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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale


Date : 20091117

Dossier : T-582-09

Référence : 2009 CF 1171

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

BAYER INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU GÉNÉRAL

 

[1]               Bayer Inc. (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du ministre de la Santé en date du 11 mars 2009. Le ministre a estimé que le brevet canadien n° 2,194,979 (le brevet 979) n’était pas admissible à une inscription au registre des brevets.

 

[2]               Le ministre a conclu que le brevet 979, s’agissant de la présentation de drogue nouvelle (PDN) 119387, ne remplissait pas les conditions fixées dans les modifications apportées le 5 octobre 2006 au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement AC), et cela parce que le brevet 979 ne contenait pas une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal drospirénone/éthinylestradiol, comme le requiert le paragraphe 4(2) du Règlement AC. Selon le ministre, le brevet contenait une revendication de composition pharmaceutique contenant uniquement le 17alpha-éthinylestradiol, ce qui n’était pas une formulation contenant l’ingrédient médicinal approuvé dans l’avis de conformité.

 

Le YAZ

 

[3]               Le YAZ est utilisé comme moyen de contraception et pour le traitement de l’acné moyenne chez les femmes âgées de 14 ans ou plus. Il est offert aux patientes dans un emballage renfermant 24 comprimés qui contiennent une combinaison de deux hormones sexuelles (éthinylestradiol 0,020 mg, et drospirénone 3.0 mg), et quatre comprimés de rappel qui ne contiennent pas de principes actifs.

 

[4]               Bayer a déposé la PDN 119387 en janvier 2008 afin de faire approuver le YAZ. Un avis de conformité lui a été délivré le 23 décembre 2008.

 

[5]               La monographie de produit (MP) du YAZ mentionne que le YAZ est un [traduction]« contraceptif oral combiné », qui contient une faible dose de la progestine drospirénone et une faible dose de l’estrogène éthinylestradiol. Dans le YAZ, l’éthinylestradiol est stabilisé par la bêta-cyclodextrine en tant que clathrate.

 

LE BREVET 979

 

[6]               Le brevet 979, intitulé « Formes de médicaments solides contenant des clathrates d’hormones sexuelles stéroïdiennes », a été déposé le 10 juillet 1995 et délivré le 6 janvier 2009. Le brevet 979 se rapporte à des formes médicamenteuses solides qui contiennent de faibles doses d’hormones sexuelles stéroïdiennes.

 

[7]               Le brevet 979 revendique l’invention d’une composition combinant le 17alpha-éthinylestradiol et la bêta-cyclodextrine pour former un clathrate. Ce clathrate réduit la dégradation oxydative en rendant plus difficile pour l’oxygène de réagir avec l’hormone sexuelle.

 

[8]               Le brevet 979 renferme 15 revendications. Les revendications 1 à 5 concernent la combinaison de bêta-cyclodextrine et de 17alpha-éthinylestradiol en forme solide pour réduire la dégradation oxydative du 17alpha-éthinylestradiol. Les revendications 6 à 11 concernent la combinaison de 17alpha-éthinylestradiol et de bêta-cyclodextrine pour former un clathrate. Les revendications 12 à 14 sont des revendications visant un procédé. La revendication 15 se rapporte à l’utilisation d’une combinaison de 17alpha-éthinylestradiol et de bêta-cyclodextrine en une forme posologique solide pour produire un effet estrogénique.

 

LA DÉCISION DU MINISTRE

 

[9]               Le ministre a informé la demanderesse, par lettre datée du 16 janvier 2009, que le brevet 979 ne remplissait pas les conditions du Règlement AC. Il donnait trente jours à la demanderesse pour déposer des conclusions sur l’admissibilité du brevet 979. La demanderesse a communiqué au ministre des conclusions écrites appuyant l’admissibilité du brevet 979 à une inscription au registre des brevets.

 

[10]           Le ministre a rendu une décision finale par lettre datée du 11 mars 2009. Il y écrivait que les revendications du brevet 979 concernaient des compositions pharmaceutiques, dont le 17alpha-éthinylestradiol, qui ne mentionnaient pas la drospirénone/éthinylestradiol comme étant l’ingrédient médicinal.

 

[11]           Plus précisément, le ministre écrivait que :

[traduction] […] Nous reconnaissons que la drospirénone est un composé actif sur le plan gestagénique[…], mais le BMBL est d’avis que l’inclusion de gestagènes en tant que catégorie, sans mention de la drospirénone, ne suffit pas à constituer une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, ainsi que le requiert le paragraphe 4(2) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

[12]           Le ministre était donc d’avis que le brevet 979 n’était pas admissible à l’inscription au registre des brevets pour la PDN 119387, puisqu’il ne contenait pas une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, laquelle avait été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité, comme l’exigeait l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC.

 

LES POINT LITIGIEUX

 

[13]           La demanderesse soulève ici le point suivant :

 

1.                  Le ministre a-t-il commis une erreur dans sa manière d’interpréter l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC, et s’est-il par conséquent fourvoyé en disant que le brevet 979 n’était pas admissible à l’inscription au registre pour la PDN se rapportant au YAZ?

