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Date : 20091120

Dossier : T‑1366‑08

Référence : 2009 CF 1195

Toronto (Ontario), 20 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

BRIDGETTE CAYER

demanderesse

et

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Bridgette Cayer (la demanderesse), visant la décision datée du 9 juin 2008 par laquelle Lucie Bergevin, directrice du Bureau des services fiscaux d’Ottawa de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), agissant pour le compte du ministre du Revenu national, a refusé la demande d’allègement des intérêts et des pénalités pour faute lourde fondée sur les dispositions en matière d’équité de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) de la demanderesse.

[2]               Le présent jugement concerne principalement l’applicabilité des dispositions en matière d’équité de la Loi aux pénalités imposées pour faute lourde en vertu de la Loi.

 

Historique

[3]               La demanderesse ne présente pas une cause qui inspire la sympathie d’un point de vue fiscal. Elle s’est livrée de 1999 à 2003 à l’activité de vendre des propriétés résidentielles et a fait des profits considérables. La demanderesse n’a toutefois jamais déclaré ces profits à l’ARC. Elle a par la suite fait l’objet d’une vérification par l’ARC et de nouvelles cotisations ont été établies à son égard le 13 mai 2004 pour les années d’imposition 1999 à 2002, ainsi que le 13 mai 2005 pour l’année d’imposition 2003. La dette de la demanderesse pour ces années s’élevait alors à 259 004 $.

 

[4]               Ces nouvelles cotisations à l’égard des années d’imposition 1999 à 2003 comprenaient des impôts fédéraux et provinciaux et des contributions au RPC, mais aussi des montants importants relatifs à des pénalités pour faute lourde s’élevant à 78 246,55 $, ainsi qu’à des intérêts sur arriérés s’élevant à 28 984,20 $. Au cours du temps, des intérêts sur arriérés additionnels substantiels ont été ajoutés à ces montants impayés.

 

[5]               Dans le but de récupérer cette créance, l’ARC a émis, le 27 mai 2004, des demandes formelles de paiement à différentes succursales de la TD Canada Trust afin de geler les lignes de crédit et les comptes de banque de la demanderesse. Néanmoins, la demanderesse a réussi à accéder à sa ligne de crédit en août 2005 lorsque les demandes formelles de paiement ont cessé d’être en vigueur pendant une brève période. Elle a retiré 30 000 $ de la ligne de crédit pour spéculer sur le marché des valeurs mobilières par le truchement d’un compte auprès d’un courtier. Une demande formelle de paiement a été signifiée à ce courtier par l’ARC, qui a réussi à percevoir 11 486 $ d’un compte de négociation de valeurs mobilières.

 

[6]               La demanderesse a contesté les nouvelles cotisations à l’égard des années d’imposition 1999 à 2002 devant la Cour canadienne de l’impôt, mais n’a pas eu gain de cause. Dans une décision datée du 15 mars 2007, la juge Diane Campbell a conclu que les nouvelles cotisations étaient justifiées au motif que les profits que la demanderesse avait tirés de la vente de propriétés résidentielles étaient des revenus d’entreprise et qu’ils étaient par conséquent imposables en vertu de la Loi. La juge Campbell a aussi confirmé dans des termes non équivoques les pénalités pour faute lourde dans la présente affaire, aux paragraphes 39 à 41 de son jugement :

[39] Je conclus que les pénalités sont appropriées en l’espèce et les raisons en sont nombreuses. L’expérience de l’appelante relativement à une vérification antérieure de l’ARC l’exposait aux conséquences fiscales que peut entraîner la vente de propriétés non correctement déclarées. Elle a omis de déclarer les commissions de vente gagnées chez Tamarack Developments Corporation d’avril à juillet 1999 et elle a délibérément essayé de dissimuler ce revenu en demandant que ses commissions lui soient payées au moyen d’un seul chèque établi à l’ordre de son père, qu’elle a encaissé en passant par le compte de celui‑ci. Elle n’a pas déclaré en 2000 le revenu tiré des commissions reçues de Monarch Homes. Elle a omis de déclarer le revenu qu’elle a gagné par suite de l’achat et de la vente d’actions de Unique Broadband Systems. Elle n’a pas payé les taxes foncières tant qu’elle n’a pas été tenue de le faire à la vente des propriétés. Tous ces gestes, outre sa condamnation criminelle antérieure pour fraude à l’aide sociale, signalent le penchant de l’appelante à vouloir gagner des revenus sans payer d’impôt.

 

[40] En outre, dans son témoignage, l’appelante se contredisait et essayait généralement de jeter le blâme sur autrui. Il y a de nombreux cas où, dans la preuve documentaire, elle se décrit elle‑même comme constructeur, entrepreneur ou travailleur autonome. Ces documents incluaient les garanties du constructeur, une inscription au service interagences, des permis d’occupation et de construction, des documents bancaires pour l’achat de véhicules et une demande d’ouverture de compte de transactions en direct. Dans un certain nombre de ces documents, elle a indiqué que son revenu était de 70 000 $ par année et de 7 500 $ par mois. Tout cela s’est produit pendant que l’appelante touchait des prestations d’aide sociale. Il est remarquable qu’elle puisse croire qu’elle peut se présenter devant la Cour au vu de cette preuve et me demander d’accepter son témoignage indiquant qu’elle n’est pas un constructeur.

 

[41] Il s’agit là simplement d’un exemple de ce que j’appellerais au mieux sa tendance à l’évasion fiscale et, au pire, à la duperie. Dans cette longue liste, il n’y a pas un acte qui ait plus d’importance qu’un autre. C’est quand on les considère ensemble, en même temps que la preuve globale, que la tendance à ce comportement intentionnel et trompeur se révèle. Quand on lui a demandé si elle savait qu’il y avait des répercussions fiscales découlant de la construction et de la vente de ces maisons, elle a répondu : [traduction] « Non, pas de la façon dont je le faisais » (transcription, page 342, ligne 14). À mon avis, l’appelante a agi intentionnellement, délibérément et stratégiquement dans ses tentatives pour dissimuler à l’ARC les profits réalisés sur ces propriétés et donc, les pénalités pour faute lourde imposées en vertu du paragraphe 163(2) sont appropriées.

