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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090729

Dossier : T-1365-08

Référence : 2009 CF 777

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

FABIO STURABOTTI

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le demandeur en vertu de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi fédérale), du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), et de l’alinéa 300c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), à l’encontre de la décision datée du 3 juillet 2008 (la décision) par laquelle un juge de la citoyenneté (le juge) a accueilli la demande de citoyenneté canadienne du défendeur.

 

 

 

 

CONTEXTE

 

[2]               Le défendeur est un citoyen italien âgé de 33 ans. Il est venu vivre au Canada en août 1999, et envisageait d’exercer le métier de pilote.

 

[3]               Le 25 avril 2000, le défendeur a obtenu le droit d’établissement au Canada, et, à ce moment-là, il était marié à Jennifer Croce, qui a parrainé sa demande de résidence permanente. Au moment de la présentation de sa demande de citoyenneté en 2006, le défendeur était divorcé.

 

[4]               La période pertinente de 4 ans précédant la demande de citoyenneté du demandeur va du 15 juillet 2002 au 15 juillet 2006. Il a déclaré les absences du Canada suivantes :

20/12/05 au 15/07/06   Chiavari (Italie)            Études-Perfectionnement          208 jours

03/11/03 au 21/05/04   Chiavari (Italie) Études-Perfectionnement          171 jours

01/03/03 au 30/04/03   Chiavari (Italie) Vacances                                 60 jours

15/07/02 au 31/07/02   Chiavari (Italie) Vacances                                 17 jours

 

[5]               Même s’il était déjà un résident permanent, le défendeur a demandé un visa (permis de résidence temporaire) pour entrer de nouveau au Canada. Ce permis lui a été délivré le 16 décembre 2003. Le défendeur avait besoin du visa pour revenir au Canada le 21 mai 2004, parce qu’il n’avait pas obtenu sa carte de résident permanent avant la date limite fixée en décembre 2003. La carte de résident permanent du défendeur lui aurait été remise en avril 2004, de sorte qu’il n’aurait pu la récupérer avant son retour d’Italie, le 21 mai 2004. Les cartes de résident permanent sont dorénavant exigées par les transporteurs commerciaux depuis le 31 décembre 2003.

 

[6]               Le 15 juillet 2006, le défendeur a signé une version modifiée de sa demande de citoyenneté à Chiavari en Italie, et la demande a été reçue par le centre de traitement des demandes de Sydney de CIC, le 1er août 2006. Sa demande originale lui a été retournée, parce qu’elle était « périmée » (elle a été reçue plus de 90 jours après la date de signature de celle-ci).

 

[7]               Le 12 décembre 2006, un juge de la citoyenneté a été saisi de la demande de citoyenneté du défendeur pour instruction.

 

[8]               Le 24 janvier 2008, le défendeur a reçu signification de son « dernier avis de convocation » (le 18 février 2008). Cependant, la compétence sur la demande a été transférée à un autre juge le 12 février 2008 et, le 18 juin 2008, le défendeur a comparu devant le juge Allaire pour son audience, et a fourni une assermentation. 

 

[9]               Depuis son arrivée au Canada, le défendeur loue une chambre dans une maison appartenant à une église pour une somme d’entre 250 $ et 300 $ par mois. Il a indiqué qu’il ne possède pas de biens au Canada. Ses liens sociaux avec le pays gravitent autour de son engagement à aider bénévolement le pasteur de la paroisse qui l’héberge.

 

[10]           Le défendeur n’a pas de famille au Canada, et ses parents et son frère demeurent en Italie. À l’exception d’un emploi qu’il a occupé à l’école de pilotage Island pendant un an, le défendeur était sans travail ou en formation. Il était aussi sans emploi avant de devenir un résident permanent. Aucune lettre ou dossier scolaire ni formulaire d’impôt sur le revenu du défendeur ne figurent dans le dossier certifié du tribunal

 

[11]           Le défendeur a présenté quatre relevés bancaires émanant de Canada Trust qui font état de soldes entre 1 000 $ et 2 058 $.

 

[12]           Entre le 3 novembre 2003 et le 15 juillet 2006, le défendeur a rempli sa demande de citoyenneté révisée, laquelle indiquait qu’il s’était absenté 379 jours du Canada, période durant laquelle il était inscrit à des cours de perfectionnement. Le défendeur a indiqué qu’il suivait un cours de qualification de type pilote de ligne, ainsi qu’une formation de type vol de ligne, auprès d’un organisme italien de formation de qualification-type nommé Ocean Airlines, parce qu’étant donné son faible nombre d’heures de vol et de la nature particulière du métier de pilote, il n’a pas été capable de trouver un tel organisme au Canada.