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[14]           Les articles suivants du Règlement AC intéressent la présente demande :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

« revendication de la formulation » Revendication à l’égard d’une substance qui est un mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux d’une drogue et qui est administrée à un patient sous une forme posologique donnée. (claim for the formulation)

 

4. (2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

 

a) une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

b) une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

c) une revendication de la forme posologique, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

d) une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

 

4. (3) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache au supplément à une présentation de drogue nouvelle visant une modification de la formulation, une modification de la forme posologique ou une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, s’il contient, selon le cas :

 

a) dans le cas d’une modification de formulation, une revendication de la formulation modifiée, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément;

 

b) dans le cas d’une modification de la forme posologique, une revendication de la forme posologique modifiée, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément;

 

c) dans le cas d’une modification d’utilisation de l’ingrédient médicinal, une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément.

 

2. In these Regulations,

 

 

 

“claim for the formulation” means a claim for a substance that is a mixture of medicinal and non-medicinal ingredients in a drug and that is administered to a patient in a particular dosage form; (revendication de la formulation)

 

4. (2) A patent on a patent list in relation to a new drug submission is eligible to be added to the register if the patent contains

 

 

 

(a) a claim for the medicinal ingredient and the medicinal ingredient has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

 

(b) a claim for the formulation that contains the medicinal ingredient and the formulation has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

 

(c) a claim for the dosage form and the dosage form has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission; or

 

 

(d) a claim for the use of the medicinal ingredient, and the use has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission.

 

4. (3) A patent on a patent list in relation to a supplement to a new drug submission is eligible to be added to the register if the supplement is for a change in formulation, a change in dosage form or a change in use of the medicinal ingredient, and

 

 

 

 

 

(a) in the case of a change in formulation, the patent contains a claim for the changed formulation that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement;

 

 

(b) in the case of a change in dosage form, the patent contains a claim for the changed dosage form that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement; or

 

 

(c) in the case of a change in use of the medicinal ingredient, the patent contains a claim for the changed use of the medicinal ingredient that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement.

 

 

LES TÉMOINS EXPERTS

 

[15]           La demanderesse a signifié et produit les dépositions de deux témoins, à savoir M. Manoj Saxena et Mme Xiao Yu Wu. M. Saxena est directeur et chef des affaires réglementaires chez Bayer. Sa déposition portait sur les bases factuelles de la PDN du YAZ et sur la correspondance échangée avec le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (le BMBL). Mme Wu est professeure de sciences pharmaceutiques et de libération contrôlée de médicaments à la faculté de pharmacie de l’Université de Toronto. Elle a témoigné à propos de certaines des expressions employées dans le brevet 979, expliqué certaines revendications du brevet et affirmé que, selon elle, le YAZ renferme une composition pharmaceutique qui entre dans le champ des revendications du brevet.

 

[16]           Le ministre de la Santé a produit la déposition de Mme Marie Lisa Maille, agente de brevets auprès du BMBL. Le témoignage de Mme Maille permet de donner un certain contexte à la décision du ministre.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[17]           La demanderesse et les défendeurs reconnaissent que la question de savoir si un brevet répond aux conditions de l’article 4 du Règlement AC est une question d’interprétation de la réglementation, et que la décision doit être revue d’après la décision correcte. Voir l’arrêt Laboratoires Abbott Limitée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, 70 C.P.R. (4th) 161 (l’arrêt Abbott). La décision du ministre sera donc maintenue à moins que la Cour considère que le ministre a interprété erronément le Règlement AC : voir l’arrêt Abbott, au paragraphe 34.

 

LA DEMANDE

            Les arguments de la demanderesse

Principes d’interprétation

 

[18]           Selon la demanderesse, il faut interpréter les termes d’une loi et de sa réglementation dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

[19]           Le Règlement AC a pour objet de préserver les droits des inventeurs en obligeant les fabricants de médicaments génériques à respecter les brevets inscrits au registre des brevets. L’inscription au registre est la première étape garantissant que la délivrance d’un avis de conformité pour le médicament générique n’entraînera pas une contrefaçon de brevet. Voir la décision Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1415, 45 C.P.R. (4th) 439, et l’arrêt Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 140, 40 C.P.R. (4th) 108.

 

L’interprétation de l’alinéa 4(2)b)

 

[20]           La demanderesse affirme que, selon le texte même de l’alinéa 4(2)b), un brevet est admissible à l’inscription au registre s’il contient :

a.                   une revendication de la formulation;

 

b.                   contenant l’ingrédient médicinal;

 

c.                   la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

 

[21]           Les modifications apportées en 2006 au Règlement AC étaient accompagnées d’un résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR). Le REIR décrivait ainsi le nouveau terme « formulation » :

Le terme « formulation » renvoie donc au mélange d’ingrédients médicinaux et non médicinaux administré au patient au moyen de la drogue approuvée. Le terme « ingrédient médicinal », quant à lui, renvoie à la substance dans la formulation qui, une fois administrée, est responsable de l’effet désiré de la drogue dans l’organisme.

 

[22]           Dans sa décision, le ministre ne conteste pas que le brevet 979 contient des revendications de formulation au sens de l’article 2 du Règlement AC. La décision était plutôt fondée sur le fait que :

a)         les revendications ne se référaient pas explicitement à l’un des ingrédients médicinaux du produit approuvé; et

 

b)         le BMBL croit que, lorsque le produit approuvé contient deux ingrédients médicinaux, les revendications doivent se référer explicitement à chacun d’eux.