 

 

[7]               La demanderesse a interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel fédérale. Cependant, il a été mis fin à l’appel à la suite de la conclusion d’un règlement, en date du 23 mai 2008, avec les autorités fiscales canadiennes. Aux termes de ce règlement, la demanderesse mettait fin à ses litiges en instance moyennant diverses contreparties. Il en a résulté de nouvelles cotisations datées du 18 juillet 2008 aux termes desquelles divers crédits d’impôt importants ainsi que divers remboursements et contrepassations d’intérêts ont été portés au compte de la demanderesse auprès de l’ARC. Ces nouvelles cotisations ont en conséquence affecté le montant des pénalités pour faute lourde imposées à la demanderesse et des crédits s’élevant à 23 987,16 $ ont été imputés aux pénalités pour faute lourde de 78 246,55 $, ce qui laissait des pénalités pour faute lourde impayées de 54 259,39 $ que la demanderesse devait payer à la suite du règlement.

 

[8]               En conséquence de ces nouvelles cotisations du 18 juillet 2008, le montant des taxes, contributions, intérêts sur arriérés et pénalités pour faute lourde dû par la défenderesse à cette date à l’ARC s’élevait à 221 516,12 $.

 

[9]               En même temps que ces procédures judiciaires et discussions connexes de règlement, la demanderesse a également présenté une demande d’allègement pour les contribuables fondée sur les dispositions en matière d’équité de la Loi. À cette fin, elle a soumis une demande écrite officielle en septembre 2007 dans laquelle elle sollicitait l’annulation des pénalités et des intérêts portés à son compte, ou une renonciation à ces pénalités et intérêts, en raison des retards de l’ARC ainsi que de difficultés financières et d’une incapacité de payer.

 

[10]           Pour étayer sa demande d’allègement pour les contribuables fondée sur les dispositions en matière d’équité, la demanderesse a soumis des rapports de plusieurs médecins selon lesquels elle présentait des symptômes prononcés de dépression majeure depuis 1993 et qu’elle souffrait de polyarthrite rhumatoïde et d’autres troubles de santé. Elle a également présenté divers documents selon lesquels elle faisait l’objet de procédures de recouvrement intentées par ses autres créanciers. La demanderesse a également présenté plusieurs factures et états bancaires ainsi qu’un état écrit à la main non vérifié de l’actif et du passif ainsi que de ses revenus et dépenses mensuels.

 

[11]           La demande d’allègement de la demanderesse au titre des dispositions en matière d’équité a été accordée en partie le 22 février 2008 par T. Todd, gestionnaire du Bureau des services fiscaux d’Ottawa de l’ARC (pièce B jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux). Cette disposition faisait suite à un document d’information et d’explication concernant les dispositions d’allègement pour les contribuables daté du 21 février 2008 (pièce F jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux). La décision communiquée à la demanderesse portait annulation des intérêts sur arriérés depuis la date de l’imposition de la nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1999 à 2003, soit depuis le 13 mai 2004, et renonciation aux frais d’intérêts futurs pour ces années [traduction] « jusqu’à ce que votre situation financière s’améliore et tant que les paiements convenus seront effectués et que vous vous conformerez à vos obligations futures de déclarations et de paiement ». La pénalité pour déclaration tardive imposée relativement à l’année d’imposition 2003 a également été annulée. Cependant, il était également écrit dans la lettre qu’étant donné [traduction] « la nature de votre cas, nous ne pourrons pas traiter les annulations des intérêts sur arriérés et des pénalités pour déclarations tardives tant que les impôts en souffrance et les pénalités restantes n’auront pas été payés ». Lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat de la défenderesse a confirmé que cette décision sur l’annulation des intérêts sur arriérés était encore valide et que les crédits appropriés seraient alloués lorsque la demanderesse aurait payé sa dette.

 

[12]           Cette décision en matière d’équité accordait à la demanderesse un crédit important à l’égard des intérêts sur arriérés. Cependant, la décision en matière d’équité du 22 février 2008 ne traitait pas des pénalités pour faute lourde au motif qu’il n’était pas possible d’accorder un allègement au titre des dispositions en matière d’équité pour de telles pénalités.

 

[13]           Insatisfaite de la décision en matière d’équité du 22 février 2008, la demanderesse a présenté une deuxième demande d’allègement pour les contribuables le 14 avril 2008. Cette demande visait expressément les pénalités pour faute lourde et s’appuyait sur les mêmes arguments que la première demande, mais mentionnait en outre des troubles émotifs et des souffrances mentales.

 

[14]           La deuxième demande a fait l’objet d’un « examen d’assurance de la qualité », en date du 22 mai 2008, mené par un agent principal de programme de la Direction générale des appels de la Direction des allègements pour les contribuables et des plaintes liées au service (pièce R jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux). Pour des raisons dont il sera ultérieurement discuté, cet examen recommandait de n’accorder aucun allègement au titre des dispositions en matière d’équité en ce qui avait trait aux pénalités pour faute lourde. L’examen recommandait toutefois que les intérêts sur arriérés pour la période antérieure au 13 mai 2004 soient pris en considération aux fins d’un nouvel allègement à la lumière du fait qu’il [traduction] « ressort des renseignements du rapport et du dossier que la situation (financière et médicale) de la contribuable peut justifier un nouvel allègement à l’égard des intérêts » (Examen de l’assurance de la qualité, page 4, pièce R jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux).

 

[15]           La deuxième demande d’allègement pour les contribuables au titre des dispositions en matière d’équité a également fait l’objet d’un rapport d’équité de deuxième niveau, en date du 5 juin 2007, rédigé et approuvé par deux agents de l’ARC (pièce G jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux). Ce rapport recommandait de n’accorder aucun nouvel allègement à la demanderesse, ni à l’égard des intérêts sur arriérés pour la période antérieure au 13 mai 2004, ni à l’égard des pénalités pour faute lourde.

