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Federal Court

Cour fédérale

 

Date : 20090930

 

Dossier : DES-7-08

Référence : 2009 CF 988

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés;

 

ET le dépôt d’un certificat à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés;

 

ET Mohamed Zeki Mahjoub.

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]        M. Mohamed Zeki Mahjoub est visé par un certificat de sécurité et est actuellement détenu au Centre de surveillance de l’Immigration de Kingston (le CSIK) en vertu de l’article 81 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Il est présentement le seul détenu au CSIK.


 

[2]        Les circonstances factuelles des diverses instances portant sur le certificat de sécurité visant M. Mahjoub ont été examinées à fond dans d’autres décisions (voir p. ex. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Ministre de la Sécurité publique) c. Mahjoub, 2009 CF 34; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Ministre de la Sécurité publique) c. Mahjoub, 2009 CF 248).

 

[3]        La présente requête porte sur les conditions de détention de M. Mahjoub et sur les mécanismes en place grâce auxquels M. Mahjoub peut présenter des plaintes liées à ces conditions. M. Mahjoub soutient que ses conditions de détention violent les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, constituant la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), ch.11 (la Charte). En particulier, M. Mahjoub allègue que ses conditions de détention sont discriminatoires par rapport à celles des personnes détenues en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), parce que, contrairement aux personnes détenues en vertu de la Loi, il ne peut pas présenter de plaintes au sujet de ses conditions de détention auprès du Bureau de l’enquêteur correctionnel (le BEC), un ombudsman qui mène des enquêtes indépendantes sur les plaintes des détenus. En outre, M. Mahjoub allègue que l’impossibilité pour les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR d’avoir recours à un processus indépendant de règlement des griefs viole l’article 7.

 

[4]        Dans ses deux allégations, M. Mahjoub compare sa situation à celle des personnes détenues dans les pénitenciers fédéraux. Par conséquent, avant de me pencher sur le bien‑fondé des contestations constitutionnelles de M. Mahjoub, il convient de comprendre le régime de détention prévu par la LIPR, en vertu duquel M. Mahjoub est détenu, et le régime de détention prévu par la Loi, qui régit les détenus fédéraux. Pour ce faire, je fournis les renseignements généraux suivants.

 

Le contexte des régimes de détention de la LIPR et de la Loi

[5]        Le CSIK est un établissement fédéral de détention utilisé exclusivement pour les personnes visées par des certificats de sécurité et détenues en vertu de l’article 81 de la LIPR. L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), qui est responsable des personnes détenues en vertu de la LIPR, est l’autorité chargée du fonctionnement du CSIK. Le CSIK est situé dans les locaux de l’Établissement Millhaven, un pénitencier fédéral se trouvant à Bath, en Ontario. En vertu d’un protocole d’entente conclu avec l’ASFC, le Service correctionnel du Canada (le SCC) est le responsable du fonctionnement de l’Établissement de Millhaven et il fournis les services et les employés nécessaires au fonctionnement du CSIK.

 

[6]        La procédure de plainte et le processus de grief pouvant être utilisés par les détenus du CSIK sont prévus dans la Directive du président no 081 – Procédure de recours, ASFC 2006 (la directive). Les personnes détenues au CSIK ont le droit de présenter des plaintes formelles par écrit et des griefs concernant leurs conditions de détention. La procédure de recours commence au niveau le plus bas de la gestion de l’ASFC ou du SCC puis monte graduellement aux paliers supérieurs suivants. Le premier niveau formel est la procédure de plainte, qui est tranchée à l’échelon local. Cette procédure de plainte est suivie par un processus de règlement des griefs à trois paliers; les griefs présentés aux deux premiers paliers sont tranchés à l’échelon régional et le grief est tranché à l’échelon national. Selon la nature de la plainte, le SCC ou l’ASFC seront chargés de la trancher. Il s’agit des seuls organismes intervenant dans la procédure de plainte et de grief. À chaque palier de la procédure de plainte et de grief, les détenus reçoivent une réponse écrite exhaustive portant sur les problèmes soulevés.

 

[7]        M. Mahjoub établit une différence entre la procédure de grief pouvant être utilisée par les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité et celle pouvant être utilisée par les détenus des pénitenciers fédéraux. Les personnes déclarées coupables d’infraction criminelle et détenues dans les établissements fédéraux, comme Millhaven, relèvent du SCC, et la façon dont leur peine est purgée est régie par la Loi. Ces détenus ont accès à la procédure de plainte et de grief prévue par la Loi; cette procédure est semblable à celle décrite ci‑dessus et dont peuvent se prévaloir les personnes détenues en vertu d’un certificat de sécurité. Les détenus ont également accès au mécanisme de plainte du BEC, comme le prévoit la partie III de la Loi. Le BEC agit en qualité d’ombudsman indépendant et sa fonction première est de mener des enquêtes sur les plaintes individuelles présentées par les délinquants et de les mener à terme (voir l’article 167 de la Loi). Si le BEC estime qu’il existe un problème et que la plainte est bien fondée, il fournit un rapport détaillé au commissaire du SCC ou à la Commission nationale des libérations conditionnelles et leur présente des recommandations (voir les articles 177 à 179 de la Loi).

