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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091125

Dossier : IMM-1674-09

Référence : 2009 CF 1210

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

GUO HENG ZHOU

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 11 mars 2009 par Stephen Rudin, commissaire à la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La SPR a estimé que le fait d’être chrétien ne l’exposait pas à une possibilité sérieuse de persécution et qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).


I.          LES FAITS

[2]               Le demandeur, qui est de nationalité chinoise, était agriculteur dans la province du Guangdong avant de venir au Canada. Après le décès de son père en 2003 et celui de sa mère en 2006, le demandeur, atteint de déprime, s’interrogeait sur le sens de la vie. Un ami l’a initié au christianisme en avril 2006.

 

[3]               En mai 2006, le demandeur s’est joint à la maison-église à laquelle son ami appartenait et a commencé d’assister à l’office du dimanche en compagnie de onze autres personnes. Son ami lui a dit que la maison-église était illégale, mais il l’a assuré que des précautions avaient été prises pour qu’elle ne soit pas découverte. Le groupe lisait la Bible, la commentait et priait silencieusement. Durant les offices, il n’y avait pas de chants ni de symboles religieux.

 

[4]               Le demandeur affirme que, le 22 novembre 2006, il a reçu un appel téléphonique de son ami lui apprenant que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) avait appréhendé deux membres de sa maison-église alors qu’ils prêchaient. Son ami avait réussi à s’échapper parce qu’il faisait le guet, mais les deux membres avaient été arrêtés.

 

[5]               Sur les conseils de son ami, le demandeur s’est caché. Alors qu’il se cachait, son oncle, qui habite la maison voisine, l’a informé que le BSP était venu le chercher plusieurs fois, s’était enquis de l’endroit où il se trouvait, avait fouillé sa maison, mais n’avait pas laissé d’assignation.

 

[6]               Sentant qu’il n’était plus en sécurité en Chine, le demandeur a pris des dispositions avec un passeur pour venir au Canada. Il est arrivé au Canada le 1er janvier 2007 et il a demandé l’asile le 4 janvier 2007. Dès son arrivée, il s’est joint à la Living Stone Assembly Church et fut baptisé le 7 avril 2007. Il affirme que le BSP s’est rendu entre 10 et 15 fois chez lui entre novembre 2006 et octobre 2008 et qu’il continue de le faire.

 

II.        LA DÉCISION CONTESTÉE

[7]               Le commissaire de la SPR a admis que le demandeur était un chrétien pratiquant, membre d’une maison-église en Chine, et qu’il continuait de faire ses pratiques au Canada. Cependant, il a estimé que le demandeur ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution en cas de retour en Chine. Il a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur ne serait pas empêché de pratiquer sa religion dans une église enregistrée s’il devait retourner en Chine, que sa maison-église n’avait pas été découverte et que le BSP cesserait de le rechercher.

 

[8]               Le commissaire de la SPR a d’abord relevé que le demandeur n’avait pas d’antécédents religieux, qu’il savait au moment de s’y joindre que la maison-église était illégale et qu’il connaissait les conséquences que pourrait avoir sa découverte. Le demandeur savait aussi qu’une église enregistrée existait, mais il ne songeait pas à la fréquenter parce qu’elle était située trop loin de son domicile. L’autre raison avancée par le demandeur pour ne pas fréquenter une église enregistrée était qu’on lui avait dit qu’elle ne correspondait pas aux valeurs et croyances de son église. Cependant, il ne s’était pas lui-même interrogé sur les supposées contradictions entre les deux.

 

[9]               Le commissaire de la SPR, reconnaissant ensuite que les maisons-églises en Chine étaient parfois la cible d’actes de persécution, s’est appuyé en particulier sur le rapport de l’organisme China Aid Association, selon lequel il y a eu en 2007 augmentation des actes de persécution contre les maisons-églises. Selon ce rapport, la persécution vise quatre cibles principales : les responsables de maisons-églises, les maisons-églises se trouvant dans les agglomérations, les publications chrétiennes et les chrétiens et missionnaires étrangers vivant et travaillant en Chine.

