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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091120

Dossier : IMM‑139109

Référence : 2009 CF 1198

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

BAO YU ZHANG

(Alias BAOYU ZHANG)

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 24 février 2009, par M. Stephen Rudin, commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR ou la Commission). La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas exposée à un risque réel de persécution en raison de son appartenance au christianisme et qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               À la fin de l’audience, j’ai dit que la demande était accueillie. Les motifs de ma décision sont exposés ci‑dessous.

 

RÉSUMÉ DES FAITS

[3]               La demanderesse est une Chinoise âgée de 55 ans qui craint d’être persécutée en raison de sa religion. La demanderesse a allégué qu’elle a commencé à fréquenter une maison‑église, le 6 juin 2004, à la suite du décès de son père, sur les conseils d’un ami. Après avoir assisté à quelques célébrations, la demanderesse a appris de son ami que la maison‑église était illégale. Elle a néanmoins continué à fréquenter l’église clandestine jusqu’à ce qu’elle vienne au Canada, en avril 2006, munie d’un visa de visiteur, pour rendre visite à sa fille.

 

[4]               La demanderesse avait prévu rester au Canada pendant six mois, mais elle a présenté une demande de prorogation de son visa de visiteur afin d’aider sa fille à déménager dans une nouvelle maison et sa demande a été accueillie.

 

[5]               La demanderesse a déposé des lettres établissant qu’elle est un membre actif de la Living Stone Assembly [Assemblée de la pierre vivante] au Canada, depuis juin 2006, et qu’elle a été baptisée le 25 décembre 2006.

 

[6]               La demanderesse allègue que, pendant qu’elle était au Canada, elle a eu une conversation téléphonique, le 4 décembre 2006, avec sa sœur qui est en Chine et qui l’a informée que la maison‑église qu’elle fréquentait avait été découverte et que tous les membres avaient été arrêtés en novembre 2006. De plus, la demanderesse a allégué que les représentants du Bureau de la sécurité publique (BSP) avaient rendu visite à sa famille trois fois cette semaine‑là; ils voulaient savoir où elle était et ils ont laissé une assignation à résidence pour elle.

 

[7]               Après avoir appris cette information, la demanderesse allègue qu’elle a eu peur et elle a réalisé qu’elle ne pouvait pas retourner en Chine. Par conséquent, le 12 décembre 2006, elle a présenté sa demande d’asile. La demanderesse allègue aussi que les représentants du BSP continuent de poser des questions à son sujet et qu’ils exercent de grandes pressions sur son époux pour qu’il la convainque de retourner en Chine.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[8]               Le commissaire a admis que la demanderesse était une chrétienne pratiquante membre d’une maison‑église en Chine et qu’elle a continué cette pratique au Canada.

 

[9]               Toutefois, il a conclu que la demanderesse n’avait pas satisfait à l’obligation d’établir une possibilité sérieuse de persécution si elle était renvoyée en Chine ni qu’elle serait soumise personnellement à un risque de torture ou de menace à sa vie ou de traitement ou peine cruels et inusités de la part de quelque autorité que ce soit en Chine. Pour arriver à cette conclusion, le commissaire Rudin s’est fondé sur des documents relatifs à la situation du pays, selon lesquels le traitement des maisons‑églises varie selon la région. Le commissaire a fait observer que, même dans les régions où les maisons‑églises ne sont autorisées que lorsqu’elles ont un petit nombre de membres, ces églises non reconnues faisaient face à des difficultés lorsque le nombre de leurs membres s’accroissait, lorsqu’elles arrivaient à utiliser des installations habituelles pour tenir des activités religieuses précises, lorsqu’elles se créaient des liens avec d’autres groupes non enregistrés ou étrangers, ou lorsqu’elles tentaient de se rassembler en groupes plus larges et de voyager à l’intérieur et à l’extérieur du pays pour des rassemblements religieux.

 

[10]           Le commissaire a aussi fait référence au document intitulé Annual Report of Persecution by the Government on Christian House Churches within Mainland China January-December 2007, [Rapport annuel sur la persécution par le gouvernement dans les maisons‑églises chrétiennes en Chine continentale — Janvier — Décembre 2007], publié par une ONG américaine, selon lequel seulement six personnes de la province de Anhui, soit la province d’origine de la demanderesse, ont été arrêtées en 2007, toutes ces personnes étaient soit des leaders soit des missionnaires.

 

[11]           Se basant sur ces documents, le commissaire a conclu qu’il était invraisemblable que tous les neuf membres de l’église que la demanderesse fréquentait aient été arrêtés. Non seulement le nombre de membres de l’église était limité, mais, selon le témoignage de la demanderesse, elle n’était au courant d’aucune affiliation extérieure avec d’autres églises clandestines ou des églises à l’extérieur de la Chine. En outre, la demanderesse ne s’est pas présentée comme étant une leader. Par conséquent, le commissaire a privilégié la preuve documentaire au témoignage de la demanderesse et il a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, le BSP n’avait pas fait de descente dans la maison‑église, que la demanderesse ne ferait pas l’objet d’une arrestation ni d’un emprisonnement et qu’elle pouvait retourner en Chine et y pratiquer sa religion.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]           La demanderesse a soulevé deux questions :

a.       La SPR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle n’a pas examiné l’assignation déposée en preuve?

b.      La SPR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à une possibilité sérieuse de persécution si elle était renvoyée en Chine?

