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Federal Court

 

Cour fédérale

 

 


Date : 20091126

Dossier : IMM-2579-09

Référence : 2009 CF 1213

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2009

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

BEKELE MENGISTU GEBREAB

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Historique

 

[1]               Le demandeur, M. Bekele Mengistu Gebreab, est un citoyen d’Éthiopie. En 1986, il s’est joint à une organisation nommée le Parti révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRP) à laquelle il participait en assistant à des réunions, en donnant des discours et en distribuant des pamphlets sur l’oppression gouvernementale.

 

[2]               M. Gebreab est arrivé au Canada en 1990 – d’abord à titre d’étudiant – et a été accepté comme réfugié au sens de la Convention en 1993. Le fondement de sa revendication était qu’il craignait d’être persécuté par le parti au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), en raison de son implication dans le EPRP.

 

[3]               À la fin de 2008, M. Gebreab a été convoqué à une entrevue par des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Le 31 décembre 2008, un agent de l’ASFC a établi un rapport (le rapport en vertu de l’article 44) en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), dans lequel il a conclu que M. Gebreab était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR du fait qu’il était un membre d’une organisation (le EPRP) qui était l’instigatrice ou l’auteure d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force et qui se livrait au terrorisme.

 

[4]               Conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR, le rapport établi en application de l’article 44 a été transmis à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) pour une enquête. Après l’enquête, dans une décision rendue oralement le 8 mai 2009, la Commission a conclu que M. Gebreab était « un étranger interdit de territoire au Canada, au sens de l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, parce que [M. Gebreab a] été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas 34(1)b) et 34(1)c), c'est-à-dire au terrorisme ou au renversement d'un gouvernement par la force ». La commission a rendu une ordonnance d’expulsion le même jour.

 

[5]               M. Gebreab sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

II.        Questions en litige

 

[6]               Comme il est ressorti clairement des observations orales, la question principale soulevée par M. Gebreab est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en n’appliquant pas le bon test pour déterminer si le EPRP, au moment où M. Gebreab en était membre, était une organisation qui répondait aux conditions énoncées aux alinéas 34(1)b) et c).

 

[7]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu qu’il existe un tel test, contrairement à ce que fait valoir M. Gebreab dans ses prétentions. De plus, la Commission, en l’espèce, a correctement appliqué les dispositions pertinentes de la LIPR ainsi que la jurisprudence. Enfin, je suis convaincu que la conclusion de la Commission – principalement une question de fait – selon laquelle le LIPR est une « organisation » au sens de l’alinéa 34(1)f) était raisonnable.

 

II.        Analyse

 

A.        Cadre législatif

 

[8]               La Commission a conclu que M. Gebreab était interdit de territoire pour raison de sécurité en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Son interdiction de territoire reposait sur la qualification du EPRP aux termes des alinéas 34(1)b) et c), que voici :

 

Sécurité

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

                . . .

 

b)         être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c)         se livrer au terrorisme;

                . . .

 

f)         être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

Security

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

                        . . .

 

(b)        engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

 

(c)        engaging in terrorism;

                        . . .

 

(f)         being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

[9]               Les règles d’« [i]nterprétation » énoncées à l’article 33 concernent directement les décisions rendues par la Commission.

Interprétation

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

Rules of interpretation

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

B.        Norme de contrôle

 

[10]           La question dont la Cour est saisie est similaire à celle dont le juge de Montigny était saisi dans Mendoza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934, 317 F.T.R. 118, aux paragraphes 12 à 14. La décision Mendoza traitait de l’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 37(1) de la LIPR. Le juge de Montigny a statué que la question de savoir si la Commission avait commis une erreur « en concluant qu’il y avait " des motifs raisonnables de croire " que M. Mendoza était " membre " d’une organisation criminelle » pouvait être divisée en deux. Premièrement, la question visant à déterminer le test de l’appartenance à une organisation est une question de droit; deuxièmement, la question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu’il y avait une preuve suffisante d’appartenance en est une mixte de fait et de droit. Le juge de Montigny a conclu que la norme de contrôle judiciaire de la décision visant à déterminer le test de l’appartenance était celle de la décision correcte tandis que la norme de contrôle judiciaire de la décision portant sur l’appartenance elle-même était celle de la décision « manifestement déraisonnable ».

 

[11]           À mon avis, les décisions du juge de Montigny dans Mendoza sont également applicables à la présente affaire. Bien entendu, depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S 190 (Mendoza, au paragraphe 13), la norme de la décision manifestement déraisonnable est devenue celle de la décision raisonnable.

