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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20091022

Dossier : T-2080-07

Référence : 2009 CF 1077

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.

demanderesse

et

 

LA CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE ZINN

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Sanofi-Aventis Canada Inc. (Sanofi Canada) en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, tel qu’il été modifié (le Règlement AC), afin que la Cour rende une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité (ci‑après l’avis de conformité, l’AC ou l’ADC) à la Corporation de soins de santé Hospira (Hospira), avant l’expiration du brevet canadien no 2,102,778 (le brevet 778).

 

[2]               Dans son avis d’allégation daté du 15 octobre 2007, Hospira a allégué la non‑contrefaçon et l’invalidité du brevet 778 et de deux autres brevets commercialisés par Sanofi Canada, soit les brevets canadiens nos 2,102,777 et 2,150,576 (respectivement, le brevet 777 et le brevet 576). Hospira a accepté que son avis de conformité ne soit pas délivré avant l’expiration d’un quatrième brevet commercialisé par Sanofi Canada, soit le brevet canadien n1,278,304, qui a expiré le 27 décembre 2007. Les allégations de non‑contrefaçon et d’invalidité à l’égard du brevet 777 et du brevet 576 ne sont pas en litige entre les parties parce que Sanofi Canada a par la suite limité son avis de demande au brevet 778.

 

[3]               Le 28 novembre 2007, le titulaire de brevet a déposé un avis de renonciation, dans lequel il renonçait en partie aux revendications 1 à 8 du brevet 778. Le jour suivant, Sanofi Canada a instruit la présente affaire. La seule revendication en litige en l’espèce est la revendication 8 ayant fait l’objet d’une renonciation. Lorsqu’il sera opportun de le faire, j’emploierai ci‑après « brevet 778 après renonciation », « revendication 8 après renonciation » et « revendication 1 après renonciation » pour désigner le brevet 778 et les revendications 1 et 8 ayant fait l’objet de renonciation.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

LES PARTIES

[5]               La demanderesse, Sanofi Canada, distribue et vend des produits pharmaceutiques. Un de ces produits, le médicament en cause, est le docetaxel, qui est commercialisé au Canada sous le nom commercial Taxotere. Sanofi Canada est la « première personne » au titre du Règlement AC.

 

[6]               La défenderesse, un fabricant de médicaments génériques, est la « seconde personne » au titre du Règlement AC. Elle a déposé une présentation de drogue nouvelle visant le docetaxel administré par injection en concentration de 10 mg/ml dans des ampoules de 2 ml, 8 ml et 16 ml (le produit de Hospira). En application du Règlement AC, Hopira a dû signifier un avis d’allégation à Sanofi Canada, qui avait fait inscrire les brevets mentionnés ci‑dessus concernant le docetaxel au registre des brevets.

 

[7]               Le ministre, après avoir reçu une présentation de drogue et avoir suivi la procédure nécessaire, a la responsabilité de délivrer un avis de conformité permettant la vente et la distribution de certaines drogues au Canada. Le ministre n’était pas représenté en l’espèce bien qu’il ait reçu signification des documents nécessaires.

 

LE MÉDICAMENT

[8]               Le docetaxel est un médicament utilisé pour traiter divers types de cancer. Sanofi Canada le distribue sous forme de solution concentrée vendue sous le nom commercial Taxotere; cette solution doit être diluée pour la préparation d’une perfusion avant d’être injectée dans le corps. Le docetaxel est un dérivé synthétique du paclitaxel. Ces deux médicaments appartiennent à la classe des taxanes, des agents chimiothérapeutiques dérivés de l’if européen (Taxus baccata).

