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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20091119

Dossier : IMM-1372-09

Référence : 2009 CF 1063

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2009

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

KUMAR, Shiv

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) le 19 février 2009. Le tribunal a rejeté la demande de protection du demandeur en raison du manque de crédibilité de celui-ci.

 

[2]          Monsieur  Shiv Kumar (le demandeur) est citoyen de l’Inde et il vient de la province d’Haryana. Il a quitté l’Inde pour arriver au Canada le 1er novembre 2006 et a présenté sa demande d’asile le 6 novembre 2006. Il demande l’asile sur la base de l’article 96 et de l’alinéa 97(1)b) de la Loi.

 

[3]          Les faits suivants n’ont pas été acceptés par le tribunal. Le demandeur allègue qu’il aurait opéré une compagnie de pesticides, la « Shri Bala Ji Trading Co. », en Inde. Le 12 août 2005, l’un de ses employés, prénommé Makbool, serait allé au village voisin avec le scooter du demandeur pour faire une livraison. Ce soir-là, la police serait venue au magasin du demandeur afin de le questionner relativement à son scooter. Son employé se serait sauvé lors d’un contrôle policier, abandonnant sur place le scooter, ainsi que des balles de fusil. Les policiers auraient accusé le demandeur d’aider des militants à transporter leurs marchandises. Son magasin aurait été fouillé et le demandeur, arrêté. Sa famille l’aurait fait libérer suite au paiement d’un pot-de-vin. Le demandeur indique avoir été continuellement harcelé par les policiers suite à cet événement. Il aurait de nouveau été arrêté le 19 février 2006 et questionné sur ses liens avec les militants. À nouveau, sa famille l’aurait fait libérer suite au paiement d’un pot-de-vin. Il a témoigné qu’il aurait été torturé au cours des deux arrestations. Craignant pour sa sécurité, il serait allé à New Delhi. Il aurait alors requis les services d’un passeur qui l’aurait aidé à quitter l’Inde le 1er novembre 2006.

 

[4]          La SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de démontrer une « crainte raisonnable de persécution » advenant un retour en Inde. De plus, le tribunal a aussi déterminé que le demandeur n’avait pas démontré, selon la balance des probabilités, qu’il avait la qualité de « personne à protéger ». La SPR a jugé les allégations du demandeur quant aux éléments essentiels de sa demande d’asile non crédibles. Le tribunal a plutôt cru que le demandeur avait inventé son récit de toutes pièces et fabriqué tous les documents afin de supporter sa demande d’asile. En conséquence, le tribunal n’a accordé aucune valeur probante à ces documents.

 

[5]          En présence d'une question touchant aux faits établis dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53). Les conclusions sur la crédibilité sont généralement à l’abri du contrôle judiciaire. Selon la Cour d’appel fédérale dans Aguebor c. Canada (M.E.I.), 160 N.R. 315, au paragraphe 4 :

     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. . . .

 

 

 

[6]          La SPR a déterminé que le demandeur n’était pas crédible en raison des contradictions entre les documents qu’il a produit et son témoignage.

 

[7]          Le tribunal a donné au demandeur jusqu’au 30 décembre 2008 pour produire des documents ou éléments de preuve établissant qu’il était propriétaire du magasin, que Makbool était son employé et qu’il a bel et bien été hospitalisé deux fois.

 

[8]          De fait, la transcription de l’audience révèle de nombreuses contradictions entre les preuves documentaires soumises et le témoignage du demandeur.

     (1) Le contrat de travail

[9]          Le demandeur a fourni un document pour démontrer l’existence d’un contrat de travail entre son employé, Makbool, et sa compagnie. Malgré cela, le tribunal n’a pas cru que le demandeur ait eu à ses services un employé nommé Makbool. À première vue, la conclusion paraît déraisonnable, mais cette impression est trompeuse. Le tribunal a spécifiquement demandé au demandeur s’il avait fait signer un contrat de travail à Makbool et il a répondu négativement :

Q :       Did he sign any contract with you, working contract?

 

A:         No.