 

[23]           Selon la demanderesse, l’effet de la décision du ministre était le suivant :

a)         « contenir » signifie se référer explicitement à;

 

b)         « l’ingrédient médicinal », s’agissant d’un produit contenant plus d’un ingrédient médicinal, s’entend de tous les ingrédients médicinaux.

 

[24]           Le ministre a donc estimé que, aux fins des alinéas 4(2)b) et 4(2)a), l’ingrédient médicinal était la drospirénone/éthinylestradiol, plutôt que seulement l’éthinylestradiol, qui est l’ingrédient médicinal mentionné dans les revendications du brevet 979.

 

[25]           Selon la demanderesse, le sens ordinaire des mots « contenant l’ingrédient médicinal » ne requiert pas une mention explicite des ingrédients médicinaux. Le fait que l’ingrédient médicinal soit contenu dans la formulation suffit à remplir l’exigence d’une interprétation selon le sens ordinaire.

 

[26]           Par ailleurs, l’interprétation du ministre contredit la ligne directrice de Santé Canada : Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Selon l’alinéa 4(2)a), un brevet de composition revendiquant un seul ingrédient médicinal peut être inscrit à l'égard d’une drogue qui contient l’ingrédient médicinal en même temps que d’autres ingrédients médicinaux. Par cette définition, le ministre reconnaissait que la question de savoir si les revendications se réfèrent explicitement à d’autres ingrédients médicinaux est indépendante de la question de savoir si les produits entrent dans le champ des revendications.

 

[27]           La demanderesse donne à entendre que ce même raisonnement s’applique au cas des revendications de formulation; le seul fait que les revendications ne se réfèrent pas explicitement à l’autre ingrédient médicinal ne signifie pas automatiquement que le produit se trouve en dehors du champ des revendications.

 

[28]           La ligne directrice invoquée par le ministre pour régler ce point n’a pas force de loi. Elle n’aborde pas non plus expressément la question posée. Elle dit simplement que la formulation revendiquée doit « comporter l’ingrédient médicinal de la drogue à titre d’élément ». Cependant, la ligne directrice reconnaît aussi que l’inclusion d’un ingrédient additionnel (un excipient) dans une formulation ne supprime pas la pertinence « si le brevet A revendique une formulation qui comporte les excipients X et Y et que le médicament pour lequel le brevet doit être inscrit comporte les excipients X, Y et Z ».

 

[29]           La demanderesse fait valoir que l’on peut présumer que le législateur choisit avec soin et cohérence les mots qu’il emploie dans une loi ou autre instrument législatif. Les mêmes mots doivent donc être présumés avoir le même sens partout où ils apparaissent dans un texte de loi. La demanderesse affirme que cela est d’autant plus vrai lorsque les mots répétés sont voisins les uns des autres ou lorsqu’ils sont apparentés. Voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition (2008), aux pages 214 et 215, et Thompson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, [1992] A.C.S. n° 13. Par conséquent, « l’ingrédient médicinal » dont parle l’alinéa 4(2)b) doit être interprété comme il l’était dans l’alinéa 4(2)a), c’est-à-dire qu’il signifie l’un des ingrédient médicinaux approuvés.

 

[30]           Selon la demanderesse, l’interprétation donnée par le ministre ne contribue pas à garantir la spécificité du produit, bien que cela soit ce qu’il recherche. La spécificité du produit résulte plutôt de la nécessité d’approbation de la formulation. Une référence précise à un seul ingrédient médicinal rend plus étroit le lien entre la formulation approuvée et la formulation revendiquée. Cependant, il n’y a aucune raison d’exiger la désignation précise du deuxième ingrédient médicinal pour que soit remplie l’obligation de spécificité du produit.

 

[31]           La demanderesse affirme aussi que son interprétation s’accorde avec la prévention des contrefaçons de brevet, un objectif primordial du Règlement AC. Dans l’interprétation de ce texte réglementaire, la Cour doit se demander si « l’interprétation proposée tendrait à empêcher la contrefaçon de brevets découlant de l’utilisation de l’invention brevetée » : G.D. Searle & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2009 CAF 35, 386 N.R. 262, paragraphe 12 (l’arrêt G.D. Searle).

 

[32]           La demanderesse prétend qu’il est assez probable que son brevet soit contrefait par un fabricant qui chercherait à faire approuver une version générique du YAZ. L’interprétation que donne la demanderesse du Règlement AC permettrait de prévenir la contrefaçon du brevet. En revanche, l’interprétation qu’en donne le ministre n’assurerait pas la protection du brevet de la demanderesse.

 

[33]           Selon la demanderesse, l’interprétation de l’alinéa 4(2)b), tout comme le contexte de la présente affaire, confortent la demanderesse dans sa conviction que la décision du ministre est erronée. Mme Wu a apporté la preuve que l’ajout d’un deuxième ingrédient actif après la formation du clathrate n’influerait pas sur la cyclodextrine clathrate d’éthinylestradiol. Par conséquent, la stabilité du clathrate ne serait pas affectée par l’ajout de cet ingrédient. Cela montre le caractère non pertinent du deuxième ingrédient médicinal pour l’invention brevetée. La demanderesse croit qu’il faut en conclure que le brevet 979 engloberait les formulations qui comprennent d'autres ingrédients actifs et/ou non médicinaux.

