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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20091126

Dossier : T­645­09

Référence : 2009 CF 1214

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

JORDIE PROVOST

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN,

ALTALINK MANAGEMENT LIMITED ET

LE CONSEIL DE BANDE PIIKANI

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               AltaLink Management Limited a obtenu toutes les approbations nécessaires du gouvernement de l’Alberta et du gouvernement fédéral pour la construction d’une ligne à haute tension entre Pincher Creek et Lethbridge. Étant donné que le tracé prévu passe à travers la réserve indienne Piikani no 147, les approbations nécessaires comprennent un permis du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et une résolution du conseil de bande. La résolution du conseil de bande donnant le consentement au projet a été adoptée en juin 2008, par suite de quoi le ministre a délivré le permis le mois suivant.

 

[2]               Neuf mois plus tard, M. Jordie Provost, un membre de la bande, a demandé à la Cour d’ordonner que soient annulés tant le permis que la résolution sous­jacente adoptée par le conseil de bande. De façon générale, M. Provost a plaidé qu’il aurait dû obtenir un avis préalable; que le ministre et le conseil de bande avaient l’obligation de le consulter et, de fait, de consulter l’ensemble de la bande; qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter des observations ou de faire des commentaires et que le ministre et le conseil de bande avaient l’obligation d’examiner les commentaires qu’il aurait faits et d’en tenir compte avant de prendre les décisions portant sur l’adoption de la résolution et sur la délivrance du permis.

 

[3]               Les deux demandes formant les dossiers no T­645­09 et no T­646­09, lesquels ont été ultérieurement joints et constituent le dossier no T­645­09, sont contestées par le ministre, le conseil de bande et AltaLink.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]               La disposition légale applicable est l’article 28 de la Loi sur les Indiens (la Loi), qui prévoit ce qui suit :

28. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d’une bande est censé permettre à une personne, autre qu’un membre de cette bande, d’occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

(2) Le ministre peut, au moyen d’un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d’un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

28. (1) Subject to subsection (2), any deed, lease, contract, instrument, document or agreement of any kind, whether written or oral, by which a band or a member of a band purports to permit a person other than a member of that band to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise any rights on a reserve is void.

 

(2) The Minister may by permit in writing authorize any person for a period not exceeding one year, or with the consent of the council of the band for any longer period, to occupy or use a reserve or to reside or otherwise exercise rights on a reserve.

 

[5]               Les demandes soulèvent les questions en litige suivantes :

a)      Le ministre avait­il l’obligation légale de consulter M. Provost avant de délivrer le permis? Dans l’affirmative, cette obligation a­t­elle été respectée?

b)      La résolution adoptée par le conseil de bande constitue‑t­elle une décision prise par un office fédéral et est‑elle susceptible de contrôle judiciaire par la Cour?

c)      Le conseil de bande avait­il l’obligation légale de consulter M. Provost avant d’adopter la résolution? Dans l’affirmative, cette obligation a­t­elle été respectée?

d)      M. Provost avait­il qualité pour agir et pour présenter les présentes demandes? La règle habituelle dispose que seulement les personnes « directement touché[es] » ont qualité pour agir. Si M. Provost n’était pas directement touché, devrait­on lui accorder qualité pour agir dans l’intérêt public?

e)      Les demandes ont­elles été déposées dans le délai prévu? Le délai habituel est de 30 jours à partir de la date où le demandeur reçoit la décision. Dans la négative, la Cour devrait­elle, suivant son pouvoir discrétionnaire, proroger le délai?

f)        Quoi qu’il en soit, la Cour devrait­elle, suivant son pouvoir discrétionnaire, refuser d’accorder la réparation sollicitée par M. Provost, étant donné les retards et le fait que les défendeurs ont commencé à prendre des mesures suivant le permis avant le dépôt des demandes de contrôle judiciaire?