 

[16]           Par la suite, le 9 juin 2008, la décision portant refus d’accorder un nouvel allègement a été communiquée à la demanderesse. La demande de nouvel allègement à l’égard des intérêts pour la période antérieure au 13 mai 2004 a été refusée au motif que la demanderesse avait exploité une entreprise lors des années d’imposition 1999 à 2003 et qu’elle n’avait pas démontré de difficultés financières et d’incapacité relativement à cette période. L’allègement à l’égard des pénalités pour faute lourde a également été refusé au motif que de telles pénalités ne pouvaient être annulées que dans des circonstances exceptionnelles. La décision indiquait : [traduction] « Aucune circonstance exceptionnelle n’a été démontrée dans le présent cas; par conséquent, les tribunaux devraient décider s’il y a lieu d’annuler ces pénalités » (pièce E jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux).

 

Position des parties

[17]           La demanderesse s’est représentée elle‑même dans toutes les procédures sauf le jour de l’audience, où elle s’est fait représenter par un avocat. Dans son mémoire des faits et du droit, la demanderesse a expliqué les faits de sa cause, selon la compréhension qu’elle en avait, et a cité la décision de premier niveau en matière d’équité qui portait annulation des intérêts sur arriérés pour la période commençant le 13 mai 2004. Dans ce même document, la demanderesse a également fait valoir, en ce qui a trait au refus d’annuler les pénalités pour faute lourde, que l’examen de premier niveau ne pouvait pas traiter de telles questions et elle a mentionné le refus d’accorder un nouvel allègement dans l’examen de deuxième niveau (paragraphes 16 et 17 des observations écrites de la demanderesse). La demanderesse a fait valoir que la décision de deuxième niveau avait été rendue de mauvaise foi, qu’elle n’avait pas tenu compte des faits pertinents, qu’elle reposait sur des faits non pertinents et qu’elle était par conséquent viciée. À l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat de la demanderesse a exposé en détail ces arguments.

 

[18]           Premièrement, il a relevé plusieurs contradictions et erreurs dans les rapports ayant donné lieu à la décision du 9 juin 2008 de refuser un nouvel allègement. Par exemple :

a.       le rapport d’équité de deuxième niveau daté du 5 juin 2007 (pièce G jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux), conclut que [traduction] « la seule information fournie, relativement à sa dépression, concerne l’année 1997 »; cependant, il ressort très clairement du rapport que la demanderesse avait présenté plusieurs rapports médicaux qui concluaient à un état continu de dépression jusqu’à bien après 1997;

b.   il ressort de ce même rapport que la demanderesse avait fait l’objet de pénalités pour faute lourde relativement aux années d’imposition antérieures de 1988, 1989 et 1990; cependant, selon la documentation de l’Agence du revenu du Canada à la pièce K jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux, de telles pénalités n’ont pas été imposées à la demanderesse pour ces années;

c.   tant la première décision en matière d’équité qui accordait un allègement partiel datée du 22 février 2008 (pièce B jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux) que l’examen de l’assurance de la qualité daté du 22 mai 2008 (pièce R jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux) concluaient que la situation de la demanderesse, du point de vue financier et médical, justifiait un allègement au titre des dispositions de la Loi relatives à l’équité envers le contribuable. Cependant, le rapport d’équité de deuxième niveau daté du 5 juin 2007 (pièce G jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux), qui reposait sur les mêmes informations, parvient à une conclusion différente et incompatible : [traduction] « l’existence de difficultés financières n’a pas été démontrée ».

 

[19]           Selon la demanderesse, ces nombreuses erreurs et contradictions justifient à elles seules que l’allègement lui soit accordé dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[20]           De plus, la demanderesse soutient que la question de l’allègement à l’égard des pénalités pour faute lourde n’a pas été examinée, contrairement aux dispositions en matière d’équité de la Loi. Selon la circulaire d’information 07‑1, l’annulation d’une pénalité pour faute lourde peut être accordée en vertu des dispositions en matière d’équité envers le contribuable dans des « circonstances exceptionnelles » non définies, mais la question n’a pas été examinée dans la présente affaire. Pour étayer cette affirmation, la demanderesse cite, entre autres, la première décision en matière d’équité sur l’allègement, datée du 22 février 2008 (pièce B jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux), ainsi que le document d’information et d’explication concernant les dispositions d’allègement pour les contribuables daté du 21 février 2008 (pièce F jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux), lesquels indiquaient tous les deux qu’il [traduction] « ne faut pas annuler les pénalités pour faute lourde, ou renoncer à de telles pénalités, sur le fondement des dispositions en matière d’équité ». La demanderesse soutient que cette position est contraire au libellé du paragraphe 220(3.1) de la Loi et que cette erreur de droit devrait être contrôlée par la Cour selon la norme de la décision correcte.

 

[21]           La défenderesse soutient que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait subi des difficultés financières ou une incapacité de payer qui justifierait un allègement. Les dispositions en matière d’équité de la Loi confèrent au ministre le pouvoir discrétionnaire d’annuler les pénalités et les intérêts payables en vertu de la Loi ou d’y renoncer. Ce pouvoir discrétionnaire ministériel est étendu et, pour en faciliter l’exercice, le ministre a préparé des lignes directrices se retrouvant dans la circulaire d’information 07‑1 intitulée « Dispositions d’allègement pour les contribuables ». Quoique le pouvoir discrétionnaire du ministre puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, la norme de contrôle applicable à de telles affaires est celle de la décision raisonnable selon l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 D.T.C. 5245.

