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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091117

Dossier : T-1872-08

Référence : 2009 CF 1166

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

JOSE CUERVO S.A. de C.V.

appelante

et

 

BACARDI & COMPANY LIMITED et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Jose Cuervo S.A. de C.V. (l’appelante) fait appel, conformément à l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, et modifications (la Loi), de la décision du registraire des marques de commerce, en date du 25 septembre 2008, de radier la marque de commerce CASTILLO employée pour le rhum de l’appelante, numéro d’enregistrement 341,290. La décision du registraire était motivée par le fait que l’appelante n’avait pas produit une preuve d’emploi de la marque en application de l’article 45 de la Loi.

 

[2]               L’article 45 prévoit la radiation d’une marque de commerce qui n’a pas été employée au cours des trois années précédant la date de l’avis du registraire des marques de commerce, dans la mesure où le défaut d’emploi n’est pas attribuable à des circonstances spéciales pouvant le justifier. Le droit à une marque de commerce au Canada est fondé sur le principe du retrait des marques inutilisées.

 

Les parties

[3]               L’appelante est Jose Cuervo, S.A. de C.V. (Jose Cuervo). C’est une société de droit mexicain qui vend des boissons alcooliques partout dans le monde, notamment le rhum CASTILLO. Elle est le dernier titulaire dans la chaîne de titres se rapportant à la marque de commerce CASTILLO. Elle fait appel de la décision portant radiation de sa marque CASTILLO pour non-usage.

 

[4]               L’intimée Bacardi & Company Limited (Bacardi) est la partie requérante. Bacardi a prié le registraire d’émettre, conformément à l’article 45 de la Loi, un avis portant sur la marque de commerce CASTILLO, pour s’enquérir si la marque devrait être radiée pour non-usage.

 

[5]               L’autre intimé, le registraire des marques de commerce, n’a pas présenté d'observations dans le présent appel.

 

LES FAITS

L’appel antérieur

[6]               C’est la deuxième fois que la marque de commerce CASTILLO est l’objet d’un appel devant la Cour à l’encontre d’une décision du registraire de radier cette marque.

 

[7]               Lors du premier appel interjeté devant la Cour fédérale, le prédécesseur de l’appelante détenant le droit sur la marque de commerce CASTILLO avait produit une preuve attestant une vente unique de quarante et une caisses de rhum CASTILLO, le 21 novembre 1994, à la Régie des alcools de l’Ontario. Dans la décision Quarry Corp. c. Bacardi & Co., [1996] A.C.F. n° 1671 (QL), 124 F.T.R. 264 (C.F. 1re inst.), le juge Lutfy (maintenant juge en chef) a conclu que l’appelante avait prouvé qu’il y avait eu transaction « dans la pratique normale du commerce », ce qui, selon lui, devait le conduire à accueillir l’appel et à annuler la décision du registraire de radier la marque CASTILLO. Le juge Lutfy s’est exprimé ainsi, au paragraphe 20 :

20     À mon avis, la preuve révèle l'existence d'une vente de bonne foi. La facture et le certificat d'origine délivré sous le régime de l'ALÉNA ne sont pas représentatifs d'une transaction « [...] ayant été délibérément fabriquée ou conçue pour tenter de protéger l'enregistrement de la marque de commerce, et non pour établir son emploi véritable dans la pratique normale du commerce » : Le juge McNair dans Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (No. 2) (1987), 13 C.P.R. (3d) 289, à la p. 295. La vente a eu lieu bien avant qu'on puisse prévoir que l'intimée demanderait au registraire d'envoyer l'avis visé à l'article 45 en septembre 1995. Ces considérations corroborent la déclaration de M. Cantu selon laquelle la transaction a été réalisée « dans la pratique normale du commerce ».

 

[8]               La décision du juge Lutfy a été confirmée par la Cour d'appel fédérale : voir l’arrêt Bacardi & Co. c. Quarry Corp., [1999] A.C.F. n° 345 (QL), 238 N.R. 71 (C.A.F.), le juge Strayer. Cependant, le juge Strayer écrivait, au paragraphe 2, qu’« une vente isolée “dissociée de tout contexte” » ne sera pas normalement considérée comme étant un emploi suffisant de la marque. La marque doit plutôt être employée « dans la pratique normale du commerce ». La Cour d'appel fédérale laissait entendre qu’une vente isolée de rhum au cours d’une année donnée ne constituait sans doute pas une transaction réalisée dans la pratique normale du commerce. La pratique normale du commerce signifie qu’il faut davantage qu’une seule vente, laquelle pourrait être combinée dans le dessein de protéger une marque de commerce.

 

L’avis de 2005

[9]               Le 17 octobre 2005, l’intimée Bacardi priait à nouveau le registraire de délivrer à l’appelante, conformément à l’article 45 de la Loi, un avis portant sur la marque de commerce CASTILLO. Le 26 octobre 2005, le registraire a délivré l’avis.

