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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20091118

Dossier : T-843-02

Référence : 2009 CF 1178

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

MUSHTAQ ALI KHAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le présent jugement concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté ( la Loi) par lequel le demandeur conteste la décision datée du 2 mai 2002 par laquelle la juge de la citoyenneté R. Cruden n’a pas approuvé sa demande de citoyenneté.

 

Le contexte

[2]               Le 22 mai 2001, M. Mushtaq Ali Khan (le demandeur) a présenté une demande de citoyenneté canadienne, dans laquelle il déclare qu’il est citoyen du Pakistan, qu’il est né le 1er mars 1951 et qu’il est résident permanent du Canada depuis le 11 mai 1989.

[3]               Le demandeur a échoué à l’examen des connaissances écrit et obligatoire et a donc été convoqué devant une juge de la citoyenneté pour déterminer s’il pouvait répondre aux exigences de la Loi et du Règlement sur la citoyenneté (le Règlement).

 

[4]               Le demandeur a comparu devant la juge de la citoyenneté le 27 mars 2002 et a échoué à l’examen des connaissances oral. Il n’a pas répondu correctement à certaines des questions posées et, notamment, il a eu de la difficulté à mentionner les droits et les privilèges conférés par la citoyenneté de même que les responsabilités des citoyens canadiens. La juge de la citoyenneté en a donc informé le ministre défendeur et, le 2 mai 2002, elle a envoyé une lettre au demandeur expliquant en ces termes la décision de ne pas approuver la demande de citoyenneté :

[traduction

J’ai conclu à ce moment-là [le 27 mars 2002] que vous n’aviez pas une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et des avantages conférés par la citoyenneté, comme l’exige l’alinéa 5(1)e) de la Loi sur la citoyenneté pour que l’on octroie la citoyenneté à un demandeur. À l’audience, vous n’avez pas montré que vous aviez une connaissance suffisante des droits et des responsabilités qui s’attachent à la citoyenneté. C’est votre frère, Mansab Ali Khan, qui a traduit toutes les questions portant sur le Canada.

 

Aux termes de l’article 15 du Règlement sur la citoyenneté, qui prescrit les critères permettant de déterminer si un demandeur possède une connaissance suffisante du Canada ainsi que des privilèges et des responsabilités attachés à la citoyenneté, vous devez être capable de répondre correctement à des questions que le ministre a rédigées en fonction des informations contenues dans un livret d’auto-apprentissage approuvé par lui et remis aux demandeurs en vue de l’octroi de la citoyenneté.

 

Conformément au paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté, j’ai examiné s’il y avait lieu de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi. Ce paragraphe 5(3) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de, notamment, exempter pour des raisons d’ordre humanitaire, dans tous les cas, des conditions relatives aux connaissances que vous n’avez pas remplies. Quant au paragraphe 5(4), il habilite le gouverneur en conseil à ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne soumise à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou pour récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.

 

À l’audience, aucune preuve ne m’a été présentée à propos de circonstances spéciales qui justifieraient que je formule une telle recommandation en vertu du paragraphe 5(3) ou du paragraphe 5(4).

 

Conformément aux dispositions du paragraphe 14(3) de la Loi sur la citoyenneté, je vous informe donc que, pour les raisons qui précèdent, votre demande de citoyenneté n’est pas approuvée.

 

[5]               Le présent appel a d’abord été interjeté par le demandeur le 30 mai 2002, et il devait être initialement entendu le 28 mai 2003. Cependant, cette audience a été ajournée sine die par le juge Rouleau à la demande des parties. À la suite d’une requête faite par le demandeur en décembre 2005 en vue d’obtenir une nouvelle date, une audience a été fixée au 14 mars 2006. Là encore, celle-ci a été ajournée sine die par le juge Barnes à la demande du demandeur, qui, se trouvant au Pakistan, était dans l’impossibilité d’y assister. L’affaire a finalement été reportée à la demande du défendeur, et en fin de compte une audience a eu lieu devant moi, à Ottawa, le 9 novembre 2009.

 

[6]               Cependant, depuis l’introduction initiale de l’instance, la politique du ministre a changé. En fait, avant le 18 avril 2005, conformément à une politique ministérielle on accordait automatiquement une exemption des exigences en matière de connaissances, linguistiques notamment, aux demandeurs âgés de 60 ans ou plus. Le 18 avril 2008, cette exemption automatique a été étendue par une politique ministérielle aux demandeurs âgés de 55 ans ou plus.

