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Cour fédérale

 

Federal Court



 

Date : 20091119

Dossier : IMM-1404-09

Référence : 2009 CF 1187

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

EDITHA BAUTISTA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 12 janvier 2009, par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a rejeté la demande de protection de la demanderesse au motif que cette dernière pouvait compter sur la protection de l’État et qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) aux Philippines. 

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               Âgée de 33 ans, la demanderesse est citoyenne des Philippines.

 

[3]               La demanderesse a quitté les Philippines en 2003 pour aller travailler à Hong Kong à la demande de son mari. Elle est entrée au Canada le 30 juillet 2006 en vertu du Programme concernant les aides familiaux résidants. Elle remettait périodiquement une partie de sa rémunération pour subvenir aux besoins de sa fille et de son mari, qui se trouvent toujours aux Philippines.

 

[4]               La demanderesse a perdu le 1er juin 2007 l’emploi qu’elle exerçait grâce au Programme concernant les aides familiaux résidants. Elle a été arrêtée par des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada le 1er août 2007 après avoir commencé à travailler pour un autre employeur sans permis de travail. Une mesure de renvoi a par la suite été prise contre elle.

 

[5]               La demanderesse a depuis donné naissance au Canada à une fille née hors mariage le 7 mars 2008. Sa fille n’est pas partie à la présente instance. 

 

[6]               La demanderesse n’était pas admissible à présenter une demande d’asile, mais elle s’est prévalue de la possibilité de demander un ERAR. Elle a déposé sa demande d’ERAR le 16 août 2007.

 

[7]               La demande d’ERAR présentée par la demanderesse a été rejetée le 12 janvier 2009.

 

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[8]               Dans sa demande d’ERAR, la demanderesse explique qu’aux Philippines, elle a été victime de violence conjugale : son mari, qui est alcoolique, la battait et l’humiliait souvent. Elle ne prétend pas qu’elle a été victime de viol conjugal (cet élément n’a pas d’incidence sur la question de savoir si la demanderesse est victime de violence conjugale, mais constitue une question qui est abordée dans les documents portant sur la situation aux Philippines et sur la protection offerte par l’État).

 

[9]               La demanderesse a quitté les Philippines pour aller travailler à l’étranger afin de subvenir aux besoins de son mari et de sa fille, et de prendre ses distances par rapport à un mari violent. Les membres de sa famille qui vivent aux Philippines en sont venus à compter sur son aide financière.

 

[10]           La demanderesse soutient qu’elle subira une stigmatisation et une humiliation si elle n’est plus en mesure de subvenir aux besoins de sa famille par suite de son expulsion du Canada. La demanderesse affirme que son mari serait furieux si elle devait retourner aux Philippines avec un enfant illégitime. Elle craint que des mauvais traitements ne lui soient infligés ainsi qu’à ses enfants, en particulier à son nouveau-né. La demanderesse affirme qu’aux Philippines, la police n’offre aucune protection aux victimes de violence familiale.     

 

[11]           L’agent d’ERAR a estimé que la crédibilité ne posait pas de problème en l’espèce. En revanche, la protection de l’État et la PRI étaient les questions déterminantes. L’agent d’ERAR a souligné que, suivant l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, le droit d’asile est une protection supplétive fournie en l'absence de protection nationale, laquelle est présumée exister sauf si le demandeur d’asile est en mesure de réfuter cette présomption par des preuves claires et convaincantes démontrant le contraire.   

 

[12]           L’agent d’ERAR a reconnu que la violence familiale était un problème aux Philippines, surtout en ce qui concerne les mesures prises pour faire respecter les lois visant à lutter contre le viol conjugal et la violence conjugale. L’agent a passé en revue les documents objectifs portant sur la situation au pays et a estimé que le gouvernement des Philippines avait déployé des efforts sérieux pour régler le problème de la violence familiale et que [traduction] « même si ces efforts ne sont pas toujours couronnés de succès, il ressort effectivement de la preuve que les auteurs de ces délits sont accusés et qu’ils sont traduits en justice ».