 

[10]           Les parties ont présenté des observations écrites au registraire. Bacardi faisait valoir que la marque de commerce CASTILLO devrait être radiée parce que l’appelante n’avait pas apporté la preuve de son emploi au Canada, en liaison avec du rhum, au cours des trois ans précédant l’avis, c’est-à-dire du 26 octobre 2002 au 26 octobre 2005 (la période considérée), ni suffisamment établi qu’il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la marque.

 

La preuve par affidavit soumise au registraire des marques de commerce

[11]           L’appelante a présenté au registraire un affidavit portant la date du 23 juin 2006, établi par M. Ricardo Juarez Avina, directeur du département juridique de l’appelante. L’affidavit contenait la preuve de deux factures de vente de rhum CASTILLO. La première facture, datée du 21 novembre 1994, concerne 41 caisses de rhum CASTILLO vendues à la Régie des alcools de l’Ontario. La deuxième facture, datée du 24 novembre 1999, concerne 100 caisses vendues à la Alberta Liquor and Gaming Commission.

 

[12]           M. Avina écrivait dans son affidavit que, vers le mois de mai 2002, l’appelante avait adopté un nouveau plan marketing qui ajoutait la marque « secondaire » COHIBA à l’étiquette du rhum de marque CASTILLO. M. Avina ajoutait qu’une société liée à l’appelante, Tequila Cuervo, S.A. de C.V., est la propriétaire de la marque de commerce COHIBA au Mexique et que l’appelante est autorisée par Tequila Cuervo à utiliser la marque COHIBA au Canada. M. Avina écrivait ce qui suit, aux paragraphes 9 et 10 de son affidavit :

[traduction]

9.                  Vers le mois de mai 2002, un important effort de vente a été entrepris en vue d’une nouvelle étiquette pour le rhum de marque CASTILLO, afin qu’elle comprenne aussi la marque secondaire COHIBA. Un échantillon de la nouvelle étiquette CASTILLO est annexé comme pièce B.

 

10.              La société Tequila Cuervo, S.A. de C.V. [ci-après Tequila Cuervo] est la propriétaire de l’enregistrement n° 480820, pour la marque COHIBA au Mexique. Tequila Cuervo et CUERVO sont des sociétés liées, et CUERVO est autorisée par Tequila Cuervo à utiliser au Canada la marque COHIBA.

 

 

[13]           M. Avina a expliqué que le nouveau plan marketing d’alliance de marques avait déclenché un « différend international » entre Tequila Cuervo et Cubatabaco, propriétaire de la marque COHIBA, employée en liaison avec des cigares. M. Avina écrivait, au paragraphe 13 de son affidavit :

[traduction]

[…] Jusqu’à ce que soit résolu ce différend international, CUERVO a été priée par Tequila Cuervo de différer ses nouveaux plans marketing et ses activités de développement se rapportant aux produits de marque COHIBA au Canada, ainsi que de suspendre l’emploi de cette marque au Canada, en raison de la menace de poursuites judiciaires par Cubatabaco. Cette directive a entraîné un arrêt de la vente au Canada non seulement des produits de marque COHIBA, mais également des produits de marque CASTILLO, étant donné que les deux marques figurent sur l’étiquette CASTILLO.

 

 

[14]           M. Avina ajoutait aussi dans son affidavit que l’appelante a un « intérêt manifeste » à employer la marque CASTILLO au Canada, et à reprendre l’emploi de cette marque. L’appelante a communiqué les chiffres de ses ventes de rhum CASTILLO au Mexique pour les années 2003, 2004 et 2005. M. Avina écrivait que, dès que l’appelante serait autorisée par Tequila Cuervo à employer à nouveau la marque COHIBA au Canada, et dès qu’elle aurait l’assurance qu’aucune action en contrefaçon de marque ne serait engagée contre elle, alors elle utiliserait à nouveau la marque CASTILLO au Canada conjointement avec la marque COHIBA.

 

La décision visée par l’appel

[15]           Au nom du registraire, un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, après avoir conduit une audience où l’appelante et Bacardi étaient représentées, a décidé que la marque CASTILLO de l’appelante devait être radiée du registre des marques de commerce, parce que l’appelante n’avait pas apporté la preuve de l’emploi de cette marque, conformément à l’article 45 de la Loi.

 

[16]           Je résume ici le contenu de la décision, à la page 2 :

a.       il n’est pas établi que l’appelante a conclu des ventes de rhum CASTILLO au Canada durant la période de trois ans;

b.      il s’agit de savoir si l’affidavit établit des faits qui autoriseraient le registraire à conclure que le défaut d’emploi de la marque est attribuable à des circonstances spéciales justifiant le non-usage de la marque CASTILLO;

c.       la période de non-usage au Canada, par l’appelante, de la marque CASTILLO est d’environ six ans, soit de novembre 1999 à octobre 2006; et

d.      l’intention de reprendre l’emploi d’une marque de commerce n’est pas une circonstance spéciale justifiant le défaut d’emploi de la marque, ainsi que l’a dit clairement la Cour d'appel fédérale dans un arrêt récent, Scott Paper Ltd. c. Smart & Biggar, 2008 CAF 129.