 

[9]               Dans un monde idéal, les chercheurs médicaux découvriraient des composés non toxiques qui sont très solubles et physiquement stables en solution aqueuse. Lorsque des médicaments sont toxiques, leurs effets secondaires nocifs peuvent l’emporter sur leurs avantages pharmacologiques. Si des médicaments sont peu solubles dans l’eau (substance dont les humains sont composés), d’autres solvants doivent alors être utilisés pour dissoudre les composés, et diverses techniques doivent être employées pour s’assurer que le composé demeure soluble pendant la préparation de la perfusion à base d’eau qui doit être injectée dans le corps humain. Assez souvent, ces solvants sont eux‑mêmes toxiques. De plus, si le médicament actif est peu soluble, les solutions préparées ne pourront en contenir qu’une petite quantité, ce qui peut réduire leur efficacité. Si les médicaments ne sont pas physiquement stables, ils peuvent rapidement précipiter hors de la solution (c.‑à‑d. former des amas solides) lorsqu’ils sont introduits dans le corps humain et peuvent souvent ne pas être transférés là où ils doivent agir ou encore leur structure chimique peut être modifiée de telle sorte qu’ils seront moins utiles ou ne permettront pas de traiter la maladie pour laquelle ils ont été conçus. Nous ne vivons pas dans un monde idéal. Les entreprises pharmaceutiques doivent donc régler tous ces problèmes avant que leurs nouveaux composés ne quittent le laboratoire pour se retrouver à la pharmacie.

 

[10]           On sait que les taxanes ont des effets importants sur les tumeurs malignes, mais elles sont difficiles à formuler à cause de leur piètre solubilité dans l’eau. Il en va de même pour le docetaxel et le paclitaxel. D’où les problèmes décrits ci‑dessus. L’invention en question, protégée par le brevet 778, n’a pas trait à la structure particulière du docetaxel ni à celle du paclitaxel. L’invention concerne plutôt la façon dont ces médicaments peuvent être mélangés avec d’autres ingrédients pour pouvoir être administrés dans le corps humain sous une forme efficace.

 

[11]           Avant l’invention de Sanofi Canada, la formulation proposée dans les réalisations antérieures était la suivante : une solution mère était préparée en mélangeant du docetaxel avec des parties égales d’éthanol et de CremophorMD EL (crémophore). Cette solution était ensuite mélangée avec un liquide de perfusion tel qu’une solution saline ou du dextrose. L’éthanol est un solvant couramment utilisé dans la formulation de médicaments. Le crémophore est un surfactant. Les surfactants adhèrent à la surface d’autres molécules, ce qui altère leur comportement chimique. Les surfactants peuvent modifier de façon importante le comportement d’une molécule en augmentant sa solubilité sans en changer les autres attributs. C’était précisément cette modification, c.-à-d. l’augmentation de la solubilité apportée par le crémophore, qui a fait de ce surfactant un élément essentiel.

 

[12]           Cette formulation présentait deux problèmes. Tout d’abord, tant l’éthanol que le crémophore comportaient des effets secondaires. L’éthanol entraîne une intoxication alors que le crémophore peut provoquer un choc anaphylactique. Ensuite, pour obtenir une formulation qui est stable tant sur le plan physique que chimique, il était nécessaire de limiter la concentration de docetaxel à 0,03‑0,6 mg/ml. Pour être utiles en clinique, les concentrations de docetaxel doivent varier entre 0,3 et 1,0 mg/ml. Par conséquent, la formulation dans les réalisations antérieures nécessiterait l’injection de forts volumes de la solution chez un patient pour que la quantité souhaitée de principe actif soit administrée, ce qui accroîtrait le risque d’intoxication par l’éthanol chez le patient ou de choc anaphylactique dû au crémophore.

 

[13]           L’invention de Sanofi Canada est venue atténuer ces problèmes. L’entreprise a découvert que le crémophore pouvait être remplacé par le polysorbate 80, un autre surfactant. Grâce à ce changement, elle a pu retirer de la solution mère la source de risque de choc anaphylactique. En outre, Sanofi Canada a constaté que cette modification permettait de réduire également la quantité d’éthanol auparavant requise et d’accroître la concentration du principe actif, le docetaxel. La solution mère de Sanofi Canada contient donc comme ingrédient actif du docetaxel, mélangé à de l’éthanol et à du polysorbate 80.

 

[14]           La solution mère de Hospira consiste en du docetaxel, l’ingrédient actif, mélangé avec de l’éthanol, du polysorbate 80 et deux autres ingrédients : ingrédient A et ingrédient B. On ignore ou ne voit pas clairement quelle valeur ajoutée apporte l’ingrédient A à la formulation. Une bonne part mais non la totalité du polysorbate 80 est toutefois remplacée par l’ingrédient B, un autre surfactant, ce qui permet d’accroître la concentration de docetaxel. Dans le produit de Hospira, la solution mère peut donc contenir une concentration de docetaxel de 10 mg/ml alors que dans le produit de Sanofi Canada, la concentration est de 1 mg/ml. Tout comme le produit de Sanofi Canada, celui de Hospira doit être ajouté à une solution pour perfusion avant d’être injecté dans le corps humain.