 

[8]        Suivant l’article 167 de la Loi, le BEC a compétence sur les plaintes présentées par des « délinquants » :

167. (1) L’enquêteur correctionnel mène des enquêtes sur les problèmes des délinquants liés aux décisions, recommandations, actes ou omissions qui proviennent du commissaire ou d’une personne sous son autorité ou exerçant des fonctions en son nom qui affectent les délinquants individuellement ou en groupe.

 

167. (1) It is the function of the Correctional Investigator to conduct investigations into the problems of offenders related to decisions, recommendations, acts or omissions of the Commissioner or any person under the control and management of, or performing services for or on behalf of, the Commissioner that affect offenders either individually or as a group.

 

 

 

[9]        Le terme « délinquant » est défini à l’article 99 de la Loi et ne vise pas les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR :

« délinquant »

 

a) Individu condamné — autre qu’un adolescent au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents  —, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, à une peine d’emprisonnement :

 

(i) soit en application d’une loi fédérale ou d’une loi provinciale dans la mesure applicable aux termes de la présente partie,

 

(ii) soit à titre de sanction d’un outrage au tribunal en matière civile ou pénale lorsque le délinquant n’est pas requis par une condition de sa sentence de retourner devant ce tribunal;

 

b) adolescent, au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui a fait l’objet d’une ordonnance, d’une détention ou d’un ordre visés aux articles 76, 89, 92 ou 93 de cette loi.

 

La présente définition ne vise toutefois pas la personne qui, en application de l’article 732 du Code criminel, purge une peine de façon discontinue.

 

 

"offender" means

 

(a) a person, other than a young person within the meaning of the Youth Criminal Justice Act, who is under a sentence imposed before or after the coming into force of this section

 

 

(i) pursuant to an Act of Parliament or, to the extent that this Part applies, pursuant to a provincial Act, or

 

 

(ii) on conviction for criminal or civil contempt of court if the sentence does not include a requirement that the offender return to that court, or

 

 

(b) a young person within the meaning of the Youth Criminal Justice Act with respect to whom an order, committal or direction under section 76, 89, 92 or 93 of that Act has been made,

 

but does not include a person whose only sentence is a sentence being served intermittently pursuant to section 732 of the Criminal Code;

 

 

[10]      M. Mahjoub soutient que la définition de « délinquant » établie à l’article 99 de la Loi est trop limitative, car les personnes détenues dans les établissements fédéraux en vertu d’un certificat de sécurité n’entrent pas dans la définition de « délinquant » et, par conséquent, elles ne peuvent pas présenter de plaintes au BEC, plaintes qui entraîneraient l’application des pouvoirs et obligations prévus par la Loi. Selon M. Mahjoub, exclure les personnes détenues en vertu d’un certificat de sécurité de la définition de « délinquant » et leur interdire l’accès au BEC violent les articles 7 et 15 de la Charte.

 

Les questions en litige soulevées par M. Mahjoub

[11]      Deux questions constitutionnelles sont soulevées dans la présente requête :

            1)         La définition de « délinquant » établie dans la Loi viole‑t‑elle le paragraphe 15(1) de la Charte?

 

            2)         La définition de « délinquant » établie dans la Loi viole‑t‑elle l’article 7 de la Charte?

 

 

[12]      Les parties ont convenu que la requête doit être tranchée selon l’exposé des faits conjoint suivant :

Les deux parties conviennent qu’il y a des points en litige entre M. Mahjoub et le personnel du CSIK;

 

Il n’est pas demandé que ces points en litige soient tranchés dans la présente requête;

 

Les deux parties conviennent que, si M. Mahjoub était un « délinquant » ou un « détenu », comme les définit la Loi, il pourrait présenter une plainte au BEC, ce qui entraînerait l’application des pouvoirs et obligations prévus par la Loi.

 

 

[13]      Aucune autre preuve n’a été déposée.

 

Analyse

L’allégation de M. Mahjoub fondée sur l’article 15

[14]      Le paragraphe 15(1) de la Charte est ainsi rédigé :

La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

[15]      Les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR n’ont pas accès au BEC parce qu’elles n’entrent pas dans la définition de « délinquant » établie par la Loi, alors que les personnes détenues dans les établissements fédéraux en application du droit criminel par suite d’une infraction criminelle ont bien accès au BEC. M. Mahjoub allègue que le fondement de cette différence de traitement est la citoyenneté. Il soutient que l’effet de la Loi est discriminatoire parce que toutes les personnes détenues en vertu d’un certificat de sécurité ne sont pas des citoyens.

 

[16]      Dans l’arrêt R. c. Kapp, 2008 CSC 41, paragraphe 17, la Cour suprême du Canada a confirmé l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, et a établi un critère à deux volets pour l’examen d’une allégation de discrimination :

            (1)                    La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

 

            (2)        La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? 

 

Le groupe de comparaison approprié

[17]      Une analyse fondée sur le paragraphe 15(1) impose que je commence par trouver le groupe de comparaison approprié, puis, suivant le premier volet du critère de l’arrêt Kapp, il faut que je me demande si, comparé aux personnes de ce groupe, le demandeur a été privé d’un avantage sur le fondement d’un motif énuméré ou analogue.