 

[17]           Aux pages 5 et 6 de sa décision, le registraire a estimé que l’imminence d’un procès en contrefaçon de marque de commerce pourrait constituer une excuse raisonnable justifiant le défaut d’emploi de la marque durant une brève période, mais que la décision délibérée de l’appelante [traduction] « d’attendre l’issue du litige » lié à la marque de commerce secondaire durant une période de six ans équivalait à une décision volontaire et délibérée de l’appelante de ne pas employer la marque CASTILLO au Canada. Le registraire s’exprimait ainsi, aux pages 5 et 6 :

Bien que l’inscrivante ait beaucoup insisté dans ses observations sur l’existence d’une [traduction] « stratégie de commercialisation mondiale » visant à employer les deux marques de commerce conjointement, et qu’elle ait reçu les instructions de cesser la commercialisation conjointe au Canada, j’estime que la preuve versée au dossier est insuffisante pour établir les motifs justifiant l’impossibilité de commercialiser la marque de commerce visée CASTILLO indépendamment de la marque de commerce COHIBA faisant l’objet d’un litige. À mon avis, la menace d’un litige imminent peut être une excuse raisonnable justifiant le défaut d’emploi pour une courte durée, pendant que les stratégies de commercialisation sont modifiées. Cependant, la décision apparente de ne pas modifier les stratégies et [traduction] « d’attendre l’issue du litige » lié à la marque de commerce secondaire pendant au moins 6 ans équivaut, à mon avis, à une décision volontaire de l’inscrivante de ne pas employer la marque de commerce CASTILLO au Canada. Bien que l’inscrivante ait invoqué un argument convaincant portant que la procédure en vertu de l’article 45 devrait être souple et répondre à une grande variété de situations en fonction de chaque cas, il n’existe tout simplement pas de preuve suffisante en l’espèce démontrant la nécessité d’une stratégie de commercialisation conjointe au Canada et/ou le fait que l’inscrivante n’a pas eu voix au chapitre dans ces décisions commerciales.

 

Le registraire a donc jugé ainsi :

 

a.       le non-usage de la marque CASTILLO était une « décision volontaire » de l’appelante;

 

b.      la preuve produite par l’appelante n’attestait pas la nécessité de la « stratégie de commercialisation conjointe » avec COHIBA au Canada ni ne montrait que l’appelante n’avait pas d’autre choix que de s’abstenir d’utiliser la marque CASTILLO au Canada, si ce n’est avec la marque secondaire COHIBA, jusqu’à ce qu’elle sache à quoi s’en tenir sur l’éventuel procès concernant la marque COHIBA.

 

[18]           À la page 4 de sa décision, le registraire rappelle le quadruple critère permettant de déterminer l’existence de circonstances spéciales, critère exposé par la Cour d'appel fédérale dans son arrêt de 2008, Scott Paper Ltd. c. Smart & Biggar, 2008 CAF 129. Le registraire s’est exprimé ainsi :

En ce qui concerne l’intention de reprendre l’emploi, la décision récente Scott Paper Ltd. c. Smart & Biggar (2008) 65 C.P.R. (4th) 303 (C.A.F.) indique clairement qu’une intention manifestée d’employer la marque durant la période pertinente n’est pas considérée à elle seule comme une circonstance spéciale. Les faits justifiant le défaut d’emploi doivent plutôt être directement reliés aux motifs expliquant le défaut d’emploi.

 

Sont soulignés dans la décision Scott Paper, quatre principes relatifs aux circonstances spéciales :

 

1.      La règle générale est que le défaut d’emploi est sanctionné par la radiation.

2.      Il existe une exception à la règle générale lorsque le défaut d’emploi est attribuable à des circonstances spéciales.

3.      Les circonstances spéciales sont des circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des cas de défaut d’emploi d’une marque.

4.      Les circonstances spéciales qui justifient le défaut d’emploi doivent être des circonstances auxquelles le défaut d’emploi est attribuable.

 

[19]           Le registraire a défini ainsi, à la page 5 de sa décision, ce en quoi consistent des « circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire » :

                        [traduction]

[…] circonstances spéciales, en ce sens qu’elles sont particulières ou anormales et que ce sont des personnes qui se livrent à un commerce déterminé qui les connaissent à la suite de l’entrée en jeu de certaines forces extérieures, distinctes des actes volontaires d’un commerçant en particulier.

 

[20]           Le registraire a conclu qu’il n’y avait pas de circonstances spéciales pouvant justifier l’absence d’emploi de la marque CASTILLO durant la période considérée, et il a donc radié la marque CASTILLO conformément au paragraphe 45(5) de la Loi.