 

[34]           Selon la demanderesse, le témoignage de Mme Wu explique pourquoi la composition pharmaceutique du YAZ entre dans le champ des revendications 1, 3 à 6, et 8 à 10 du brevet 979.

 

[35]           Le BMBL a tenu compte de facteurs inopportuns et préjudiciables lorsqu’il a évalué l’admissibilité du brevet 979 à une inscription au registre. Par exemple, la prise en compte, par le BMBL, d’autres brevets actuellement inscrits au registre des brevets pour la PDN n° 119387 était inopportune. Ces brevets n’auraient pas dû être pris en compte durant l’évaluation.

 

[36]           L’évaluation du ministre n’a pas non plus été faite de la manière uniforme envisagée dans le Règlement AC. La preuve montre plutôt que le BMBL [traduction] « a remarqué qu’il existait déjà un brevet de formulation inscrit au registre », et le BMBL [traduction] « en a pris note parce que l’existence de ce brevet de formulation contenant les deux ingrédients médicinaux présentait quelque intérêt ». La demanderesse affirme que le BMBL n’aurait pas dû tenir compte, pour arriver à sa décision, d’un brevet inscrit au registre des brevets, même si les deux brevets étaient inscrits au registre des brevets pour la même présentation.

 

            Les arguments des défendeurs

 

[37]           Les défendeurs font observer que la demanderesse revendique une formulation mentionnant un seul ingrédient médicinal; cependant, la drogue approuvée de la demanderesse contient deux ingrédients médicinaux. Par conséquent, l’objet du brevet 979 ne s’accorde pas avec celui de la présentation de drogue.

 

[38]           Trois brevets sont inscrits au registre pour la PDN 119387, dont le brevet canadien 2,382,426, intitulé « Mélange pharmaceutique d’éthinylestradiol et de drospirénone utilisé en tant que contraceptif ». Ce brevet est inscrit à juste titre étant donné qu'il renferme une revendication de la formulation contenant les deux ingrédients médicinaux du YAZ.

 

[39]           Le brevet 979 contient une revendication relative à une composition pharmaceutique contenant le 17alpha–éthinylestradiol. Cependant, ce n’est là que l’un des deux ingrédients médicinaux approuvés dans la PDN 119387. Comme le YAZ renferme deux ingrédients médicinaux et que le brevet 979 contient une revendication concernant une formulation qui n’en renferme qu’un, le brevet 979 n’est pas admissible à une inscription au registre des brevets.

 

Les principes d’interprétation

 

[40]           Selon les défendeurs, la Cour applique, pour l’interprétation des lois, le principe de l’examen des termes dans leur contexte global. Il faut donc considérer les termes dans leur contexte intégral, de telle sorte que leur sens ordinaire s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Voir la décision Merck & Co. c. Nu-Pharm Inc., 254 N.R. 68, [2000] A.C.F. n° 380 (QL) (la décision Merck).

 

[41]           La Cour suprême du Canada a précisé, dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, que l’objet du régime réglementaire se limite à empêcher la contrefaçon par une personne qui profite de l’exception des « travaux préalables », énoncée au paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets (la Loi).

 

[42]           Selon les défendeurs, l’interprétation de mots au singulier et au pluriel intéresse la présente affaire. Comme le prévoit le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-23, « le pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité. » Cette interchangeabilité existe lorsqu’elle est nécessaire : a) au vu du contexte et des circonstances du dossier; b) pour remplir au mieux l’objet de la disposition.

 

[43]           Le Règlement AC s’inscrit dans une politique publique dont l’objet est de mettre en balance la nécessaire protection des brevets et l’entrée opportune sur le marché de concurrents fabriquant des médicaments génériques moins coûteux. L’exception des « travaux préalables » énoncée au paragraphe 55.2(1) de la Loi permet à un fabricant de drogues d’utiliser une drogue brevetée et innovatrice pour faire approuver la mise sur le marché d’une version concurrente de la drogue. Cette exception donne aux fabricants de médicaments génériques la possibilité de mener à bien la procédure réglementaire d’agrément de Santé Canada alors que la première drogue est encore protégée par un brevet, de sorte que le fabricant de médicaments génériques pourra entrer sur le marché peu de temps après l’expiration du brevet. Le Règlement AC vise à empêcher l’abus de l’exception des travaux préalables.

 

[44]           Selon les défendeurs, la période de suspension de 24 mois prévue par le Règlement AC constitue une mesure puissante et extraordinaire. Selon le REIR, « c’est ce même pouvoir qui doit être modéré dans l’application du règlement de liaison [le Règlement AC], faute de quoi les effets de celui-ci l’emporteraient sur ceux de la fabrication anticipée et empêcheraient l’atteinte du but général de la politique ».

 

[45]           Dans la réglementation antérieure, un brevet était généralement admissible à l’inscription au registre (et donc admissible à une protection selon le Règlement AC) s’il renfermait une revendication portant sur le médicament présent dans la drogue reproduite. Cependant, les modifications de 2006 ont rendu plus rigoureuses les conditions d’admissibilité afin de faire de la spécificité du produit la principale considération. Dans le règlement actuel, un brevet n’est admissible à l’inscription au registre que si l’objet du brevet correspond à l’objet de la présentation de drogue approuvée.