 

[13]           L’agent d’ERAR a signalé que la demanderesse n’avait jamais cherché à obtenir la protection de l’État aux Philippines. L’agent d’ERAR a estimé que ce n’était pas parce que la demanderesse avait refusé de se réclamer de la protection de l’État qu’il fallait pour autant en conclure que l’État n’était pas disposé à lui assurer cette protection ou encore que l’État avait refusé de le faire. L’agent d’ERAR a expliqué que la République des Philippines était une démocratie qui se portait bien et qui s’était attaquée au problème de la violence familiale en adoptant [traduction] « de nouvelles mesures législatives destinées à protéger ses citoyens contre la violence et à leur assurer les mécanismes suffisants pour leur permettre d’exercer leur droit de porter plainte à la police ». L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que la protection de l’État ne lui serait pas assurée si elle cherchait activement à l’obtenir. L’agent d’ERAR a par conséquent estimé que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de réfuter la présomption relative à la protection de l’État.  

 

[14]           L’agent d’ERAR a rappelé que la demanderesse ne vivait plus avec son mari depuis 2003. Il a ajouté que la demanderesse n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle avait depuis fait l’objet de menaces de la part de son mari.

 

[15]           L’agent d’ERAR s’est ensuite penché sur la question de l’existence d’une PRI raisonnablement accessible.

 

[16]           La demanderesse a fait valoir qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle aille s’installer dans une région des Philippines où elle n’a pas de famille et à ce qu’elle rompe tous les liens avec les membres de sa famille élargie et avec sa fille, qui habitent tous la même région que son mari violent.

[17]           L’agent d’ERAR a examiné la jurisprudence portant sur la PRI avant d’appliquer le critère à la situation de la demanderesse. L’agent d’ERAR a fait observer que la demanderesse ne vivait plus avec sa famille depuis 2003, qu’elle avait vécu depuis dans deux pays différents et qu’elle était en mesure de subvenir à ses propres besoins.

 

[18]           L’agent d’ERAR a estimé que la demanderesse ne lui avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour expliquer pourquoi elle ne pouvait pas vivre dans une autre région de sa province d’origine, compte tenu du territoire et de la population de celle-ci.

 

[19]           La demande d’ERAR de la demanderesse a par conséquent été rejetée.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[20]           L’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), confère le droit d’asile aux personnes qui répondent à la définition de réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions

politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette

crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

 

[21]      L’article 97 de la LIPR reconnaît la qualité de personne à protéger aux personnes qui sont susceptibles d’être exposées à une menace à leur vie ou à un risque personnel de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque d’être soumises à la torture :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au

sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans

le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires

de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not

have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning

of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the

protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard

of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

[22]           Le paragraphe 112(1) de la LIPR permet aux personnes qui font l’objet d’une mesure de renvoi de demander la protection du ministre :

112. (1) La personne se

trouvant au Canada et qui n’est

pas visée au paragraphe 115(1)

peut, conformément aux

règlements, demander la

protection au ministre si elle

est visée par une mesure de

renvoi ayant pris effet ou

nommée au certificat visé au

paragraphe 77(1).

[]

112. (1) A person in Canada,

other than a person referred to

in subsection 115(1), may, in

accordance with the

regulations, apply to the

Minister for protection if they

are subject to a removal order

that is in force or are named in

a certificate described in

subsection 77(1).

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

  1. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte du risque auquel serait exposée la demanderesse si elle retournait auprès de son mari violent avec un enfant illégitime?

 

  1. La conclusion tirée par l’agent d’ERAR au sujet de la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

  1. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait dû se prévaloir de la protection de l’État?

 

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse disposait d’une PRI aux Philippines?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a expliqué, au paragraphe 62, que la première étape de l’analyse relative à la norme de contrôle consistait à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (voir Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53).

 

[25]           Il est évident, dans la foulée des arrêts Dunsmuir et Khosa, que les questions portant sur le caractère raisonnable des conclusions de fait tirées par un agent d’ERAR sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir également mes décisions dans les affaires Oluwafemi c. Canada (MCI), 2009 CF 1045; Gharghi c. Canada (MCI) et al, 2009 CF 1014; Christopher c. Canada (MCI), 2008 CF 964; Ramanathan c. Canada (MCI), 2008 CF 843).