 

[10]           Le commissaire de la SPR a aussi fait référence au Conseil chrétien de Hong Kong, qui affirmait que la province du Guangdong (où vivait le demandeur) appliquait « la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme ». Le secrétaire exécutif de cette association aurait rencontré les autorités locales et exprimé l’avis qu’elles tolèrent en général les activités de groupes chrétiens non enregistrés, sauf s’ils ont des liens avec des groupes extérieurs à la Chine. Il affirmait aussi que les personnes qui ont été fichées ou arrêtées étaient jugées « hérétiques » par de nombreux chrétiens. Le commissaire de la SPR a préféré la preuve du Conseil chrétien de Hong Kong à celle de l’organisation plus critique appelée Droits de l’homme en Chine, parce que le secrétaire exécutif du Conseil chrétien de Hong Kong avait communiqué des détails et fait part de sa connaissance personnelle, et que la documentation confirmait son analyse selon laquelle la réglementation religieuse était appliquée plus rigoureusement dans les villes que dans les campagnes.

 

[11]           Le commissaire de la SPR expliquait ensuite que la persécution religieuse des maisons-églises protestantes variait considérablement d’une région à une autre et qu’elle dépendait de plusieurs facteurs : existence de liens étroits avec l’Ouest; prosélytisme; croissance du nombre de membres au point qu’elles deviennent de grandes congrégations; dispositions concernant l’utilisation des locaux; rôle de chef de file exercé par une personne; enfin le point de savoir si la maison-église se trouve en zone rurale ou en zone urbaine. Comme la documentation produite vient d’un grand nombre de commentateurs, qu’il s’agisse d’étrangers vivant en Chine, d’organisations religieuses, d’organisations non gouvernementales, ou encore d’activistes partout dans le pays, la SPR a conclu qu’il était raisonnable de penser qu’on y trouverait une preuve convaincante de descentes dans des maisons-églises et d’arrestations d’adeptes, si de telles mesures de répression avaient effectivement eu lieu.

 

[12]           Il a reconnu que la persécution religieuse en Chine était attestée, mais il a conclu qu’elle n’était pas probable dans le cas du demandeur, parce qu’il n’était qu’un adepte qui n’exerçait aucun rôle dirigeant, que les réunions avaient lieu entre amis et entre proches dans leurs foyers, que le groupe est un petit groupe qui n’a pas noué de liens avec l’Ouest, enfin que le groupe se trouve dans une province dont la politique en matière de religion en Chine compte parmi les plus libérales du pays.

 

[13]           Finalement, le commissaire de la SPR a évoqué la documentation où l’on peut lire que les autorités publiques s’interposent dans les décisions doctrinales des églises enregistrées, mais il a conclu que cette assertion n’était pas prouvée.

 

[14]           Pour tous ces motifs, le commissaire de la SPR a conclu que, s’agissant du demandeur, la preuve documentaire ne confirmait pas qu’il courait un risque sérieux de persécution à cause de ses convictions religieuses, tout en reconnaissant que les chrétiens sont effectivement persécutés en Chine. En arrivant à cette conclusion, le commissaire de la SPR a accordé davantage de poids à la preuve documentaire qu’au témoignage du demandeur, la preuve documentaire provenant d’une diversité de sources qui n’ont aucun intérêt particulier dans l’issue de la présente affaire.

 

III.       LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           L’avocat du demandeur a soulevé un certain nombre de questions se rapportant à la décision de la SPR. Cependant, elles peuvent toutes être résumées dans la question suivante : la SPR a-t-elle commis une erreur dans sa manière d’apprécier la preuve, et plus particulièrement dans sa conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à la persécution s’il était renvoyé en Chine?

 

IV.       ANALYSE

[16]           Il est maintenant bien établi que l’appréciation de la preuve et la valeur qu’il convient d’accorder à chaque élément sont des questions de fait qui relèvent de la spécialisation du commissaire de la SPR, et qui sont donc revues selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. n° 12; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1274, [2008] A.C.F. n° 1589. Appliquant cette norme, la Cour ne saurait substituer sa propre solution à celle retenue par la SPR.

