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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090917

Dossier : T-462-09

Référence : 2009 CF 930

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

CONSEIL TRIBAL DE NUU-CHAH-NULTH

demandeur

et

 

ERIC SAYERS

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, une société enregistrée en Colombie-Britannique, sollicite le contrôle judiciaire de la décision préliminaire en matière de compétence, datée du 27 février 2009 (la décision), qu’a rendue Bruce Greyell, c.r, arbitre, dans une affaire intéressant un arbitrage régi par la section XIV, partie III du Code canadien du travail (L.R., 1985, ch. L-2) (le Code). Il souhaite que la Cour annule cette décision au motif que l’arbitre n’avait pas compétence pour entendre l’appel. Cette dernière, soutient-il, est régie par les lois provinciales, et non par le Code. Par ailleurs, allègue-t-il, le défendeur n’a pas été congédié; ce sont plutôt ses contrats de travail qui ont pris fin.

 

I.          Les faits

 

[2]               Le demandeur, le Conseil tribal de Nuu-Chah-Nulth (CTN), est une société enregistrée en Colombie-Britannique et il est constitué de quatorze bandes indiennes. Le CTN a pour mandat de créer des programmes et des services ainsi que d’administrer pour ses membres les fonds fédéraux qu’il reçoit. Le Nuu-Chah-Nulth Community and Human Services Program (CHSP) est l’un des programmes que le CTN a créés.

 

[3]               Le défendeur, Eric Sayers, a conclu avec le CTN deux contrats de courte durée, fixes et distincts en vue de la prestation de deux types de services dans le cadre du CHSP : des services de consultation et de soutien en cas d’urgence contre la tuberculose (les services de consultation anti-tuberculose) et des services de consultation clinique. Les deux étaient financés par le gouvernement fédéral. M. Sayers a fourni ces services sur les réserves des bandes indiennes membres du CTN, à des Indiens inscrits membres de ces bandes.

 

[4]               Le contrat relatif aux services de consultation clinique portait sur la période du 1er avril au 31 septembre [sic] 2007, mais il était daté du 26 avril 2007. Entre le 25 octobre 1999 et le 31 mars 2007, on a aussi retenu les services de M. Sayers pour fournir ces services.

 

[5]               Le contrat des services de consultation anti-tuberculose a été en vigueur du 8 juin 2007 au 31 septembre [sic] 2007, soit en même temps que le contrat relatif aux services de consultation clinique. Lui aussi était daté de quelques semaines après le début des services : le 19 juin 2007. Il s’agissait du seul et unique contrat conclu par M. Sayers pour la prestation de services de consultation anti-tuberculose.

 

[6]               Par une lettre datée du 25 septembre 2007, le CTN a avisé M. Sayers qu’aucun des deux contrats ne serait renouvelé.

 

[7]               Après avoir reçu cette lettre, M. Sayers a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu du paragraphe 240(1) du Code. L’arbitre Bruce Greyell, c.r. a été désigné en vertu de la section XIV, partie III du Code pour régler l’affaire. Le CTN a contesté la compétence sur l’affaire. Dans sa décision préliminaire du 27 février 2009, l’arbitre a conclu qu’il était compétent.

 

II.        Les points en litige

 

[8]               Le demandeur soulève les questions suivantes :

a.       L’arbitre désigné en vertu du Code était-il compétent pour tenir une audience?

b.      Le plaignant a-t-il été congédié, ou les contrats ont-ils seulement pris fin?

 

III.       Analyse

 

[9]               Le droit constitutionnel prescrit que les relations de travail relèvent de la compétence des législatures. Ces relations relèvent de « la propriété et les droits civils », soit le paragraphe 92(13) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (l’Acte de l’A.N.B.), un pouvoir provincial. Voir la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 et 31 Victoria, ch. 3 (la Loi constitutionnelle) et Four B Manufacturing Ltd. c. Travailleurs unis du vêtement, [1980] 1 R.C.S. 1031, à la page 1045 (l’arrêt Four B). Cependant, le législateur est habilité à réglementer les relations de travail lorsqu’elles font partie intégrante d’un domaine de compétence fédéral ou qu’elles sont nécessairement accessoires à ce dernier. Voir Validity and Applicability of the Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529, à la page 564.