 

DÉCISION

[6]               À mon avis :

a)      le ministre n’avait aucune obligation légale de consulter M. Provost avant de délivrer le permis. Cependant, si le ministre était tenu à une telle obligation, il l’a respectée;

b)      lors de l’adoption de la résolution en faveur de la délivrance du permis, le conseil de bande agissait à titre d’office fédéral, et la résolution est susceptible de contrôle judiciaire;

c)      le conseil de bande n’avait aucune l’obligation légale de consulter M. Provost avant d’adopter la résolution. Cependant, si le conseil de bande était tenu à une telle obligation, il l’a respectée;

d)      M. Provost avait qualité pour agir et pour faire valoir les allégations particulières faites dans ses demandes;

e)      étant donné les réponses données ci­dessus, il n’est pas nécessaire d’examiner si les demandes ont été déposées dans le délai prévu;

f)        quoi qu’il en soit, si les conclusions a) et c) se révélaient erronées, la Cour, suivant son pouvoir discrétionnaire, refuserait néanmoins d’accorder toute réparation à M. Provost.

 

LE PROJET

[7]               La ligne de transport d’électricité de 240 kilovolts (kV) vise à répondre aux nouveaux besoins d’énergie éolienne dans le Sud­Ouest de l’Alberta. Le projet comprend la construction d’un nouveau poste électrique, l’agrandissement de deux postes électriques existants et la construction de plus de 80 kilomètres de lignes doubles de transport d’électricité de 240 kV. La servitude de passage envisagée traverserait des terres fédérales, notamment la réserve Piikani sur 26 km, une autre réserve, un terrain appartenant à l’Agence canadienne d’inspection des aliments où se trouve son laboratoire de Lethbridge, des terres privées et des terres publiques inoccupées de l’Alberta.

[8]               L’Alberta Electric System Operator [la Régie de l’exploitation d’électricité de l’Alberta] a conclu que le projet était nécessaire. Le projet a été approuvé par l’Alberta Energy and Utilities Board [la Commission de l’énergie et des services publics de l’Alberta] et il a été confié à AltaLink en vertu de la réglementation.

[9]               Le tracé idéal, qui est plus ou moins en ligne droite, traverse la réserve Piikani du Sud­Ouest au Nord­Est. Une ligne de transport d’électricité de moindre voltage est déjà en place et l’on veut, dans la mesure du possible, suivre la servitude de passage existante. Cependant, AltaLink a toujours fait savoir de façon très claire que, si elle ne pouvait pas s’entendre avec la Première Nation Piikani, elle était prête à faire en sorte que le tracé de la ligne de transport d’électricité contourne la réserve.

 

LA PREUVE

[10]           La séquence des faits qui a mené à la résolution du conseil de bande et au permis du ministre soumis aux présents contrôles judiciaires n’est pas contestée. La contestation porte sur ce que M. Provost savait ou aurait dû savoir à certains moments et sur la question de savoir s’il était justifié que M. Provost n’ait perdu sa bonne humeur que huit mois après la délivrance de l’indispensable permis.

[11]           Les personnes suivantes ont déposé un affidavit : M. Provost; M. Derek Green, agent de gestion, Terres et Environnement, région de l’Alberta, Relation avec les Premières Nations du traité no 7, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC); M. Kirby Smith, actuellement gestionnaire, Développement des ressources, et anciennement coordonnateur administratif de la Première Nation Piikani; M. Stephen Hodgkinson, vice­président d’AltaLink, Développement organisationnel et Partenariat d’affaires ainsi que M. Conrad Journeault, planificateur en matière de servitude de passage chez AltaLink. Tous les déclarants ont été contre­interrogés sauf M. Journeault.