 

 

[26]           La cour de révision qui procède au contrôle judiciaire en appliquant la norme de la décision raisonnable se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité, laquelle « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, Khosa, précité, au paragraphe 59). 

 

ANALYSE

Première question :                L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte du risque auquel serait exposée la demanderesse si elle retournait auprès de son mari violent avec un enfant illégitime?

 

[27]           La demanderesse affirme que l’agent a omis d’aborder la question du risque qu’elle soit prise à partie par son mari lorsque celui-ci apprendra qu’elle a donné naissance à un enfant illégitime.

 

[28]           La demanderesse fait valoir que les conséquences de son retour aux Philippines en compagnie d’un enfant illégitime sont un facteur pertinent dont l’agent d’ERAR devait tenir compte. La demanderesse avait d’ailleurs bien précisé dans sa demande d’ERAR qu’elle craignait les sévices que son mari pourrait faire subir à son nouveau-né.

 

[29]           Suivant le défendeur, l’agent d’ERAR n’a pas ignoré le risque auquel s’exposait la demanderesse en retournant auprès de son mari violent avec un enfant illégitime.

 

[30]           Tout en déclarant que le cas de l’enfant né au Canada de la demanderesse ne serait pas examiné dans le cadre de l’ERAR (parce que l’enfant est canadien), l’agent d’ERAR a reproduit une partie des observations dans lesquelles la demanderesse expliquait qu’elle craignait de retourner aux Philippines avec son nouveau-né. L’agent d’ERAR a accepté le fait que le mari de la demanderesse serait violent, mais il a tranché la demande en fonction de la question de la protection de l’État et de la PRI.

 

Deuxième question :              La conclusion tirée par l’agent d’ERAR au sujet de la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

[31]           La demanderesse affirme que l’agent d’ERAR a commis une erreur en expliquant que le critère de la protection de l’État devait s’entendre comme les « efforts sérieux » faits par l’État pour assurer la protection, plutôt qu’une protection effective (Franklyn c. Canada (MCI), 2005 CF 1249, le juge de Montigny, au paragraphe 21).

 

[32]           Si l’on doit tenir compte des efforts sérieux faits par l’État, c’est sur le plan de la capacité opérationnelle qu’il faut les considérer, et non seulement sur le plan des mesures législatives mises en place (Elcock c. Canada (MCI) (1999), 175 F.T.R. 116, 91 A.C.W.S. (3d) 820, le juge Gibson, au paragraphe 15). L’analyse de la capacité opérationnelle de protéger devrait permettre d’évaluer la capacité réelle de l’État en question à protéger les femmes se trouvant dans la situation de la demanderesse, et non seulement les bonnes intentions et les mesures prises par l’État (Mitchell c. Canada (MCI), 2006 CF 133, le juge O’Reilly, au paragraphe 10, Wisdon-Hall c. Canada (MCI), 2008 CF 685, le juge Hughes, au paragraphe 8).  

 

[33]           Le défendeur admet que l’agent d’ERAR doit déterminer s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour établir la capacité et la volonté de l’État de faire respecter le cadre juridique qui a été adopté (Linaogo c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 335, la juge Snider, au paragraphe 7). Le défendeur fait toutefois valoir que la Cour a déjà conclu que les victimes de violence familiale pouvaient compter, aux Philippines, sur une protection suffisante et efficace (Linaogo, précité).

 

[34]           L’agent d’ERAR n’a pas négligé d’analyser si les Philippines avaient la capacité opérationnelle nécessaire pour protéger les victimes de violence familiale. L’agent a reproduit des extraits d’une Réponse à une demande d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui portait sur les mesures concrètes prises par le gouvernement et notamment les mesures suivantes :

1.      possibilité d’obtenir une ordonnance de protection des autorités du village ou une injonction d’un tribunal local;

 

2.      reconnaissance du « syndrome de la femme battue »;

 

3.      établissement, dans les grands centres urbains, de tribunaux de la famille statuant sur les cas de violence familiale;

 

4.      réforme de la justice visant à s’attaquer au problème de la corruption;

 

5.      sensibilisation des femmes aux dispositions de la nouvelle Loi contre la violence;

 

6.      établissement de centres d’aide et d’écoute ou de « refuges » pour les femmes victimes de violence.