 

[12]           Il s’ensuit que j’examinerai la question de savoir si la Commission a appliqué le bon test pour en arriver à ses conclusions en fonction de la norme de la décision correcte. Cependant, si la Commission a appliqué les règles de droit correctement, ses conclusions portant sur le EPRP devront être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

 

C.        Existe-t-il un « test » pour déterminer l’appartenance?

 

[13]           M. Gebreab ne conteste pas que le EPRP a recouru à des moyens violents pour renverser le gouvernement en Éthiopie dans les années 1970 – bien avant qu’il n’en soit devenu membre. Il semble qu’il n’y ait guère de désaccord sur le fait que le EPRP, au moment où M. Gebreab y a adhéré, se livrait à la violence ou à des actes de terrorisme.

 

[14]           M. Gebreab soutient que, si l’on interprète les objectifs de la LIPR (en particulier l’alinéa 3(2)h)) et l’alinéa 34(1)f)), la Commission doit appliquer des critères objectifs pour déterminer « l’appartenance » et « l’organisation ». Étant donné que les conséquences de la décision d’interdire le territoire à une personne sont graves (voir Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997, 257 F.T.R. 52, au paragraphe 41), l’utilisation de critères objectifs est essentielle. Plus particulièrement, M. Gebreab fait valoir que la nature


d’une « organisation » devrait être déterminée en fonction d’une analyse des trois facteurs suivants, à compter de la date de son adhésion :

 

1.                  l’identité des chefs et des membres de l’organisation;

 

2.                  les objectifs et les politiques de l’organisation;

 

3.                  les méthodes par lesquelles l’organisation tente de réaliser ses objectifs.

 

[15]           M. Gebreab affirme que, dans son cas, l’application des critères à l’organisation telle qu’elle existait lorsqu’il en était membre démontre que l’organisation a subi un changement [traduction] « fondamental et durable ». Il soutient donc que la Commission a commis une erreur en n’appliquant pas les facteurs qu’il a énoncés.

 

[16]           À l’appui de sa position, M. Gebreab invoque les décisions Sittampalam c. (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198 et Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 349, [2004] 3 R.C.F. 301, infirmée pour d’autres motifs, 2005 CAF 122, [2006] 1 R.C.F. 474 (Thanaratnam CF). Selon M. Gebreab, ces deux causes ont établi les critères à utiliser pour trancher la question de savoir si une « organisation » répond aux exigences de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Il fait valoir que les mêmes critères objectifs devraient s’appliquer à une décision rendue en vertu du paragraphe 34(1). À mon avis, M. Gebreab a mal interprété les décisions Sittampalam et Thanaratnam.

[17]           La source du « test » de M. Gebreab dans Thanaratnam CF semble être la déclaration suivante du juge O’Reilly au paragraphe 31 :

En l'espèce, les deux groupes tamouls décrits par la police ont certaines caractéristiques d'une organisation, par exemple, l'identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base – et je ne peux trouver aucune erreur dans la conclusion de la Commission selon laquelle ces groupes tombent sous le coup de l'alinéa 37(1)a) de la [LIPR].

 

[18]           Dans Sittampalam, précité, au paragraphe 38, le juge Linden s’est penché sur la signification du terme « organisation » à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et a souscrit aux facteurs énoncés par le juge O’Reilly :   

Dans Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 301 (C.F.), décision infirmée pour d’autres motifs, [2006] 1 R.C.F. 474 (C.A.F.), le juge O’Reilly a tenu compte de divers facteurs lorsqu’il a conclu que deux bandes tamoules (dont la bande A.K. Kannan en cause en l’espèce) étaient des « organisations » au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. À son avis, les deux groupes tamouls avaient « certaines caractéristiques d’une organisation », à savoir « l’identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base » (au paragraphe 31). Les facteurs énumérés dans Thanaratnam, ainsi que d’autres facteurs comme l’occupation d’un territoire ou la tenue de réunions régulières dans un endroit donné − deux facteurs pris en considération par la Commission − sont utiles lorsqu’il faut rendre une décision fondée sur l’alinéa 37(1)a), mais aucun d’eux n’est essentiel. 

 

[19]           À mon avis, ces deux extraits n’établissent aucun « test » pour la définition d’une « organisation ». En vérité, comme l’a écrit le juge Linden, « aucun d’eux n’est essentiel ». De toute façon, ces facteurs ne traitent pas de la question des changements au sein de l’organisation.