[12]           Selon M. Provost, s’il en avait eu l’occasion, il aurait formulé des observations sur les points suivants :

a)                              la ligne aérienne à haute tension (la LAHT) envisagée sera d’une envergure bien plus grande que la ligne de transport d’électricité existante qui traverse la réserve;

b)                              l’utilisation de la servitude de passage existante où se trouve l’autre ligne de transport d’électricité et l’information sur ce qu’il adviendra de l’ancienne ligne de transport d’électricité; le projet LAHT ne suit pas la servitude de passage de la ligne de transport d’électricité existante, ce qui entraînera la création d’un grand couloir de lignes de transport d’électricité, lequel prendra plus de place sur les terres de la réserve;

c)                              la LAHT envisagée augmenterait la tension électrique dans la ligne de transport d’électricité bien au­delà de la tension électrique de la ligne de transport d’électricité actuelle;

d)                              l’effet des champs électromagnétiques créés par la LAHT envisagée et la ligne de ligne de transport d’électricité existante sur sa famille et sur lui;

e)                              l’effet sur la santé des autres membres de la bande Piikani;

f)                                la question de savoir si le tracé des lignes de transport d’électricité du projet LAHT près de sa résidence et d’autres résidences sur la réserve est convenable étant donné la présence d’un certain nombre de jeunes enfants qui vivent dans les maisons et qui vont à l’école dans la réserve;

g)                              l’endroit où sera située la LAHT envisagée et la nouvelle servitude de passage;

h)                              la stabilité et la sécurité de la structure même de la LAHT;

i)                                la perte d’usage et de jouissance de sa résidence, en particulier la perte de la vue qu’il a de sa résidence, laquelle serait gênée par la LAHT envisagée;

j)                                l’existence d’une pénurie grave de logements dans la réserve, ce qui fait en sorte qu’il lui serait très difficile de trouver une nouvelle résidence; il se peut qu’il soit incapable de déménager s’il le voulait ou s’il le fallait en raison de la servitude de passage et du projet de LAHT. Il est important pour lui de continuer à être capable de demeurer dans son logement, et ce, pour plusieurs raisons :

(i)                l’endroit où son logement est situé lui permet de vivre près des membres de sa famille, ce qui est important pour lui;

(ii)               il aime bien son logement et l’endroit où il est situé et il ne veut pas partir;

(iii)             au cours des 20 dernières années, lui et sa famille ont investi beaucoup de temps et d’argent dans l’amélioration et l’entretien du logement;

k)                              les autres membres de la Première Nation Piikani n’ont pas participé à la discussion quant à savoir si le projet de LAHT était dans l’intérêt supérieur des membres de la Première Nation Piikani et si leurs terres devraient être utilisés de cette façon;

l)                                tout autre aspect cerné à la suite d’un examen du projet de LAHT.

 

[13]           Les négociations entre AltaLink et le chef ainsi que le conseil de bande étaient bien avancées en 2004 lorsqu’un protocole d’entente, dans lequel on envisageait une coentreprise en ce qui concerne la nouvelle ligne de transport d’électricité sur les terres de la Première Nation Piikani, a été signé. Il convient de noter qu’à ce moment M. Provost était l’un des douze conseillers de la bande. Il avait été élu au début de l’année 2003 et il est resté en poste jusqu’en janvier 2007.

[14]           M. Provost affirme n’avoir jamais vu le protocole d’entente, que le conseil de bande était divisé et qu’il y avait eu un certain nombre de réunions secrètes auxquelles il n’avait pas été invité. M. Green convient qu’il y a eu quelques problèmes, mais il affirme qu’ils se sont produits plus tard pendant le mandat du conseil de bande lorsqu’un des conseillers est décédé et qu’un autre a démissionné, ce qui a fait en sorte qu’il était difficile d’obtenir le quorum nécessaire, soit sept conseillers. Selon M. Hodgkinson, qui ne s’est joint au conseil qu’en 2006, il y avait eu des problèmes au sein du conseil jusqu’à ce qu’un nouveau chef et un nouveau groupe de conseillers soient élus en 2007. Quoi qu’il en soit, M. Provost a admis dans son contre­interrogatoire que les discussions étaient plus avancées que ce qu’il avait affirmé dans ses premiers affidavits, dans lesquels il avait mentionné que les discussions qui avaient eu lieu durant son mandat étaient de nature préliminaire. En effet, il y avait des discussions à ce moment‑là entre AltaLink et Piikani Energy Corporation [la Société d’énergie Piikani], une filiale entièrement détenue par Piikani Investment Corporation [la Société d’investissement Piikani], laquelle était à son tour détenue par la bande. M. Provost était un administrateur de la Piikani Utilities Corporation [la Société des services publics Piikani], mais il semble n’avoir porté aucune attention à ce qui se passait. Il a affirmé que [traduction] « des choses m’ont échappées ».

