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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20090914

Dossier : T‑1805‑08

Référence : 2009 CF 905

OTTAWA (Ontario), le 14 septembre 2009

En présence de l’honorable Louis S. Tannenbaum

 

 

ENTRE :

FERDOUS ULLAH SOHEL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi), visant le contrôle judiciaire de la décision rendue par une juge de la citoyenneté le 17 septembre 2008, décision par laquelle la juge a décidé que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de résidence établies à l’alinéa 5(1)c) de la Loi et qu’il n’avait pas déposé de document pour que la juge appuie une recommandation favorable pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi.

 

[2]               Le demandeur, M. Ferdous Ullah Sohel, est un citoyen du Bangladesh. Il est arrivé au Canada et s’est établi ici le 21 octobre 2003. Avant cette date, il avait obtenu une maîtrise en économie à l’Université de Houston et avait travaillé aux États­Unis en tant qu’analyste financier.

 

[3]               Le 24 octobre 2003, quelques jours après s’être établi au Canada, M. Sohel a épousé Imrana Islam. Selon la preuve contenue dans le dossier, l’épouse de M. Sohel est retournée à Houston, au Texas, aux États­Unis, où elle résidait et étudiait en informatique. L’épouse de M. Sohel s’est établie au Canada le 27 mai 2005, elle est restée ici quelques semaines et ensuite, elle est retournée aux États­Unis pour terminer ses études. Leur fille est née le 27 mars 2007 aux États­Unis où elle demeure avec sa mère.

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 13 novembre 2006. La période pertinente dont la juge a tenu compte dans son évaluation de la résidence allait du 21 octobre 2003 au 13 novembre 2006.

 

[5]               Au cours de la période de résidence pertinente (1 118 jours), le demandeur a déclaré 23 jours d’absence du Canada il lui restait, à première vue, 1 095 jours allégués de présence physique.

 

[6]               La juge de la citoyenneté a déclaré qu’elle n’était pas convaincue par les documents présentés par le demandeur à l’appui de sa résidence au Canada et elle a indiqué qu’elle doutait de la véracité des dates d’absence révélées par le demandeur. Elle a conclu qu’elle ne pouvait pas se fonder sur la preuve produite comme étant le reflet exact de toutes les absences du demandeur du Canada ni de sa résidence au pays pendant la période pertinente.

 

[7]               De plus, étant donné le manque de preuve étayant la demande du demandeur, la juge a conclu que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, suivant les paragraphes 5(1), 5(3), 5(4) de la Loi, n’était pas justifié.

 

La norme de contrôle

[8]               Lorsque la question en litige touche aux questions de fait ou aux questions de droit appliquées aux faits, la demande de contrôle judiciaire ne peut pas être accueillie si la décision contestée entre dans le cadre d’une évaluation raisonnable de ces faits. (Voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).

 

Critère quantitatif relatif à la résidence

[9]               Le juge de la citoyenneté dispose d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il décide comment il évalue et détermine la résidence du demandeur. La juge Eleanor R. Dawson explique ce pouvoir discrétionnaire de la façon suivante :

 

3     Le mot « résidence » n’est pas défini dans la Loi ni dans le Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93‑246. La Cour a en fait établi deux genres de critère de résidence, l’un quantitatif et l’autre qualitatif. Le premier critère oblige le demandeur à être effectivement présent au Canada durant un total de trois ans, calculé selon un comptage rigoureux de jours. Voir la décision Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122 (1re inst.). Le deuxième critère interprète la notion de résidence d’une manière plus contextuelle et plus souple, puisque le demandeur doit alors justifier de liens étroits avec le Canada ou avoir centralisé son mode d’existence au Canada. Voir les décisions Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), et Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.). Il est loisible au juge de la citoyenneté de choisir l’une de ces deux méthodes reconnues, et il appartient à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, de déterminer si le critère choisi a été validement appliqué. Voir la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 (1re inst.), au paragraphe 14.

4     En l’espèce, la juge de la citoyenneté a adopté le critère exposé dans la décision Pourghasemi. Ce constat est attesté par le fait qu’elle se réfère explicitement à la question en cause : [traduction] « Le demandeur a‑t‑il résidé au Canada durant les 1 095 jours requis, et les renseignements fournis sont‑ils crédibles? »

(Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 763).

 

 

 

[10]           En dépit de l’argument du demandeur selon lequel le critère utilisé était qualitatif, en l’espèce, comme cela ressort de la décision Chen, précitée, la juge de la citoyenneté a adopté le critère quantitatif lorsqu’elle a évalué la résidence de M. Sohel au Canada.

 

[11]           Il incombe à la personne qui sollicite la citoyenneté canadienne de produire une preuve adéquate pour établir qu’elle satisfait aux exigences de la Loi (Maharatnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), T‑668‑99, au paragraphe 5). Les déclarations faites dans une demande de citoyenneté ne doivent pas être prises au pied de la lettre. Voir : Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 284 (1re inst.), au paragraphe 27.