 

[10]           Le gouvernement fédéral exerce une compétence législative exclusive sur les Indiens. En particulier, le paragraphe 91(24) de l’Acte de l’A.N.B. précise que :

91. […] l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

 

[…]

24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.

91. (…) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,

(…)

24. Indians, and Lands reserved for the Indians

 

 

Il est nécessaire d’appliquer l’article 91 qui précède aux faits de l’espèce afin de déterminer si les relations de travail sont exceptionnellement une question de compétence fédérale.

 

[11]           Comme preuve de la compétence législative exclusive qui est exercée sur les Indiens, le législateur a adopté la Loi sur les Indiens (L.R.C., 1985, ch. I-5), la Loi sur la taxe sur les produits et services des Premières nations (L.C. 2003, ch. 15, art. 67) et la Loi sur le développement commercial et industriel des Premières nations (L.C. 2005, ch. 53), pour n’en nommer que quelques-unes.

 

Le critère fonctionnel

 

[12]           Pour évaluer si les relations de travail décrites dans les faits dont il est question en l’espèce font partie intégrante ou non d’une compétence exercée sur les Indiens, il est nécessaire d’appliquer le critère fonctionnel. Voir l’arrêt Four B, précité, à la page 1047.

 

[13]           Le critère fonctionnel oblige à évaluer la nature des activités du CTN. Plus précisément, il faut examiner les activités normales ou habituelles de l’organisation dans son ensemble, en prenant soin de ne pas mettre l’accent sur les activités exceptionnelles. Voir Construction Montcalm Inc. c. La Commission du salaire minimum [1979] 1 R.C.S. 754, aux pages 769, 775 et 776 (l’arrêt Construction Montcalm).

 

[14]           Dans l’arrêt Construction Montcalm, il était question d’une contestation en matière de compétence sur des salaires. L’appelante construisait des routes sur le territoire de la province ainsi que sur des terres fédérales. Dans cette affaire, l’application du critère fonctionnel a révélé que la nature des biens et des services était de compétence provinciale. La construction de routes sur des terres fédérales a été considérée comme une activité exceptionnelle et non habituelle.

 

[15]           Il convient de faire une distinction entre la présente affaire et l’arrêt Construction Montcalm. Le CTN est une organisation indienne qui est constituée en société sous le régime d’une loi provinciale et qui offre des programmes sociaux, sanitaires et administratifs à quatorze bandes indiennes au profit de ces collectivités. Les services que fournit le CHSP sont à l’avantage et pour le bien-être de collectivités indiennes. Ces collectivités ont des besoins précis, conformément à leur histoire et à leurs objectifs communautaires particuliers.

 

[16]           Les relations de travail du CHSP ne sont pas nécessairement définies au sein de la compétence qu’exerce le gouvernement fédéral. Cependant, pour déterminer si ces relations de travail sont de compétence provinciale ou fédérale, il convient de recourir à l’approche factuelle, comme il est mentionné dans l’arrêt Four B.

 

[17]           L’approche factuelle est une analyse en deux étapes. La première consiste à déterminer si les faits dénotent ou non l’existence d’une « entreprise fédérale principale » et, dans l’affirmative, la mesure dans laquelle cette dernière a une incidence sur les services fournis. La seconde oblige à analyser la relation qui existe entre les services en question, des services de santé mentale en l’occurrence, et l’entreprise fédérale principale. Voir l’arrêt Northern Telecom Ltd. c. Travailleurs en communication [1980] 1 R.C.S. 115, au paragraphe 33 et l’arrêt Four B, précité, à la page 1047.