 

L'interprétation des lois

 

[46]           Les défendeurs appliquent les principes d’interprétation des lois à l’exigence de spécificité énoncée dans l’alinéa 4(2)b) et considèrent que la deuxième partie de la phrase (« contenant l’ingrédient médicinal ») vise à qualifier la première partie (« une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal »). On peut donc poser la question suivante : « quelle formulation le brevet doit-il revendiquer pour être admissible? » Selon les défendeurs, la bonne réponse est la suivante : « la formulation contenant l’ingrédient médicinal ». Les défendeurs relèvent aussi que l’intention du législateur ressort manifestement de l’emploi de l’article défini plutôt que de l’article indéfini avant les termes « formulation » et « ingrédient médicinal ».

 

[47]           Les défendeurs prennent note aussi de la définition modifiée de « revendication de la formulation », dans l’article 2 du Règlement AC. Il ressort de cette définition qu’un brevet de formulation doit revendiquer le mélange d’ingrédients tel qu’il est administré au patient :

« revendication de la formulation » Revendication à l’égard d’une substance qui est un mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux d’une drogue et qui est administrée à un patient sous une forme posologique donnée.

 

[48]           Selon les défendeurs, les exigences détaillées de spécificité (ou de pertinence) du produit ont pour objet de limiter l’application du Règlement AC [traduction] « à ce que l’innovateur a investi en temps et en argent pour tester la drogue et en faire approuver la vente ». La Cour d'appel fédérale a noté que l’interprétation du texte antérieur était si large qu’elle différait indûment l’entrée de drogues génériques sur le marché. Les modifications visaient donc à rétablir l’équilibre souhaité. Voir l’arrêt G.D. Searle.

 

[49]           Les défendeurs affirment aussi que certaines contrefaçons de brevets ne seraient sans doute pas admissibles à la protection prévue par le Règlement AC et que ce point a été pris en compte dans l’élaboration des modifications. Voir le REIR, pages 1511 et 1512.

 

[50]           Il n’est pas contesté que la formulation approuvée contient deux ingrédients médicinaux et que la formulation revendiquée n’en contient qu’un seul. À la question de savoir quelle formulation le brevet doit revendiquer pour être admissible à l’inscription au registre, la réponse est le YAZ, qui est la formulation contenant l’ingrédient médicinal. Toutefois, le brevet 979 ne revendique pas cette formulation, étant donné que le YAZ contient deux ingrédients médicinaux. Par conséquent, la formulation revendiquée ne s’accorde pas avec la formulation approuvée, comme le requiert l’alinéa 4(2)b). Les défendeurs disent que cette conclusion est appuyée par les arrêts Abbott et G.D. Searle.

 

[51]           Les défendeurs notent également la définition modifiée de « revendication de la formulation », à l’article 2 du Règlement AC. Cette définition peut être distinguée d’un brevet de composition parce qu’elle concerne la revendication du mélange des ingrédients tels qu’ils sont effectivement administrés au patient. Selon les défendeurs, l’idée est de limiter la protection offerte par le Règlement AC « à ce que l’innovateur a investi en temps et en argent pour tester la drogue et en faire approuver la vente », de telle sorte qu’une « innovation hypothétique » ne puisse pas empêcher l’entrée d’un produit générique sur le marché.

 

[52]           Les défendeurs contestent la divergence d’interprétation alléguée par la demanderesse et expliquent la distinction entre un brevet de composition et un brevet de formulation. Un brevet de composition revendique la partie active essentielle de la formulation de la drogue. Il intéresse donc toute formulation qui contient cette composition. Aux fins de la règle de spécificité du produit, il y aura en général concordance entre le brevet de composition et toute formulation contenant la composition (quels que puissent être les autres excipients ou ingrédients médicinaux qu’elle contient). Un brevet de formulation, quant à lui, renferme une revendication portant sur le mélange approuvé particulier des ingrédients médicinaux et non médicinaux qui sont administrés aux patients. La formulation revendiquée ne « correspondra » donc pas à la formulation approuvée à moins qu’elles ne contiennent toutes les deux les mêmes ingrédients médicinaux.

 

[53]           En application de la Loi d’interprétation, le fait que l’expression « ingrédient médicinal » apparaisse au singulier dans le Règlement AC ne règle pas la question d’interprétation. Les défendeurs affirment que, dans le cas présent, le principe de l’examen des termes dans leur contexte global appelle l’inclusion du pluriel dans le singulier.

 

Les arguments complémentaires

 

[54]           La demanderesse avait fait valoir que le brevet 979 pouvait être inscrit au registre pour toute formulation contenant de l’éthinylestradiol, qu’elle contienne ou non le deuxième ingrédient médicinal. Les défendeurs contestent cette affirmation; selon eux, cela reviendrait à considérer le brevet de formulation comme un brevet de composition. Cette assimilation est fautive car elle irait à l’encontre de l’objet de la « spécificité du produit » dont parle l’article 4.