 

[22]           La défenderesse soutient en outre qu’il n’incombe pas à la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre ou de substituer sa propre décision à celle du ministre. La défenderesse invoque Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, et Barron c. Canada (Ministre du Revenu national‑M.R.N.) (1997), 97 D.T.C. 5121 (CAF), [1997] A.C.F. no 175 (QL), pour étayer sa prétention que le contrôle de la Cour se limite à la manière dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire.

 

[23]           La défenderesse a conclu que la demanderesse n’avait pas obtenu de nouvel allègement sur le fondement des dispositions en matière d’équité parce que : a) elle ne souffrait pas d’une incapacité physique ou émotive suffisante pour justifier un allègement à l’égard des intérêts; b) elle n’avait pas démontré qu’elle s’était trouvé dans une situation de difficultés financières qui justifierait un allègement à l’égard des intérêts; c) l’ARC avait antérieurement accordé un allègement partiel à l’égard des intérêts; d) la Cour de l’impôt avait conclu que l’imposition de pénalités pour faute lourde était appropriée dans les circonstances et que la demanderesse n’avait présenté aucune raison pour annuler ces pénalités. La défenderesse soutient que ces conclusions étaient rationnelles et qu’elles étaient conformes aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale. En conséquence, la décision du ministre de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’allègement au titre des dispositions en matière d’équité de la Loi était raisonnable étant donné les faits de l’espèce.

 

[24]           Lors de la plaidoirie sur les pénalités pour faute lourde, la défenderesse a ajouté que, bien que la première décision en matière d’équité ait porté refus d’appliquer les dispositions en matière d’équité à ces pénalités, cette approche a été corrigée dans le cadre du processus ayant donné lieu à la deuxième décision en matière d’équité. Pour étayer cet argument, la défenderesse a cité l’« examen de l’assurance de la qualité » daté du 22 mai 2008 (pièce R jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux) qui relevait expressément l’erreur contenue dans la première décision en matière d’équité et qui confirmait que [traduction] « la demande d’allègement à l’égard de ces pénalités pouvait et devrait être examinée en vertu du paragraphe 220(3.1) ». Par conséquent, selon l’argument invoqué, la demande d’allègement à l’égard de ces pénalités a été examinée dans la deuxième décision en matière d’équité. Cependant, l’allègement a été refusé parce que la demanderesse n’avait pas fait la preuve que des « circonstances exceptionnelles » pouvaient justifier un tel allègement.

 

[25]           La demanderesse et la défenderesse ont toutes deux cité la circulaire d’information 07‑1 concernant les dispositions d’allègement pour les contribuables et ont chacune conclu que ces dispositions étayaient leurs positions respectives. Les deux parties ont invité la Cour à examiner cette circulaire d’information. 

 

Dispositions législatives et lignes directrices connexes

[26]           Les dispositions en matière d’équité envers le contribuable sont énoncées dans divers paragraphes de la Loi. Aux fins du présent contrôle judiciaire, la disposition pertinente est le paragraphe 220(3.1) :

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

 

[27]           Les pouvoirs du ministre aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi peuvent être délégués en vertu du paragraphe 220(2.01) de la Loi. Il n’a pas été contesté en l’espèce que l’agent ayant rendu la décision portant rejet de la deuxième demande au titre des dispositions en matière d’équité a été désigné de manière appropriée pour exercer ces pouvoirs pour le compte du ministre.

 

[28]           Les pénalités pour faute lourde qui, en l’espèce, constituent l’objet principal de la deuxième décision en matière d’équité sont prévues au paragraphe 163(2) de la Loi, qui énonce diverses formules pour calculer de telles pénalités lorsqu’elles sont imposées. La première partie du paragraphe explique l’objet de ces pénalités :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé «déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [... ]

(2) Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a “return”) filed or made in respect of a taxation year for the purposes of this Act, is liable to a penalty

[...]

 

 

 

 

[29]           Aux fins de la demande au titre des dispositions en matière d’équité envers le contribuable de la Loi, la circulaire d’information 07‑1, datée du 31 mai 2007, donne des lignes directrices sur le pouvoir discrétionnaire du ministre aux termes de ces dispositions (les lignes directrices). Ces lignes directrices ne visent pas à être exhaustives ni à restreindre l’esprit et l’intention de la Loi. Elles servent toutefois à informer les contribuables, dans des termes généraux, sur la politique et les pratiques du ministre lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux termes des dispositions en matière d’équité de la Loi.

 

[30]           Le paragraphe 8 des lignes directrices explique l’objet fondamental de la Loi comme étant celui de permettre l’adoption d’« une approche axée sur le bon sens dans le cas de personnes qui, en raison de problèmes personnels ou de circonstances indépendantes de leur volonté, n’ont pas pu satisfaire à une exigence législative aux fins de l’impôt sur le revenu ». Le paragraphe 11 confirme le caractère discrétionnaire de ces dispositions de la Loi et ajoute que toute demande visant un tel allègement « fera l’objet d’un examen et d’une décision fondée sur ses propres mérites ».

 

[31]           La partie II des lignes directrices traite de l’annulation des pénalités et des intérêts. Les paragraphes 23 et 24 énoncent les circonstances dans lesquelles un allègement des pénalités et des intérêts peut être justifié :

¶ 23. Le ministre peut accorder un allègement de l’application des pénalités et des intérêts lorsque les situations suivantes sont présentes et qu’elles justifient l’incapacité du contribuable à s’acquitter de l’obligation ou de l’exigence fiscale en cause :

 

a) circonstances exceptionnelles;

b) actions de l’ARC;

c) incapacité de payer ou difficultés financières.

 

¶ 24. Le ministre peut également accorder un allègement même si la situation du contribuable ne se trouve pas parmi les situations mentionnées au paragraphe 23.

 

 

[32]           Le premier des trois types de circonstances énumérés pour lesquelles un allègement peut être accordé vise les « circonstances exceptionnelles », lesquelles sont définies au paragraphe 25 des lignes directrices comme des circonstances « qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû » et notamment, mais sans s’y limiter, un accident grave, un accident ou une souffrance mentale ou des troubles émotifs graves.