[15]           En avril 2005, le conseil de bande a adopté une résolution approuvant une servitude de passage pour la ligne de transport d’électricité envisagée. M. Provost n’a pas participé à cette réunion et ne se souvient pas s’il a reçu l’avis concernant cette réunion, mais il souligne qu’aucun tracé particulier n’a alors été dessiné.

[16]           En août 2005, le chef a écrit à l’Alberta Energy and Utilities Board afin de confirmer que le conseil de bande avait approuvé un couloir terrestre à travers la réserve et qu’il s’opposait à tout autre tracé contournant la réserve. Encore une fois, M. Provost affirme ne pas avoir eu connaissance de cette lettre. On peut très bien comprendre le point de vue du chef. Même si les détails précis n’avaient pas encore été réglés, en retour de l’octroi d’une servitude de passage, la Première Nation Piikani recevrait une somme d’argent considérable payée d’avance et des paiements annuels; des emplois seraient créés et la Première Nation aurait l’occasion de s’associer à AltaLink dans une coentreprise.

[17]           Le 27 janvier 2006, le conseil de bande a adopté une résolution portant sur le mandat de Piikani Energy Corporation quant aux projets en matière d’énergie. En plus du préambule qui suit, mention était faite d’un certain nombre de résolutions antérieures adoptées par le conseil de bande et portant sur des projets d’hydroélectricité et de parcs aériens :

[traduction]

Attendu que, en vertu de leurs droits inhérents et des pouvoirs que la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑6, leur confère, le chef et le conseil de bande de la Première Nation Piikani sont habilités à prendre des décisions au nom de la Première Nation Piikani;

Il a été résolu que Piikani Energy Corporation avait l’autorisation :

[traduction]

[...] de prendre toutes les mesures nécessaires pour négocier et pour conclure une entente avec Altalink Management Limited, sous réserve de l’approbation du chef et du conseil sur l’accord visant la construction, l’exploitation et le financement de la ligne de transport d’électricité de 240 kV envisagée sur les terres de la Première Nation Piikani et la participation de la Première Nation Piikani en tant que copropriétaire de la ligne de transport d’électricité.

 

[18]           M. Provost a signé cette résolution.

[19]           Il semble que, ni au moment de la signature de la résolution, ni avant ce moment-là, ni même en aucun temps après la signature, M. Provost n’ait fait connaître quelque réserve que ce soit avant mars ou avril 2009. Lors de son contre­interrogatoire, il a affirmé qu’il n’avait pas contesté le projet de ligne de transport d’électricité à ce moment-là. Cependant, M. Provost devait savoir que le tracé définitif pourrait très bien passer près de son logement, car il y avait déjà une servitude de passage pour une ligne de transport d’électricité tout près de chez lui.

[20]           M. Provost a également admis qu’il était présent à une réunion du conseil de bande à laquelle avaient participé des représentants du MAINC en octobre 2006. Encore une fois, il n’a pas été préoccupé par le fait que la nouvelle ligne de transport serait beaucoup plus grosse que celle déjà en place et il ne connaissait aucun effet néfaste sur la santé pouvant être causé par les champs électromagnétiques. Il a affirmé qu’il avait eu l’impression que ce n’était ni le moment ni l’endroit pour soulever quelque objection que ce soit. Les objections ne devaient être soulevées qu’une fois que les négociations auraient été, pour ainsi dire, terminées.