 

LE BREVET

[15]           Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, le brevet 778 est le seul brevet encore en litige. Le brevet 778, intitulé Nouvelle composition à base de dérivés de la classe des taxanes, a été déposé au Canada le 3 juillet 1992 et délivré le 20 avril 2004. Il porte revendication de priorité sur le brevet français no 91 08527 daté du 8 juillet 1991. Le brevet 778 a été déposé en français. Les parties se sont fiées à la traduction anglaise du brevet 778, qui a été déposée dans le cadre de la présente affaire.

 

[16]           La partie pertinente de l’abrégé du brevet 778 est ainsi rédigée :

La présente invention concerne une nouvelle forme pharmaceutique à base d’un agent thérapeutique ayant une activité antitumoral et antileucémique. Elle concerne plus particulièrement, une nouvelle forme injectable contenant des produits de la famille des taxanes, tels que notamment le taxol ou un de ses analogues ou dérivés de formule générale suivante :

 

[17]           Les revendications 1, 2 et 8 du brevet 778 se lisent ainsi :

1.         Composition à base d’au moins un produit de la famille des taxanes ou un de ses analogues ou dérivés en solution dans un mélange d’éthanol et de polysorbate.

 

2.         Composition à base d’un dérivé de formule (I) :

dans laquelle R représente un atome d’hydrogène ou un radical acétyle, le symbole R1 représente un radical tertiobutoxycarbonylamino ou benzoylamino en solution dans un mélange d’éthanol et de polysorbate.

 

8.         Perfusion caractérisée en ce qu’elle contient environ 1 mg/ml ou moins de composé de formule (I) tel que défini à la revendication 2, et qu’elle contient moins de 35 ml/l d’éthanol et moins de 35 ml/l de polysorbate.

 

 

[18]           Sanofi Canada a renoncé à l’ensemble des revendications du brevet 778, à l’exception des revendications 1 et 8, qui ont fait l’objet de la renonciation suivante :

1. Une composition sous la forme d’une solution destinée à être formulée en une perfusion, comprenant de 6 à 15 mg/ml d’un dérivé de la formule (I)

 

dans laquelle R représente un atome d’hydrogène et R1 est un radical tertiobutoxycarbonylamino, dans un mélange d’éthanol et de polysorbate, la concentration d’éthanol étant supérieure à 5 %.

 

8. Une perfusion comprenant plus de 0,1 mg/ml et moins de 1 mg/ml d’un composé de la formule (I) tel que défini ci‑dessus, et qui comprend plus de 5 ml/l et moins de 35 ml/l d’éthanol et plus de 5 ml/l et moins de 35 ml/l de polysorbate.

 

 

[19]           La renonciation concernant la revendication 1 faisait en sorte que le titulaire de brevet revendiquait seulement le docetaxel comme ingrédient actif et non le paclitaxel ni tout autre taxane. La renonciation concernant la revendication 8 a réduit l’intervalle quant au docetaxel ainsi que les intervalles quant à l’éthanol et le polysorbate.

 

L’AVIS D’ALLÉGATION ET LA RENONCIATION

[20]           L’avis d’allégation, qui portait sur le brevet 778 (avant renonciation), allègue (1) que, suivant la présentation de drogue nouvelle, aucune revendication portant sur l’ingrédient médicinal, la formulation, la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal ne serait contrefaite, ou inciterait les autres à la contrefaire, par la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente du produit de Hospira par Hospira; (2) que les revendications du brevet 778 sont invalides parce que les revendications sont de portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée (en violation du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets) ou bien pour cause d’antériorité, d’évidence, de déclaration inexacte importante (en violation du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets), d’absence d’utilité, de double brevet, du moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette et d’inadmissibilité à l’inscription au registre des brevets.