 

[12]           La juge de la citoyenneté a noté dans sa décision que le demandeur :

 

[traduction]

[…] n’a pas fourni de renseignements importants tels qu’une mise à jour du questionnaire sur la résidence ni l’immatriculation d’un véhicule contrairement à ce qu’on lui avait demandé de faire. Ce manquement, ainsi que les renseignements contradictoires fournis, m’amènent à remettre en cause la crédibilité de vos déclarations sur votre présence physique au Canada.

 

[…] Je ne crois pas que tous les éléments de vos observations orales et écrites forment un tout cohérent. Sur la base de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincue que, selon la prépondérance de la preuve, vous avez été physiquement présent au Canada pendant 1 095 jours au cours de la période soumise au contrôle.

 

J’ai basé ma décision sur l’absence de documents corroborants, sur votre défaut de fournir des renseignements cohérents et convaincants, comme je le disais plus tôt, et sur votre omission de fournir une preuve acceptable de résidence pendant la période pertinente. (Décision de la juge de la citoyenneté, dossier du demandeur, à la page 8.)

 

 

[13]           Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a noté plusieurs incohérences. En particulier, elle a noté que, dans son premier questionnaire sur la résidence (daté du 22 mai 2007), M. Sohel a déclaré que son épouse et sa fille vivaient au Canada respectivement depuis 2005 et 2007. Toutefois, dans sa déclaration officielle, il a déclaré que son épouse vivait [traduction] « plus ou moins sur une base continue aux États­Unis », au début en tant qu’étudiante et, par la suite munie d’un permis de travail. Cette incohérence existe aussi entre la déclaration officielle et les renseignements contenus dans les notes du SSOBL. De plus, le demandeur n’a pas présenté de mise à jour de son questionnaire sur la résidence confirmant le lieu où se trouvait sa famille, ce qu’on lui avait demandé de faire. La juge de la citoyenneté a aussi noté que M. Sohel n’était pas en mesure de fournir des renseignements convaincants ni de fournir une preuve de résidence acceptable au cours de la période pertinente – par conséquent, elle a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité.

 

[14]           Je conclus, comme l’a fait la juge de la citoyenneté, qu’il est assez difficile de croire que M. Sohel ne retournerait pas aux États­Unis à la suite de son établissement (voir le dossier du Tribunal, aux pages 199 à 202). Reconnaissant que les décisions des juges de la citoyenneté attirent un degré élevé de retenue, je crois, sur la base de la preuve qui m’a été présentée, que les motifs pour lesquels la juge de la citoyenneté a déclaré que M. Sohel ne s’était pas acquitté du fardeau qui pesait sur lui étaient compréhensibles et justifiés par la preuve. La décision est défendable en fait et en droit et, ainsi, elle appartient aux issues acceptables. La décision est donc raisonnable.

 

[15]           La juge de la citoyenneté a demandé des éléments de preuve supplémentaires dans le but de clarifier la résidence du demandeur au Canada (c.­à­d. la preuve d’un emploi au Canada, les documents d’immatriculation d’un véhicule, les reçus de bail). Le demandeur n’a pas fourni ces renseignements et, sur le fondement de la preuve contenue dans le dossier, on n’est pas en mesure d’établir clairement que le demandeur est resté au Canada pendant toute la période pertinente moins ses voyages au Bangladesh comme il l’a déclaré.

 

Conclusion

[16]           Sur le fondement de la preuve dont disposait la juge de la citoyenneté, il n’était pas déraisonnable qu’elle conclue qu’il y avait de graves doutes quant à la crédibilité et qu’elle doute de la véracité des renseignements contenus dans la demande de citoyenneté du demandeur.

 

[17]           Considérant la conclusion que j’ai tirée ci-dessus, il n’est pas nécessaire que j’examine les motifs supplémentaires soulevés par l’avocate du ministre dans sa lettre du 23 juillet 2009 et selon lesquels l’avis d’appel a été déposé en retard.

 

[18]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée sans dépens.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 


Jurisprudence consultée par la Cour

 

 

1.                  Ahmed c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 1067

2.                  Berk c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 1015

3.                  Canada (M.C.I.) c. Dhaliwal, 2008 CF 797

4.                  Chan c. Canada, [2002] A.C.F. no 376

5.                  Dieng c. Canada (M.C.I.), 2009 CF 217

6.                  El Fihri c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1106

7.                  Goudimenko c. Canada, [2002] A.C.F. no 581

8.                  Jreige c. Canada, [1999] A.C.F. no 1469

9.                  Lam c. Canada (M.C.I.) (1999), 164 F.T.R. 177

10.              Lama c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 461

11.              Pourzand c. Canada (M.C.I.), [2008] A.C.F. no 485

12.              Re Koo, [1992] A.C.F. no 1107

13.              Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.)

14.              Rizvi c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1641

15.              Wong c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 731

16.              Zhu c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 5

17.              Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056

18.              Haj-Kamali c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 102

19.              Seiffert c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1072


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                               T-1805-08

 

INTITULÉ :                                             Ferdous Ullah Sohel

                                                                  c.

                                                                  M.C.I.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 16 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                   le juge suppléant TANNENBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                            le 14 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

 

POUR LE DEMANDEUR

Eleanor Elstub

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mario D. Bellissimo

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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