 

 

 

[35]           Dans sa décision, l’agent d’ERAR cite le Country Reports on Human Rights Practices de 2007 publié par le Département d’État des États-Unis au sujet des Philippines. On trouve ce qui suit dans ce rapport, à la page 33 du dossier certifié du Tribunal :

[traduction]

 

La situation des femmes

 

Le viol demeure un problème. La plupart des viols ne font pas l’objet d’un signalement. Au cours de l’année, la PNP (Police nationale des Philippines) a fait état de 879 cas de viol. On a fait état de cas de viols ou d’abus sexuels de femmes détenues par la police ou placées en détention préventive — souvent des femmes provenant de groupes marginalisés, tels que des femmes soupçonnées de se livrer à la prostitution, des toxicomanes et des personnes à faible revenu arrêtées pour des délits mineurs.

 

Le viol conjugal et la violence conjugale sont illégaux, mais les mesures de répression sont inefficaces.

 

La violence faite aux femmes demeure un grave problème. La loi criminalise les préjudices ou abus physiques, sexuels et psychologiques causés aux femmes et à leurs enfants par leurs conjoints ou partenaires. Au cours de l’année, la PNP a fait état de 3 892 cas de femmes battues et de sévices corporels. Ces chiffres sont probablement bien en deçà de la réalité et ne reflètent pas le degré de violence faite aux femmes.

 

La PNP et le ministère du Bien-être et du Développement sociaux (Department of Social Welfare and Development - DSWD) ont tous les deux mis sur pied des centres d'assistance pour venir en aide aux femmes victimes de violence et pour les inciter à signaler les cas de violence. Avec l’aide d’ONG, les agents de la PNP ont reçu une formation visant à les sensibiliser pour les aider à s'occuper des victimes de crimes sexuels et de violence. Environ neuf pour cent des agents de la PNP sont des femmes. La PNP dispose d’une unité pour les femmes et les enfants qui s’occupe de ces questions.

 

Ce sont là des éléments de preuve démontrant que l’État assure une certaine protection.

 

[36]           L’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la police ne la protégerait pas contre son mari violent. Voici un extrait de la décision d’ERAR (à la page 6) :

[traduction]

 

Bien que je reconnaisse que la violence familiale dont les femmes et les enfants sont victimes demeure un problème malgré les diverses mesures prises par le gouvernement pour régler le problème, j’estime que la demanderesse n’a pas soumis suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que les autorités feraient la sourde oreille si elle réclamait leur protection. Comme la demanderesse n’a jamais approché les autorités, j’estime qu’elle n’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de réfuter la présomption de la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.

 

[37]           Vu l’ensemble de la preuve dont l’agent d’ERAR disposait, la Cour est d’avis qu’il lui était raisonnablement loisible de tirer la conclusion à laquelle il est arrivé en ce qui concerne la disponibilité d’une protection adéquate de l’État.

 

Troisième question :              L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait dû se prévaloir de la protection de l’État?

 

[38]           La demanderesse affirme que l’agent d’ERAR a commis une erreur en concluant que le fait qu’elle n’avait pas cherché à obtenir la protection de l’État faisait échec à sa demande d’ERAR. La demanderesse affirme qu’un demandeur d’asile n’a aucune obligation de littéralement aborder les autorités pour réclamer la protection de l’État s’il est objectivement déraisonnable de le faire.

 

[39]           La demanderesse signale que l’agent d’ERAR a accepté son argument qu’elle ne pourrait compter sur la protection de la police lorsqu’il a reconnu que [traduction] « il ressort de la preuve documentaire que les mesures de répression prise au sujet du viol conjugal et de la violence conjugale sont inefficaces » aux Philippines.

 

[40]           La demanderesse a référé la Cour à des extraits de documents objectifs sur la situation aux Philippines qui démontrent que les policiers philippins refusent souvent d’intervenir dans les cas de violence familiale et qui démontrent l’insensibilité des tribunaux qui sont chargés de juger les affaires de viol et de violence familiale.