[21]           Pendant plus de deux ans, à compter de la fin de son mandat jusqu’en mars 2009, M. Provost semble étonnement ne pas avoir été au courant que les discussions suivaient leur cours. En mars 2007, environ 600 avis annonçant qu’une réunion de la bande se tiendrait en avril ont été envoyés par la poste aux membres de la Première Nation Piikani qui demeuraient dans la réserve à moins de 800 mètres de la ligne de transport d’électricité envisagée. En outre, des dossiers d’information d’AltaLink ont été remis en mains propres. M. Provost nie avoir reçu le dossier d’information. Il affirme qu’il vivait dans le logement 4B. M. Journeault, employé d’AltaLink, de concert avec des membres de la bande, avait effectué la remise en mains propres des documents d’information. Sur la liste de M. Journeault, laquelle avait été préparée par la bande, le nom de M. Provost était écrit à côté de le logement 4A, et il y avait un point d’interrogation à côté de le logement 4B. M. Journeault avait coché 4A, ce qui voulait dire qu’il avait remis en mains propres le dossier d’information à quelqu’un à cette adresse. Il ne se souvient pas si cette personne était M. Provost.

[22]           M. Provost fait grand cas de l’annulation de la réunion de la bande prévue pour avril, mais, si l’on tient compte de son manque général d’intérêt, rien ne donne à penser qu’il était au courant qu’il devait y avoir une réunion.

[23]           Quelques mois plus tard, le conseil de bande a organisé une activité portes ouvertes où il y avait divers stands ainsi que de la documentation, et un des stands concernait le projet AltaLink.

[24]           À la suite de négociations auxquelles ont participé le conseil de bande, AltaLink et le MAINC, le conseil de bande a adopté une résolution dans laquelle il demandait au ministre d’octroyer à AltaLink un permis prévu à l’article 28.

[25]           En octobre 2007, un communiqué qui donnait beaucoup de détails sur le projet a été rédigé par le comité sur les ressources et diffusé sur la réserve. Encore une fois, M. Provost nie avoir eu connaissance de ce communiqué, et il soutient que, de toute façon, étant donné que le communiqué affirmait que les négociations se poursuivaient, il était encore trop tôt pour faire part de ses objections.

[26]           En outre, un avis public a été diffusé au sujet d’audiences tenues par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et l’Alberta Utilities Commission [la Commission des services publics de l’Alberta], qui ont toutes deux conclu qu’il n’y avait aucune preuve qu’il pourrait y avoir des effets néfastes sur la santé.

[27]           Selon M. Provost, durant la période entre janvier 2007 et le début de l’année 2009, il a eu quelques discussions avec d’autres membres de la bande au sujet du projet de LAHT. Leurs discussions portaient sur des conjectures quant au moment où le projet serait réalisé et sur le type d’emplois qu’il pourrait créer. Cependant, lorsqu’il a appris pendant l’une de ces discussions en mars 2009 que le projet allait de l’avant, il a communiqué avec des employés de la bande qui lui ont rapidement fourni une copie du permis, lequel avait déjà été enregistré.

 

L’OBLIGATION DU MINISTRE DE CONSULTER

[28]           Il n’est pas contesté, et, en fait, vu l’arrêt Bandes indiennes des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119, rendu par la Cour suprême du Canada, il pourrait difficilement être contesté que l’octroi de la servitude de passage pour une durée de 65 ans ou pour aussi longtemps que nécessaire, même si elle devait être renouvelée, était de nature temporaire; par conséquent, l’approbation qu’il fallait obtenir était celle prévue par le paragraphe 28(2) de la Loi. La Loi comprend un certain nombre de dispositions portant sur l’obtention d’un démembrement des terres d’une réserve à une personne qui ne fait pas partie de la bande. Le paragraphe 28(2) dispose que le conseil de bande doit donner son consentement. Le paragraphe 20(2), les articles 35, 37, 38, l’alinéa 53(1)b) et les paragraphes 58(1) et 58(3) portent également sur l’approbation. Certaines dispositions prévoient le vote des membres de la bande; par exemple, selon l’article 39, une cession à titre absolu de terres de la réserve doit être sanctionnée par la majorité des électeurs de la bande.