 

ANALYSE

[13]           L’évaluation de la preuve est une question qui relève sans doute du mandat et de l’expertise de la SPR, et, ainsi, les conclusions du commissaire attirent un degré élevé de retenue de la part de la Cour. Il était loisible au commissaire de tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité de la demanderesse, sur la base de l’invraisemblance de son récit lorsqu’il est examiné eu égard à la preuve documentaire. La Cour ne substituera pas sa décision à celle d’un tribunal, sauf si la décision contestée est basée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il soit tenu compte des éléments de preuve dont le tribunal disposait.

 

[14]           Toutefois, la deuxième question soulevée par la demanderesse n’est pas exclusivement liée à une évaluation des faits. La décision de la SPR est basée sur une interprétation particulière de ce qu’est la persécution. Ainsi, elle soulève une question de droit qui doit être examinée eu égard à la norme de décision correcte.

 

[15]           Je suis d’accord avec la demanderesse que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte de l’assignation dans son évaluation de la question de savoir si la demanderesse serait exposée à de la persécution en cas de retour en Chine. Il est clair que l’assignation est un élément de preuve important dans la demande de la demanderesse, car elle corrobore le témoignage selon lequel la demanderesse serait arrêtée en cas de retour en Chine. La SPR avait l’obligation d’examiner l’assignation et de donner des motifs, soit pour l’accepter en tant qu’élément de preuve crédible supplémentaire, soit pour la rejeter.

 

[16]           Il est vrai que la Commission a mentionné l’assignation, mais seulement pour déclarer dans la section « Allégations » que le BSP avait laissé une assignation pour la demanderesse. Cela n’était évidemment pas suffisant. Nous en sommes donc à émettre des conjectures sur la raison pour laquelle le commissaire n’a pas accordé plus de poids à l’assignation, ou sur la raison pour laquelle il a néanmoins conclu que le BSP ne recherchait pas la demanderesse et qu’elle ne ferait pas l’objet d’une arrestation ou d’un emprisonnement en cas de retour en Chine. Il est de droit constant que, « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée » : Cepeda‑Gutierrez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17; (voir également Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 497.

 

[17]           Cette erreur est particulièrement frappante étant donné que la Commission a déclaré la demanderesse crédible. La Cour a conclu dans Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 150 F.T.R. 240 (C.F. 1re inst.), que l’omission de la Commission d’examiner l’assignation équivaut à une erreur susceptible de contrôle, même lorsque le témoignage du demandeur n’est pas crédible. On serait donc amené à penser qu’une telle erreur serait encore plus grave lorsque le demandeur a été déclaré crédible et que l’assignation semble corroborer son témoignage. Cette erreur en soi suffit à rendre la décision de la SPR déraisonnable.

 

[18]           Mais il y a plus. Dans ses motifs, le commissaire a expressément admis que la demanderesse était chrétienne et qu’elle pratiquait sa religion dans une église clandestine en Chine avant de venir au Canada. Toutefois, le commissaire a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, le BSP ne ferait pas de descente dans la maison‑église, que la demanderesse ne ferait pas l’objet d’une arrestation et d’un emprisonnement et qu’elle pouvait donc retourner en Chine et y pratiquer sa religion. La Commission a principalement basé sa conclusion sur les statistiques d’un document déposé en preuve, selon lesquelles seulement six personnes ont été arrêtées en 2007. Cette conclusion est troublante.

 

[19]           Le commissaire s’est concentré sur le nombre d’arrestations de chrétiens comme étant un indicateur de la possibilité de persécution et cela constitue à la fois une mauvaise interprétation et une erreur. Le nombre d’arrestations de chrétiens clandestins en Chine peut révéler la possibilité pour les membres de l’église de demeurer clandestins et de cacher leurs activités aux autorités. Cependant, le fait que les chrétiens clandestins sont en mesure de cacher leurs activités et d’éviter d’être détectés n’est pas pertinent pour trancher la question de savoir s’ils font l’objet de persécution en raison de leur religion et s’ils ne sont pas en mesure de pratiquer librement leur religion, conformément à leur croyance fondamentale. La Cour a clairement établi que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes :

Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l’interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en œuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion.

 

Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1813, 90 F.T.R. 182 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 5.

 

 

 

[20]           Il ressort clairement de la jurisprudence que toute restriction significative de la possibilité pour la demanderesse de pratiquer sa religion comme elle le désire dans sa maison‑église, y compris une brève période de détention ou une amende, constitue certainement de la persécution du fait de la religion. Le fait qu’il est illégal d’appartenir à une église non enregistrée ou non parrainée par l’État en Chine tendrait donc à étayer une conclusion de persécution du fait de la religion. Je souligne à ce sujet que le même rapport sur lequel le commissaire s’est fondé pour déclarer qu’il y a eu très peu d’arrestations dans la province d’Anhui (d’où la demanderesse est originaire) établit aussi que c’est la province qui détient le deuxième plus haut taux de « persécution » de maisons‑églises. Par conséquent, il appert qu’il n’y a pas nécessairement de corrélation claire entre les arrestations et la persécution.

 

[21]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis donc d’avis que la décision de la SPR devra être annulée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

—        la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                IMM‑1391‑09

 

INTITULÉ :                                               Bao Yu Zhang (alias Baoyu Zhang)

                                                                    c.

                                                                    MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       Le 19 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                             le 20 novembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vania Campana

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nicoleta Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

41, avenue Madison

Toronto (Ontario)   M5R 2S2

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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