 

[20]           Par conséquent, quelles sont les exigences de la LIRP en ce qui a trait à l’analyse? Il existe une abondante jurisprudence sur cette question.

[21]           Dans Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457, 304 F.T.R. 222, on a demandé à la Cour d’examiner la décision de la Commission de prononcer l’interdiction de territoire au Canada à l’encontre de M. Al Yamani pour raison de sécurité en vertu de l’alinéa 34(1)f). M. Al Yamani avait admis qu’il était un membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Cependant, il soutenait que la Commission avait commis une erreur en concluant qu’il était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 3491)f) de la LIRP parce qu’il n’était pas un membre actif lorsque le FPLP a commis des actes de terrorisme.

 

[22]           La Cour a statué que, aux termes du paragraphe 34(1)f), la Commission devait évaluer deux questions distinctes :

 

1.                  la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’organisation en cause est, a été ou sera l’auteur d’un acte de terrorisme ou d’un acte visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

2.                  la question de savoir si l’individu est membre d’une organisation (au paragraphe 10).

 

[23]           Selon cette analyse, « le facteur temps n’est pas à prendre en compte » dans la décision relative à une organisation ou dans celle relative à l’appartenance d’un individu à une organisation (Al Yamani, précité, aux paragraphes 11 et 12). La Commission n’a pas à examiner la question de savoir si l’organisation a mis fin à ses actes de terrorisme et elle n’a pas à vérifier s’il existe une « correspondance […] entre la participation active comme membre de l’intéressé et la période pendant laquelle l’organisation se livrait à des actes terroristes ». (Al Yamani, précité, au para 12). Au surplus, pour l’application de l’alinéa 34(1)f), la question de savoir si une organisation se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme est indépendante de l’appartenance de l’intéressé.

 

[24]           La justification de l’interprétation libérale de ces dispositions sur l’interdiction de territoire de la LIPR se trouve dans les mots du juge Rothstein dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, (1998), 151 F.T.R. 101, 44 Imm. L.R. (2d) 309 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 52.  Se référant aux dispositions presque identiques dans la loi antérieure, il écrit :

Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d'immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n'existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration peut, si cela n'est pas préjudiciable à l'intérêt national, exclure un individu de l'application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu'il est évident que le législateur voulait que le mot " membre " soit interprété d'une façon libérale, sans restriction aucune. Je ne souscris pas à l'avis selon lequel une personne n'est pas un membre au sens de la disposition si elle a adhéré à l'organisation une fois que cette dernière a mis fin à ses activités terroristes. Si le fait qu'une personne est membre a peu d'importance, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de l'exclure de l'application de la disposition.

[Non souligné dans l’original.]

 

[25]           De plus, au paragraphe 36 de Sittampalam (précité), le juge Linden a statué que le terme « organisation » devrait recevoir une « interprétation libérale, sans restriction ». De même, en traitant du terme « appartenance », la Cour d’appel a également souscrit à une interprétation libérale. En appliquant l’article 33 de la LIPR, le juge Linden a soutenu que « l’appartenance » n’était pas déterminée seulement en fonction de l’appartenance actuelle (Sittampalam, précité, au paragraphe 20).

À mon avis, le législateur devait vouloir que l’article 33 ait un certain sens. Le libellé de cette disposition est clair : une conclusion d’interdiction de territoire, laquelle est une conclusion portant sur une question de droit, peut être fondée sur une conclusion de fait concernant l’appartenance passée d’une personne à une organisation. En d’autres termes, le fait que l’appelant a été membre de la bande A.K. Kannan dans le passé − une conclusion de fait − peut servir de fondement à une conclusion de droit d’interdiction de territoire actuelle.

 

[26]           Ce raisonnement est applicable non seulement à l’article 37, mais aussi à l’article 34 de la LIPR (Sittamplam, précité, au paragraphe 26). Par conséquent, contrairement aux arguments de M. Gebreab, la Cour dans Sittampalam a privilégié une interprétation libérale en ce qui concerne l’appartenance et l’organisation – c’est-à-dire une interprétation qui ne se limite pas à la prise en considération du facteur temps ou aux changements dans l’organisation.