 

Les preuves nouvelles produites dans le présent appel à la Cour fédérale

[21]           Comme l’y autorisait l’article 56 de la Loi, l’appelante a produit, avec le présent appel, un nouvel affidavit daté du 28 janvier 2009, établi par M. Ricardo Juarez Avina, le directeur du département juridique de l’appelante. Le nouvel affidavit mentionne que l’appelante a repris l’emploi de sa marque CASTILLO au Canada le 4 août 2008, et une pièce « A » y est annexée, à savoir une facture attestant une expédition de 40 caisses de rhum CASTILLO à la Alberta Liquor Commission. Ces bouteilles de rhum portaient la marque CASTILLO, mais non la marque COHIBA.

 

[22]           Dans le présent appel, la Cour procédera au contrôle judiciaire de la décision du registraire et examinera les preuves nouvelles qui lui ont été soumises.

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[23]           C’est dans le paragraphe 4(1) de la Loi qu’est défini l’emploi en liaison avec des marchandises :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

 

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

[24]           La procédure a été introduite devant le registraire conformément à l’article 45 de la Loi, qui oblige le propriétaire d’une marque de commerce à prouver que la marque a été employée au cours des trois années antérieures :

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

 

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle-ci.

 

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

 

[Non souligné dans l'original]

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

 

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

 

[Emphasis added]

 

[25]           L’article 56 de la Loi confère un droit d’appel de la décision du registraire et autorise l’appelant à produire une preuve complémentaire :

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

LES POINTS LITIGIEUX

[26]           L’appelante a formulé ainsi les points soulevés dans le présent appel :

1.      Le registraire a-t-il commis une erreur en concluant à l’absence de circonstances spéciales pouvant justifier le défaut d’emploi de la marque CASTILLO, pour ensuite ordonner la radiation de cette marque?

 

2.      Le registraire a-t-il commis une erreur en disant que l’appelante avait volontairement décidé de ne pas utiliser au Canada la marque CASTILLO?

 

3.      Le registraire a-t-il commis une erreur en disant que l’information existante ne permettait pas de dire que l’appelante avait véritablement l’intention de reprendre l’emploi de la marque CASTILLO au Canada?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[27]           À la suite de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, il est clair que les juridictions de contrôle doivent limiter leur analyse à deux normes de contrôle, la raisonnabilité et la décision correcte.

 

[28]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême écrivait, au paragraphe 62, que la première étape de l’analyse relative à la norme de contrôle consiste à vérifier « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (voir aussi l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, paragraphe 53).

 

[29]           Selon la jurisprudence, les connaissances spécialisées du registraire des marques de commerce commandent la retenue des cours de justice, et la décision prise par le registraire en application de l’article 45 doit être examinée d’après la raisonnabilité. Cependant, comme l’écrivait la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, au paragraphe 29, la décision du registraire sera revue d’après la décision correcte dans les circonstances suivantes :

¶29.     Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

 

 

[30]           L’appelante affirme qu’elle a produit dans le présent appel une preuve additionnelle qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire, de telle sorte que la norme de contrôle dans le présent appel serait la décision correcte. La défenderesse Bacardi dit que la preuve nouvelle n’aurait pas eu d’effet sur la décision du registraire et que la norme de contrôle dans le présent appel est donc la raisonnabilité.

 

[31]           Le premier point que la Cour examinera est donc de savoir si la preuve additionnelle déposée par l’appelante « aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ».


ANALYSE

 

Point n° 1 :      La preuve additionnelle aurait-elle pu avoir un effet sur la décision du registraire?

 

 

[32]           La preuve additionnelle produite par l’appelante dans le présent appel interjeté devant la Cour fédérale selon l’article 56 de la Loi consiste dans l’affidavit de M. Ricardo Juarez Avina, portant la date du 28 janvier 2009. Cet affidavit contient les éléments suivants :

a.       l’appelante a repris l’emploi de sa marque CASTILLO au Canada le 4 août 2008;

b.      l’appelante a présenté à la Cour une facture datée du 4 août 2008 et se rapportant à du rhum CASTILLO, pour livraison à la Alberta Gaming & Liquor Commission. La vente concernait 40 caisses de rhum CASTILLO de l’appelante;

c.       au paragraphe 9 :

[traduction] Vu que les questions juridiques soulevées par l’emploi de la marque COHIBA au Canada sont demeurées sans solution pendant un certain temps, il a été décidé de supprimer la marque COHIBA de l’étiquette devant être utilisée au Canada, et l’emploi de la marque CASTILLO a repris.