 

 

[18]      Dans l’arrêt Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78, [2004] 3 R.C.S. 657, paragraphes 51 à 53, la Cour suprême a fait une synthèse du droit applicable quant au choix du groupe de comparaison. La Cour suprême a répété sa position adoptée dans l’arrêt Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CSC 65, [2004] 3 R.C.S. 357 :

Premièrement, le choix du bon groupe est crucial, car la comparaison avec ce groupe influe sur chacune des étapes de l’analyse. « [L]e fait de choisir un mauvais groupe de comparaison dès le début peut compromettre l’issue de l’ensemble de l’analyse fondée sur le par. 15(1) » : Hodge, précité, par. 18.

 

Deuxièmement, même si l’élément de comparaison arrêté par les demandeurs sert de point de départ, le tribunal doit s’assurer de sa pertinence et, au besoin, le remplacer par celui qu’il juge approprié : Hodge, précité, par. 20.

 

Troisièmement, le groupe de comparaison doit refléter les caractéristiques du demandeur ou du groupe demandeur qui sont pertinentes quant à l’avantage recherché, hormis la caractéristique personnelle correspondant au motif énuméré ou analogue de discrimination qui est invoqué : Hodge, précité, par. 23.  L’élément de comparaison doit établir un lien entre l’avantage et « l’univers des personnes susceptibles d’[y] avoir droit », d’une part, et le motif de discrimination allégué, d’autre part : Hodge, par. 25 et 31.

 

[19]      En l’espèce, M. Mahjoub a choisi comme groupe de comparaison les [traduction]  « personnes détenues dans un établissement fédéral en application du droit criminel ». Pendant ses observations orales, l’avocate de M. Mahjoub a également décrit le groupe de comparaison comme étant les [traduction] « détenus fédéraux emprisonnés dans un établissement à sécurité maximale » et comme étant les [traduction] « personnes détenues dans un établissement fédéral pour une longue période de temps ». À cet égard, l’avocate a dit ce qui suit :

[traduction]

En ce qui concerne la position de M. Mahjoub, il affirme ce qui suit devant la Cour : « Je ne suis pas un citoyen du Canada, mais je mérite le même respect, la même déférence et la même considération que tous les autres détenus fédéraux emprisonnés dans un établissement à sécurité maximale. »

 

[…] Le problème est qu’il s’agit d’un non‑citoyen détenu pour une longue période. En fait, il s’agit de personnes détenues pour une longue période de temps. Ces détenus ont les mêmes gardiens de prison et sont emprisonnés dans les mêmes établissements que les autres détenus. En ce sens, dans les faits, il n’y a aucune différence entre M. Mahjoub et tout autre détenu se trouvant dans le même centre de détention où M. Mahjoub est détenu. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[20]      Les ministres n’ont pas proposé d’autres groupes de comparaison.       

 

 

[21]      J’accepte le groupe de comparaison initial proposé par M. Mahjoub, à savoir les « personnes détenues dans un établissement fédéral en application du droit criminel ». À mon avis, il s’agit du groupe de comparaison le plus approprié étant donné la situation de M. Mahjoub. Le groupe de comparaison reflète les caractéristiques du demandeur quant à sa détention dans un établissement fédéral et il possède un lien adéquat avec l’avantage qui constitue l’objet de la plainte, soit l’accès au BEC.

 

[22]      À mon avis, les autres déclinaisons du groupe de comparaison mentionnées par l’avocate de M. Mahjoub lors de ses observations orales – c’est‑à‑dire  [traduction] « les détenus fédéraux emprisonnés dans un établissement à sécurité maximale » et [traduction« les personnes détenues dans un établissement fédéral pour une longue période de temps » – ne sont pas appropriées parce qu’elles sont trop limitatives. L’accès au BEC n’est pas limité aux délinquants détenus dans des établissements à sécurité maximale et, par conséquent, [traduction] « les détenus fédéraux emprisonnés dans un établissement à sécurité maximale » ne constituent pas un groupe de comparaison approprié. En outre, les délinquants détenus dans les établissements fédéraux ont accès au BEC peu importe la durée sur leur détention, et, par conséquent, le groupe des [traduction] « personnes détenues dans un établissement fédéral pour une longue période de temps » est également trop limitatif.

 

La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

[23]      Le premier volet du critère de l’arrêt Kapp consiste à examiner s’il y a eu différence de traitement entre M. Mahjoub et le groupe de comparaison sur le fondement d’un motif énuméré ou analogue.

 

[24]      La différence de traitement alléguée par M. Mahjoub est que les personnes dans sa situation, soit les personnes détenues dans un établissement fédéral en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR, n’ont pas accès au BEC, alors que les personnes faisant partie du groupe de comparaison, c’est‑à‑dire les personnes détenues dans un établissement fédéral en application du droit criminel, ont bien accès au BEC.

 

[25]      M. Mahjoub soutient que la citoyenneté est le motif énuméré ou analogue constituant le fondement de la différence de traitement. La Cour suprême a, à deux occasions, confirmé que la citoyenneté était un motif analogue protégé par l’article 15 de la Charte (Andrew, précité; Lavoie c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 769, 2002 CSC 23). Dès qu’il est conclu qu’un motif est considéré analogue, il sert d’indicateur permanent, et il n’est plus nécessaire d’en refaire l’examen (Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, paragraphe 8). Par conséquent, il ne fait presque pas de doute que, si la loi remise en question établit une différence fondée sur la citoyenneté, le premier volet de l’arrêt Kapp sera respecté.