 

[27]           De plus, je me questionne également au sujet de l’incidence du « test » proposé par M. Gebreab sur l’interprétation de l’article 33 et de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. L’article 33 prévoit que les faits qui emportent interdiction de territoire en vertu de l’article 34 « sont […] appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ». Par ailleurs, selon l’alinéa 34(1)f), emporte interdiction de territoire le fait, pour l’étranger, d’être membre d’une organisation « dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c) ». Si elle avait conclu que le EPRP n’était pas une « organisation » parce que, au moment de l’appartenance de M. Gebreab, elle ne se livrait pas à des actes de terrorisme ou visant à renverser un gouvernement, la Commission aurait, en fait, éliminé les mots « sont survenus » de l’article 33, et les mots « a été […] l’auteur » de l’alinéa 34(1)f).

 

[28]           Comme il n’y a pas de facteurs obligatoires, la question est alors celle de savoir si la Commission, en tranchant les questions dont elle était saisie relativement au paragraphe 37(1), a posé les bonnes questions. Premièrement, les parties n’ont soulevé aucun doute devant la Commission quant à l’appartenance de M. Gebreab au EPRP; il a constamment reconnu ce fait. Il était par ailleurs incontesté que les actes du EPRP dans les années 1970 répondaient au critère d’une organisation terroriste ou subversive conformément au libellé des alinéas 34(1)b) et c) de la LIPR. Par conséquent, la seule question que la Commission avait à trancher concernait « l’organisation » connue sous le nom EPRP dans les années 1970 et « l’organisation » connue sous le nom EPRP dans les années 1980. À la page 4 de la décision, la Commission écrit :

Les parties ont contesté la nature du EPRP en tant qu'organisation, et la question importante était de déterminer si, à la fin des années 1970, le EPRP était la même organisation que le EPRP des années 1980. [Non souligné dans l’original.] 

 

[29]           Il s’agit exactement de la bonne question. La Commission a procédé à l’examen de la question de savoir si l’organisation à laquelle M. Gebreab appartenait (dans les années 1980) était la même organisation que le EPRP des années 1970 ou s’il s’agissait de deux organisations distinctes qui avaient le même nom. Si la Commission avait conclu qu’il s’agissait de deux organisations distinctes, il aurait été loisible à la Commission de conclure que l’« organisation » ultérieure – le EPRP des années 1980 – n’était pas une organisation au sens du paragraphe 34(1). Par ailleurs, ayant conclu que le EPRP constituait, au cours des années 1970 et 1980, une même organisation, la Commission était tenue seulement de trancher la question de savoir s’il existait des motifs raisonnables de croire que les actes de terrorisme ou visant au renversement du gouvernement du EPRP s’étaient produits dans les années 1970.

[30]           En somme, le « test » proposé par M. Gebreab ne se retrouve ni dans la LIPR ni dans la jurisprudence. En ce  qui a trait aux faits de l’espèce, une fois que la Commission avait établi que le EPRP des années 1970 était une « organisation » au sens de l’article 34 de la LIPR, tout ce qui lui restait à examiner était la question de savoir si le EPRP des années 1970 était la même organisation que le EPRP des années 1980. Je suis convaincu que la Commission a correctement saisi la question qu’elle avait à trancher et a correctement appliqué le test permettant de déterminer si le EPRP était une organisation au sens du paragraphe 34(1) de la LIPR. 

 

C.        Le commissaire a-t-il commis une erreur en ne concluant pas que le EPRP était une même organisation continue?

 

[31]           Tel qu’il a été mentionné précédemment, il n’y a pas eu de désaccord, ni devant la Commission, ni devant la Cour, sur le fait que M. Gebreab était membre du EPRP au début des années 1986 et que le EPRP des années 1970 se livrait à des actes de terrorisme et visant au renversement d’un gouvernement. Par conséquent, ayant établi que la Commission a appliqué le critère approprié, la seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir si la conclusion de la Commission selon laquelle il s’agissait d’une même organisation continue était raisonnable. La Cour ne devrait pas intervenir à la légère dans cette décision éminemment factuelle.

 

[32]           Les raisons de la Commission sont nombreuses et facilement compréhensibles. La Commission a dûment pris en considération toute la preuve qui lui a été présentée, y compris la preuve du témoin expert produite par M. Gebreab, et a expliqué où et pourquoi elle accordait à certains éléments de preuve plus de poids qu’à d’autres. Lors d’une enquête, le pouvoir d’admettre et de soupeser des éléments de preuve relève entièrement du pouvoir discrétionnaire de la Commission (Sittampalam, précité, aux paragraphes 45 à 49). Après avoir examiné les éléments de preuve portant sur le EPRP relativement à la période pertinente, la Commission a conclu que « le EPRP a été une seule organisation politique existant [des années 1970] jusqu'à la période au cours de laquelle vous en avez été membre, au cours des années 1980 et par la suite ». Compte tenu de cette conclusion, M. Gebreab, étant un membre de cette organisation, appartenait donc à une organisation pour laquelle il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle se livrait à des actes de terrorisme au sens des alinéas 34(1)b) et c) de la LIPR.