 

Q:        Do you have anything to prove that this person was working for you?

 

A:         I don’t have record of banking salary but I used to pay him salary in cash. But maybe there could be something to prove it, that could prove it.

 

Q:        Like what?

 

A:         I can ask my accountant that I used to pay him this much salary, I didn’t issue him a cheque or anything but my accountant used to pay him cash.

 

Q:        But what would the accountant be able to give you?

 

A:         I would not be able to prove it in front of you, give you a full proof because in India so many times we hire people like that.

 

 

 

[10]      Le tribunal a alors accordé un délai au demandeur pour produire notamment un document d’emploi de Makbool. Malgré son témoignage, « à la grande surprise du tribunal » le demandeur a produit le contrat original de travail entre Makbool et sa compagnie. Le demandeur a ainsi contredit son propre témoignage. Le tribunal était donc justifié de conclure que sa crédibilité en était affectée. Dans ce contexte, l’inférence du tribunal que le demandeur n’ait pas eu à ses services un employé nommé Makbool est raisonnable.

 

     (2) La compagnie

[11]      Le demandeur allègue qu’il possédait un commerce de pesticides. Le document initialement déposé ne prouvait pas son lien avec la compagnie « Shri Bala Ji Trading Co. ». Confronté à ce fait, le demandeur a indiqué qu’il pourrait obtenir le registre de sa compagnie, sur lequel son nom apparaîtrait. En effet, la SPR a spécifiquement demandé au demandeur s’il pourrait obtenir un document démontrant qu’il était le propriétaire de la compagnie et il a répondu affirmativement :

Q :       Because reading this document, sir, what I understand from this document is that the company Sri Bala G. Trading Company exists, that it has a valid licence for the period between the 21st of February 2005 until the 31st of December 2006. But it does not at all, it is not at all related to you. What can you add, sir, to show to the Tribunal that you possess this company?

 

A:         At the moment I don’t have anything.

 

Q:        Can you obtain something?

 

A:         Yes, absolutely.

 

Q:        What can you obtain?

 

A:         I can ask to, for the registry of the shop to be sent to me.

 

Q:        Do you think your name will be written on this registry?

 

A:         Yes.

 

 

 

[12]      Le demandeur a par la suite déposé une lettre provenant de quelqu’un qui atteste que le demandeur est bien le propriétaire de « Shri Bala Ji Trading Co. ». Il n’a jamais mentionné ce document lorsqu’on lui a demandé s’il pouvait obtenir un document pour prouver qu’il était propriétaire de son commerce. De plus, le tribunal doute de l’authenticité de la lettre. L’en-tête de ce document ne comporte ni adresse ni autres coordonnées pouvant permettre une vérification d’authenticité. Dans les circonstances, le tribunal pouvait ne pas accorder de valeur probante à ce document. Il pouvait également tirer une inférence négative de l’absence inexpliquée du document spécifique que le demandeur avait dit pouvoir requérir. En outre, le tribunal a pris en compte des preuves documentaires qui indiquent que de faux documents circulent librement en Inde.

 

     (3) Le dossier visa

[13]      Le tribunal a questionné le demandeur au sujet du dossier de visa produit. Il apparaît qu’une lettre de la compagnie « S.K. Plastic Industries » avait été déposée au soutien de la demande de visa. À l’audience, le demandeur a insisté qu’il ne connaissait pas cette compagnie et qu’il n’avait jamais signé cette lettre. Le tribunal a noté que la signature du demandeur à la page 13 de son Formulaire de renseignements personnels paraît en tout point identique à la signature qui se trouve sur la lettre. Dans ces circonstances, le tribunal pouvait trouver l’explication du demandeur suspecte.

 

[14]      Compte tenu de l’ensemble de ces contradictions, je suis d’opinion que le tribunal pouvait raisonnablement conclure comme il l’a fait. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 février 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1372-09

 

INTITULÉ :                                       KUMAR, Shiv c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 novembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-François Bertrand                  POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Marjolaine Breton                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jean-François Bertrand                                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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