 

 

[33]           En dépit de l’habilité de son avocat, l’appelante n’a pas persuadé la Cour que la preuve additionnelle aurait modifié en l’espèce la décision du registraire. La preuve additionnelle selon laquelle l’appelante a pu conclure une vente de rhum CASTILLO au Canada en août 2008, vente qui, opportunément et suspicieusement, a eu lieu au moment même de la tenue de l’audience devant le registraire des marques de commerce dans la présente affaire, n’aurait pas eu d’effet sur la décision du registraire. Le registraire écrivait ce qui suit, à la page 5 de sa décision :

            […] la décision apparente […] [traduction] « d’attendre l’issue du litige » […] équivaut, à mon avis, à une décision volontaire de l’inscrivante de ne pas employer la marque de commerce CASTILLO au Canada.

 

 

[34]           La preuve additionnelle confirme la décision du registraire selon laquelle le non-usage de la marque de commerce par l’appelante était une « décision volontaire », puisqu’il ressort de cette preuve additionnelle que l’appelante a pris la décision d’enlever la marque COHIBA de l’étiquette devant être employée au Canada, et d’employer à nouveau la marque CASTILLO seule, plutôt qu’avec la marque COHIBA. La décision de l’appelante était donc volontaire.

 

[35]           L’autre aspect de la décision du registraire est qu’il n’existait « tout simplement pas de preuve suffisante démontrant la nécessité d’une stratégie de commercialisation conjointe au Canada et/ou le fait que l’inscrivante n’a pas eu voix au chapitre dans ces décisions commerciales ». La preuve additionnelle n’explique pas ni ne fournit les raisons pour lesquelles l’appelante n’aurait pas pu reprendre plus tôt la vente de son rhum sous la marque CASTILLO au Canada, en attendant que soit réglé le différend portant sur l’emploi de la marque COHIBA. Le registraire a estimé que l’appelante n’avait pas produit une preuve suffisante. Les preuves nouvelles présentées dans le présent appel sont elles aussi insuffisantes. La question évidente à laquelle devait répondre l’auteur de l’affidavit est la suivante :

Pourquoi l’appelante n’aurait-elle pas pu s’entendre plus tôt avec sa société apparentée, Tequila Cuervo, pour utiliser la seule marque CASTILLO au Canada jusqu’à ce qu’elle sache à quoi s’en tenir sur le procès que menaçait d’engager Cubatabaco?

 

[36]           La décision antérieure du registraire de radier la marque CASTILLO faisait savoir à l’appelante et à ses sociétés liées que, si l’appelante n’employait pas la marque CASTILLO, elle finirait par la perdre. Il est inconcevable que l’appelante n’ait pas cherché à vendre régulièrement son rhum CASTILLO au Canada si elle voulait éviter une radiation de la marque.

 

[37]           Par ailleurs, la Cour d'appel fédérale avait signifié à l’appelante qu’une vente isolée, dissociée de tout contexte (par exemple une fois l’an ou une fois tous les cinq ans), ne constitue pas une vente réalisée « dans la pratique normale du commerce » et ne serait sans doute pas considérée comme un emploi de la marque au Canada.

 

[38]           Pour ces motifs, la Cour est d’avis que la preuve additionnelle n’aurait pas pu avoir d’effet sur la décision du registraire.

 

[39]           La décision du registraire sera donc revue d’après la raisonnabilité. La Cour déférera à la décision du registraire et, s’il était loisible au registraire de rendre une telle décision, alors elle n’interviendra pas.

 

[40]           En tout état de cause, comme je l’ai dit durant l’audience, si j’avais conclu que la preuve additionnelle aurait pu avoir un effet sur la décision du registraire, j’aurais estimé que la vente isolée conclue par l’appelante en 2008 ne constituait pas une vente réalisée « dans la pratique normale du commerce », ainsi que le requiert le paragraphe 4(1) de la Loi. Sur ce point, je m’en rapporte aux propos tenus par le juge Strayer, de la Cour d'appel fédérale, dans l’arrêt Quarry Corp., précité, au paragraphe 2, concernant l’unique vente de rhum CASTILLO conclue en 1994 :

¶2.       Nous ne partageons cependant pas l'opinion du juge des requêtes, qui a affirmé qu'une vente isolée « dissociée de tout contexte » pourrait maintenant être considérée comme un emploi suffisant par suite des modifications apportées à l'article 45 en 1994. À notre avis, la disposition contenue au paragraphe 4(1) qui exige que la marque soit employée « dans la pratique normale du commerce » demeure malgré ces modifications. Nous constatons toutefois que le juge des requêtes a poursuivi en concluant que la vente en cause en l'espèce avait été conclue dans la pratique normale du commerce et nous croyons que la preuve lui permettait de tirer une telle conclusion.

 

En conséquence, appliquant la norme de la décision correcte, j’aurais conclu que la vente d’août 2008 ne constituait pas une vente réalisée dans la pratique normale du commerce, ni n’était la preuve que l’appelante entendait reprendre l’emploi de la marque au Canada.