 

[13]           Lors des absences du défendeur, son permis de conduire et sa carte d’assurance-maladie provinciale ont expiré.

 

[14]            Le demandeur mentionne que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son calcul et que le défendeur était à court de 91 jours, plutôt que de 95 jours, comme le juge l’avait mentionné dans sa décision.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[15]           Le juge a fait remarquer qu’il manquait 95 jours au défendeur pour atteindre le seuil exigé de 1 095 jours. Cependant, le juge a conclu que les absences étaient motivées par les cours auxquels le défendeur était inscrit afin d’améliorer ses qualifications, et a accueilli sa demande citoyenneté.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Le demandeur soulève, dans la présente demande, les questions suivantes pour examen :

a.                   Le juge a-t-il commis une erreur en accueillant la demande de citoyenneté du défendeur, malgré le fait que celui-ci n’avait pas respecté le critère de résidence prévu à l’alinéa 5(1)c) de la Loi? Plus précisément, le demandeur est d’avis que la décision n’était pas raisonnable, parce que le juge :

                                                 i.                    N’a pas clairement identifié ni appliqué le critère approprié concernant les conditions de résidence.

                                               ii.                    N’a pas fourni de motifs adéquats, compte tenu du dossier qui lui était soumis.

                                              iii.                    A négligé la fréquence des absences, ainsi que d’autres facteurs qui étaient pertinents pour l’évaluation de la qualité du lien du défendeur avec le Canada.

                                             iv.                    A abandonné sa compétence d’évaluer la preuve dont il était saisi concernant l’établissement du défendeur et le maintien de sa résidence.

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente demande :

Attribution de la citoyenneté

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

 

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

Grant of citizenship

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

[18]           Les dispositions suivantes des Règles s’appliquent à la présente demande :

 

 

 

 

Application

 

 

 

300. La présente partie s’applique:

 

a) aux demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives, y compris les demandes présentées en vertu des articles 18.1 ou 28 de la Loi, à moins que la Cour n’ordonne, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, de les instruire comme des actions;

 

 

b) aux instances engagées sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande, de requête, d’avis de requête introductif d’instance, d’assignation introductive d’instance ou de pétition, ou le règlement par procédure sommaire, à l’exception des demandes faites en vertu du paragraphe 33(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime;

 

c) aux appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté;

 

d) aux appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce;

 

e) aux renvois d’un office fédéral en vertu de la règle 320;

 

f) aux demandes présentées en vertu du Code d’arbitrage commercial qui sont visées au paragraphe 324(1);

 

g) aux actions renvoyées à la Cour en vertu des paragraphes 3(3) ou 5(3) de la Loi sur le divorce;

 

h) aux demandes pour l’enregistrement, la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement étranger visées aux règles 327 à 334.

 

 

 

 

 

Application

 

 

 

300. This Part applies to

 

(a) applications for judicial review of administrative action, including applications under section 18.1 or 28 of the Act, unless the Court directs under subsection 18.4(2) of the Act that the application be treated and proceeded with as an action;

 

 

 

(b) proceedings required or permitted by or under an Act of Parliament to be brought by application, motion, originating notice of motion, originating summons or petition or to be determined in a summary way, other than applications under subsection 33(1) of the Marine Liability Act;

 

 

 

 

 

 

(c) appeals under subsection 14(5) of the Citizenship Act;

 

 

(d) appeals under section 56 of the Trade-marks Act;

 

 

(e) references from a tribunal under rule 320;

 

(f) requests under the Commercial Arbitration Code brought pursuant to subsection 324(1);

 

(g) proceedings transferred to the Court under subsection 3(3) or 5(3) of the Divorce Act; and

 

(h) applications for registration, recognition or enforcement of a foreign judgment brought under rules 327 to 334.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[19]           Le demandeur prétend que la question de savoir si une personne a satisfait aux conditions de résidence prévues à la Loi est une question mixte de fait et de droit, de sorte que la norme de contrôle appropriée est celle de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 44, 47, 48 et 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mueller, 2005 CF 227, au paragraphe 4; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Wall, 2005 CF 110, au paragraphe 21; Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1752, aux paragraphes 7 à 10; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1693, au paragraphe 51; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1688, au paragraphe 4, et Gunnarsson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1592, aux paragraphes 18 à 22.