 

 

La position des parties

[7]               Dans son mémoire des faits et du droit daté du 18 octobre 2002, le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son évaluation des faits car il avait répondu correctement aux questions qu’on lui avait posées sur les droits et les privilèges attachés à la citoyenneté ainsi que sur les responsabilités d’un citoyen canadien.

 

[8]               À l’audience tenue devant moi, le demandeur a eu recours à une démarche différente. Il a fait plutôt valoir qu’il est aujourd’hui âgé de 58 ans, que, de ce fait, la nouvelle politique d’exemption des exigences en matière de connaissances, linguistiques notamment, devrait maintenant s’appliquer à lui et que, par conséquent, la Cour devrait lui accorder ipso facto la citoyenneté.

 

[9]               Le demandeur a de plus signalé qu’il ne sollicitait pas une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire, mais plutôt l’application de la nouvelle politique à sa situation personnelle. Il a expressément indiqué à l’audience qu’il ne contestait pas le refus de la juge de la citoyenneté de recommander au ministre d’exercer, aux termes de la Loi, son pouvoir discrétionnaire pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[10]           L’avocate représentant le ministre a fait valoir que la décision du 2 mai 2002 de la juge de la citoyenneté est claire et fondée sur une évaluation des faits qui lui ont été soumis, et qu’on n’a présenté aucune preuve justifiant son annulation. Il a de plus été allégué pour le compte du ministre que même si la politique a changé en 2005, ce n’était pas rétroactivement. L’avocate représentant le ministre a ajouté qu’il était – et est toujours – loisible au demandeur de demander de nouveau la citoyenneté et que, vu son âge, il pourrait obtenir dans le cadre d’une nouvelle demande une exemption des exigences en matière de connaissances, linguistiques notamment. Si le demandeur satisfait aux autres critères de la Loi et, notamment, aux exigences en matière de résidence, on pourra alors lui accorder la citoyenneté dans le cadre d’une nouvelle demande.

 

[11]           La question de savoir si le ministre a le pouvoir d’accorder une exemption des exigences réglementaires pour accorder la citoyenneté n’a été ni évoquée ni plaidée devant moi.

 

Les dispositions légales et réglementaires applicables

[12]           Les alinéas 5(1)d) et e) de la Loi prévoient :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[…]

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

[…]

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship;

 

[13]           L’article 15 du Règlement, adopté en vertu de l’alinéa 27d) de la Loi, prévoit :

15. Une personne possède une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté si, à l’aide de questions rédigées par le ministre, elle comprend de façon générale, à la fois :

 

 

a) le droit de vote aux élections fédérales, provinciales et municipales et le droit de se porter candidat à une charge élective;

 

b) les formalités liées au recensement électoral et au vote;

 

c) l’un des sujets suivants, choisi au hasard parmi des questions rédigées par le ministre :

 

(i) les principales caractéristiques de l’histoire sociale et culturelle du Canada,

 

(ii) les principales caractéristiques de l’histoire politique du Canada,

 

(iii) les principales caractéristiques de la géographie physique et politique du Canada,

 

(iv) les responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté autres que ceux visés aux alinéas a) et b).

15. The criteria for determining whether a person has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship are that, based on questions prepared by the Minister, the person has a general understanding of

 

(a) the right to vote in federal, provincial and municipal elections and the right to run for elected office;

 

 

(b) enumerating and voting procedures related to elections; and

 

(c) one of the following topics, to be included at random in the questions prepared by the Minister, namely,

 

(i) the chief characteristics of Canadian social and cultural history,

 

(ii) the chief characteristics of Canadian political history,

 

 

(iii) the chief characteristics of Canadian physical and political geography, or

 

 

(iv) the responsibilities and privileges of citizenship, other than those referred to in paragraphs (a) and (b).