 

[33]           La deuxième circonstance mentionnée concerne les actions de l’ARC. Le paragraphe 26 des lignes directrices énonce les types d’actions visés, par exemple des erreurs dans le traitement et des retards indus.

 

[34]           La troisième circonstance mentionnée est l’incapacité de payer ou les difficultés financières. Le paragraphe 27 des lignes directrices énonce les circonstances qui peuvent justifier un tel allègement à l’égard des intérêts, et donne quelques exemples. Cependant, l’article 28 des lignes directrices limite considérablement l’incapacité de payer ou les difficultés financières en cas de demande d’allègement des pénalités. Dans de tels cas, seules les circonstances extraordinaires énoncées au paragraphe 25 des lignes directrices, y compris une maladie ou un accident grave ou des troubles émotifs sévères ou des souffrances morales, peuvent justifier un allègement des pénalités. Cependant, il pourrait y avoir aussi de rares « circonstances exceptionnelles » non définies qui pourraient néanmoins justifier un allègement des pénalités en raison de l’incapacité de payer ou de difficultés financières.

 

[35]           Dans l’éventualité où les circonstances énoncées dans lignes directrices seraient telles qu’elles justifieraient la considération d’un allègement fondé sur les dispositions en matière d’équité de la Loi, le paragraphe 33 des lignes directrices énumère quatre facteurs à prendre en considération pour déterminer s’il convient d’annuler les pénalités et intérêts :

a) le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales; 

b) le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c) le contribuable a fait des efforts raisonnables et n’a pas été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation; 

d) le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

[36]           Les facteurs mentionnés rendent difficile d’accorder l’allègement des pénalités pour faute grave en vertu de la Loi, compte tenu de la nature même de celles‑ci. En fait, ces pénalités sont imposées lorsqu’un contribuable, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration fiscale, ou y participe autrement.

 

[37]           Néanmoins, il ressort clairement du libellé du paragraphe 220(3.1) de la Loi que les dispositions relatives à l’équité envers les contribuables qui y sont contenues s’appliquent à « tout ou partie d’un montant de pénalité [...] payable par ailleurs par le contribuable [...] en application de la présente loi » (non souligné dans l’original). Par conséquent, les dispositions relatives à l’équité envers les contribuables peuvent s’appliquer aux pénalités pour faute lourde. Cependant, selon les lignes directrices, des « circonstances exceptionnelles » doivent exister pour qu’un tel allègement soit accordé. Les lignes directrices recommandent en outre de contester les pénalités pour faute lourde en présentant une opposition plutôt qu’en invoquant les dispositions relatives à l’allègement fondé sur l’équité envers les contribuables :

¶ 37. L’allègement à l’égard d’une pénalité pour faute lourde établie en vertu de la Loi peut être envisagé en vertu du paragraphe 220(3.1). Cependant, puisque l’imposition de ces pénalités indique qu’il y a eu un degré de négligence et que les affaires fiscales du contribuable n’ont pas été menées avec soin et diligence, l’annulation d’une pénalité pour faute lourde ne peut être appropriée que dans des circonstances exceptionnelles.

 

¶ 38. Étant donné la nature de la pénalité pour faute lourde, il est plus approprié qu’un contribuable s’oppose à l’imposition d’une telle pénalité en présentant une opposition. Pour obtenir de plus amples renseignements sur le droit du contribuable de faire opposition, consultez la brochure P148, Régler votre différend: Opposition et vos droits d’appel selon la Loi de l’impôt sur le revenu, sur le site Web de l’ARC.

 

 

[38]           Lorsque, comme en l’espèce, une cotisation fait l’objet d’une opposition ou d’un appel, le paragraphe 109 des lignes directrices énonce qu’une demande d’annulation des pénalités et des intérêts fondée sur des circonstances exceptionnelles, telles qu’une maladie grave, un accident ou une souffrance mentale ou des troubles émotifs, peut être examinée et une décision informelle peut être communiquée au contribuable. Cependant, la décision finale concernant la demande d’allègement fondée sur de telles circonstances sera mise en suspens jusqu’au règlement de l’opposition ou de l’appel ou jusqu’à l’expiration de tous les droits d’appel d’interjeter appel.

 

[39]           Cependant, lorsque la demande d’allègement au titre des dispositions en matière d’équité concerne l’annulation de pénalités et d’intérêts sur le fondement de l’incapacité de payer ou de difficultés financières en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi et que la cotisation en cause fait l’objet d’une opposition ou d’un appel, le paragraphe 110 des lignes directrices prévoit que la demande « sera généralement mise en suspens en attendant le résultat de l’opposition ou de l’appel ou jusqu’à l’expiration de tous les droits d’interjeter appel ».

 

La norme de contrôle judiciaire

[40]           La Cour suprême a établi dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 62, un processus pour déterminer la norme de contrôle judiciaire : « Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[41]           La Cour d’appel fédérale a statué dans Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, [2009] A.C.F. no 71, aux paragraphes 24 à 27, et confirmé à nouveau dans Canada Agence du Revenu c. Slau Ltd., 2009 CAF 270, [2009] A.C.F. no 1194, au paragraphe 27, dans lequel Telfer est cité, que la norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi est celle de la décision raisonnable. Dans Telfer, aux paragraphes 24 et 25, la Cour d’appel a écrit :

24     La norme de la décision déraisonnable est la norme de contrôle qui s’applique normalement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 51 (Dunsmuir)). De fait, notre Cour avait déjà décidé dans Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 DTC 5245, 2005 CAF 153, que le caractère déraisonnable simpliciter (une des deux normes déférentes appliquées à l’époque par les tribunaux) était la norme de contrôle applicable à une décision prise en vertu du paragraphe 220(3.1).