 

[55]           Les défendeurs contestent aussi l’affirmation de la demanderesse pour qui l’exigence de pertinence a été respectée. L’exigence de pertinence est plus étroite que ne le laisse entendre la demanderesse. Contrairement à ce que prétend la demanderesse, le Règlement AC reconnaît que ce ne sont pas tous les brevets de médicaments qui seront protégés. Par ailleurs, on ne devrait pas s'en remettre à une interprétation simplement parce qu’elle empêcherait une contrefaçon du brevet. Voir l’arrêt G.D. Searle, aux paragraphes 47 et 48.

 

[56]           Selon les défendeurs, l’inscription du brevet 426 n’a pas influé sur la décision. L’agente de brevets qui a témoigné pour le ministre a affirmé que le brevet 426 présentait un certain intérêt, mais elle a aussi précisé qu’il n’avait pas influé sur la décision du ministre.

 

[57]           Subsidiairement, les défendeurs affirment que, si la Cour juge que le brevet 979 est admissible à l’inscription au registre, alors l’inscription ne devrait pas être rétroactive au 8 janvier 2009 comme le voudrait la demanderesse. Si la Cour juge que le brevet est admissible à l’inscription au registre, alors le ministre l’y ajoutera immédiatement. L’inscription du brevet au registre devrait prendre effet le jour où le brevet est ajouté au registre. Cette pratique s’accorde avec le Règlement AC et avec les impératifs d’ordre public. Cette approche a d’ailleurs été récemment approuvée par la Cour fédérale dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Canada, 2009 CF 474, [2009] A.C.F. n° 587.

 

ANALYSE

 

[58]           La présente demande de contrôle judiciaire fait intervenir une question d’interprétation du Règlement AC.

 

[59]           La demanderesse dit que, selon l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC, il suffit, s’agissant des conditions d’inscription du brevet, que les revendications du brevet se réfèrent à l’un des ingrédients médicinaux mentionnés dans la présentation de drogue approuvée.

 

[60]           Les défendeurs disent que cela ne suffit pas et que, dans le cas d’un brevet de formulation, l’objet du brevet doit correspondre à l’objet de la présentation de drogue approuvée.

 

[61]           Cette question est importante ici parce que le BMBL a jugé que le brevet 979 ne remplissait pas les conditions d’admissibilité formulées au paragraphe 4(2) du Règlement AC, et cela parce que le comprimé YAZ consiste en une formulation contenant deux ingrédients médicinaux (la drospirénone et l’éthinylestradiol), tandis que le brevet 979 fait état de revendications qui n’en contiennent qu’un (l’éthinylestradiol).

 

[62]           Les deux parties s’accordent à dire que la Cour devrait examiner la décision du BMBL en utilisant la décision correcte comme norme. Je partage leur avis. Voir l’arrêt Abbott, aux paragraphes 27 à 34.

 

[63]           Elles reconnaissent aussi que le principe à appliquer pour l’interprétation du Règlement AC dans la présente affaire est le principe de l’examen des termes dans leur contexte global. Voir la décision Merck.

 

[64]           Mme Maille a confirmé, en contre-interrogatoire, que la décision du BMBL de refuser d’inscrire le brevet 979 au registre était fondée sur le fait que les revendications ne se référaient pas explicitement à l’un des ingrédients médicinaux du produit approuvé. Comme les défendeurs le font observer dans leurs arguments, une formulation est un mélange d’ingrédients médicinaux, de telle sorte qu’une formulation qui contient plus d’un ingrédient médicinal diffère d’une formulation qui contient un seul ingrédient médicinal. La demanderesse a invoqué divers moyens pour dire que la décision du BMBL est fautive.

 

Le sens ordinaire des mots

 

[65]           La demanderesse dit que le sens ordinaire des mots « contenant l’ingrédient médicinal », dans l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC, requiert simplement que la revendication fasse état de l’ingrédient médicinal (une mention explicite de l'ingrédient ou des ingrédients médicinaux n’est pas nécessaire) et, selon elle, les mots « l’ingrédient médicinal » ne signifie pas tous les ingrédients médicinaux.

 

[66]           À mon avis, la demanderesse dissèque les mots « une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal » afin de minimiser l’importance de « la formulation ». Cependant, nous devons examiner le sens courant et ordinaire de la phrase tout entière : « une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal ».

 

[67]           Le sens de l’expression « ingrédient médicinal » n’est pas contesté, et l’expression « revendication de la formulation » est définie ainsi dans l’article 2 : « Revendication à l’égard d’une substance qui est un mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux d’une drogue et qui est administrée à un patient sous une forme posologique donnée ».

 

[68]           Le brevet 979 renferme des revendications relatives à une composition pharmaceutique contenant de l’éthinylestradiol. Mais l’éthinylestradiol n’est que l’un des ingrédients médicinaux approuvés dans la PDN 119387 pour le YAZ.

 

[69]           Partant, selon moi, si l’on donne aux mots de l’alinéa 4(2)b) leur sens courant et ordinaire, alors le brevet 979 ne revendique pas la formulation qui a été approuvée. Il revendique plutôt une formulation qui contient l’un des ingrédients médicinaux qui ont été approuvés. La formulation qui a été approuvée, à savoir le YAZ, contient deux ingrédients médicinaux. Il me semble qu’un mélange contenant deux ingrédients médicinaux est différent d’un mélange qui contient un seul ingrédient médicinal. Les ingrédients médicinaux sont combinés pour produire un effet optimal lorsque la drogue est administrée au patient. Ainsi, de façon générale, une drogue comptant un seul ingrédient médicinal n’aura pas le même effet qu’une drogue dans laquelle deux ingrédients médicinaux se combinent pour produire l’effet souhaité.