 

[20]           Dans la décision Haj-Kamali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 102 (Haj-Kamali), la Cour a fourni les directives suivantes aux paragraphes 7 et 8 :

7     Les deux parties conviennent que, en ce qui concerne les conclusions de fait auxquelles est parvenu le Bureau de la citoyenneté (le calcul, par exemple, du temps passé par M. Haj‑Kamali en dehors du Canada), la norme de contrôle devant s’appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cela est conforme à un certain nombre de décisions de la Cour et je retiens en particulier l’analyse à laquelle s’est livré le juge Richard Mosley dans la décision Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1078, 2005 CF 861, où, au paragraphe 10, il s’exprime en ces termes :

 

[10] Cependant, le défendeur fait valoir que dans le cas de conclusions purement factuelles, la norme devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable. Le juge de la citoyenneté, en tant que juge des faits, a accès aux documents originaux et est en mesure de discuter des faits pertinents avec le demandeur. Dans le cas d’un appel en matière de citoyenneté, la présente Cour est une cour d’appel et elle ne devrait pas toucher aux conclusions à moins que ces dernières soient manifestement déraisonnables ou qu’elles fassent état d’une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235.

 

8     L’application aux faits de l’espèce des dispositions de la Loi en matière de résidence constitue, bien sûr, une question mixte de fait et de droit, et la norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable simpliciter. Sur ce point, je retiens l’analyse à laquelle s’est livré le juge Mosley dans la décision Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2134, 2004 CF 1752, où, aux paragraphes 9 et 10 […]

 

 

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la raisonnabilité simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable sont en théorie différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême a conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité. 

 

[22]           La Cour suprême du Canada a aussi conclu dans Dunsmuir que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être conduite dans chaque cas. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise renvoyée à la cour est bien établie par la jurisprudence, le tribunal procédant au contrôle judiciaire peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement dans les cas où cette recherche ne porte pas fruit que le tribunal procédant au contrôle judiciaire peut procéder à un examen des quatre facteurs visés par l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[23]           Donc, à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions susmentionnées, sauf celle portant sur l’équité procédurale et les questions de droit et de compétence, est celle de la raisonnabilité. Lorsque la Cour procède au contrôle judiciaire d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse porte sur la « justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, au sens où celle-ci n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[24]           Les questions de droit et de compétence doivent être examinées selon la norme de la décision correcte : Buschau c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1023, au paragraphe 45.

 

[25]           La question soulevée concernant le caractère adéquat des motifs est une question d’équité procédurale et de justice naturelle, qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte : Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, au paragraphe 15; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 486, au paragraphe 9, et Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, au paragraphe 9.

 

ARGUMENTS

            Le demandeur

 

[26]           Le demandeur prétend  le juge a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d’identifier le critère qu’il a utilisé, le cas échéant, afin de déterminer si le défendeur a respecté la condition de résidence de citoyenneté. La fusion de critères différents constitue aussi une erreur susceptible de contrôle : voir Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 605, au paragraphe 23; Hsu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 579, aux paragraphes 4 à 7, et Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (C.F. 1ere inst.).

 

[27]           Le demandeur affirme que les motifs et l’analyse du juge portant sur l’établissement et le maintien de la résidence sont totalement inadéquats. Les motifs fournis n’expliquent pas de manière suffisante pourquoi la demande a été accueillie, ni la raison pour laquelle le juge en a décidé ainsi. Le demandeur se fonde sur Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1361 (C.F. 1ere inst.), où la Cour fédérale a conclu, aux paragraphes 9 à 12, qu’il n’était pas suffisant pour un juge de dresser simplement une liste des éléments de preuve dont il a tenu compte. Le demandeur relève qu’en l’espèce, le juge n’a même pas dressé de liste des éléments de preuve qu’il a examinés, et que cela remet en question le fait que le défendeur ait véritablement établi sa résidence au Canada et maintenu celle-ci, peu importe quel critère a été appliqué. Voir Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1555, aux paragraphes 28 à 33, et Abdollahi-Ghane c. Canada (Procureur-général), [2004] A.C.F. no 930 (C.F.), aux paragraphes 29 à 33.

 

[28]           Le demandeur relève que les motifs donnés par le juge pour accueillir la demande du défendeur, en dépit du fait que celui-ci n’ait pas accumulé le nombre de jours requis, consistent seulement en deux lignes manuscrites. Il n’y a pas d’autres notes du juge, ni analyse de sa part. Celui-ci n’a pas renvoyé à quoi que ce soit au dossier, à l’exception de l’affirmation du défendeur qu’il avait perfectionné ses compétences. Le demandeur trouve cela douteux, puisqu’il n’y absolument aucune preuve, à l’exception des notes manuscrites du défendeur dans le questionnaire de résidence, étayant une telle affirmation. Rien ne permettait non plus d’établir que sa formation n’aurait pas pu être donnée au Canada, ou qu’elle n’aurait pas pu y être fournie par Ocean Airlines, ou même que le défendeur était inscrit auprès d’Ocean Airlines.