 

25     Lors d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la raisonnabilité, le juge doit examiner le processus décisionnel (y compris les raisons avancées pour justifier la décision) afin de s’assurer qu’il offre une « justification » rationnelle de la décision, qu’il est transparent et qu’il est intelligible. De plus, le tribunal d’appel doit déterminer si la décision en soi appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au paragraphe 47).

 

 

[42]           Cependant, Telfer et Slau ne traitent pas de la norme de contrôle applicable dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, où il est allégué que le ministre a commis une erreur de droit en interprétant le paragraphe 220(3.1) de la Loi de manière erronée, par son refus de prendre en considération toute demande d’allègement fondée sur l’équité envers les contribuables à l’égard de pénalités pour faute lourde. Au paragraphe 28 de Telfer, la Cour d’appel fédérale semble avoir indiqué que la norme de contrôle peut être différente dans de telles circonstances.

 

[43]           Comme cela est noté dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, précité, au paragraphe 50, « [s]’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit ». De plus, au paragraphe 59 de Dunsmuir, la Cour suprême du Canada, citant D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles mises à jour en juillet 2007), p. 14‑3 et 14‑6, a précisé que « [l]’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence ».

 

Analyse

[44]           La décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, qui est datée du 9 juin 2008, porte rejet de la demande d’allègement présentée par la demanderesse en vertu des dispositions relatives à l’équité envers les contribuables de la Loi à deux égards : a) les intérêts sur arriérés pour la période antérieure au 13 mai 2004 et b) les pénalités pour faute lourde.

 

[45]           En ce qui concerne les intérêts sur arriérés pour la période antérieure au 13 mai 2004, comme l’avocat de la demanderesse l’a fait remarquer, il y a certaines incohérences dans les rapports préparatoires qui ont mené à la décision du 9 juin 2008 portant rejet de la demande d’allègement, particulièrement dans le rapport de deuxième niveau en matière d’équité daté du 5 juin 2007 (pièce G jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux).

 

[46]           Cependant, comme il est indiqué aux paragraphes 9 et 10 de l’affidavit de Janet de Kergommeaux présenté par la défenderesse, le deuxième rapport en matière d’équité daté du 5 juin 2007 ne constituait qu’une des nombreuses sources de renseignements disponibles et dont il a été tenu compte dans la décision portant rejet de la demande d’allègement à l’égard des intérêts sur arriérés pour la période antérieure au 13 mai 2004. En fait, il a été entre autres tenu compte de la première décision en matière d’équité envers le contribuable aux termes de laquelle un allègement important à l’égard des intérêts sur arriérés était accordé pour la période commençant le 13 mai 2004, du règlement du litige, qui à certains égards était favorable à la demanderesse, et de la conduite inacceptable de la demanderesse envers les autorités fiscales et en ce qui a trait à ses responsabilités de paiement de ses impôts.

 

[47]           Le libellé de la lettre du 9 juin 2008 dans laquelle la décision portant rejet de la demande était communiquée à la demanderesse ne comportait pas beaucoup de détails et mentionnait principalement le fait que la demanderesse n’avait pas fait face à des difficultés économiques durant la période antérieure au 13 mai 2004 pour laquelle elle demandait un allègement à l’égard des intérêts sur arriérés. Néanmoins, lorsqu’on l’interprète dans le contexte de toutes les pièces présentées par la demanderesse et que l’on considère comme un tout les divers documents qui ont été examinés et les différents rapports rédigés par la défenderesse pour le traitement de la deuxième demande d’allègement fondée sur l’équité envers les contribuables, la décision portant refus d’accorder l’allègement à l’égard des intérêts sur arriérés pour la période antérieure au 13 mai 2004 appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[48]           Par conséquent, je conclus qu’il était raisonnable de refuser d’accorder, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, un allègement supplémentaire à la demanderesse à l’égard des intérêts sur arriérés qu’on lui réclame pour la période antérieure au 13 mai 2004.

 

[49]           La situation est essentiellement différente lorsque l’on considère la demande d’allègement à l’égard des pénalités pour faute lourde, fondée sur les dispositions en matière d’équité envers les contribuables.

 

[50]           La décision datée du 22 février 2008 aux termes de laquelle la demande d’allègement fondée sur l’équité envers les contribuables était partiellement accueillie (pièce B jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux) portrait refus d’accorder l’allègement à l’égard des pénalités pour faute lourde au motif qu’un tel allègement n’était pas prévu à l’égard de telles pénalités :

[traduction]  Dans la mesure où des pénalités pour faute lourde ne sont imposées que dans des cas de négligence extrême, un contribuable à qui un tel type de pénalité est imposé ne constitue pas un candidat auquel il est justifié d’accorder un allègement de pénalités en vertu des dispositions en matière d’équité envers les contribuables. Les pénalités pour faute lourde qui ont été imposées ne devraient pas être annulées en vertu des dispositions en matière d’équité envers les contribuables.

 

 

[51]           Cette approche est manifestement erronée puisque, comme nous le notions plus haut, le paragraphe 220(3.1) de la Loi prévoit clairement que l’allègement fondé sur l’équité envers les contribuables qui y est envisagé peut s’appliquer à tout montant de pénalité par ailleurs payable en vertu de la Loi. Clairement, cela comprend les pénalités imposées aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi, soit les pénalités pour faute lourde.

 

[52]           Ce défaut a été relevé dans l’« examen de l’assurance de la qualité » daté du 22 mai 2008 (pièce R jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux) :

[traduction]  Quoique [le Bureau des services fiscaux d’Ottawa] ait donné la référence ADR‑03‑04 (ce qui indique que ces pénalités [pour faute lourde] ne devraient pas être annulées en vertu des dispositions en matière d’équité) dans le premier rapport ainsi que dans la lettre de la décision pour indiquer la raison du rejet de la demande d’allègement, la demande d’allègement de ces pénalités peut et devrait être considérée en vertu du paragraphe 220(3.1). Cependant, comme cela est noté dans le RED et l’ICO7‑1 [...], comme l’imposition de ces pénalités indique qu’il y a eu un degré de négligence, leur annulation ne peut être appropriée que dans des circonstances exceptionnelles. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[53]           Ces déclarations font correctement ressortir la portée du paragraphe 220(3.1) de la Loi, qui s’applique clairement aux pénalités pour faute lourde. Elles font à juste titre également mention de la politique énoncée dans les lignes directrices, selon laquelle, en raison de la nature même des pénalités pour faute lourde, des « circonstances exceptionnelles » non définies sont requises pour que l’annulation de telles pénalités puisse être envisagée au titre des dispositions en matière d’équité envers les contribuables.