 

[41]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a conclu que la protection des réfugiés est une forme de « protection auxiliaire » qui ne s’applique qu’en l’absence de protection de la part de l’État d’origine.

 

[42]           La Cour a également jugé que, sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il existe une présomption générale selon laquelle l'État est capable de protéger ses citoyens. La présomption de la protection de l’État peut être réfutée, mais pour ce faire, le demandeur d’asile doit confirmer « d'une façon claire et convaincante » l'incapacité de l'État d'assurer sa protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée (voir l’arrêt Ward, précité, aux pages 724 et 725).

 

[43]           Dans l’arrêt Kadenko c. Canada (MCI), (1996), 206 N.R. 272, 143 D.L.R. (4th) 532, la Cour d’appel fédérale a expliqué, sous la plume du juge Décary, au paragraphe 5, que pour réfuter la présomption de la protection de l’État, les demandeurs d’asile doivent faire des « efforts raisonnables » pour chercher à obtenir la protection de l’État, et que le fardeau dont les demandeurs d’asile doivent s’acquitter est plus lourd lorsque l’État en question est démocratique.

 

[44]           En conséquence, la demanderesse devait produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontrer au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question était insuffisante (Carillo c. Canada (MCI), 2008 CAF 94, 69 Imm. L.R. (3d) 309, le juge Létourneau, au paragraphe 30).

 

[45]           La demanderesse a mal qualifié les motifs de l’agent d’ERAR. En reconnaissant que les mesures de répression prise au sujet du viol conjugal et de la violence conjugale sont inefficaces aux Philippines, l’agent d’ERAR n’a pas tiré de conclusion au sujet de la situation personnelle de la demanderesse. Contrairement à ce que prétend la demanderesse, l’agent d’ERAR a estimé que la demanderesse n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’il était déraisonnable de la part de la demanderesse de réclamer la protection de l’État. L’agent a estimé que le gouvernement faisait des efforts sérieux pour s’attaquer au problème de la violence familiale, de sorte que certains des auteurs de ces délits étaient accusés et traduits en justice aux Philippines.

 

[46]           À mon avis, les faits de la présente affaire ne permettent pas classer celle-ci dans la catégorie des situations dans lesquelles il serait objectivement déraisonnable pour la demanderesse de chercher à obtenir la protection de l’État. Comme la demanderesse n’a pas réclamé la protection de l’État, il lui incombait de soumettre des éléments de preuve documentaire objectifs suffisants pour démontrer qu’elle n’aurait pas pu compter sur la protection de l’État si elle l’avait demandée. 

 

[47]           Il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure, en fin de compte, que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait.

 

 

Quatrième question :             L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse disposait d’une PRI aux Philippines?

 

[48]           La demanderesse affirme que l’agent d’ERAR a commis une erreur en concluant qu’elle disposait d’une PRI à la lumière des expériences antérieures qu’elle avait vécues à Hong Kong et au Canada, deux pays dont la situation économique est fort différente de celle des Philippines. La demanderesse affirme qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle se réinstalle dans une région où elle n’a pas d’emploi qui l’attend et où elle n’a pas de famille sur qui compter, tout en s’occupant seule de sa fille, qui est encore un bébé. De plus, la demanderesse a déjà épuisé ses ressources et elle est lourdement endettée.

 

[49]           Dans le jugement Farias c. Canada (MCI), 2008 CF 1035, je propose au paragraphe 34 une liste résumant les critères juridiques permettant de déterminer s’il existe une PRI. Voici cette liste :

1.   Si la PRI est une question litigieuse, la Commission du statut de réfugié doit en aviser le demandeur d’asile avant l’audience (Rasaratnam, précité, par le juge Mahoney au paragraphe 9, Thirunavukkarasu) et identifier des lieux précis comme PRI dans le pays d’origine du demandeur d’asile (Rabbani c. Canada (MCI), [1997] 125 F.T.R. 141 (C.F.), précitée, au paragraphe 16, Camargo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 472, 147 A.C.W.S. (3d) 1047, aux paragraphes 9 et 10);

 

2.    Il convient d’appliquer un test disjonctif à deux volets afin de déterminer s’il existe une PRI. Voir, p. ex., Rasaratnam, précité; Thirunavukkarasu, précité; Urgel, précitée, au paragraphe 17.