 

[21]           Après la signification de l’avis d’allégation à la demanderesse et avant le dépôt de la présente demande, Sanofi Canada a renoncé aux revendications du brevet 778 de la façon décrite précédemment. La demande a suivi son cours et, juste avant l’audience sur les revendications du brevet 778 après renonciation, Hospira a abandonné certaines contestations portant sur la revendication 8 après renonciation et a présenté les allégations suivantes :

a.       Le produit de Hospira ne contrefait pas le brevet 778 après renonciation;

b.      La revendication 8 après renonciation est invalide pour les raisons suivantes :

                                                               i.      parce que sa portée est plus large que l’invention réalisée ou divulguée;

                                                             ii.      pour cause d’antériorité;

                                                            iii.      pour cause d’évidence;

                                                           iv.      pour cause d’ambiguïté qui aurait pu être évitée;

                                                             v.      pour cause d’insuffisance;

                                                           vi.      en raison de la méthode de traitement médical.

 

[22]           En ce qui concerne l’antériorité, Hospira soutient que la revendication 8 après renonciation se heurtait aux documents d’antériorité suivants : (1) F. Guéritte-Voegelein et al., « Relationship between the Structure of Taxol Analogues and Their Antimitotic Activity », Journal of Medicinal Chemistry, vol. 34, no 3, mars 1991, p. 992 à 998 (l’article GV), (2) B.D. Tarr et al., « A New Parenteral Vehicle for the Administration of Some Poorly Water Soluble Anti-Cancer Drugs », Journal of Parenteral Science, vol. 41, no 1, janvier et février 1987, p. 31 à 33 (l’article Tarr) et (3) le brevet no 4,206,221, délivré par les États-Unis à Miller (le brevet 221).

 

[23]           Dans son mémoire des faits et du droit déposé le 8 juin 2009, Hospira a soulevé la question de savoir si elle devait contester le brevet 778 selon son libellé au moment de la signification de l’avis d’allégation ou selon son libellé après renonciation. Elle plaide que, selon la récente jurisprudence de la Cour, étant donné que l’avis d’allégation a été signifié avant la renonciation, la Cour devait seulement tenir compte du brevet selon son libellé au moment de la signification de l’avis d’allégation et non selon son libellé après le dépôt de la renonciation. Hospira a également fait des observations sur la validité de la renonciation, sur des ambiguïtés qui auraient pu être évitées et sur la méthode de traitement médical. Elle soutient que la renonciation est invalide pour deux raisons. Tout d’abord, elle avance que Sanofi Canada ne s’est pas acquittée du fardeau d’établir que la renonciation respectait les conditions du paragraphe 48(6) de la Loi sur les brevets. Ensuite, elle allègue que la renonciation était invalide parce qu’elle élargissait à tort la portée de la revendication plutôt que de la restreindre. À cet égard, elle soutient que la revendication 8 après renonciation emploie le mot « contient » plutôt que le mot « comprend » afin [traduction] « [d’]essayer de remanier la revendication dans le but d’élargir la portée des revendications, lesquelles viseraient ainsi d’autres ingrédients utilisés dans la formulation de Hospira ».

 

[24]           Sanofi Canada a répondu en présentant une requête en radiation des paragraphes du mémoire des faits et du droit de Hospira qui portaient sur ces questions et, subsidiairement, a demandé l’autorisation de déposer une contre-preuve quant aux nouvelles allégations de Hospira. Hospira a répliqué avec sa propre requête en radiation de l’ensemble de la demande de Sanofi Canada au motif que seul le brevet tel qu’il était libellé le jour de la signification de l’avis d’allégation était pertinent et, étant donné que Sanofi Canada n’a présenté aucune preuve quant à la contrefaçon et à l’invalidité du brevet 778 tel qu’il était libellé selon les revendications initiales, sa demande constituait un abus de procédure et devrait être rejetée.

 

[25]           La protonotaire Tabib a rejeté les deux requêtes. Dans son ordonnance modifiée datée du 8 septembre 2009, elle a conclu que Hospira n’aurait pas dû présenter sa requête si tardivement et qu’il n’était pas clair et évident que la demande n’avait aucune chance de succès. La protonotaire Tabib a également conclu que Sanofi Canada pourrait déposer d’autres éléments de preuve sur la validité de la renonciation et sur la question de savoir si Hospira était empêchée par préclusion de contester la renonciation à ce moment‑là. La Cour a par la suite permis à Hospira de déposer une contre‑preuve.