[29]           Il ne s’agit pas d’une affaire où le ministre avait été avisé d’un désaccord au sein de la bande ou bien d’une affaire où plus d’un groupe ou d’une personne affirme être le conseil de bande ou le chef de bande. La résolution a été adoptée à l’unanimité, et le ministre n’avait nullement l’obligation de lever le voile de la personnalité juridique, pour ainsi dire.

[30]           En l’espèce, suivant l’arrêt Opetchesaht, précité, le consentement collectif a été donné au moyen d’une résolution adoptée par le conseil de bande. La Cour d’appel de la Colombie­Britannique avait bien noté dans l’arrêt qu’elle avait rendu dans l’affaire Opetchesaht, (1994) 41 B.C.L.R. (2d) 145, paragraphe 30 (QL), que le paragraphe 28(2) reflète l’intention du Parlement d’élargir le pouvoir de gouvernement représentatif dans les activités de la bande.

[31]           Subsidiairement, si le ministre avait une obligation de consultation, il l’a respectée. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la juge L’Heureux­Dubé a dressé une liste non exhaustive de cinq facteurs visant à aider à déterminer la portée de l’obligation d’équité procédurale selon les circonstances particulières de chaque affaire. Les cinq facteurs se lisent comme suit :

a)      la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

b)      la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question;

c)      l’importance de la décision pour les personnes visées;

d)      les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

e)      les choix de procédure faits par l’organisme même.

[32]            La seule exigence procédurale était prévue par le paragraphe 28(2) de la Loi, et elle a été respectée par la résolution adoptée par le conseil de bande. Le régime de la Loi établit diverses mesures de protection. Le paragraphe 28(2) se situe clairement au bas de l’échelle. Rien ne donne à penser qu’il y avait des attentes légitimes. La prétention de M. Provost selon laquelle il devait être consulté n’a aucun fondement.

[33]           L’appartenance à un groupe, que ce soit à une bande ou en tant que résidant ou citoyen ordinaire, comporte des droits et des obligations. M. Provost a amplement eu l’occasion de faire connaître ses objections plusieurs années avant la délivrance du permis. En fait, le rapport d’évaluation environnementale dont il a été question ci­dessus portait sur certaines des objections qu’il avait exprimées. Nombre des objections de M. Provost se contredisent.

LA BANDE CONSTITUE­T­ELLE UN OFFICIE FÉDÉRAL?

[34]           Toutes les parties ont tenu pour acquis que le conseil de bande, lorsqu’il a adopté la résolution, avait pris sa décision en tant qu’office fédéral. Je conviens que le conseil de bande agissait suivant les pouvoirs qui lui avaient été conférés par la Loi. Cependant, il est important de garder à l’esprit que, de la liste de toutes les décisions qu’une bande est habilitée à prendre, toutes ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire (Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. c. Bande de Rat Portage no 38B, 2008 CF 812, [2009] 2 R.C.F. 267).

[35]           En tenant compte de ce contexte, j’ai examiné, puis rejeté, les allégations du conseil de bande, selon lequel il s’agissait d’une décision de nature législative prise sur le fondement général d’une politique d’intérêt public parce que les terres visées par le permis étaient utilisées à des fins d’intérêt public et que la Première Nation Piikani en recevrait un avantage économique. De nombreuses décisions de cette nature sont susceptibles de contrôle judiciaire.

 

L’OBLIGATION DE CONSULTATION DU CONSEIL DE BANDE

[36]           Je conclus que le chef et le conseil de bande n’avaient pas l’obligation légale de consulter M. Provost, et ce, même si cela aurait été sage d’un point de vue politique. Le chef et le conseil de bande sont élus et ils doivent toujours répondre de leurs actions lorsque les électeurs se rendent aux urnes. Le même raisonnement général qui m’a mené à la conclusion que le ministre n’avait aucune obligation de consultation s’applique également à la bande.

