Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090908

Dossier : T-1644-08

Référence : 2009 CF 876

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

SECTION LOCALE NO 31 DES TEAMSTERS

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et GRAY LINE OF VANCOUVER HOLDINGS LTD.

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire portant sur la réponse du 24 septembre 2008 de C. Armstrong, directeur du Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) pour la région du Pacifique Nord-Ouest (le directeur), qui a rejeté la demande d’appel de la demanderesse au sujet du critère de recevabilité de l’appel que celle-ci avait interjeté à l’encontre d’un avis de plainte non fondée, conformément au paragraphe 251.11(1) du Code canadien du travail L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code).

 

 

 

I.          Les faits

 

[2]               Le 14 novembre 2007 ou aux environs de cette date, Gray Line of Vancouver Holdings Ltd. (Gray Line), la défenderesse, a annoncé la cessation de ses activités à Vancouver à compter du 5 mars 2008. Le 4 février 2008, la section locale no 31 des Teamsters (le syndicat) a déposé une plainte fondée sur la Partie III du Code à l’égard de la cessation. Gray Line a reçu signification de la plainte le 27 février 2008.

 

[3]               Le 17 avril 2008, M. Stephane Novak, inspecteur au Programme du travail de RSDCC, a avisé la demanderesse de sa décision préliminaire portant que sa plainte était sans fondement. Le 21 avril 2008, la demanderesse a reçu copie de la décision préliminaire et a été avisée qu’elle avait 15 jours à compter de la signification pour soulever toute objection. Le 30 mai 2008, la demanderesse a présenté ses objections concernant la décision préliminaire.

 

[4]               Un avis de plainte non fondée (l’avis) a été donné par l’inspecteur le 19 juin 2008, et reçu par la demanderesse le 20 juin 2008. L’inspecteur y déclarait que, bien qu’il ait pris en considération les objections, il confirmait la décision préliminaire portant que la plainte était non fondée. La demanderesse a été avisée qu’elle avait 15 jours à compter de la signification pour interjeter appel.

 

 

[5]               La demanderesse a interjeté appel de la décision préliminaire de l’inspecteur le 11 juillet 2008, conformément au paragraphe 251.11(1) du Code. Le paragraphe 251.11(1) énonce ce qui suit :

 

251.11 (1) Toute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée peut, par écrit, interjeter appel de la décision de l’inspecteur auprès du ministre dans les quinze jours suivant la signification de l’ordre ou de sa copie, ou de l’avis.

 

251.11 (1) A person who is affected by a payment order or a notice of unfounded complaint may appeal the inspector’s decision to the Minister, in writing, within fifteen days after service of the order, the copy of the order, or the notice.

 

 

 

[6]               Le 31 juillet 2008, la demanderesse a été avisée par le directeur que la demande d’appel n’avait pas été reçue à l’intérieur du délai prescrit par le paragraphe 251.11(1) du Code, et était par conséquent irrecevable. La demanderesse a reçu copie de la décision du directeur le 5 août 2008.  

 

[7]               Le 12 août 2008, sans posséder le droit de faire réexaminer la décision du 31 juillet, la demanderesse a écrit directement au directeur pour lui présenter diverses observations à l’égard de la présentation en temps opportun de son appel. Le directeur a confirmé sa décision le 24 septembre 2008, et la demanderesse a reçu copie de la confirmation le 26 septembre 2008 ou aux alentours de cette date.

 

[8]               Le 23 octobre 2008, la demanderesse a introduit la présente demande de contrôle judiciaire portant sur la lettre datée du 24 septembre 2008.

 

 

II.        Question en litige

 

[9]               La défenderesse, Gray Line, s’oppose au présent contrôle judiciaire et prétend que la demande de la demanderesse n’a pas été présentée en temps opportun, puisqu’elle n’a pas été déposée dans les 30 jours suivant la décision du directeur. Elle ne devrait donc pas être examinée par la Cour.