 

[18]           Cet exercice oblige à  analyser en détail les services qui sont en jeu, en tenant compte de l’objet de l’organisation dans son ensemble. Si les services sont liés à la notion d’« indianité » qui réside au cœur du paragraphe 91(24), ils se situent à juste titre dans l’entreprise fédérale principale. Dans l’arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique [1997] 3 R.C.S. 1010, la juge en chef Lamer explicite la notion d’« indianité » au paragraphe 178 :

Pour des raisons que je vais exposer, l’essentiel de l’indianité englobe les droits ancestraux, y compris les droits reconnus et confirmés par le par. 35(1). Les lois censées éteindre ces droits portent donc atteinte à l’essentiel de l’indianité qui est au cœur du par. 91(24), et elles outrepassent la compétence législative des provinces. L’essentiel de l’indianité englobe toute la gamme des droits ancestraux protégés par le par. 35(1). Ces droits comprennent les droits se rapportant à un territoire; cette partie de l’essentiel de l’indianité découle de la référence aux « terres réservées aux Indiens » au par. 91(24). Cependant, ces droits comprennent également les coutumes, pratiques et traditions qui ne se rattachent pas à un territoire; cette partie de l’essentiel de l’indianité découle de la compétence du fédéral à l’égard des « Indiens ». Il est interdit aux gouvernements provinciaux de faire des lois portant sur ces deux types de droits ancestraux.

 

 

Voir aussi l’arrêt Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] CSC 31; [2002] 2 R.C.S. 146, au paragraphe 56. Pour les besoins du critère fonctionnel, il faut d’abord déterminer si le CTN est bel et bien une « entreprise fédérale principale ». Le second volet du critère oblige à déterminer si les services de consultation critiques et les services anti-tuberculose peuvent être catégorisés comme faisant partie de la notion d’« indianité » ou non. Si oui, ces services se situent dans l’« entreprise fédérale principale ».

 

En tant qu’organisme, le CTN est-il une « entreprise fédérale principale »?

[19]           L’arbitre a conclu que le CTN, en établissant les programmes de services de santé mentale, a assumé une fonction qui était : [traduction] « directement liée à l’“indianité” et donc au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle ». Voir la décision préliminaire de l’arbitre, à la page 24.

 

[20]           Dans ses observations tant écrites qu’orales, le demandeur a admis que la fonction qu’exerce le CTN en créant des programmes et en administrant des fonds pour les bandes qui en sont membres relève peut-être bien de la compétence fédérale. Cependant, il ne souscrit pas à la conclusion de l’arbitre selon laquelle les relations de travail associées au programme de services de santé mentale relèvent de la compétence fédérale. Il soutient qu’une fois que le CTN a réparti les fonds entre ses divers programmes, il n’exécute pas une fonction qui fait partie intégrante de la notion d’« indianité ». Il embauche des employés à contrat dans le but de faire fonctionner les différents programmes.

 

[21]           Pour ce qui est de cette question de droit, je souscris à la conclusion de l’arbitre selon laquelle le CTN fournit des services qui sont liés à la notion d’« indianité ». Il ressort de la preuve que les éléments essentiels du CTN, ses objectifs et sa mission, relativement au contexte historique, constituent une entreprise fédérale principale.

 

[22]           En 1958, les nations ou tribus indiennes vivant sur une bande de 300 kilomètres, le long de la côte Pacifique de l’île de Vancouver, ont formé la West Coast Allied Tribes. Le 14 août 1973, cet organisme a été constitué à l’échelon provincial à titre de société à but non lucratif sous le nom suivant : « The West Coast District Society of Indian Chiefs ». Le 2 avril 1979, ce nom a été changé pour le « Nuu-Chah-Nulth Tribal Council » (NTC) (ou Conseil tribal de Nuu-Chah-Nulth [CTN]). Les membres du CTN sont les chefs et les conseils des quatorze bandes indiennes. Le CTN est géré par des administrateurs, qui sont des conseillers en chef représentant chacune des bandes.

