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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20091105

Dossier : IMM-5146-08

Référence : 2009 CF 1133

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

AHMET EKICI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 31 octobre 2008, qui a rejeté l’appel formé par lui contre la mesure de renvoi dont il est l’objet. Les paragraphes qui suivent exposent les motifs qui me conduisent à rejeter la demande.

 

Les faits

[2]               Ahmet Ekici, le demandeur, est un résident permanent du Canada, âgé de 26 ans, qui est originaire de la Turquie. Il a obtenu le droit d’établissement au Canada le 10 août 2000.

 

[3]               Le demandeur a été parrainé en 1999, en tant que fils à la charge de son père, Ibrahim Ekici, en même temps que sa mère, son frère et sa sœur. Le demandeur était âgé de 16 ans à l’époque.

 

[4]               Avant sa demande de résidence permanente, le demandeur avait épousé Mirac Eren Ibrahim, au cours d’une cérémonie religieuse qui a eu lieu en Turquie en 1998. Leur mariage civil, ainsi que la naissance d’Eren Ekici (fils du demandeur), n’ont été enregistrés auprès des autorités turques que le 8 janvier 2002.

 

[5]               Le demandeur et son épouse n’étaient pas officiellement mariés selon la loi turque à la date où le visa de résidence permanente fut délivré au demandeur, ni lorsqu’il a obtenu le droit d’établissement au Canada, le 10 août 2000. La SAI avait conclu, dans une autre affaire intéressant le parrainage du demandeur, que le demandeur n’était pas tenu de révéler l’existence d’une conjointe de fait.

 

[6]               La SAI avait aussi conclu, dans l’affaire intéressant le parrainage du demandeur, que le demandeur n’avait pas révélé l’existence de son fils à charge. Elle avait donc jugé que le fils à charge du demandeur n’était pas un membre de la catégorie de la famille, en application du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le RIPR), et l’appel concernant le fils à charge du demandeur avait donc été rejeté.

 

La décision contestée

 

[7]               La décision de la SAI dont il s’agit ici est la « mesure de renvoi » du 31 octobre 2008, prononcée par le commissaire Erwin Nest.

 

[8]               Dans la décision de la SAI dont il s’agit ici, le commissaire Nest instruisait l’appel du demandeur, déposé en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR, à l’encontre d’une mesure d’exclusion prononcée contre lui le 26 septembre 2007 par un commissaire de la Section de l’immigration (la SI), pour qui le demandeur était une personne décrite dans l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (un résident permanent interdit de territoire pour fausses déclarations).

 

[9]               Le commissaire de la SI avait conclu que le demandeur, qui était parrainé au Canada en tant qu’enfant à charge de sa mère, n’avait pas révélé l’existence de sa conjointe et de son fils à charge aux fonctionnaires de l’immigration ni à la date du dépôt de la demande de parrainage, ni à la date de la délivrance du visa ni à la date d’obtention du droit d’établissement le 10 août 2000. Il avait conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations car les autorités de l’immigration avaient de la sorte été empêchées de faire une enquête complète.

 

[10]           Le demandeur a prié la SAI d’user du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’alinéa 67(1)c) et l’article 68 de la LIPR et de faire droit à son appel en tenant compte de l’intérêt supérieur de son enfant directement touché par la décision. Il a invoqué des motifs d’ordre humanitaire qui, selon lui, justifiaient, vu l’ensemble des circonstances, la prise de mesures spéciales.

 

L’analyse de la SAI

 

[11]           Après avoir examiné le témoignage produit durant l’audience de novo, ainsi que le contenu du dossier, la preuve communiquée par le demandeur et les observations écrites de l’avocat du demandeur et de celui du ministre, la SAI a rejeté l’appel du demandeur.

 

[12]           Le commissaire de la SAI n’a pas été persuadé par les explications données par le demandeur pour minimiser son rôle dans le fait que les fonctionnaires de l’immigration avaient été induits en erreur. Il n’a pas voulu croire le demandeur quand il disait que son père, qui était arrivé au Canada en 1986 et s’était vu accorder le statut de réfugié, pour obtenir finalement en 1995 le statut de résident permanent, connaissait mal le régime canadien d’immigration et ne savait pas que son fils ne serait pas reconnu comme personne à charge si son mariage était révélé.

 

[13]           Compte tenu de la prépondérance de la preuve dans la présente affaire, le commissaire de la SAI a estimé que le demandeur connaissait l’intention de son père de le parrainer dans le dessein de faire venir au Canada le demandeur ainsi que son épouse et l’enfant à charge. Selon lui, après avoir obtenu un emploi en bonne et due forme au Canada, le demandeur s’était rendu en Turquie en 2002 pour enregistrer son mariage et la naissance de son enfant afin de mettre à exécution son projet initial de parrainage de sa famille après avoir atteint un certain niveau d’établissement au Canada.

 

[14]           Le commissaire de la SAI a estimé que la fausse déclaration du demandeur était grave, puisqu’elle avait conduit le fonctionnaire de l’immigration à lui accorder un visa de résident permanent qu’il ne lui aurait pas accordé s’il avait su que le demandeur avait un fils à sa charge.

 

[15]           Il n’a pas accepté les raisons données par le demandeur pour se justifier d’avoir tu l’existence de son épouse et de son fils à charge avant de déposer la demande de parrainage au Canada en 2004, alors qu’il avait eu tout le loisir de la révéler. Le manque de crédibilité du demandeur lorsqu’il disait comprendre la gravité du manquement a été considéré par le commissaire comme un autre élément qui jouait contre le demandeur.