 

[10]           Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire a été présentée après l’expiration du délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales (la Loi) et qu’elle ne satisfait pas aux principes régissant les demandes de prorogation de délai, en supposant qu’une telle demande ait été faite. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les deux points soulèvent des questions de droit.

 

III.       Analyse

 

[11]           Comme il est énoncé au paragraphe 18.1(2) de la Loi, les demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale :

18.1 (2) […] sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

18.1 (2) (…) shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

[12]           Le paragraphe 18.1(2) de la Loi indique clairement qu’une partie demandant le contrôle judiciaire doit le faire dans les trente jours qui suivent la première communication de la décision. Dans l’affaire qui nous occupe, la demanderesse a reçu copie de la décision du directeur le 5 août 2008. Le paragraphe 251.12(6) du Code énonce clairement que « les ordonnances de l’arbitre sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires ». Par conséquent, le délai de 30 jours débute le 5 août 2008, soit la date de la décision du directeur.

 

[13]           Au lieu de demander le contrôle judiciaire à l’intérieur du délai permis, la demanderesse a présenté au directeur des observations pour l’amener à réexaminer sa décision finale. Les défendeurs n’ont pas été informés de l’échange de courrier entre la demanderesse et le Programme du travail, de sorte que Gray Line a par conséquent fermé ses dossiers, puisque le délai pour déposer toute autre procédure judiciaire était expiré.

 

[14]           En réévaluant la décision prise dans sa lettre datée du 24 septembre 2008, le directeur a agi malgré le fait qu’il était dépouillé de sa fonction, puisque le Code énonce clairement que la décision du 31 juillet 2008 qui rejetait la demande d’appel était finale. La confirmation reçue par la demanderesse le 26 septembre 2008 n’a aucun effet sur le calcul du délai.

 

[15]           La décision du directeur a été communiquée pour la première fois à la demanderesse le 5 août 2008. Compte tenu de ces circonstances, la demanderesse aurait dû présenter sa demande de contrôle judiciaire au plus tard le 4 septembre 2008. En présentant sa demande le 23 octobre 2008, celle‑ci dépassait clairement le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi.

 

[16]           Dans l’arrêt Provost c. Canada (Ministre du Travail) [2000] A.C.F. no 222, au paragraphe 7, la Cour d’appel fédérale a exprimé des doutes à propos de permettre aux parties de demander le contrôle judiciaire en dernier recours. La Cour a conclu ce qui suit :

Dans ces circonstances, le comportement des appelants n'indique pas de leur part une inhabilité ou une incapacité de présenter une demande de contrôle judiciaire, mais plutôt le désir de poursuivre d'autres avenues qu'ils estimaient alors préférables et plus prometteuses.

 

 

Le juge Létourneau a par la suite rejeté la demande de contrôle judiciaire, parce que les appelants avaient pris plus de 7 mois avant d’intenter l’action. Dans l’affaire qui nous concerne, la demanderesse aurait dû demander le contrôle judiciaire, sans attendre de présenter de nouvelles observations concernant la présentation en temps opportun de son appel. De plus, la demanderesse n’a aucunement indiqué qu’elle était dans l’impossibilité de présenter la demande dans le délai imparti.

 

Prorogation du délai 

 

[17]           La conclusion exposée ci-dessus clôt le dossier. Cependant, bien qu’une prorogation du délai n’ait pas été demandée, il est approprié de faire quelques commentaires sur cette question compte tenu des circonstances.

 

[18]           Le paragraphe 18.1(2) de la Loi permet à la Cour fédérale de proroger ou de raccourcir le délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Au fil des ans, les tribunaux ont développé certains principes afin de trancher une demande de prorogation de délai. Au paragraphe 34 de la décision Bande indienne Metlakatla c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 782, le juge Lemieux résume les facteurs dont il faut tenir compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Ces facteurs figurent dans James Richardson International Ltd. c. Canada, 2006 CAF 180, aux paragraphes 33 à 35 :

Ces facteurs sont les suivants : (1) l'intention constante de déposer la demande, (2) l'absence de préjudice pour la partie adverse, (3) le motif du délai, (4) le bien-fondé de la demande, à savoir si elle repose sur des arguments défendables (ci-après le critère en quatre volets), et (5) tous les autres facteurs pertinents propres à l'affaire.