 

[23]           Le CTN exécute de nombreuses fonctions que l’on associe habituellement au gouvernement. Il fournit dans la collectivité un grand nombre des services qu’offrait autrefois le gouvernement fédéral. Il est mandaté pour créer directement des programmes destinés à octroyer et à administrer des fonds qui s’appliquent à un vaste éventail de services gouvernementaux, dont l’éducation, le développement communautaire, l’infrastructure communautaire, les services de soins de santé, les pêches, le bien-être à l’enfance, le développement économique, l’inscription des membres, la négociation de traités et l’aide aux élèves des pensionnats. Les services sont fournis à 8 000 membres inscrits, ainsi qu’à 2 000 personnes vivant en dehors des réserves.

 

[24]           La vision du CTN est celle d’un gouvernement autonome qui favorise l’existence de collectivités solides et saines, guidées par le créateur et les chefs héréditaires. À cette fin, le CTN fournit une aide sociale, économique, politique et technique équitable aux bandes indiennes qui en sont membres.

 

[25]           Sa mission consiste à réaliser le plein potentiel spirituel, mental, affectif et physique de ses membres, de manière à ce que les familles puissent à nouveau assumer l’entière responsabilité du bien-être de tous les membres et de toutes les collectivités et, ainsi, vivre sainement et s’autogouverner. Sa mission d’autogouvernement dénote une volonté d’assumer la totalité de sa compétence et de ses pouvoirs au profit de tous.

 

[26]           Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle donne compétence au gouvernement fédéral sur les Indiens et sur les terres qui leur sont réservées. Étant donné qu’il assume des responsabilités et des services au profit des Indiens, le CTN relève clairement de la compétence fédérale. Même s’il s’agit d’une société provinciale enregistrée, le gouvernement provincial n’est pas en cause, relativement à la structure de gestion du CTN.

 

[27]           La vision et la mission de l’organisme dénotent qu’il est suffisamment lié aux Indiens et, de ce fait, les gestes qu’il pose témoignent qu’il constitue une entreprise fédérale principale.

 

Les services de santé mentale sont-ils liés à l’entreprise fédérale principale?

[28]           Après avoir conclu que le CTN constitue une entreprise fédérale principale, il faut ensuite passer à la seconde étape : les programmes de santé mentale sont-ils liés à un élément essentiel de l’« indianité »? Si oui, sont-ils suffisamment liés à l’entreprise fédérale principale du CTN pour relever de la compétence du gouvernement fédéral?

 

[29]           Les programmes de santé mentale sont conçus pour soutenir les collectivités des quatorze bandes indiennes qui sont membres du CTN. Les services de consultation clinique et les services de consultation anti-tuberculose constituent des éléments des programmes de santé mentale.

 

[30]           Les programmes de consultation en santé mentale ont été créés par le CTN au moyen d’ententes de financement conclues avec Santé Canada, entre 1999 et 2007. Le programme des services de consultation anti-tuberculose a lui aussi obtenu des fonds fédéraux, mais il n’a existé qu’entre le mois de juin 2007 et la fin du mois de septembre 2007.

 

[31]           Le défendeur, qui appartient à l’une des quatorze bandes indiennes membres du CTN, a été chargé par contrat de fournir des services de consultation en rapport avec ces deux programmes. Ces services ont été fournis dans les réserves aux membres des bandes indiennes.

 

[32]           Entre les mois de septembre 1997 et de juin 1999, le CTN a financé un programme d’obtention d’un diplôme en consultation clinique au collège Malaspina. Le défendeur faisait partie des treize élèves inscrits à ce programme. Son premier contrat de services de consultation clinique auprès du CTN a débuté le 25 octobre 1999.