 

[26]      La question est donc de savoir si l’impossibilité pour les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR d’avoir accès au BEC (la différence de traitement) est fondée sur la citoyenneté (le motif analogue). La question principale dans la contestation de M. Mahjoub fondée sur le paragraphe 15(1) est de savoir s’il existe un lien de causalité adéquat entre l’avantage demandé, l’accès au BEC, et le motif de discrimination allégué, la citoyenneté.

 

[27]      À première vue, la Loi ne crée pas de distinction entre les citoyens et les non‑citoyens. Un non‑citoyen déclaré coupable d’une infraction criminelle et détenu dans un établissement fédéral a accès au BEC. Les ministres soutiennent que le motif analogue de la citoyenneté n’est pas la cause de la différence de traitement et que c’est plutôt le fondement juridique de la détention qui explique la différence de traitement. Comme l’a mentionné l’avocate des ministres :

[traduction]

Cependant, l’atteinte ne résulte pas de la citoyenneté. Elle est due au fondement de la détention, à l’objectif de la détention […]. C’est pour ces raisons qu’ils ne sont pas des détenus dans des établissements.

 

 

[28]      M. Mahjoub soutient que c’est l’effet de la Loi qui pose problème : étant donné que toutes les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité sont des non‑citoyens, par conséquent, seuls des non‑citoyens n’ont pas accès au BEC. M. Mahjoub allègue que le fondement juridique de la détention – en l’espèce, la détention en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR– est utilisé comme moyen de discrimination sur le fondement de la citoyenneté. M. Mahjoub allègue donc être victime de discrimination indirecte.

 

[29]      Le contexte du régime de la Loi et son objet soulèvent des doutes quant à savoir si la citoyenneté peut constituer le fondement d’une différence de traitement envers les personnes détenues en vertu d’un certificat de sécurité en ce qui concerne l’accès au BEC. Au paragraphe 42 de l’arrêt Auton, la Cour suprême du Canada a établi que l’approche appropriée quant à l’analyse d’une allégation de discrimination indirecte comprend l’examen de l’objectif général du régime législatif :

Un régime législatif peut être discriminatoire directement par l’adoption d’une politique ou d’un objectif discriminatoire, ou indirectement par son effet. La discrimination directe, celle qui découle de la loi elle‑même ou de la politique qui la sous-tend, est aisément décelable et ne pose guère de difficulté. La discrimination qui résulte de l’effet est plus difficile à cerner. Lorsqu’il s’agit de savoir si les membres d’un groupe font l’objet d’un stéréotype, déterminer si une définition légale excluant un groupe est discriminatoire et ne constitue pas un exercice légitime du pouvoir législatif de définir un avantage suppose l’examen de l’objectif du régime législatif qui confère l’avantage ainsi que des besoins généraux auxquels il est censé répondre. Le régime d’avantages excluant un groupe en particulier d’une manière qui compromet son objectif global sera vraisemblablement discriminatoire, car  il exclut arbitrairement un groupe donné. Par contre, l’exclusion qui est compatible avec l’objectif général et l’économie du régime législatif ne sera vraisemblablement pas discriminatoire. La question est donc de savoir si l’avantage exclu fait partie du régime général d’avantages établi par la loi et s’il correspond aux besoins auxquels celle-ci est censée répondre.

 

 

[30]      L’article 3 de la Loi établit l’objet du système correctionnel fédéral et il est ainsi rédigé :

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

 

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

 

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

 

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

 

 

 

[31]      L’objectif général du régime législatif en cause est de fournir des mesures de détention sécuritaires et humaines aux délinquants purgeant des peines afin de contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, et ce, tout en favorisant la réadaptation des délinquants en vue de leur réinsertion dans la société. Le BEC est partie intégrante du système correctionnel fédéral et il a été créé en tant qu’organisme indépendant afin de traiter les plaintes des personnes déclarées coupables d’infraction criminelle et détenues dans les établissements fédéraux. L’exclusion de l’accès au BEC des personnes détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR ne va pas à l’encontre de l’objectif général du système correctionnel et du régime de la Loi. La Loi met l’accent sur les peines infligées par les cours de juridiction pénale et sur la réhabilitation des contrevenants, laquelle peut mener à leur réinsertion dans la société. Les personnes détenues en vertu de la LIPR sont incarcérées jusqu’à leur renvoi définitif du Canada. Elles ne purgent pas de peine criminelle, et la LIPR n’envisage pas leur réinsertion dans la société.

 

[32]      En outre, les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité ne constituent pas le seul groupe de détenus fédéraux n’ayant pas accès au BEC. La Loi ne se veut pas un régime exhaustif englobant toutes les personnes détenues dans les établissements fédéraux. Par exemple, la Loi ne vise pas les personnes détenues dans les centres de détention de la GRC, du ministère de la Défense nationale, des services de police autochtone et du ministère de l’Immigration. Les personnes détenues dans de tels centres n’ont pas accès au BEC. Comme l’a expliqué M. Peter Hogg à la page 55-34 de son livre Constitutional Law (Scarborough, Ont.: Thomson Carswell, 2007, 5e éd., Vol. 2) :

[traduction]

Dans un régime qui est censé être exhaustif, il est normal de faire une comparaison entre ceux qui sont privés d’avantages et ceux qui en reçoivent. La comparaison est moins convaincante (et les conséquences sont plus graves) lorsque le régime n’est pas exhaustif et que le groupe demandeur n’est que l’un des groupes privés d’avantages.