 

[16]           Compte tenu de la preuve, depuis l’immigration du demandeur au Canada en 2000, le commissaire a considéré que la réunification de la famille au Canada n’était pas une priorité pour le demandeur. Il a aussi considéré que les deux enfants du demandeur sont nés en Turquie et qu’ils sont élevés dans ce pays par leur mère, avec le soutien financier du demandeur, que celle-ci comprend le schéma des visites de son mari en Turquie et qu’elle accepte de bon gré que le couple allait vivre séparément peu de temps après le mariage.

 

[17]           Le commissaire a conclu que le demandeur ne s'était pas déchargé de son obligation de prouver que, compte tenu de l’intérêt supérieur de l'enfant ou des enfants directement touchés par la décision, des motifs d'ordre humanitaire justifiaient, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

[18]           La SAI a estimé que la gravité des actions du demandeur, à savoir son silence sur l’existence de son fils à charge, silence dont l’objet était de faire dévier l’application de la LIPR, avait plus de poids que l’important objectif de la réunification de la famille.

 

Le point litigieux

 

[19]           Le seul point est de savoir si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle au regard de l’un des motifs énumérés dans le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

Analyse

 

[20]           Les conclusions touchant la crédibilité sont « essentiellement de nature factuelle » : voir l’arrêt Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, [2003] A.C.S. n° 18, paragraphe 38. Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n° 9, il a été jugé que la décision de la Commission portant sur des questions de fait ou de crédibilité est révisable selon la norme de raisonnablilité : Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, [2008] A.C.F. n° 515.

 

[21]           En tant qu’instance spécialisée chargée par le législateur de trancher les questions mêmes qui sont soulevées par la présente affaire, la SAI a le pouvoir délégué de dire que les explications données par le demandeur pour se justifier de ne pas avoir révélé l’existence de son fils à charge n’étaient pas crédibles.

 

[22]           Il entre tout à fait dans le rôle de la SAI, à titre de juge des faits, d’apprécier la crédibilité du demandeur. Il s’agit donc là de conclusions auxquelles la juridiction de contrôle doit nettement acquiescer. Les conclusions de la Commission touchant la crédibilité seront maintenues à moins que le raisonnement qu’elle a suivi soit vicié et que la décision qui en a résulté s’écarte de l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 47.

 

[23]           En l’espèce, la Cour acquiescera à la conclusion tirée par la SAI dans la « mesure de renvoi », à propos de la crédibilité du demandeur, puisque le commissaire a eu l’avantage de voir et d’entendre les témoins s’exprimer durant une audience de novo : Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba, [1990] 3 R.C.S. 191, [1990] A.C.S. n° 121; Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), (1986), A-987-84, [1986] A.C.F. n° 346.

 

[24]           Au moment de l’examen des motifs d'ordre humanitaire susceptibles de justifier la prise de mesures spéciales, le commissaire pouvait fort bien conclure, parmi les issues possibles acceptables, que la gravité des actions du demandeur, à savoir son silence à propos de son fils à charge, un silence qui visait à faire dévier l’application de la LIPR, éclipsait l’important objectif d’une réunification de la famille : arrêt Dunsmuir, précité, paragraphes 47 à 49; Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 59.

 

[25]           Eren Ekici, né le 10 octobre 1999, était un fils à charge d’un fils à charge, selon les définitions contenues dans l’article 2 de l’ancien Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑316. Le fils du demandeur aurait dû être révélé comme personne à charge. La non-révélation du fils du demandeur était une fausse indication ou fausse déclaration « indirecte », sanctionnée à la fois par l’alinéa 27(1)e) de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et par l’alinéa 40(1)a) de la LIPR : Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, [2005] A.C.F. n° 1309, paragraphe 56.

 

[26]           Je partage l’avis du défendeur pour qui le commissaire de la SAI n’a pas erré en concluant que la fausse déclaration indirecte avait eu pour effet que le demandeur s’était vu délivrer à tort un visa de résident permanent, en contravention aux lois sur l’immigration alors en vigueur.

 

[27]           Reconnaissant qu’il est dans l’intérêt supérieur des enfants que tant leur père que leur mère s’occupent d’eux, le commissaire pouvait fort bien, vu les circonstances de la présente affaire, conclure qu’il était dans l’intérêt supérieur des deux enfants du demandeur que la famille soit réunifiée en Turquie.

 

[28]           Je reconnais avec le défendeur que, en contestant la manière dont la SAI a évalué la gravité de la fausse déclaration, et évalué sa crédibilité, le demandeur voudrait simplement que la Cour apprécie à nouveau la preuve que la SAI avait devant elle. Il n’est pas loisible à la Cour de substituer à l’issue retenue par la SAI l’issue qui serait selon elle préférable : Khosa, précité, paragraphe 59.

 

[29]           Considérée globalement, la « mesure de renvoi » prononcée par la SAI fait partie des issues possibles acceptables qui pouvaient se justifier au regard des faits et du droit. La « mesure de renvoi » n’est pas déraisonnable et ne saurait être modifiée dans la présente procédure de contrôle : arrêt Dunsmuir, précité, paragraphes 47 et 53; Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 18.1(4).

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5146-08

 

INTITULÉ :                                       AHMET EKICI

 

                                                            ET

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 5 NOVEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Maia

 

POUR LE DEMANDEUR

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Maia

Caron et Associés LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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