 

[33]           Un certain nombre de décisions ont été étudiées en vue de justifier la conclusion selon laquelle les activités menées, du fait de leur emplacement, étaient de compétence provinciale. Ces décisions avaient trait à une usine de fabrication de chaussures dans une réserve, la construction d’une piste d’atterrissage auprès d’un aéroport, une entreprise de construction exploitant ses activités dans une réserve et un exploitant ferroviaire diversifiant ses activités dans le secteur hôtelier. Voir les arrêts Four B, Construction Montcalm et Re Canadian Pacific Railway [1948] R.C.S. 373. En revanche, dans la décision Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449, le juge Rothstein déclare ce qui suit, au paragraphe 14 :

Le fait que le centre de réadaptation est organisé et exploité principalement au profit des Indiens et entièrement dirigé par eux, que ses installations et les services qu’il offre sont conçus à l’intention des Indiens, que son personnel est spécialement entraîné dans le cadre du PNLAADA et initié aux us et coutumes des Premières Nations, et que le programme de réadaptation et d’études et le matériel de cours sont eux aussi conçus à l’intention des Indiens, tout cela dénote la quiddité indienne du centre et ses liens avec les Indiens.

 

Cette décision est des plus pertinentes, car de nombreux critères sont semblables à ceux dont il est question en l’espèce.

 

[34]           Les programmes du CTN sont à distinguer de ceux dont il est question dans les arrêts NIL/TU,O Child and Family Services Society c. British Columbia Government and Service Employees’ Union [2008] B.C.J. no 1611 (NIL/TU,O) et Native Child and Family Services of Toronto c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier [2008] A.C.F. no 1497 (Native Child). Je signale que ces deux arrêts sont actuellement en appel devant la Cour suprême du Canada.

 

[35]           Dans l’affaire NIL/TU,O, les services de l’appelante étaient fournis aux enfants d’Indiens inscrits vivant dans des réserves. Cette décision ne peut pas être appliquée à la présente espèce. Comme l’a fait remarquer l’arbitre dans sa décision préliminaire, la mission et le mandat de NIL/TU,O étaient axés sur les enfants en vertu de la loi provinciale intitulée Child, Family and Community Service Act, R.S.B.C. 1996, ch. 46. Le CTN ne fournit pas de services, par l’entremise du programme de santé mentale ou autrement, à un groupe particulier, mais à n’importe quelle personne appartenant à une catégorie précise d’Indiens ayant besoin de ce genre de services dans les différentes collectivités. Dans l’arrêt NIL/TU,O, le fait que l’on applique la loi provinciale fait pencher cet organisme en grande partie vers la législature provinciale. Ce n’est pas le cas du programme de santé mentale dont il est question en l’espèce.

 

[36]           Dans l’arrêt connexe Native Child, l’appelante avait pour clientèle les membres des Premières nations à Toronto, par opposition à ceux qui vivaient dans leurs réserves respectives. Comme dans l’arrêt NIL/TU,O, précité, l’organisme Native Child était régi par une loi provinciale, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. 11. Par opposition à la présente espèce, le gouvernement fédéral n’avait jamais pris part au programme et aucune bande n’avait participé officiellement à la gouvernance de l’organisme.

 

[37]           L’identité des membres et les décideurs du CTN, l’histoire du CTN, de même que sa vision, sa mission et ses objectifs constituent ensemble des facteurs qui font tendre les services de santé mentale vers la notion d’« indianité ». Les programmes de santé mentale sont choisis, approuvés, annoncés et offerts par le CTN. Ils sont fournis aux membres des collectivités indiennes, sur leurs terres, en vue d’améliorer leur état de santé et leur bien-être. Ils font partie d’autres programmes que le CTN a jugés nécessaires. Les programmes de santé mentale fournissent des services qui, au départ, étaient offerts par le gouvernement fédéral. Ce dernier continue de fournir des fonds, en partie pour préserver l’existence de ces services. Même si l’origine des fonds n’est pas concluante, il s’agit d’un facteur pertinent à prendre en considération.

 

[38]           Les services de consultation anti-tuberculose n’ont pas duré aussi longtemps que les services de consultation clinique. Néanmoins, les mêmes facteurs, soit le groupe ciblé, de pair avec la nature du CTN, me convainquent qu’il s’agit aussi de services qui tendent vers la notion d’« indianité ». Je conclus que les deux types de services de consultation s’inscrivent dans les paramètres de la notion d’« indianité » et qu’ils sont, dans ce contexte, essentiels à la vision et à la mission du CTN. Ils sont étroitement liés à l’entreprise fédérale principale, comme il est prescrit au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle.