 

Si toutes les personnes détenues dans les établissements fédéraux avaient accès au BEC à l’exception des personnes détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR, l’allégation de M. Mahjoub fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte serait plus convaincante. Cependant, en l’espèce, M. Mahjoub demande l’accès au programme du BEC dont peuvent se prévaloir les personnes déclarées coupables d’infraction criminelle et qui purgent leur peine dans un établissement fédéral en application d’un régime législatif ayant pour objet les affaires correctionnelles et l’exécution de la peine, et ce, tout en mettant l’accent sur la réinsertion.

 

 

[33]      L’avocate de M. Mahjoub a fait ressortir les similitudes entre les conditions de détention de M. Mahjoub et celles des personnes détenues dans les établissements fédéraux en application du droit criminel, en particulier les personnes détenues à Millhaven. Elle a ainsi essayé de convaincre la Cour que, à tous les égards à l’exception de la citoyenneté, M. Mahjoub est dans la même situation que les autres détenus, et que c’est sa non‑citoyenneté qui l’empêche d’avoir accès au BEC. Je ne suis pas d’accord avec l’avocate de M. Mahjoub. Pour que soit accueillie une contestation fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte, une caractéristique personnelle immuable, telle que la citoyenneté, doit constituer le fondement de l’exclusion de l’avantage accordé par la loi. Même si seuls des non‑citoyens sont détenus en application d’un certificat de sécurité, ce n’est pas l’absence de citoyenneté en soi qui les empêche d’avoir accès au BEC, mais c’est plutôt le fait que ce ne sont pas des personnes déclarées coupables d’infraction criminelle suivant le régime appliqué par le Service correctionnel du Canada.

 

[34]      Dans leurs observations écrites, les avocates de M. Mahjoub ont mentionné que la différence de traitement résultait de la combinaison de la citoyenneté et du fondement juridique de la détention. Lors des observations orales, les avocates n’ont pas pu établir que la citoyenneté était le seul facteur sur lequel était fondée la différence de traitement :

[traduction]

Ils ont mis M. Mahjoub dans un établissement à sécurité maximale et n’ont jamais vraiment examiné si M. Mahjoub devait avoir une occasion équitable que soient traitées ses plaintes portant sur ses conditions de détention. Les conditions de détention ont déjà été traitées pour tous les autres détenus, citoyens ou non, à l’exception de M. Mahjoub. Pourquoi? Je dirais que, à la base, c’est parce qu’il est détenu en application de la loi sur l’immigration.

 

En l’espèce, l’accès de M. Mahjoub à l’avantage qu’est l’enquêteur correctionnel a été limité parce qu’il n’est pas un délinquant. M. Mahjoub n’a commis aucun crime. Il est seulement un non‑citoyen détenu en application d’un certificat de sécurité, mais il est gardé par les mêmes personnes et détenu dans les mêmes établissements et dans les mêmes lieux que les autres détenus.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[35]      Dans les circonstances, les dispositions contestées de la Loi n’établissent tout simplement pas une différence de traitement fondée sur la citoyenneté. Je conclus que la différence de traitement entre les personnes détenues dans les établissements fédéraux en application du droit criminel et celles détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR n’est pas fondée sur la citoyenneté. M. Mahjoub n’a pas réussi à établir que le premier volet du critère de l’arrêt Kapp est respecté. Comme nous l’a enseigné la jurisprudence portant sur l’article 15, ce ne sont pas toutes les différences de traitement qui équivalent à une discrimination selon la Charte. Il se peut très bien qu’il y ait d’importants motifs d’ordre public expliquant l’existence d’un régime d’enquête indépendant pour les personnes détenues en application de la LIPR entre les murs des établissements pénitenciers. Un tel régime d’enquête peut être différent du BEC. Par conséquent, le fait que les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR n’ont pas accès au BEC ne constitue pas de la discrimination selon l’article 15 de la Charte par rapport aux personnes détenues en application de la Loi.

 

L’allégation de M. Mahjoub fondée sur l’article 7 de la Charte

[36]      L’article 7 de la Charte est ainsi rédigé :

 

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

           

[37]      Une contestation fondée sur l’article 7 entraîne un examen à deux volets. Premièrement, le demandeur doit établir que l’on a porté atteinte à l’un de ses droits protégés, à savoir à sa vie, à sa liberté ou à la sécurité de sa personne. Deuxièmement, si le demandeur s’est acquitté du fardeau d’établir l’atteinte, il doit ensuite montrer que l’atteinte était contraire aux principes de justice fondamentale. Voir : Canadian foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, paragraphe 3.

 

[38]      La légalité de la détention de M. Mahjoub en application de l’article 81 de la LIPR n’est pas contestée. La requête ne porte pas sur l’atteinte au droit à la liberté de M. Mahjoub résultant de la détention initiale, elle porte plutôt sur ses droits résiduels à la liberté en tant que personne détenue en application de la LIPR. Il est bien établi que les détenus demeurent investis de droits résiduels quant à la nature et au soin de leur détention malgré l’atteinte générale portée à leur liberté. Voir : Dumas c. Centre de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S. 459; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143.

 

[39]      M. Mahjoub soutient que le processus de règlement des griefs dont peuvent se prévaloir les  personnes détenues en application d’un certificat de sécurité délivré en vertu de la LIPR ne comprend pas de mécanisme indépendant de traitement des plaintes présentées par ces détenus, alors que presque tous les autres détenus fédéraux ont accès à un tel mécanisme. En tant que personne détenue en application de la LIPR, M. Mahjoub soutient que les conditions de sa détention ne respectent donc pas les exigences de justice fondamentale et que, par conséquent, elles violent l’article 7 de la Charte.