 

[54]           Cependant, il est ensuite déclaré ce qui suit dans l’« examen de l’assurance de la qualité » daté du 22 mai 2008 :

[traduction]

En ce qui concerne la question de l’allègement pour les contribuables à l’égard des pénalités pour faute lourde, des circonstances exceptionnelles s’appliquent‑elles au cas de la contribuable? Le principal argument de la contribuable contre les pénalités pour faute lourde semble être sa prétention qu’elles n’ont pas été imposées à juste titre. Mme Cayer déclare qu’elle [traduction] « ne dirigeait pas une entreprise [...] n’a jamais eu de garantie Tarion du constructeur [...] n’a jamais eu de numéro de TPS et qu’elle n’a certainement pas l’expérience nécessaire pour construire des maisons pour d’autres personnes ». C’est clairement aux tribunaux qu’il revient de trancher cette question, puisque la contribuable n’a donné aucun détail quant à l’existence de circonstances exceptionnelles au sens des dispositions relatives à l’allègement des contribuables qui justifieraient que nous annulions ces pénalités. [Non souligné dans l’original.]

 

Comme il est noté au paragraphe 38 ci‑dessus [des lignes directrices], il est plus approprié que le contribuable conteste l’imposition de pénalités pour faute lourde. Mme Cayer n’a présenté aucune opposition ni aucun appel relativement à l’imposition des pénalités. Dans le jugement de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) daté du 15 mars 2007, [...] la juge a confirmé l’imposition des pénalités. [...] la contribuable a interjeté appel de la décision de la CCI relativement aux années d’imposition 2001 et 2002 à la Cour d’appel fédérale. En ce qui a trait à la mise à jour [...] la contribuable a jusqu’à la fin de ce mois‑ci [mai 2008] pour présenter des documents et poursuivre sa cause devant la Cour d’appel fédérale relativement aux années d’imposition 2001 et 2002 [...]

 

 

[55]           Ces éléments de l’« examen de l’assurance de la qualité » daté du 22 mai 2008 méritent certaines remarques. Premièrement, il ressort clairement du dossier que la demanderesse visait particulièrement les pénalités pour faute lourde dans sa deuxième demande d’allègement fondée sur les dispositions en matière d’équité envers les contribuables. Deuxièmement, il ressort également clairement du dossier que les raisons invoquées par la demanderesse pour demander cet allègement étaient les difficultés financières et la souffrance morale. Ces questions sont clairement énoncées dans la deuxième demande d’allègement fondée sur les dispositions en matière d’équité envers les contribuables datée du 14 avril 2008 (pièce C jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux) :

[traduction]

Je ne suis pas d’accord avec la décision prise dans le cadre du premier examen parce qu’on ne pouvait pas traiter des pénalités pour faute lourde à ce niveau et que l’allègement à l’égard des intérêts qui m’a été accordé n’était qu’une année de plus outre ce que [S.D.] m’avait déjà donné.

 

Je demande que tous les intérêts et les pénalités pour faute lourde soient annulés en raison de difficultés financières et de souffrances morales.

 

 

[56]           La demanderesse a exposé en détail ses arguments relatifs aux difficultés financières et aux troubles émotifs dans la documentation accompagnant la deuxième demande. Parmi d’autres arguments favorables à l’allègement, la demanderesse notait qu’elle vivait grâce au programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, qu’elle souffrait de polyarthrite rhumatoïde et de dépression sévère, qu’elle n’avait pas d’argent, qu’elle ne pouvait pas payer son hypothèque, qu’elle avait de la difficulté à nourrir et à habiller ses enfants et que sa vie était en fait ruinée (annexe A jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux, aux pages 36 et 37 du dossier de la défenderesse).

 

[57]           Par conséquent, quoiqu’il soit vrai que l’argument principal de la demanderesse contre l’application de la pénalité pour faute lourde ait d’abord concerné le caractère inapproprié de ces pénalités, ces arguments ont par la suite été examinés dans un appel à la Cour d’appel fédérale. Cependant, la demanderesse exerçait également un autre recours au titre des dispositions en matière d’équité envers les contribuables, qui se fondait sur des arguments qui ne concernaient pas la question de savoir si ces pénalités étaient appropriées, mais qui visait plutôt à obtenir leur annulation en raison de sa situation financière et de ses troubles émotifs. Il s’agit de deux moyens distincts fondés sur des éléments complètement différents et qui ont malheureusement été amalgamés dans l’« examen de l’assurance de la qualité » daté du 22 mai 2008.

 

[58]           On peut comprendre que l’ARC ne désirait accorder à la demanderesse aucun allègement au titre des dispositions en matière d’équité avant que la contestation de l’imposition des pénalités pour faute lourde devant les tribunaux ne soit terminée. Dans de telles circonstances, la demande au titre des dispositions en matière d’équité envers les contribuables aurait pu être laissée en suspens jusqu’à l’issue du processus d’opposition ou d’appel ou jusqu’à l’extinction de tous les droits d’appel. Ce n’est pas ce que l’« examen de l’assurance de la qualité » daté du 22 mai 2008 recommandait. Au contraire, la recommandation concernant les pénalités pour faute lourde était plutôt la suivante (page 4 de l’examen) :

[traduction]  Nous sommes d’accord qu’aucun allègement à l’égard des pénalités pour faute lourde ne devrait être accordé au titre des dispositions en matière d’équité envers les contribuables. Comme la contribuable a fait opposition à l’imposition de ces pénalités et les a contestées, la question devrait être tranchée par les tribunaux. (Nous vous recommandons d’en aviser la contribuable dans votre lettre faisant état de la décision.)