 

[70]           À mon avis, la demanderesse cherche à éluder le sens ordinaire et évident de l’alinéa 4(2)b) en isolant « l’ingrédient médicinal » de « la formulation ». L’alinéa dit « la formulation » et « l’ingrédient médicinal »; il ne dit pas « une formulation » ou « un ingrédient médicinal ». L’approbation de la PDN 119387 pour le YAZ concerne deux ingrédients médicinaux, dont un seul (l’éthinylestradiol) est mentionné dans les revendications du brevet 979.

 

[71]           Comme le font observer les défendeurs, le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation dispose que « le pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité », de telle sorte qu’il n’y a rien de fautif à lire l’expression « l’ingrédient médicinal », dans l’alinéa 4(2)b) du Règlement, comme si c’était l’expression « les ingrédients médicinaux ». Ainsi, d’après moi, ce serait fausser le sens courant et ordinaire des mots « l’ingrédient médicinal » que d’affirmer qu’ils signifient « l’un des ingrédients médicinaux » qui ont été approuvés, et cela parce que c’est la formulation qui doit avoir été approuvée, et la formulation dont il s’agit ici contient un mélange de deux ingrédients médicinaux.

 

L’incohérence

 

[72]           La demanderesse fait aussi valoir que la manière dont le ministre interprète l’alinéa 4(2)b) ne s’accorde pas avec la lecture qu’il fait de l’alinéa 4(2)a), ni avec le paragraphe 4(3).

 

[73]           Plus précisément, s’agissant de l’alinéa 4(2)a), le ministre reconnaît qu’un brevet renfermant une revendication qui ne se réfère qu’à un seul ingrédient médicinal peut, en vertu de cet alinéa, être inscrit au registre pour un produit mixte.

 

[74]           Selon la demanderesse, cela montre que le ministre a reconnu que le fait que les revendications concernées ne parlent pas explicitement de l’autre (des autres) ingrédient(s) médicinal (médicinaux) est sans rapport avec la question de savoir si le produit entre dans la portée des revendications. La demanderesse soutient ensuite que, pareillement, s’agissant de revendications de formulation, à moins que la revendication ne soit interprétée comme une formulation contenant un ingrédient médicinal unique (ce n’est pas le cas ici), ou comme une formulation excluant les formulations contenant les autres ingrédients médicinaux spécifiques en cause (ce n’est pas le cas non plus ici), le fait que les revendications ne mentionnent pas explicitement les autres ingrédients médicinaux n’est pas pertinent.

 

[75]           Autrement dit, la demanderesse affirme que le ministre n’a nullement justifié la distinction qu’il a faite ici entre un brevet de composition et un brevet de formulation.

 

[76]           Il faut également présumer que les mots employés par le législateur sont choisis avec soin et cohérence, de telle sorte que, à l’intérieur d’une loi ou autre instrument, les mêmes mots devraient avoir le même sens. Ainsi, selon la demanderesse, l’« ingrédient médicinal », dans l’alinéa 4(2)b), devrait, s’agissant d’un produit mixte, être interprété par le ministre, dans l’alinéa 4(2)a), comme s’il s’agissait de l’un des ingrédients médicinaux approuvés.

 

[77]           La distinction se trouve, me semble-t-il, dans la différence fondamentale qu’il y a entre un brevet de composition et un brevet de formulation. Un brevet de composition est admissible à l’inscription au registre selon l’alinéa 4(2)a) parce qu’il renferme une revendication portant sur l’ingrédient médicinal approuvé, lequel est la partie active essentielle de la formulation de la drogue. Cela signifie que, s’agissant des travaux préalables, une copie générique de la drogue contenant le composé a été mise au point à l'avance à partir du brevet de composition.

 

[78]           En revanche, comme le font remarquer les défendeurs, un brevet de formulation tel que le brevet 979 ne renferme pas une revendication de l’ingrédient médicinal même. Il s’agit plutôt d’une revendication du mélange approuvé des ingrédients médicinaux et non médicinaux qui sont effectivement administrés au patient.

 

[79]           À mon avis, il n’y a rien d’absurde ou d’incohérent dans l’interprétation faite par le ministre, parce qu’une formulation qui est un mélange de plus d’un composé diffère d’une composition contenant un seul composé.

 

[80]           L’essence d’un brevet de composition est l’ingrédient médicinal; l’essence d’un brevet de formulation est le mélange des ingrédients. Cette distinction requiert une approche différente lorsque l’on considère la concordance et la spécificité en vertu des alinéas 4(2)a) et 4(2)b). À mon avis, il n’y a rien d’incohérent ou d’absurde dans la manière dont le ministre fait cette distinction.