 

[40]      Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, les parties conviennent qu’il y a des points en litige entre M. Mahjoub et le personnel du CSIK au sujet des conditions de détention de M. Mahjoub, mais il n’est pas demandé que ces points soient tranchés dans la présente requête. Néanmoins, l’avocate de M. Mahjoub se fonde sur les plaintes présentées par M. Mahjoub quant à ses conditions de détention afin d’établir qu’il y a eu atteinte aux droits résiduels à la liberté de M. Mahjoub et que ses conditions de détention violent ses droits fondamentaux.

 

 

[41]      Les ministres conviennent que les droits garantis à M. Mahjoub par l’article 7 sont en cause. Dans ses observations orales présentées lors de l’audience, l’avocate a précisé la position des ministres de la façon suivante :

[traduction]

Je n’avais pas interprété cela comme donnant à penser que nous accordions quelque poids que ce soit aux plaintes présentées [par M. Mahjoub]. Si c’est ce que vous comprenez, alors nous ne reconnaissons pas que l’article 7 est en cause. Nous l’envisagions de façon plus large.

 

Comme ma collègue [l’avocate de M. Mahjoub] a dit, si, en définitive, il était conclu que les plaintes étaient bien fondées, alors cela mettrait en cause le droit à la liberté de M. Mahjoub.

 

[…] Je pense que ce que nous avons fait dans les documents écrits [les observations des ministres] a été de diviser la question selon les divers volets de l’article 7. Bien que nous reconnaissions que l’article 7 est en cause, nous ne reconnaissons pas qu’il y a un principe de justice fondamentale en jeu ou qu’un principe de justice fondamental a été violé.

 

[…] Je crois que les deux parties ont vu qu’elles avaient intérêt à saisir la Cour de la présente question dans les circonstances. Je comprends qu’il vous aurait été utile d’avoir davantage d’éléments de preuve, mais, dans les circonstances de l’espèce, nous avons convenu que l’article 7 est en cause.

 

[42]      Les ministres, selon ce que je comprends de leur position, conviennent que les droits garantis à M. Mahjoub par l’article 7 sont [traduction] « en cause ». Ils ne reconnaissent cependant pas que les conditions de détention de M. Mahjoub portent davantage atteinte à ses droits à la liberté ou à la sécurité de sa personne, mais ils conviennent simplement que, s’il était conclu que les plaintes de M. Mahjoub sont bien fondées, alors son droit à la liberté garanti par l’article 7 [traduction] « serait en cause ». Sur ce fondement, les ministres demandent à la Cour de déterminer si le processus de règlement de grief dont peut se prévaloir M. Mahjoub respecte les principes de justice fondamentale.

 

[43]      Même s’il ne m’est pas difficile d’accepter que les droits garantis à M. Mahjoub par l’article 7 soient en cause en l’espèce, sans un fondement factuel adéquat, cela ne peut pas mener à la conclusion que ses droits ont été violés. Une telle atteinte doit être établie avant de trancher la question de savoir si les droits de M. Mahjoub ont été violés d’une façon contraire aux principes de justice fondamentale. La jurisprudence de la Cour suprême nous enseigne que, pour que l’article 7 puisse entrer en jeu, il faut d’abord que soit tirée une conclusion selon laquelle il a été porté atteinte à un droit. Dans l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, paragraphe 47, le juge Bastarache a mentionné ce qui suit :

[…] Ainsi, avant même que l’on puisse se demander si les droits garantis à l’intimé par l’art. 7 ont fait l’objet d’une atteinte non conforme aux principes de justice fondamentale, il faut d’abord prouver que le droit visé par l’allégation de l’intimé relève de l’art. 7.  Dans l’arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, à la p. 401, le juge La Forest a énoncé ainsi ces deux étapes de l’analyse fondée sur l’art. 7 :

 

Pour que l’article puisse entrer en jeu, il faut constater d’abord qu’il a été porté atteinte au droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité [d’une] personne» et, en second lieu, que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale.

 

Par conséquent, si le droit de l’intimé à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne n’est pas en cause, l’analyse fondée sur l’art. 7 prend fin. [Non souligné dans l’original.]

 

[44]      En l’espèce, le fondement factuel ne justifie pas que je conclus qu’il a été porté atteinte au droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité [d’une] personne » dans les circonstances. Les seuls faits dont je suis saisi et dont il a été convenu sont que, si M. Mahjoub était un « délinquant » ou un « détenu » au sens de la Loi, il pourrait présenter une plainte au BEC, laquelle entraînerait l’application des pouvoirs et obligations prévus par la Loi. Le simple fait d’être privé d’un processus de règlement de grief particulier ne justifie pas en soi une conclusion selon laquelle il a été porté atteinte à un droit garanti par l’article 7. Toute atteinte ne constitue pas nécessairement une violation d’un droit garanti par l’article 7. Les circonstances entourant l’atteinte sont importantes; p. ex., le contexte où a eu lieu l’atteinte ainsi que la gravité de l’activité ou des activités qui ont mené à la violation des droits. Il faut de tels renseignements pour que la Cour puisse déterminer si la justice fondamentale a été respectée dans les circonstances.