 

 

[59]           Quoi qu’il en soit, les documents de règlement datés du 23 mai 2008 (pièce D jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux) ont peu après mis fin à la procédure d’appel où était contesté le caractère approprié des pénalités pour faute lourde. Bien qu’il ait dès lors été mis fin au litige concernant la cotisation, l’ARC insistait toujours pour que la demande d’allègement à l’égard des pénalités pour faute lourde au titre des dispositions en matière d’équité envers les contribuables soit tranchée par les tribunaux plutôt que par l’application du paragraphe 220(3.1) de la Loi.

 

[60]           En fait, après le règlement du litige concernant la cotisation, le rapport de deuxième niveau en matière d’équité du 5 juin 2007 (pièce G jointe à l’affidavit de Janet de Kergommeaux) traitait de la demande d’allègement fondée sur l’équité envers les contribuables dans les termes suivants (à la page 3) :

[traduction]

La contribuable a demandé l’annulation des pénalités pour faute lourde. Comme ces pénalités sont imposées dans des cas de négligence extrême, l’annulation ne peut être appropriée que dans des circonstances exceptionnelles.

Un contribuable peut contester l’imposition de telles pénalités en faisant valoir une opposition – la contribuable a déposé une opposition et n’a pas réussi à faire annuler les pénalités par la Section des appels.

La contribuable a alors fait une demande à la Cour canadienne de l’impôt – la juge a confirmé la position de l’Agence et a conclu que l’imposition de ces pénalités était appropriée.

La contribuable n’a fait valoir aucune circonstance exceptionnelle – dans le présent cas, les tribunaux devraient déterminer s’il existait des circonstances exceptionnelles justifiant d’annuler les pénalités pour faute lourde. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[61]           Cette approche a été réitérée dans la décision définitive datée du 9 juin 2008 qui portait rejet de la deuxième demande d’allègement au titre des dispositions en matière d’équité envers les contribuables de la demanderesse et qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire :

[traduction]  Les pénalités pour faute lourde ne peuvent être annulées que dans des circonstances exceptionnelles. Aucune circonstance exceptionnelle n’a été démontrée dans le présent cas; par conséquent, les tribunaux devraient décider s’il y a lieu d’annuler ces pénalités. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[62]           La conclusion inéluctable en l’espèce est que l’ARC a amalgamé l’appel relatif à l’imposition des pénalités pour faute lourde et la demande d’allègement fondée sur l’équité envers les contribuables en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Ainsi, on a refusé à la demanderesse l’examen approprié de sa demande fondée sur le paragraphe 220(3.1) de la Loi en liant l’issue de cette demande à l’issue de son appel sur l’imposition de la pénalité. Or, comme je l’ai déjà dit, il s’agit de deux recours distincts qu’il faut examiner séparément.

 

[63]           Comme le notait récemment le juge Tardif de la Cour canadienne de l’impôt aux paragraphes 43 et 44 de Gilbert c. Canada, 2009 CCI 102, 2009 D.T.C. 1205, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence sur les questions touchant aux dispositions en matière d’équité fiscale envers les contribuables énoncées au paragraphe 220(3.1) de la Loi (voir aussi Iszcenko c. Canada, 2009 CCI 229, 2009 D.T.C, aux paragraphes 10 et 13).

 

[64]           Les considérations qui s’appliquent dans un appel relatif à une cotisation dans lequel des pénalités pour faute lourde sont contestées ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent à une demande d’allègement au titre des dispositions relatives à l’équité envers les contribuables. L’un de ces recours porte sur le bien‑fondé des pénalités à la lumière de la conduite du contribuable en matière de déclarations de revenus, et l’autre, sur les circonstances exceptionnelles pouvant justifier l’annulation des pénalités au regard des dispositions en matière d’équité. Il s’agit de deux questions différentes qui sont traitées comme telles par la Loi. En fait, le paragraphe 220(3.1) de la Loi ne limite pas les pénalités pour faute lourde et ne les exclut pas de sa portée. Au contraire, le paragraphe énonce qu’il s’applique à : « tout ou partie d’un montant de pénalité [...] payable par ailleurs par le contribuable [...] en application de la présente loi » [non souligné dans l’original].

 

[65]           Il se peut que les arguments ayant trait aux difficultés financières et aux troubles émotifs que la demanderesse a soulevés pour justifier sa demande d’annulation des pénalités pour faute lourde au titre des dispositions en matière d’équité ne suffisent pas à satisfaire à la norme élevée des « circonstances exceptionnelles » que le ministre a établie dans les lignes directrices pour accorder un tel allègement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Cependant, il s’agit d’une question qu’il appartient au ministre, et non à la Cour, d’examiner de manière appropriée et ensuite de trancher.

 

[66]           Dans la présente affaire, la demande d’allègement fondée sur les dispositions en matière d’équité de la demanderesse visant à obtenir l’annulation des pénalités pour faute lourde n’a pas été examinée en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi. Cela constitue un refus d’exercer une compétence, un défaut de suivre une procédure prescrite par la loi ou une erreur de droit au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[67]           Comme les deux parties ont eu partiellement gain de cause, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

 

2.                  La demande fondée sur le paragraphe 220(3.1) de la Loi visant à obtenir l’annulation des pénalités pour faute lourde imposées en l’espèce est renvoyée à la défenderesse pour qu’une nouvelle cotisation soit établie et qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre représentant désigné par le ministre, conformément aux présents motifs.

 

 

 

« Robert Mainville »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1366‑08

 

 

INTITULÉ :                                                   BRIDGETTE CAYER c. ARC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 novembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Mainville

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Martin Diegel

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mme. Joanna Hill

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MARTIN DIEGEL

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H.SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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