 

La norme de contrôle applicable

[14]           Dans une décision récente : Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Takla, 2009 CF 1120, j’ai procédé à une analyse approfondie de la norme de contrôle qui s’applique aux appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi. J’y ai conclu que, dans les appels de cette nature qui se rapportent aux exigences en matière de résidence, la norme de contrôle est la raisonnabilité, étant entendu que cette norme est elle-même souple et s’adapte au contexte particulier dans lequel elle est appliquée. C’est donc dire que même si, en appel, les décisions des juges de la citoyenneté appellent une certaine retenue, celle-ci est restreinte. J’applique au présent appel, qui a trait aux exigences de la Loi en matière de connaissances, linguistiques notamment, la même démarche à laquelle j’ai eu recours dans la décision Takla.

 

Analyse

[15]           Même si, à l’audition du présent appel, le demandeur n’a pas insisté pour poursuivre les arguments qu’il avait formulés dans son mémoire des faits et du droit daté du 18 octobre 2002, je considère qu’il est utile de les examiner quand même.

 

[16]           Les alinéas 5(1)d) et e) de la Loi disposent que, pour que le ministre accorde la citoyenneté, l’intéressé doit avoir une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada ainsi que des responsabilités et des avantages conférés par la citoyenneté. Aux termes de l’alinéa 27d) de la Loi, le gouverneur en conseil peut établir les critères à appliquer pour déterminer ces questions. Ces critères sont énoncés aux articles 14 et 15 du Règlement, qui autorisent le ministre à rédiger des questions à poser aux demandeurs sur certains sujets de manière à pouvoir déterminer convenablement leur degré de connaissances.

 

[17]           Le ministre a rédigé les questions et elles ont été posées au demandeur. Conformément aux paragraphes 14(1), (2) et (3) de la Loi, la juge de la citoyenneté saisie de la demande a décidé que le demandeur n’avait pas répondu convenablement à un grand nombre des questions, dont celles qui se rapportaient particulièrement aux responsabilités et aux privilèges conférés par la citoyenneté et, cela étant, elle a refusé la demande de citoyenneté.

 

[18]           Le demandeur souhaite voir annuler la décision de la juge de la citoyenneté au motif qu’il a répondu correctement aux questions que la juge lui avait posées. Malheureusement, ni son affidavit établi sous serment ni l’avis de demande qu’il a signé n’étayent cette affirmation. En fait, dans son affidavit daté du 29 juin 2002, le demandeur reconnaît avoir répondu partiellement ou incorrectement à quatre des questions posées. De plus, dans la demande de contrôle judiciaire qu’il a signée le 30 mai 2002, le demandeur dit ne pas avoir répondu à deux des trois volets de la question portant sur les responsabilités conférées par la citoyenneté.

 

[19]           Le demandeur n’est donc pas parvenu à établir que la juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision de ne pas approuver la demande de citoyenneté. Je conclus donc que la décision de la juge de la citoyenneté en l’espèce était raisonnable. L’appel relatif à cette décision sera donc rejeté.

 

[20]           Le demandeur demande toutefois que la Cour prenne acte de la nouvelle politique par laquelle le ministre exempte les demandeurs âgés de 55 ans ou plus des exigences en matière de connaissances, linguistiques notamment, et qu’elle lui accorde maintenant la citoyenneté pour cette raison. Il s’agit là d’une chose que la Cour ne peut pas faire. En fait, la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas un appel de novo de la décision de la juge de la citoyenneté. Il était autrefois possible d’interjeter un tel appel à l’égard d’une décision d’un juge de la citoyenneté, mais la loi a depuis longtemps été changée; voir : Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999) 164 F.T.R. 177, [1999] A.C.F. no 410, au paragraphe 9. Un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi est normalement instruit en fonction des dispositions législatives et réglementaires et des considérations de principe qui étaient en vigueur à l’époque où le juge de la citoyenneté a rendu sa décision.

 

[21]           Il est loisible au demandeur de présenter en tout temps une nouvelle demande de citoyenneté afin d’essayer de tirer avantage de la nouvelle politique d’exemption des exigences en matière de connaissances, linguistiques notamment. Cependant, il s’agit là d’une affaire qui déborde le cadre du présent appel et sur laquelle la Cour ne fera pas d’autres commentaires.


JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE : l’appel est rejeté.

 

 

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-843-02

 

 

INTITULÉ :                                       MUSHTAQ ALI KHAN c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 novembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mainville

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mushtaq Ali Khan

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Hélène Robertson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S.O.

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H.SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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