 

[45]      Le degré de garanties procédurales nécessaires pour que soient respectés les principes de justice fondamentale variera selon les circonstances. Plus la violation des droits est grave, plus les garanties procédurales doivent être rigoureuses. La Cour suprême du Canada a clairement établi que les principes de justice fondamentale, qui comprennent la garantie d’équité procédurale, doivent être appliqués au regard des circonstances et des conséquences de l’atteinte. Aux paragraphes 19 et 20 de l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyennté et Immigration) (l’arrêt Charkaoui 1), la juge en chef McLachlin a mentionné ce qui suit à cet égard :

L’article 7 de la Charte exige que les lois qui portent atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne respectent les principes de justice fondamentale – c’est‑à‑dire les principes fondamentaux qui sous‑tendent notre conception de la justice et de l’équité procédurale. Ces principes comprennent une garantie d’équité procédurale, liée aux circonstances et conséquences de l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité : Suresh, par. 113 [Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1].

 

L’article 7 de la Charte exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause : États‑Unis d’Amérique c. Ferras, [2006] 2 R.C.S. 77, 2006 CSC 33, par. 14; R. c. Rodgers, [2006] 1 R.C.S. 554, 2006 CSC 15, par. 47; Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631, p. 656‑657. […]

[Non souligné dans l’original.]

 

Elle a également ajouté ce qui suit au paragraphe 22 :

 

À l’étape de l’analyse fondée sur l’art. 7, il s’agit de savoir si les principes de justice fondamentale pertinents ont été respectés pour l’essentiel, compte tenu du contexte et de la gravité de l’atteinte. […] [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[46]      En outre, il est bien établi en droit que la Cour a besoin d’éléments de preuve pour qu’elle examine une allégation fondée sur l’article 7 de la Charte. À la page 361 de l’arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, le juge Cory a dit ce qui suit au nom de la majorité :

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte.

 

[47]      Les faits en litige, soit les faits propres à une affaire, lesquels doivent être établis par des éléments de preuve admissibles, sont particulièrement importants dans le contexte de l’article 7. Comme le juge en chef Lutfy l’a affirmé au paragraphe 34 de la décision Almrei (Re), 2008 CF 1216 :

Le niveau des faits en litige qui est nécessaire pour l’évaluation de prétentions constitutionnelles variera. J’imagine que l’appréciation de prétentions intéressant l’article 7 de la Charte nécessitera un niveau plus élevé de faits en litige, surtout si la présumée atteinte concerne les effets sur des droits procéduraux protégés par les principes de justice fondamentale. Ici, la preuve par affidavit est d’une aide restreinte.

 

[48]      L’allégation de M. Mahjoub fondée sur l’article 7 n’est étayée par aucun fait en litige portant sur l’atteinte à ses droits garantis par l’article 7 ou sur leur violation. M. Mahjoub n’a pas déposé d’éléments de preuve adéquats établissant que l’on avait porté atteinte à ses droits à la liberté et à la sécurité de sa personne garantis par l’article 7.

 

[49]      Ma conclusion tirée ci‑dessus tranche la contestation de M. Mahjoub fondée sur l’article 7 de la Charte. Suivant la jurisprudence de la Cour suprême précédemment citée, sans conclusion selon laquelle la vie, la liberté ou la sécurité de M. Mahjoub est en cause, l’analyse fondée sur l’article 7 devrait prendre fin. Sans un fondement factuel adéquat, il est impossible d’effectuer l’analyse quant à savoir si toute atteinte pouvant découler des circonstances était contraire aux principes de justice fondamentale. Je n’effectuerai donc pas d’analyse exhaustive du second volet de l’examen fondé sur l’article 7, analyse qui avait été demandée par les parties. Je suis néanmoins prêt à offrir les observations suivantes en espérant qu’elles soient utiles aux parties.

 

[50]      Les demandeurs dont la vie, la liberté ou la sécurité de leur personne est compromise ne jouissent d’un droit de recours que dans la mesure où leur plainte découle de la violation d’un principe de justice fondamentale donné. Voir : Chaoulli c. Québec (P.G.), 2005 CSC 35, paragraphe 199.

 

[51]      L’argument principal avancé par M. Mahjoub à l’égard de la justice fondamentale est le suivant : ne pas avoir accès à un mécanisme de contrôle indépendant et impartial par lequel il pourrait présenter ses plaintes relatives à ses conditions de détention viole ses droits à la vie et à la sécurité de sa personne d’une façon contraire aux principes de justice fondamentale. M. Mahjoub soutient que le processus de règlement de griefs prévu pour les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité n’a pas mis en œuvre un régime suffisamment indépendant et impartial pour que soit respectée l’équité procédurale.

 

[52]      Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, les principes de justice fondamentale comprennent la garantie d’équité procédurale, liée aux circonstances et aux conséquences de l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité (Charkaoui 1, paragraphe 19). En ce qui concerne l’équité procédurale, l’article 7 exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause (Charkaoui 1, paragraphe 20).

 

[53]      Même si nous ne pouvons pas évaluer la gravité de la violation des droits en jeu, en raison de la faiblesse de la preuve, nous savons que le processus de règlement des griefs établi dans la directive permet à M. Mahjoub de présenter un grief aux paliers administratifs successifs du SCC ou de l’ASFC. Le processus demeure interne aux organisations respectives et on ne peut donc pas dire qu’il s’agit d’un examen indépendant des plaintes de M. Mahjoub.