 

[81]           Essentiellement, la demanderesse dit que la concordance et la spécificité sont présentes, en application de l’alinéa 4(2)b), dès lors que les revendications du brevet mentionnent au moins l’un des ingrédients médicinaux de la présentation de drogue approuvée. Cela voudrait dire par exemple que, si la présentation de drogue comprenait un mélange, disons, de cinq ingrédients médicinaux, le niveau requis de concordance serait encore présent même si le brevet ne mentionnait que l’un d’entre eux. À mon avis, c’est là assimiler l’inscription au registre avec une contrefaçon de brevet au sens de la Loi. Je ne crois pas qu’une telle position soit appuyée par le texte du paragraphe 2 ou par les politiques à l’origine du nouveau règlement.

 

La spécificité du produit

 

[82]           La demanderesse soutient aussi que la manière dont le ministre interprète l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC ne garantit pas la spécificité du produit. D’après elle, la spécificité du produit est obtenue par la règle selon laquelle la formulation doit avoir été approuvée, c’est-à-dire que l’innovateur a investi du temps et de l’argent pour tester l’invention et en faire approuver la vente.

 

[83]           L’argument selon lequel il n’y a aucune raison d’exiger que le deuxième ingrédient médicinal soit explicitement nommé pour que soit remplie la condition de spécificité du produit signifierait que le brevet 979 pourrait être inscrit au registre pour toute formulation contenant de l’éthinylestradiol.

 

[84]           Encore une fois, selon moi, la demanderesse voudrait que la Cour ne tienne aucun compte de la nature d’un brevet de formulation dans la mesure où il concerne la spécificité. Elle presse en fait la Cour d’interpréter le Règlement AC de telle manière qu’un brevet de formulation serait considéré de la même façon qu’un brevet de composition, la spécificité étant ainsi assimilée à une contrefaçon.

 

[85]           Il me semble cependant que le REIR dit clairement que ce n’est pas là la bonne manière de voir la spécificité et l’inscription au registre. On peut y lire que « ce ne sont pas tous les brevets protégeant une drogue approuvée qui peuvent se prévaloir du mécanisme d’application prévu par le Règlement » et qu’« il peut y avoir des cas où un brevet n’étant pas admissible à la protection conférée par le Règlement soit finalement contrefait suite à l’arrivée d’un produit générique sur le marché » :

Toutefois, le gouvernement estime que, dans le cas où le brevet ne respecterait pas les exigences susmentionnées, les intérêts de la politique sous-jacente font pencher la balance en faveur de l’approbation immédiate du produit générique et qu’il est préférable que la question soit tranchée au moyen d’une action en contrefaçon ordinaire. Il s’ensuit que la viabilité du régime dépend en grande partie de l’application juste et équitable de ces exigences.

 

 

[86]           S’agissant de la spécificité accrue que les modifications devaient apporter à la procédure d’inscription, le REIR donne les indications suivantes sur la « formulation » et l’« ingrédient médicinal » :

Aux fins de l’article 4 modifié, les termes « formulation » et « ingrédient médicinal » tirent leur sens de l’interprétation donnée par la jurisprudence mentionnée ci-haut relative à « revendication du médicament en soi ». Le terme « formulation » renvoie donc au mélange d’ingrédients médicinaux et non médicinaux administré au patient au moyen de la drogue approuvée. Le terme « ingrédient médicinal », quant à lui, renvoie à la substance dans la formulation qui, une fois administrée, est responsable de l’effet désiré de la drogue dans l’organisme.

 

[87]           Il me semble que, pour ce qui concerne la spécificité, le REIR nous invite à considérer le « mélange » en cause et la « substance dans la formulation » qui « est responsable de l’effet désiré de la drogue dans l’organisme ».

 

[88]           En l’espèce, le mélange contient deux ingrédients médicinaux qui sont responsables de l’effet désiré du YAZ dans l’organisme. Le brevet 979 ne concorde pas parce qu’il ne comprend que l’un des ingrédients médicinaux. Autrement dit, ce n’est pas le même mélange que celui qui est responsable de l’effet désiré du YAZ dans l’organisme.

 

[89]           À mon avis, la demanderesse voudrait que la Cour assimile la spécificité selon le Règlement à la contrefaçon de brevet. D’après mon interprétation du REIR, ce n’est pas là ce que veut dire la spécificité, et il est pleinement admis que tous les brevets ne seront pas protégés et que certains d’entre eux seront sans doute contrefaits.

 

Le brevet 426

 

[90]           Certains documents donnent à penser que la décision du ministre se rapportant au brevet 979 s’est fondée, à tort, sur un examen de l’inscription du brevet 426. Selon moi, cependant, bien que le brevet 426 ait pu présenter quelque intérêt, il ressort clairement du dossier que la vérification du brevet 979 se suffit à elle-même.

 

Les autres arguments

 

[91]           La demanderesse a soulevé d’autres arguments, plus accessoires, que j’ai examinés. Cependant, je crois que l’essentiel de l’affaire réside dans les points étudiés plus haut. Pour l’essentiel, je crois que le ministre a eu raison d’interpréter le Règlement AC comme il l’a fait, et j’accepte les arguments des défendeurs qui préconisent le maintien de sa décision.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-582-09

 

INTITULÉ :                                       BAYER INC. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 NOVEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A. Gaikis

Nancy P. Pei

 

POUR LA DEMANDERESSE

Frederick B. Woyiwada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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