[37]           M. Provost n’avait certainement aucune attente légitime d’être consulté en qualité de membre ordinaire de la bande étant donné que l’une des résolutions qu’il avait signées en tant que conseiller de la bande mentionnait clairement que le chef et le conseil de bande étaient d’avis qu’ils parlaient au nom de la Première Nation.

[38]           Quoi qu’il en soit, M. Provost a eu toutes les chances de donner son opinion et il a choisi de ne pas le faire. La question de savoir s’il pensait qu’il était trop tôt pour donner son opinion lorsqu’il avait eu l’occasion de le faire n’est pas importante. Même si les derniers détails n’ont été décidés qu’en 2008, les grandes lignes de l’entente ont toujours été claires, et si le conseil de bande avait une obligation, il l’a respectée en organisant diverses réunions et en diffusant des communiqués.

M. PROVOST A­T­IL QUALITÉ POUR AGIR?

[39]           M. Provost a qualité pour agir et pour faire valoir les allégations particulières faites dans ses demandes. Il soutient qu’il y avait une obligation de consultation. Si une telle obligation de consultation avait existé, M. Provost aurait évidemment été « directement touché » par toute omission du ministre ou de la bande de le consulter. Il est important de noter que M. Provost n’allègue pas que la décision du conseil de bande d’appuyer le projet et que la décision du ministre de délivrer le permis étaient déraisonnables. Tout commentaire quant à savoir si M. Provost aurait eu qualité pour agir s’il avait présenté de telles allégations outrepasserait le cadre des présents contrôles judiciaires.

LA RÉPARATION DEVRAIT­ELLE ÊTRE ACCORDÉE?

[40]           Les recours éprouvés que sont les brefs de mandamus, de certiorari, de quo warranto et de prohibition ainsi que l’injonction, le jugement déclaratoire et les autres réparations mis en vrac dans les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, sont de nature discrétionnaire, ce qui cadre avec l’histoire des brefs de prérogative et des recours extraordinaires (Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, paragraphe 30 et suivants, et paragraphe 112).

[41]           S’il avait été le moindrement attentif, M. Provost aurait non seulement pu s’adresser au ministre et au conseil de bande, mais également à d’autres décideurs dont l’approbation était nécessaire pour que le projet aille de l’avant. Depuis le tout début, le projet a toujours eu les même grandes lignes : le tracé, l’indemnisation de la bande, la création d’emplois, les occasions d’affaires et les limites de temps. En fait, si le contrôle judiciaire était accordé, il se pourrait très bien que M. Provost en vienne à admettre que ses objections ne sont pas fondées.

[42]           « Il y a un moment pour tout [...]. Un temps pour se taire et un temps pour parler [...] » (l’Écclesiaste). M. Provost s’y est pris trop tard.


 

ORDONNANCE

 

            POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE :

1.                  les demandes de contrôles judiciaires sont rejetées, avec dépens;

2.                  une copie de la présente ordonnance et de ses motifs sera déposée dans le dossier de la cour no T­646­09.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T­645­09

 

INTITULÉ :                                                   Provost c. MAINC et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le 9 novembre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 26 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Janes

Barbara Harvey

 

POUR LE DEMANDEUR

Francis P. Durnford

POUR LE DÉFENDEUR LE MAINC

 

 

Andrew W. Carpenter

Gulu Punia

POUR LA DÉFENDERESSE ALTALINK MANAGEMENT LTD

 

 

Stephen Torscher

POUR LE DÉFENDEUR LE CONSEIL DE BANDE PIIKANI

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Janes Freedman Kyle Law Corporation

Victoria (Colombie­Britannique)

 

Miller Thomson SENCRL

Avocats

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous­procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR LE MAINC

 

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

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POUR LA DÉFENDERESSE ALTALINK MANAGEMENT LTD

 

 

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POUR LE DÉFENDEUR LE CONSEIL DE BANDE PIIKANI

 

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