 

[54]      Cependant, les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité ont accès à deux autres mécanismes de contrôle externes : le contrôle judiciaire des décisions relatives aux griefs, suivant l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.C. 1985, ch. F‑7, et la demande de bref d’habeas corpus. Une personne détenue en application d’un certificat de sécurité peut, en vertu des articles 2 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales et en invoquant des moyens fondés sur l’équité et le respect de la Charte, solliciter le contrôle judiciaire d’une décision relative à un grief rendue au dernier échelon, soit à l’échelon national (grief présenté au troisième palier). La Cour fédérale a compétence pour accorder des brefs de prérogative, des jugements déclaratoires et des injonctions contre un « office fédéral », ce qui comprend les fonctionnaires exerçant des pouvoirs ou une compétence prévus par une loi du Parlement. En matière correctionnelle, la compétence de la Cour fédérale de contrôler les décisions définitives portant sur les griefs des détenus a été reconnue dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809 (paragraphes 30, 31 et 71). M. Mahjoub pourrait présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à un grief après avoir épuisé le processus de règlement de grief. À la présente étape, M. Mahjoub n’a pas épuisé le processus de règlement de grief auquel il a accès. 

 

[55]      Les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité ont également accès à un contrôle de leurs conditions de détention au moyen de l’habeas corpus. M. Almrei, détenu en application d’un certificat de sécurité, a utilisé l’habeas corpus pour contester ses conditions de détention devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Au paragraphe 29 de la décision Almrei c. Canada (Attorney General), [2003] O.J. no 5198 (QL), le juge Gans a conclu que le fait d’interdire à M. Almrei d’avoir des chaussures dans sa propre cellule était illégal. Il a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Une atteinte supplémentaire à la liberté, c’est‑à‑dire qui sort du cadre d’une situation normale en prison, peut donc être visée par une demande d’habeas corpus.

 

 

[56]      La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 54, a traité de la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario et a conclu que l’habeas corpus était le recours approprié pour les personnes détenues en application d’un certificat de sécurité qui veulent contester leurs conditions de détention. Le principe selon lequel l’habeas corpus peut être utilisé pour contrôler les conditions imposées aux détenus est tiré du droit correctionnel. Comme il a été noté à la page 641 de l’arrêt R c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613 :

Je ne dis pas qu’on devrait recourir à l’habeas corpus pour contester toutes et chacune des conditions d’incarcération dans un pénitencier ou une prison, y compris la perte d’un privilège dont jouit la population carcérale générale. Mais, selon moi, il y a lieu d’y recourir pour contester la validité d’une forme distincte de détention dans laquelle la contrainte physique réelle ou la privation de liberté, par opposition à la simple perte de certains privilèges, est plus restrictive ou sévère que cela est normalement le cas dans un établissement carcéral.

 

[57]      J’accepte l’observation présentée au nom de M. Mahjoub selon laquelle l’habeas corpus n’est peut-être pas le recours idéal ou le moyen le plus pratique ou efficace de traiter les plaintes au jour le jour portant sur la détention des personnes détenues en application d’un certificat de sécurité. Il s’agit néanmoins d’une procédure de révision indépendante dont M. Mahjoub peut se prévaloir. Le contrôle judiciaire et l’habeas corpus sont deux mécanismes de révision indépendants et externes qui permettent aux personnes détenues en application d’un certificat de sécurité de contester la légalité de leurs conditions de détention. Par conséquent, on ne peut pas affirmer que M. Mahjoub n’a pas accès à une procédure de révision indépendante et externe dont il peut se prévaloir pour présenter les plaintes qu’il pourrait avoir relativement aux conditions de sa détention.

 

Conclusion

[58]      Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que la définition de délinquant établie à l’article 99 de la Loi ne viole ni l’article 7 ni le paragraphe 15(1) de la Charte. Par conséquent, la requête sera donc rejetée.

 

La certification d’une question

[59]      Après l’exposé des observations orales, j’ai dit que je donnerais l’occasion aux parties de présenter des observations portant sur la certification d’une question. Les parties doivent donc signifier et déposer, au plus tard sept jours après la date des présents motifs, des observations écrites sur l’application de l’alinéa 74d) de la LIPR qui prévoit la certification d’une question grave de portée générale en vue d’un appel, dans le contexte de la présente requête.

 

[60]      Si l’alinéa 74d) de la LIPR s’applique, les parties doivent signifier et déposer leurs questions et observations envisagées, le cas échéant, au plus tard sept jours à compter de la date des présents motifs. Dans ce cas, les parties auront trois jours supplémentaires pour déposer leurs réponses, le cas échéant.

 

 

[61]      Après examen des observations des parties, une ordonnance rejetant la requête et tranchant la question grave de portée générale, suivant l’alinéa 74d) de la LIPR, sera rendue.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 septembre 2009

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    DES-7-08

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE c.

                                                                        Mohamed Zeki Mahjoub

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 27 AOÛT 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 SEPTEMBRE 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Rhonda Marquis

Judy Michaely

Dupe Oluyomi

 

POUR LES DEMANDEURS

Marlys Edwardh

Barbara Jackman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DEMANDEURS

Marlys Edwardh Professional Corporation

 

Jackman & Associates

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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