 

[17]           Le demandeur fait d’abord valoir qu’il y a contradiction entre la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur avait pris diverses précautions pour ne pas éveiller l’attention du BSP, et sa conclusion selon laquelle le BSP n’avait procédé à aucune rafle et n’était pas à la recherche du demandeur. Je me vois contraint de partager l’avis du défendeur, pour qui ces deux conclusions ne sont pas contradictoires. En effet, le fait de prendre des précautions de crainte que quelque chose de fâcheux ne se produise ne signifie pas que l’événement appréhendé se produira nécessairement.

 

[18]           Le demandeur a dit dans son témoignage que, s’il n’y avait pas de symboles religieux, c’était parce que, comme il l’a lui-même reconnu, la maison n’était pas une église. Le groupe n’avait jamais eu de difficultés avec les autorités auparavant, et il se réunissait depuis le début de 2005. Selon la preuve produite par le demandeur, à la fois dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans son témoignage à propos de l’incident du 22 novembre 2006, le groupe n’avait subi aucune rafle. Le groupe avait une crainte subjective et prenait des précautions, mais il n’y avait aucune preuve objective justifiant cette crainte. Sans doute le BSP désapprouvait-il que des personnes prêchent en public et sans doute pouvait-il les arrêter, mais cela n’avait rien à voir avec son intervention dans une maison-église. Par ailleurs, le demandeur n’était pour rien dans l’arrestation de ses deux condisciples, et son oncle ne lui avait pas dit pourquoi le BSP était à sa recherche. On n’avait laissé aucun mandat ni aucune assignation à son intention. Il n’y avait donc aucun fait pouvant étayer la prétendue contradiction des conclusions de la SPR.

 

[19]           Le commissaire de la SPR a admis qu’il existait une persécution religieuse en Chine. Mais, s’agissant du cas particulier du demandeur, il a conclu que la preuve documentaire ne permettait pas de dire qu’il y avait une possibilité sérieuse de persécution à cause de ses convictions religieuses. Il ne s’agit pas ici d’un cas où la preuve documentaire a été préférée au témoignage du demandeur sans que cette préférence fût motivée. Il est constant que, lorsqu’un tribunal administratif préfère la preuve documentaire au témoignage d’un demandeur d’asile, il doive s’en expliquer clairement :

En l’espèce, la Commission n’a jamais expressément déclaré qu’elle concluait que le témoignage du demandeur n’était pas crédible, mais elle rejette son récit de la descente à la maison‑église, l’existence d’un mandat d’arrestation contre lui et son témoignage selon lequel trois autres membres ont été condamnés à une peine d’emprisonnement pour leur appartenance à la maison‑église et/ou leur participation à ses activités. Le motif invoqué par la Commission pour rejeter le témoignage du demandeur est qu’elle préfère la preuve documentaire, puisque ses sources n’ont « aucun intérêt personnel quant au résultat de l’audience » (décision de la Commission, à la page 6). Bien qu’il s’agisse d’un supposé « motif » pour rejeter le témoignage du demandeur, c’en est un que la Cour a à maintes reprises considéré comme constituant une erreur susceptible de contrôle. […]

 

Han c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 978, [2009] A.C.F. n° 1186, paragraphe 21. Voir aussi : Chavarria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1166, [2005] A.C.F. n° 2173; Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 254, [2009] A.C.F. n° 320.

 

 

[20]           En l’espèce, le commissaire de la SPR a expliqué son choix en pointant l’origine indirecte du récit du demandeur, l’absence d’une preuve objective et le fait que la situation du demandeur ne s’accordait pas avec les facteurs, indiqués dans la documentation, qui pouvaient l’exposer à un risque. Le demandeur n’était pas un chef de file, la description qu’il avait donnée du groupe s’accordait avec celle de groupes d’études de la Bible entre amis ou entre proches qui n’ont pas besoin de s’enregistrer, le groupe était un petit groupe qui n’avait établi aucun lien avec l’Ouest, enfin le groupe se trouvait dans une province dont la politique en matière de religion était libérale. On ne saurait donc dire que le commissaire de la SPR n’a pas expliqué les raisons qu’il avait de préférer la preuve documentaire au témoignage du demandeur, si crédible fût-il.