 

LA PREUVE

[26]           À l’appui de sa demande, Sanofi Canada a déposé les affidavits de Mme Franca Mancino, de MM. Panayiotis P. Constantinides et Jean-Christophe Leroux; Hospira a déposé les affidavits de MM. David Attwood et Joseph Bogardus.

 

[27]           Après que Hospira a soulevé les questions liées à la renonciation, Sanofi Canada a déposé, avec l’autorisation de la Cour, les affidavits de MM. Gerald V. Dahling, Michael Alt, Thierry Orlhac et Robert Kajubi en réponse aux nouveaux arguments de Hospira.

 

La preuve de la demanderesse sur le fond de la demande

[28]           Mme Franca Mancino est la directrice principale, Affaires réglementaires, Pharmacovigilance et Qualité et conformité à Sanofi Canada. Elle a signé un affidavit le 22 mai 2008; elle y décrivait les formulations concentrées de docetaxel pour lesquelles Sanofi Canada a reçu des avis de conformité. Mme Mancino a fourni une copie de la monographie de produit du Taxotere qui explique comment ces formulations concentrées devaient être diluées dans une perfusion avant son administration au patient. Elle a également déclaré que le brevet 778 était inscrit au registre des brevets et mentionné dans le Formulaire IV – Liste des brevets, qui faisait partie de la présentation de drogue nouvelle initiale visant les divers avis de conformité.

 

[29]           M. Panayiotis P. Constantinides est le fondateur et directeur général d’une société offrant des services de consultations en pharmacologie. Il détient un doctorat en biochimie de l’Université Brown, où il a rédigé sa thèse, qui portait sur la chimie physique, précisément sur les micelles de surfactant. Le polysorbate 80, utilisé dans l’invention de Sanofi Canada, est un surfactant qui forme des micelles avec le docetaxel, ce qui facilite la solubilité du docetaxel dans les solutions aqueuses. M. Constantinides a obtenu un postdoctorat à l’Université Yale et possède de l’expérience dans le secteur pharmaceutique sur les questions liées à la solubilisation des médicaments, y compris sur l’utilisation des taxanes.

 

[30]           M. Constantinides a signé un affidavit le 27 mai 2008, dans lequel il a présenté des observations sur les allégations d’invalidité de Hospira concernant le brevet 778. Avant que M. Constantinides fasse ses observations, l’avocat de Sanofi Canada lui a fourni l’avis d’allégation de Hospira, les documents d’antériorité auxquels renvoyait l’avis d’allégation, le brevet 778 et la renonciation datée du 28 novembre 2007.

 

[31]           M. Constantinides décrit l’invention comme le divulguait le brevet 778. Il allègue que la personne versée dans l’art aurait au moins un baccalauréat en sciences de la vie ainsi qu’une expérience de travail en science ou non dans l’élaboration de formulations intraveineuses de médicaments peu solubles. Selon l’interprétation de M. Constantinides, la revendication 8 après renonciation comprend les éléments essentiels suivants :

a.       une perfusion de docetaxel de plus de 0,1 mg/ml et de moins de 1 mg/ml;

b.      plus de 5 ml/l et moins de 35 ml/l d’éthanol;

c.       plus de 5 ml/l et moins de 35 ml/l de polysorbate.

 

[32]           M. Constantinides est d’avis que la personne versée dans l’art interpréterait la revendication 8 après renonciation comme comprenant d’autres éléments que les éléments essentiels mentionnés dans la liste.

 

[33]           M. Constantinides conclut qu’aucun document d’antériorité n’enseignerait à coup sûr l’ensemble des éléments de la revendication 8 après renonciation comme il les a interprétés. Il affirme que l’article GV ne constitue pas une antériorité parce que, même si cet article divulgue que le docetaxel se dissout dans l’éthanol et le polysorbate, il ne portait pas sur une perfusion et ne fournissait aucun renseignement sur les concentrations relatives du véhicule solvant.