 

[19]           Même si la demanderesse n’a pas demandé la prorogation du délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi dans ses procédures, nous croyons qu’elle n’aurait pas été accordée, puisqu’elle n’aurait pas respecté le quatrième facteur exposé ci-dessus. Dans Bande indienne Metlakatla, précitée, le juge Lemieux clarifie le critère à quatre volets;

[…] l'existence d'arguments défendables, le motif du délai et l'absence de préjudice pour la partie adverse, constitue un moyen de garantir l'accomplissement du critère principal, celui de faire en sorte que justice soit rendue entre les parties.

 

 

Les arguments présentés par la demanderesse ne sont manifestement pas défendables, pour les motifs exposés dans les paragraphes qui suivent. En l’espèce, le délai n’a pas été respecté et aucune explication raisonnable n’a été fournie par le demandeur. De plus, Gray Line a subi un préjudice, puisqu’elle n’a jamais reçu la correspondance entre la demanderesse et le Programme du travail, et qu’elle a subséquemment fermé ses dossiers. Nous ne croyons donc pas que la demanderesse ait établi le bien-fondé de sa demande.

 

[20]           De plus, la demanderesse réfute la décision rendue le 5 août 2008 par le directeur, en raison du critère de recevabilité énoncé aux paragraphes 251.11(1) et 251.1(3) du Code. Cependant, l’avis de plainte non fondée a été reçu par la demanderesse le 20 juin 2008. Le délai pour interjeter appel a donc expiré le 9 juillet 2008, selon le paragraphe 251.11(1) du Code. La demande d’appel a été déposée le 11 juillet 2008, après l’expiration du délai, et a été rejetée à bon droit. Il n’existe pas d’arguments défendables sur ce motif en l’espèce.

 

[21]           Il a été affirmé dans l’arrêt Ministre du Développement des Ressources Humaines c. Hogervrost, [2007] A.C.F. no 37, 2007 CAF 41, au paragraphe 33 : « Il s’ensuit qu’une prorogation de délai peut être accordée même si l’un des volets du critère n’est pas respecté. » Ayant examiné tous les critères qui pourraient justifier une prorogation du délai, et en supposant que la demanderesse serait capable de faire valoir un motif raisonnable pour expliquer le délai, elle n’a manifestement pas satisfait aux autres critères, et il y a amplement de motifs de ne pas accorder une prorogation du délai.

 

 

Conclusion

[22]           Étant donné les commentaires qui précèdent, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse, parce que la Cour ne l’a pas reçue dans le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi.

 

Dépens

[23]           Les dépens seront accordés à Gray Line, qui a invoqué avec succès l’argument fondé sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi. Le procureur général ne l’a pas fait.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

-         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

-         La décision de l’arbitre datée du 5 août 2008 est maintenue.

-         Les dépens sont accordés à Gray Line of Vancouver Holdings Ltd.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1644-08

 

INTITULÉ :                                       LA SECTION LOCALE NO 31 DES TEAMSTERS c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                                            GRAY LINE OF VANCOUVER HOLDINGS LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 août 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 8 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karlene Bateman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ward Bansley

Geoffrey J. Litherland

 

POUR LE DÉFENDEUR (PGC)

POUR LA DÉFENDERESSE (Gray Line Of Vancouver Holdings Ltd.)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Karlene Bateman

Vancouver

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ward Bansley

Vancouver

 

Harris & Company LLP

Vancouver

POUR LE DÉFENDEUR (PGC)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (Gray Line of Vancouver Holdings Ltd.)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.