 

[21]           Plus difficile est la conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas empêché de pratiquer sa religion dans une église enregistrée. Cette conclusion est inattendue, vu que la SPR écrivait dans ses motifs que le demandeur ne voudrait pas faire ses pratiques dans une église enregistrée parce que cela serait contraire à ses convictions religieuses. On ne sait trop ce qu’il faut en déduire. Le propos de la SPR signifie-t-il que le demandeur peut faire ses pratiques dans une église enregistrée parce qu’il n’y a pas de distinction doctrinale entre une telle église et l’église clandestine? Ou bien la SPR veut-elle dire que le demandeur devrait pratiquer sa religion dans des églises parrainées par l’État en dépit de sa conviction que les églises officielles ne reflètent pas exactement les enseignements du christianisme? Dans les deux cas, la conclusion de la SPR est gravement viciée.

 

[22]           Le commissaire de la SPR a examiné la preuve documentaire portant sur les différences doctrinales entre l’église officielle et l’église clandestine fréquentée par le demandeur, et il est arrivé à la conclusion que l’immixtion de l’État n’était pas établie. Il écrivait ce qui suit :

La documentation concernant la possibilité que l’église enregistrée place le Parti communiste chinois (PCC) avant Dieu fait référence à une ingérence dans les décisions relatives à la doctrine dans les églises enregistrées. Il n’y a toutefois aucun élément de preuve solide à l’appui de cette affirmation. Il en est question dans l’article de « reportages », mais il n’y a pas d’information sur des sources. L’article souligne que les dirigeants protestants ne « seraient » pas autorisés à prêcher sur la deuxième venue du Christ ou sur le Jour du jugement, mais ne fournit aucune source à l’appui de cette déclaration. Selon l’article, un ancien dirigeant de l’association patriotique protestante a fait campagne pour la « reconstruction théologique » qui s’oppose aux croyances chrétiennes, y compris la justification par la foi, la fiabilité de la Bible et la primauté de la foi en Jésus comme étant la seule voie pour être sauvé. Cependant, il n’y a aucun élément de preuve que le point de vue de cette personne reflète l’action du gouvernement, prévue ou mise en œuvre.

 

[Renvoi omis.]

 

Dossier certifié du Tribunal, page 10.

 

 

[23]           Cependant, il existe une preuve manifeste non seulement des différences théologiques entre les églises officielles et les églises clandestines, mais également des multiples contrôles exercés par l’État sur les églises enregistrées. On peut lire, par exemple, dans un rapport du Département d’État des États-Unis de 2007 concernant la Chine, intitulé International Religious Freedom Report, que [traduction] « de nombreux groupes protestants évangéliques non enregistrés ont refusé de s’enregistrer ou de s’affilier au TSPM/CCC [Three-Self Patriotic Movement/Chinese Christian Council], parce qu’ils n’ont pas les mêmes positions théologiques que le TSPM/CCC », et, plus loin, que « les groupes non enregistrés ne s’affiliaient pas souvent non plus à l’une des PRA [Patriotic Religious Associations], parce qu’ils craignaient que cela ne permette aux autorités gouvernementales de décider du contenu des homélies » (DCT., page 65). Ledit rapport, faut-il le mentionner, a été jugé digne de foi parce qu’il vient d’une source digne de foi.

 

[24]           Pareillement, on peut lire dans une réponse à une demande d’information (CHN 102494.EF, 27 avril 2007), qui se trouve dans le propre cartable de documentation de la Commission, que « les groupes religieux enregistrés doivent fournir au gouvernement les noms et les coordonnées de leurs dirigeants et de leurs membres » (DCT, page 101).

 

[25]           La SPR ne saurait tout bonnement laisser de côté cette preuve documentaire. Elle intéressait manifestement le point qu’elle devait décider et elle contredisait ses conclusions. Il est constant en droit que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" » : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n° 1425, au paragraphe 17.

 

[26]           Par ailleurs, la SPR a injustement écarté la preuve relative à la campagne pour la « reconstruction théologique » menée par le chef de l’Association patriotique protestante. Selon la SPR, il n’était pas établi que cette preuve rendait compte de l’action du gouvernement. Si le demandeur avait été informé par la SPR qu’elle allait vérifier si le « reconstructionnisme théologique » est une politique officielle et qu’elle n’allait accorder aucune valeur à un document compris dans le cartable national de documentation, il aurait pu réagir en s’assurant que la propre déclaration d’objectifs de l’église officielle soit produite à l’audience.