 

[39]           Les relations de travail sont, en théorie, une question de compétence provinciale (paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle), mais elles peuvent relever, à titre exceptionnel, de la compétence fédérale. Je conclus que, pour la conceptualisation, le choix, la promotion et l’exécution de ces programmes, les relations de travail sont de compétence fédérale. De ce fait, le Code canadien du travail s’applique à la présente affaire. Soit dit en passant, il est intéressant aussi de noter que, dans sa propre politique en matière de ressources humaines, le CTN considère qu’il est soumis à la compétence du Code canadien du travail : [traduction] « […] et les autres règlements gouvernementaux applicables ».

 

Le défendeur a-t-il été congédié, ou les contrats ont-ils simplement pris fin?

[40]           La seconde question ayant une incidence sur la compétence est celle de savoir si le défendeur a été congédié ou non. Le demandeur soutient que le contrat de travail a tout simplement expiré. Le Code prescrit, à la partie III, section XIV, ce qui suit :

 

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si  :

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

 

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

 

 

Le demandeur soutient que le contrat de travail a simplement expiré. Si c’est le cas, il n’y a pas de question de relations de travail à soumettre à l’arbitre, et le Code canadien du travail ne s’applique pas en l’espèce.

 

[41]           Comme il a déjà été mentionné, le défendeur a été embauché par le CTN en vertu de deux lettres d’entente (l’une sur les services de consultation clinique et l’autre sur les services de consultation anti-tuberculose) (les contrats). Les deux contrats ont pris fin le 31 septembre [sic] 2007. Le contrat relatif aux services de consultation clinique était le dernier d’une série de contrats qui avait commencé à l’automne de 1999. Ces contrats ont été renouvelés à seize reprises au fil des ans. Le contrat relatif aux services de consultation anti-tuberculose a toutefois porté sur la période du 8 juin au 31 septembre [sic] 2007.

 

[42]           Par une lettre datée du 25 septembre 2007, le CTN a avisé le défendeur qu’aucun des deux contrats ne serait renouvelé.

 

[43]           Le demandeur suggère fortement que la Cour reconnaisse que la date finale des contrats (le 31 septembre [sic] 2007) est une preuve concluante que le défendeur n’a pas été congédié.

 

[44]           Les motifs de l’arbitre sont les suivants :

-                     au fil des seize ententes consécutives concernant les services de consultation clinique, et s’étendant sur une période de neuf ans (à l’exception de deux ententes pour lesquelles des prolongations écrites ont été signées), toutes les nouvelles ententes ont été signées par les parties à une date ultérieure, après la fin de la durée précédente. Le défendeur a été rémunéré en vertu des conditions de l’ancienne entente et aucune prolongation de durée n’a été prévue;

-                     le CTN a continué d’employer le défendeur sans interruption durant neuf ans, indépendamment du libellé des ententes et il [traduction] « […] serait maintenant injuste et inéquitable de permettre au CTN d’invoquer la clause de résiliation figurant dans les ententes ». Il a donc été conclu que le défendeur était un employé permanent, et la cessation de son emploi devait faire l’objet d’un préavis.

 

[45]           La teneur caractéristique des contrats comportait les éléments suivants :

-                     ils définissaient les conditions relatives aux services à fournir;

-                     ils définissaient les services et leurs bénéficiaires;

-                     ils définissaient en termes clairs la durée des services et mentionnaient que ces derniers ne pouvaient être prolongés qu’après obtention d’une autorisation écrite et que chaque partie pouvait résilier le contrat moyennant un préavis de 30 jours;

-                     ils comportaient des directives administratives, telles que la supervision, la couverture d’assurance, les montants à payer, les taux de rémunération, le mode de paiement, etc.;

-                     ils prescrivaient comment faire part d’informations au CTN.