 

[41]           À mon avis, l’emploi de la marque CASTILLO trois ans après l’avis constitue une tentative évidente d’éviter une radiation de la marque. Autrement dit, l’appelante cherche à corriger la situation alors qu’il est trop tard pour le faire.

 

[42]           La pratique normale du commerce, s’agissant de rhum, ne saurait consister en une seule vente en 1994, une seule vente en 1999 et une seule vente en 2008.

 

Point n° 2 :      Le registraire a-t-il eu raison de dire qu’il n’y avait pas de circonstances spéciales justifiant le non-usage de la marque CASTILLO et que l’appelante avait pris volontairement la décision de ne pas utiliser la marque au Canada?

 

L’objet de l’article 45

[43]           L’objet de l’article 45 de la Loi a été exposé par le juge McNair dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 8 F.T.R. 310, 13 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), à la page 293 :

Il est bien établi que le but et l'objet de l'article 44 [maintenant l'article 45] sont d'assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le « bois mort ». L'article [45] ne prévoit pas de décision sur la question de l'abandon, mais attribue simplement au propriétaire inscrit la charge de prouver l'emploi de la marque au Canada ou les circonstances spéciales pouvant justifier son défaut d'emploi. La décision du registraire ne se prononce pas définitivement sur les droits substantifs, mais uniquement sur la question de savoir si l'enregistrement de la marque de commerce est susceptible de radiation [...].

 

 

[44]           L’ancien juge en chef Arthur Thurlow, de la Cour d'appel fédérale, exprimait d’une autre façon l’objet de l’article 45 de la Loi :

[…] Il n’est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s’il ne l’emploie pas, c’est-à-dire s’il ne l’emploie pas du tout ou s’il ne l’emploie pas à l’égard de certaines des marchandises pour lesquelles cette marque a été enregistrée.

 

Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada) Ltd., [1982] 1 C.F. 679.

 

Cela signifie que le propriétaire inscrit ne saurait maintenir la marque simplement pour la garder en réserve, puis la faire apparaître uniquement lorsqu’un concurrent tente de pénétrer le marché avec une marque similaire.

 

L’emploi dans d’autres pays n’est pas pertinent

 

[45]           L’article 45 de la Loi oblige le propriétaire inscrit à prouver l’existence de circonstances spéciales justifiant le non-usage de la marque au Canada, quand bien même la marque serait continûment employée dans d’autres régions du monde : Clark O'Neill Inc. c. Pharma Communications Group Inc., 2004 CF 136, le juge Harrington, paragraphe 3.

 

La raisonnabilité de la décision du registraire

a)         Sur la question de la preuve insuffisante

[46]           La décision du registraire selon laquelle :

[…] la preuve versée au dossier est insuffisante pour établir les motifs justifiant l’impossibilité de commercialiser la marque de commerce visée CASTILLO indépendamment de la marque de commerce COHIBA faisant l’objet d’un litige.

 

 

était une décision que le registraire avait le loisir de rendre. L’appelante n’a pas produit une preuve suffisante justifiant le non-usage de la marque CASTILLO entre 1999 et 2008, ou exposant les raisons pour lesquelles la relation entre l’appelante et Tequila Cuervo ne permettait pas à l’appelante de continuer d’employer la seule marque CASTILLO.

 

[47]           Le lien entre l’appelante et Tequila Cuervo oblige l’appelante à produire une preuve montrant pourquoi Tequila Cuervo n’admettait pas que l’appelante suspende la [traduction] « stratégie d’alliance de marques » jusqu’à ce que soit résolu le différend portant sur la marque COHIBA. Il est inconcevable de suspendre l’emploi d’une marque canadienne valide pour cause d’imminence d’un litige portant sur une marque secondaire, et il est inconcevable que des sociétés liées ne puissent s’entendre sur l’adoption de mesures temporaires.

 

[48]           L’appelante n’a pas non plus produit une preuve montrant comment elle a pu réintroduire au Canada la marque CASTILLO sans la marque secondaire COHIBA. Il semble évident à la Cour que l’appelante pouvait continuer d’utiliser la seule marque CASTILLO jusqu’à ce que le différend avec Cubatabaco soit réglé si l’appelante voulait utiliser et protéger la marque au Canada.

 

b)         Sur la question de la décision volontaire

[49]           Il était également loisible au registraire de dire que la décision de l’appelante de ne pas utiliser la marque CASTILLO était une « décision volontaire ». Le registraire a estimé que le différend portant sur la marque de commerce COHIBA était une excuse raisonnable justifiant le non-usage de la marque durant une brève période, mais que la décision de ne pas utiliser la marque durant six ans était une décision délibérée et volontaire qui n’équivalait pas, selon l’article 45, à des « circonstances spéciales » justifiant le non-usage de la marque.