 

[33]           Je ne vois aucune raison d’intervenir dans cette décision. La conclusion de la Commission relativement à l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) n’était pas déraisonnable. Après avoir pris en considération l’ensemble des éléments de preuve dont elle a été saisie, la Commission a conclu, dans ses motifs détaillés, que le EPRP était une même entité qui s’était livrée à des actes de terrorisme et visant au renversement d’un gouvernement et que M. Gebreab en était membre. Ce n’est pas le rôle de la Cour de réévaluer la preuve. Selon Dunsmuir, la cour de révision ne devrait pas intervenir dans une décision rendue dans les limites des issues raisonnables et, lorsque le raisonnement est intelligible et qu’il peut se défendre sur le fondement des faits et du droit (précité, au paragraphe 47). La décision en cause répond clairement à ce critère.

 

IV.       Conclusion

 

[34]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[35]           M. Gebreab propose la certification de la question suivante :

[traduction]

La personne qui se joint à une organisation peut-elle établir que celle-ci ne s’est pas livrée à des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force ou à des actes de terrorisme visés à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR en montrant que, lorsqu’il s’est joint à l’organisation, elle avait subi un changement fondamental et durable quant à : 1) l’identité des ses chefs et de ses membres; 2) ses politiques; et 3) ses méthodes, qui ne prônent plus le renversement d’un gouvernement par la force ou le terrorisme?

 

[36]           Le défendeur s’oppose à la certification de cette question ou de toute question.

 

[37]           En général, les décisions de la Cour fédérale sur les questions découlant de l’application de la LIPR sont définitives. Cependant, aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR, un appel ne peut être interjeté devant la Cour d’appel « que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ». Dans la décision rendue récemment dans Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, 80 Imm. L.R. (3d) 1, [2009] A.C.F. no 549 (QL), la Cour d’appel a souligné que toute question certifiée devait satisfaire à certains critères :

 

                     l’affaire doit soulever une question grave de portée générale;

 

                     la question doit découler des questions en litige dans l’affaire et non des motifs du juge;

 

                     La question grave doit permettre de régler l’appel;

 

                     La mention à l’alinéa 74d) d’une « question grave » signifie qu’une seule et même affaire ne soulève plus d’une question qu’à titre d’exception à la règle que seulement « une » question est certifiée.

 

[38]           Eu égard aux facteurs énoncés dans Varela, je suis convaincu que le premier point en litige en l’espèce soulève une question grave de portée générale. Quoique je croie qu’au moins deux décisions de tribunaux de première instance ont répondu à cette question de manière négative (Al Yamani, précité, et Singh, précité), la Cour d’appel n’a jamais examiné la question. La réponse à cette question permettrait de régler l’appel, car, dans l’affirmative, la Commission aurait incorrectement appliqué l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

 

[39]           Je reformulerais toutefois la question plus directement et plus simplement :

[traduction]

L’interdiction de territoire peut-elle être prononcée à l’encontre d’un étranger, en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, lorsqu’il existe des éléments de preuve clairs et convaincants que l’organisation a renié les actes visant à renverser un gouvernement ou les actes de terrorisme visés aux alinéas 34(1)b) et c), et a cessé de se livrer à de tels actes, avant l’appartenance de l’étranger à l’organisation?


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

 

2.                  la question suivante soit certifiée :

 

[traduction]

L’interdiction de territoire peut-elle être prononcée à l’encontre d’un étranger, en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, lorsqu’il existe des éléments de preuve clairs et convaincants que l’organisation a renié les actes visant à renverser un gouvernement ou les actes de terrorisme visés aux alinéas 34(1)b) et c), et a cessé de se livrer à de tels actes, avant l’appartenance de l’étranger à l’organisation?

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-2579-09

 

INTITULÉ :                                      Bekele Mengistu Gebreab c.

                                                            Le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT                              LE JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

M. Rod Holloway

M. Eric Purtzki

 

POUR LE DEMANDEUR

Mme Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Legal Services Society

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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