 

                                                 i.                           La Commission doit avoir été persuadée par le demandeur d’asile, selon la prépondérance de la preuve, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté dans les lieux qu’elle a proposés comme PRI; ou

                         

                                                ii.                         Compte tenu de la situation propre au demandeur, il serait déraisonnable que le demandeur cherche refuge dans les lieux proposés comme PRI;

 

3.      Le demandeur a la charge de prouver qu’il n’existe pas de PRI ou que cette PRI est déraisonnable dans les circonstances. Voir Mwaura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 748, par la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 13; Kumar c . Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 130 A.C.W.S. (3d) 1010, 2004 CF 601, par le juge Mosley, au paragraphe 17;

 

4.   Le critère est élevé pour déterminer ce qui rend une PRI déraisonnable dans la situation du demandeur d’asile : voir Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, par le juge Russell, au paragraphe 41. Selon Mwaura, précitée, au paragraphe 16, et Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12, il convient d’appliquer un critère souple pour déterminer si une PRI est déraisonnable en tenant compte de la situation particulière au demandeur. C’est un critère objectif;

 

5.     La PRI doit être réalistement accessible au demandeur, p. ex. le demandeur n’est pas censé s’exposer à un grand danger physique ou subir des épreuves indues lorsqu’il se rend dans un lieu de PRI ou y demeure. Le demandeur ne devrait pas être tenu de se cacher dans une région isolée, par exemple dans une caverne, dans le désert ou dans la jungle. Voir : Thirunavukkarasu, précitée, au paragraphe 14;

 

6.      Le fait que le demandeur d’asile n’a ni amis ni parents dans le lieu proposé comme PRI ne rend pas cette PRI déraisonnable. Le demandeur d’asile n’a probablement pas d’amis ni de parents au Canada. Le fait que le demandeur d’asile ne soit pas en mesure de se trouver un emploi approprié dans son domaine de profession peut ou non rendre la PRI déraisonnable. Cela vaut également pour le Canada.

 

[50]           Je suis d’avis que les conclusions tirées par l’agent d’ERAR au sujet de la PRI sont raisonnables. Suivant la jurisprudence, le critère auquel le demandeur d’asile doit satisfaire pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne disposait pas d’une PRI raisonnablement accessible est très exigeant. Pour paraphraser la jurisprudence, on doit être en présence d’une situation qui compromettrait la vie et la sécurité du demandeur d’asile qui tente de s’installer temporairement en lieu sûr ou de s’y rendre. Le fait que le demandeur d’asile n’a pas de parents dans le lieu proposé comme PRI ne rend cette PRI déraisonnable que si sa vie et sa sécurité sont en danger. Dans l’arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, la Cour d’appel fédérale explique, au paragraphe 15, qu'il faut placer la barre très haute lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Le demandeur d’asile doit démontrer que sa vie et sa sécurité seraient en péril, ce qui est bien différent des « épreuves indues » que sont la perte d'un emploi, la diminution de la qualité de vie et l’éloignement de sa famille. Ces derniers facteurs ne rendent pas une PRI déraisonnable. L’agent d’ERAR a souligné qu’il y a 81 provinces et 135 villes aux Philippines, un pays dont la population dépasse 96 millions d’habitants. La demanderesse a démontré qu’elle est en mesure de subvenir à ses propres besoins, étant donné qu’elle a déjà travaillé et vécu à Hong Kong et au Canada en subvenant à ses besoins. L’agent d’ERAR conclut à la page 7 de sa décision :

[traduction]

 

La demanderesse n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que le fait de se réinstaller ailleurs aux Philippines l’exposerait à la persécution ou à un risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités.

 

 

[51]           La Cour estime qu’il était raisonnablement loisible à l’agent d’ERAR de tirer cette conclusion.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[52]      Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulevait pas de question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour est du même avis.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1404-09

 

INTITULÉ :                                       EDITHA BAUTISTA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 novembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laura Setzer

 

POUR LA DEMANDERESSE

Julia Barss

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Laura Setzer

Avocate

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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