinent sur lequel appuyer leurs allégations; le fait de ne pas donner raison au demandeur serait en soi la preuve de l’existence d’un complot, d’une collusion, d’une fraude et d’une inconduite. Cette façon d’aborder la question repose sur une présomption et constitue, au bas mot, un abus de procédure contraire à l’alinéa 221(1)f) des Règles des Cours fédérales (1998) en plus d’être scandaleuse, frivole et vexatoire au sens de l’alinéa 221(1)c) des Règles des Cours fédérales (1998).

 

 

Conclusion

[74]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la déclaration devrait être radiée et l’action, rejetée, avec dépens. Les demandeurs n’ont proposé aucune modification qui aurait pour effet de remédier au vice fondamental relevé dans l’acte de procédure. L’autorisation de modifier celui‑ci est donc refusée.

 

[75]           Étant donné le rejet de l’action, la requête en jugement par défaut des demandeurs et la requête en prorogation du délai pour produire une défense de Themis sont désormais sans objet. Ces deux requêtes seront donc rejetées, sans frais.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La déclaration est radiée, sans autorisation de la modifier.

 

2.                  L’action est rejetée avec dépens payables par les demandeurs aux défendeurs, à l’exception de la défenderesse Themis Program Management and Consulting Ltd.

 

3.                  La requête en jugement par défaut présentée par les demandeurs contre la défenderesse, Themis Program Management and Consulting Ltd., est rejetée.

 

4.                  La requête en prorogation du délai pour signifier et déposer une défense présentée au nom de la défenderesse, Themis Program Management and Consulting Ltd., est rejetée.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                     T‑95‑08

 

INTITULÉ :                                                   JOHN FREDERICK CARTEN ET

                                                                        KAREN AUDREY GIBBS c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et autres

 

REQUÊTES JUGÉES SUR DOSSIER À VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE),

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                          LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                   Le 1er décembre 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

John Frederick Carten

Karen Audrey Gibbs

 

POUR LES DEMANDEURS

Melanie Chartier

 

POUR LES DÉFENDEURS DE LA COURONNE FÉDÉRALE

 

Hugh Gwillim

 

POUR LES DÉFENDEURS DE LA COURONNE PROVINCIALE

 

Bruce Comba

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

THE LAW SOCIETY OF ALBERTA

 

Michael G. Armstrong

 

POUR LES DÉFENDEURS,

THE LAW SOCIETY OF BRITISH COLUMBIA, McCARTHY TÉTRAULT, S.E.N.C.R.L., s.r.l. et HERMAN VAN OMMEN

 

Eric R. Williams

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

LANG MICHENER LLP

 

Martin W. Mason

POUR LES DÉFENDEURS DE LA MAGISTRATURE

 

James Sullivan

POUR LA DÉFENDERESSE,

THEMIS PROGRAM MANAGEMENT AND CONSULTING LTD.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS DE LA COURONNE FÉDÉRALE

Ministère du procureur général

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS DE LA COURONNE PROVINCIALE

Emery Jamieson LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

THE LAW SOCIETY OF ALBERTA

Armstrong Simpson

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS,

THE LAW SOCIETY OF BRITISH COLUMBIA, McCARTHY TÉTRAULT S.E.N.C.R.L., s.r.l. et HERMAN VAN OMMEN

 

Williams McEnery

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

LANG MICHENER LLP

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS DE LA MAGISTRATURE

Blake Cassels & Graydon LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE,

THEMIS PROGRAM MANAGEMENT AND CONSULTING LTD.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.