 

[27]           Si, en revanche, la SPR était d’avis que ces divergences étaient sans conséquence et n’empêcheraient pas le demandeur de pratiquer sa religion en se joignant à l’église officielle, alors elle a commis une grave erreur. Il n’appartient pas à la Commission de juger du bien-fondé de la foi du demandeur et de la manière dont il devrait l’exercer. Ainsi que l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, [2004] 2 R.C.S. 551, au paragraphe 39, « Essentiellement, la religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle ».

 

[28]           Il était fautif pour la Commission de mettre en doute l’authenticité de la foi du demandeur au motif qu’il n’avait pas d’antécédents religieux et qu’il n’avait pas exploré le conflit entre le christianisme et sa pratique dans des églises officielles. Le demandeur a été jugé crédible, il a continué de pratiquer sa religion au Canada, et l’authenticité de ses convictions n’était pas l’affaire de la Commission sans une preuve que sa conversion au christianisme et sa préférence pour son église non enregistrée étaient de quelque manière dictées par des mobiles fallacieux. Comme je l’écrivais dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 677, [2009] A.C.F. n° 1391 :

28. La seule chose que la Commission ait dite à ce sujet était que, si le demandeur voulait pratiquer sa religion en Chine, il pourrait le faire librement dans une église reconnue « car un nombre de plus en plus grand de citoyens chinois le font sans crainte de persécution ». Non seulement une telle conclusion n’est pas appropriée, mais elle est aussi inexacte. Il n’appartient pas à la Commission de dicter comment le demandeur devrait pratiquer sa foi. Comme cela ressort de la preuve documentaire (et en particulier de la Réponse aux demandes d’information datée du 27 avril 2007), certains groupes religieux en Chine choisissent de demeurer non enregistrés parce que l’enregistrement entraîne une surveillance par le gouvernement, et parfois le gouvernement interfère dans les décisions de doctrine des groupes religieux enregistrés. Il est parfaitement légitime que le demandeur choisisse de ne pas adhérer aux Églises enregistrées, s’il estime que c’est la seule façon de demeurer fidèle à sa foi. Il ressort de divers rapports que le gouvernement de la Chine ne permet pas à l’Église catholique enregistrée de reconnaître l’autorité du Vatican, et que le gouvernement nie plusieurs des dogmes fondamentaux de la foi catholique comme la résurrection et le concept de salut individuel. Il était donc déraisonnable que la Commission conclue que les différences entre l’Église patriotique et l’Église clandestine chrétienne n’avaient pas de conséquence, et que la Commission se concentre sur l’usage de la même bible pour conclure que les deux églises, dans l’ensemble, sont les mêmes. Non seulement la preuve est loin d’être adéquate sur cet aspect, mais en matière de foi, les choix personnels devraient prévaloir.

 

Voir aussi : Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1066, [2008] A.C.F. n° 1341.

 

 

[29]           Il me semble que la SPR a également erré en assimilant la possibilité d’une persécution religieuse au risque d’une rafle, d’une arrestation ou d’un emprisonnement. Cette manière de voir la liberté religieuse est très limitée et ne prend pas en compte la dimension publique de ce droit fondamental. S’il faut se cacher et prendre des précautions pour ne pas être vu lorsque l’on pratique sa religion, sous peine d’être harcelé, arrêté et reconnu coupable, je ne vois pas comment l’on peut dire qu’une personne est à l’abri de la persécution. Ainsi que l’écrivait la Cour dans la décision Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 90 F.T.R. 182, [1994] A.C.F. n° 1813 :

5.   Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.1 Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l’interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en oeuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion. En l’occurrence, j’estime que l’interdiction prononcée contre les Témoins de Jéhovah de se réunir pour la pratique de leur culte pouvait équivaloir à de la persécution. C’est précisément ce qu’avait à analyser la Section du statut.

 

 

 

[30]           Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Les avocats n’ont pas proposé que soit certifiée une question, et aucune ne sera certifiée.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE : cette demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1674-09

 

INTITULÉ :                                       GUO HENG ZHOU c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 25 NOVEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

POUR LE DEMANDEUR

Jocelyn Espejo Clarke

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine et Associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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