 

[29]           Le demandeur prétend que le juge a complètement renoncé à sa compétence d’évaluer la preuve portant sur la condition de résidence. La décision ne traite pas du tout des éléments cruciaux de la preuve, ou de l’absence de ceux-ci, qui auraient pu entraîner le rejet de la demande.  

 

[30]           Le demandeur rappelle à la Cour qu’il incombe au demandeur de la citoyenneté d’établir à l’aide d’une preuve crédible qu’il respecte la condition de résidence prévue à la Loi. En fait, le questionnaire de résidence, que le défendeur a rempli, donnait des instructions claires sur le type de document ou de preuve qu’il devait produire à l’appui de sa demande. Il est précisément demandé aux demandeurs de « fournir tout document étayant ses déclarations ». Voir Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1311; Paez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 204; Kong (Re), [1999] A.C.F. no 665 (C.F. 1ere inst.), et Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1ere inst.).

 

[31]           Le demandeur affirme que le défendeur ne s’est visiblement pas déchargé de son fardeau en l’espèce. Même si l’information que le défendeur a communiquée était la seule qu’il pouvait fournir, la preuve laisse entendre que ses liens avec le Canada étaient ténus. Par conséquent, il était déraisonnable pour le juge d’accueillir la demande du défendeur. Le demandeur mentionne qu’il aurait été raisonnable de la part du juge de s’enquérir au sujet des visas et des timbres de passeport à l’effigie de la République populaire de Chine (RPC) et de Hong Kong, ainsi que de faire mention de ceux-ci, puisque le défendeur ne précise pas qu’il y ait étudié ou qu’il y soit allé pour des raisons professionnelles. Une mention d’entrée le 13 mars 2006 et une mention de sortie le 18 mars 2006 apparaissant à la page 31 du passeport du défendeur indiquent qu’il a voyagé en RPC et à Hong Kong à titre de membre du personnel ou d’équipage, au moment où celui-ci déclarait être en Italie afin de se perfectionner. Le demandeur allègue que cette situation soulève la possibilité d’une omission d’éléments pertinents ou d’une fausse déclaration de la part du défendeur. Le juge de la citoyenneté aurait dû traiter expressément de cet aspect du dossier, et son omission de le faire constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[32]           Le demandeur cite le paragraphe 26 de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dhaliwal 2008 CF 797 (C.F. 1ere inst.), et se fonde sur celui-ci :

26     Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le législateur a clairement exprimé dans la Loi sa ferme volonté de décourager les fausses déclarations. Obtenir la citoyenneté canadienne est un privilège. Celui qui revendique ce privilège doit dire la vérité. Qui plus est, le fait que celui qui demande la citoyenneté a fait de fausses déclarations permet de douter de sa crédibilité, ce qui est susceptible d’avoir des incidences sur la valeur à accorder aux éléments de preuve qu’il présente à l’appui de sa demande. Comme il ne pouvait compter que sur le témoignage du défendeur et que sur sa preuve écrite et vu l’insuffisance de la preuve documentaire, le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne discutant pas de ce facteur. Le fait que le juge de la citoyenneté n’a pas expliqué les incidences des fausses déclarations du défendeur sur sa décision rend celle-ci déraisonnable. Le juge de la citoyenneté n’a pas non plus évalué la crédibilité du défendeur en tenant spécialement compte des fausses déclarations faites par ce dernier. Sa décision est déraisonnable.

           

 

 

 

 

            Défendeur

 

[33]           Le défendeur n’a pas produit d’observations écrites portant sur la présente demande, et personne n’a comparu en son nom à l’audience.

 

ANALYSE

 

[34]           Le défendeur n’a pas produit d’observations écrites en l’espèce, et personne n’a comparu en son nom à l’audience tenue à Toronto le 7 juillet 2009.  

 

[35]           J’ai passé en revue la décision, ainsi que les observations du demandeur. Je suis d’accord avec celles-ci concernant l’erreur susceptible de contrôle.

 

[36]           J’ai aussi passé en revue le dossier et les pièces présentées par le défendeur dans le cadre de sa demande de citoyenneté. Il est évident pour moi, et ce, peu importe la manière dont le critère de résidence a été formulé en l’espèce, que la preuve n’étaie pas la conclusion que le défendeur a respecté la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Par conséquent, je ne vois pas l’utilité de renvoyer la présente affaire à un autre juge pour nouvel examen.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.      L’appel est accueilli. La décision du juge de la citoyenneté est annulée et la demande de citoyenneté est rejetée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1365-08

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                            c.

                                                            FABIO STURABOTTI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 29 juillet 2009

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Amy Lambiris                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

s/o                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

                       

s/o                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

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