 

c)         Sur la question des circonstances anormales

[50]           Les circonstances spéciales qui justifient le non-usage de la marque doivent être des [traduction] « circonstances "spéciales", en ce sens qu’elles sont particulières ou anormales [...] à la suite de l’entrée en jeu de certaines forces extérieures, distinctes des actes volontaires de l’un quelconque des négociants dans ce commerce » : John Labatt Ltd. c. Cotton Club Bottling Co., [1976] A.C.F. n° 11 (QL), 25 C.P.R. (2d) 115, le juge Cattanach, au paragraphe 31.

 

[51]           La Cour a jugé que certaines circonstances, par exemple une récession, même si elles échappent à la volonté de quiconque, n’ont néanmoins rien d’exceptionnel, et par conséquent ne constituent pas une raison valable justifiant le non-usage d’une marque : Lander, précité; Belvedere International Inc. c. Sim & Mcburney, [1993] A.C.F. n° 1410 (QL), 53 C.P.R. (3d) 522 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum, au paragraphe 28. Pareillement, un différend qui porte sur une marque secondaire ne constitue pas un fait exceptionnel dans le monde des affaires.

d)         Sur la question de l'intention de reprendre l’emploi de la marque

[52]           Au paragraphe 23 de l’arrêt Scott Paper, précité, le juge Pelletier a expliqué que les « circonstances spéciales » doivent justifier ou excuser le non-usage de la marque. Au paragraphe 28, il écrit que l’intention de l’appelante de reprendre l’emploi de la marque n’explique pas une période de non-usage et ne peut donc équivaloir à des « circonstances spéciales » justifiant le défaut d’emploi de la marque. Le juge Pelletier s’exprimait ainsi, au paragraphe 28 :

28      Il appert de cette analyse que l’intention de l’inscrivant de reprendre l’emploi d’une marque qui était absente du marché ne peut correspondre aux circonstances spéciales qui justifient le non‑emploi de la marque et ce, même si des mesures ont été prises pour actualiser ces plans. Les plans d’usage futur n’expliquent pas la période de non‑emploi et ne sauraient donc constituer des circonstances spéciales. Aucune interprétation raisonnable des mots utilisés à l’article 45 ne peut mener à cette conclusion.

 

L’arrêt Scott Paper

[53]           En 2008, la Cour d'appel fédérale a [traduction] « recalibré », selon le mot employé par l’intimée Bacardi, les critères de la radiation au sens de l’article 45 de la Loi. Il ressort clairement de l’arrêt Scott Paper, précité, que :

1.         l’intention de reprendre l’emploi d’une marque de commerce dans l’avenir n’est pas une circonstance spéciale qui justifie le non-usage de la marque durant la période de trois ans visée par l’article 45;

 

2.         les circonstances spéciales qui justifient le non-usage durant la période pertinente doivent être des circonstances qui sont inhabituelles et qui constituent des forces extérieures échappant à la volonté du propriétaire inscrit, à défaut de quoi le non-usage de la marque durant la période considérée rendra la marque passible de radiation selon le droit canadien des marques de commerce.

 

[54]           La Cour d'appel fédérale a jugé dans l’arrêt Scott Paper qu’il appartient au propriétaire inscrit de prouver au registraire que le non-usage de la marque était attribuable à des circonstances échappant, directement ou indirectement, à la volonté du propriétaire inscrit, et qu’il s’agit de « circonstances spéciales », qui ne sont pas normales ou qui ne s’appliquaient pas à d’autres personnes sur le marché. Par exemple, si une récession sévit et que les ventes sont difficiles, l’appelante ne devrait pas se retirer du marché, mais devrait activement faire la promotion des marchandises liées à la marque de commerce. Autrement, l’application du principe du retrait des marques inutilisées menace.

 

[55]           Il aurait sans doute été loisible au registraire, d’après la raisonnabilité, de conclure que les directives reçues de la société liée de l’appelante, à savoir Tequila Cuevro, qui avait ordonné à l’appelante de ne pas utiliser la marque CASTILLO au Canada jusqu’à l’issue du différend avec Cubatabaco, constituaient une « circonstance spéciale » justifiant le non-usage de la marque. Toutefois, le registraire n’est pas arrivé à cette conclusion, mais plutôt à la conclusion contraire, ce qu’il était fondé à faire. Conformément à la raisonnabilité, la Cour doit déférer à la décision du registraire dans la mesure où il était à même d’arriver à cette décision. Il n’importe pas de savoir ce qu’aurait été la décision de la Cour dans les mêmes circonstances. La Cour est juridiquement tenue de déférer à la décision du registraire pour autant qu’elle s’inscrive dans la raisonnabilité.

 

La preuve requise

[56]           L’invocation de circonstances spéciales justifiant le non-usage de la marque doit être étayée par une preuve digne de foi suffisamment précise et détaillée pour que les affirmations du propriétaire inscrit aient une assise : Arrowhead Spring Water Ltd. c. Arrowhead Water Corp. (1993), 47 C.P.R. (3d) 217 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau; NTD Apparel Inc. c. Ryan, 2003 CFPI 780, la juge Layden-Stevenson, au paragraphe 22.