 

[46]           L’arbitre a souligné que la plupart des seize contrats ont été signés par les parties après la date de leur entrée en vigueur. Il en a déduit que les parties donnaient un effet rétroactif à chaque contrat. Il a vu en cela une prorogation du contrat précédent. Je ne suis pas d’accord. Pour pouvoir proroger les contrats, les parties devaient signer au préalable une autorisation écrite. Elles ne l’ont pas fait. Par conséquent, les parties se fondaient sur le nouveau contrat pour justifier les paiements relatifs à la période écoulée entre la date d’entrée en vigueur et la date de signature. Je ne considère pas que cela créerait une situation différente de celle que prévoyaient les contrats.

 

[47]           Il semble d’après la preuve que, tout au long des années, chaque contrat comportait une date d’expiration précise. Les parties ont clairement exprimé l’intention que la période d’emploi devait être fixe. Même si la plupart des contrats ont été signés après la date de prise d’effet de l’emploi, il ne s’agit pas, selon moi, d’une indication que les parties envisageaient que la date d’expiration n’ait aucun effet juridique. Le fait qu’elles aient signé certains de leurs contrats après la date d’entrée en vigueur montre que leur intention était d’assurer la légalité de l’emploi pendant la durée entière du contrat.

 

[48]           L’expiration d’un contrat à durée fixe et bilatéral ne peut pas être interprétée comme un congédiement. Comme il est mentionné dans la décision Eskasoni School Board c. MacIsaac, [1986] A.C.F. no 263 :

Les termes « dismiss » (« congédier ») et « dismissal » (« congédiement ») possèdent, dans le cadre des relations employeur-employé, un sens si bien défini qu’il n’est point besoin d’avoir recours à des dictionnaires ou à la jurisprudence pour l’établir. Selon moi, cette signification courante implique qu’un employeur, pour quelque motif que ce soit, met fin unilatéralement à l’engagement de l’employé. À mon avis, ces termes ne peuvent aucunement désigner l’entente bilatérale d’un employeur et d’un employé mettant fin au contrat de travail, que ce soit par l’écoulement du temps, lorsqu’il s’agit d’un contrat de travail à terme, ou autrement. 

 

[49]           Interpréter la venue de la fin de l’emploi par l’écoulement du temps comme un congédiement parce que certains des contrats ont été signés après leur date d’entrée en vigueur est, avec tout le respect que je dois à l’arbitre, inexact en droit. Les parties ont clairement exprimé à seize reprises, au cours d’une période de neuf ans, et en des termes non ambigus, que l’emploi était à durée fixe.

 

[50]           En l’espèce, le CTN a mis fin aux services de consultation clinique le 1er octobre 2007 et le défendeur a été avisé par une lettre datée du 25 septembre 2007 que ses deux contrats ne seraient pas renouvelés. Telle était l’intention des parties.

 

Les dépens

[51]           J’ai souligné que le CTN n’a pas demandé de dépens dans son avis de demande ou dans ses observations écrites ou orales. Le défendeur en demande dans ses observations écrites. Au vu des conclusions tirées pour les besoins de la présente demande, les dépens seraient habituellement accordés au demandeur. Compte tenu de ce qui précède, chacune des parties supportera les dépens qui lui sont propres.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

-                     Les deux contrats de travail ont pris fin à l’expiration du délai prescrit. De ce fait, l’arbitre n’a pas compétence pour trancher l’affaire en vertu du Code canadien du travail.

-                     En conséquence, sa décision du 27 février 2009, relativement aux conditions d’emploi en litige, n’est pas conforme au droit applicable à de telles questions et elle n’est donc pas valable.

-                     Chaque partie supportera les dépens qui lui sont propres.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-462-09

 

INTITULÉ :                                       CONSEIL TRIBAL DE NUU-CHAN-NULTH c. ERIC SAYERS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 AOÛT 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 SEPTEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul S. Rosenberg

POUR LE DEMANDEUR

 

Judith F. Sayers

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rosenberg, Rosenberg

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Judith F. Sayers

(membre inactive du Barreau)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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