 

[57]           L’appelante invoque la décision de la Cour fédérale Spirits International N.V. c. Registraire des marques de commerce, 2006 CF 520, où le juge Mosley écrivait, au paragraphe 23, qu’il n’est pas nécessaire de produire une preuve excessive pour justifier l’absence d’emploi d’une marque (voir la décision Cassels Brock & Blackwell LLP c. Registraire des marques de commerce et al. (2004), 253 F.T.R. 311, 2004 CF 753). Le juge Mosley reconnaissait aussi que des enregistrements de marques de commerce avaient été maintenus en dépit d’une preuve insuffisante (voir Ridout & Maybee c. Sealy Canada Ltd., (1999) 171 F.T.R. 79, (1999), 87 C.P.R. (3d) 307 (C.F. 1re inst.); Baker & Mackenzie c. Garfield's Fashions Ltd., (1994), 52 C.P.R. (3d) 274 (C.O.M.C.)).

 

[58]           Se fondant sur les précédents susmentionnés, l’appelante affirme qu’elle n’est pas tenue de produire une preuve détaillée et précise plus que de raison pour montrer l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la marque CASTILLO.

 

[59]           Dans le jugement Spirits International, précité, le juge Mosley examinait, en se fondant sur la décision raisonnable comme norme de contrôle, une décision du registraire de ne pas radier une marque de commerce. Dans cette affaire, une preuve avait été soumise au registraire selon laquelle la marque ne constituait pas du « bois mort » puisqu’elle était régulièrement employée dans des activités commerciales au Canada. Le propriétaire inscrit avait mené des activités de prospection commerciale, s’était occupé de conditionnement et d’amélioration de la présentation du produit, avait amélioré la technologie du produit et celle de l’embouteillage et avait entretenu des relations avec la Société des alcools du Québec : Spirits International, précité, paragraphe 12. Ce niveau de preuve suffit à établir une distinction entre l'espèce et l’affaire Spirits International.

 

[60]           Même si l’affaire Spirits International, précitée, ne pouvait pas se distinguer de l'espèce par rapport aux faits, il se trouve que le juge Mosley examinait selon la décision raisonnable la décision du registraire de ne pas radier la marque de commerce, ce qui aurait pour effet de rendre inapplicable à l'espèce le jugement Spirits International. Quand le juge Mosley écrivait, au paragraphe 48, que « L’affidavit Marin n'était pas assez détaillé ou précis, mais il fournissait une preuve suffisante […] pour permettre au registraire de conclure que l’inscrivante avait satisfait au critère applicable au non-emploi justifiable de la marque de commerce », il disait simplement que le registraire pouvait fort bien décider comme il l’avait fait, au vu du dossier qu’il avait devant lui. Il aurait sans doute été loisible aussi au registraire dans l’affaire Spirits International, comme ce l’était ici pour le registraire, de conclure que la preuve contenue dans l’affidavit était insuffisante.

 

[61]           Je ne puis donc souscrire à l’argument de l’appelante selon lequel le jugement Spirits International oblige la Cour à excuser le défaut d’emploi d’une marque de commerce sur la foi d’une preuve par affidavit qui manque de détails et de précisions.

 

 

DISPOSITIF

[62]           La Cour arrive donc aux conclusions suivantes :

a.       la preuve additionnelle déposée par l’appelante devant la Cour fédérale n’aurait pas eu d’effet concret sur la décision du registraire de radier cette marque de commerce;

b.      il était loisible au registraire d'affirmer que la preuve produite par l’appelante ne suffisait pas à expliquer pourquoi la marque de commerce n'avait pas pu être utilisée au Canada indépendamment de la marque COHIBA;

c.       il était loisible au registraire de conclure que la décision de l’appelante [traduction] « d’attendre l’issue du litige » et de ne pas utiliser la marque CASTILLO était une « décision volontaire » de l’appelante et ne constituait pas des « circonstances spéciales » justifiant le défaut d’emploi de la marque selon ce que prévoit l’article 45 de la Loi.

 

Pour ces motifs, la Cour doit rejeter le présent appel.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

L’appel est rejeté, avec dépens.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1872-08

 

INTITULÉ :                                       JOSE CUERVO S.A. de C.V. c. BACARDI & COMPANY LIMITED et LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 NOVEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Andrea Pasztor

 

POUR L'APPELANTE

Me Monique Couture

Me Robert MacDonald

POUR L'INTIMÉE

BACARDI & COMPANY LIMITED

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrea Pasztor

Chantal Bertoša

 

POUR L'APPELANTE

Monique Couture

Robert MacDonald

Gowling Lafleur Henderson, LLP

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉE

BACARDI & COMPANY LIMITED

 

 

POUR L'INTIMÉ

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

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