 

[34]           M. Constantinides conclut que l’article Tarr ne constitue pas une antériorité parce qu’il ne mentionne ni le paclitaxel ni le docetaxel, lesquels sont prévus par la revendication 8 après renonciation. En outre, il soutient que la perfusion de paclitaxel divulguée n’était pas stable et ne pouvait donc pas être administrée de façon intraveineuse.

 

[35]           M. Constantinides affirme que le brevet 221 ne constitue pas une antériorité parce qu’il donne à penser qu’il s’agit d’une injection bolus plutôt qu’une injection intraveineuse et parce qu’il ne divulgue pas la composition précise du produit injecté.

 

[36]           M. Constantinides déclare qu’il n’est pas possible de prédire la solubilité d’un médicament dans un mélange solvant donné et que la solubilité doit être déterminée par des expériences. Il soutient que des variations mineures de la structure d’un médicament pourraient altérer sa solubilité, de sorte que les conclusions définitives tirées d’expériences sur un médicament ne peuvent être appliquées à un autre. Il décrit les divers véhicules pouvant être utilisés comme solvants par une personne versée dans l’art à la fin des années 1980 et au début des années 1990, de même que les autres méthodes pour solubiliser des médicaments peu solubles. Il conclut que la meilleure méthode pour solubiliser le docetaxel sans faire appel au crémophore ne serait pas évidente pour une personne versée dans l’art et qu’il ne serait pas non plus évident de prendre ce qui a fonctionné dans le cas du paclitaxel et de l’appliquer au docetaxel.

 

[37]           M. Jean-Christophe Leroux est professeur à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Il possède un doctorat en sciences pharmaceutiques de l’Université de Genève. Avant d’être membre du corps professoral de la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, M. Leroux était titulaire d’une bourse de recherche postdoctorale à l’Université de la Californie à San Francisco. Ses principaux domaines de recherche sont les molécules surfactives et les méthodes pour dissoudre les médicaments hydrophobes, y compris le paclitaxel et le docetaxel. M. Leroux a publié un certain nombre de publications, lesquelles ont été approuvées par un comité de lecture, concernant les micelles et la solubilisation connexes des médicaments hydrophobes.

 

[38]           M. Leroux a signé un affidavit le 26 mai 2008, dans lequel il a présenté des observations sur la question de savoir si le produit de Hospira respectait l’intervalle établi dans la revendication 8 après renonciation. Ses observations portaient également sur les allégations d’invalidité de Hospira concernant le brevet 778. Dans ces observations, M. Leroux a renvoyé à l’avis d’allégation de Hospira, aux documents d’antériorité mentionnés dans l’avis d’allégation, aux renseignements ayant trait à la formulation de Hospira, au brevet 778 et à la renonciation déposée le 28 novembre 2007. On lui a demandé de seulement mettre l’accent sur la revendication 8 après renonciation.

 

[39]           M. Leroux décrit les études sur la solubilité du paclitaxel et du docetaxel que son groupe de recherche a effectuées. Ces études révèlent que, bien que leur structure soit semblable, les deux molécules sont caractérisées par des propriétés physicochimiques différentes. Selon M. Leroux, la personne versée dans l’art aurait été au fait de ces différences à la fin des années 80 ou au début des années 90.

 

[40]           M. Leroux décrit également les difficultés que cette insolubilité entraîne lors de la préparation de perfusion intraveineuse du docetaxel ainsi que l’aspect inventif de la formulation de Sanofi Canada. Il affirme que les documents d’antériorité ne divulgue pas suffisamment l’invention. Il soutient que, même de nos jours, la formulation de tels médicaments s’effectue par essais et erreurs et que c’est d’autant plus vrai parce qu’il n’est pas toujours possible d’avoir recours à l’expérience acquise lors de la formulation d’un médicament afin d’en formuler un autre.

 

[41]           Après avoir examiné les principes juridiques liés à l’interprétation des revendications fournis par l’avocat de Sanofi Canada, M. Leroux a interprété la revendication 8 après renonciation comme comprenant les éléments essentiels suivants : une solution pour perfusion contenant (i) 0,1 à 1 mg/ml de docetaxel, (ii) 5 à 35 ml/l d’éthanol et (iii) 5 à 35 ml/l de polysorbate. M. Leroux a affirmé que le mot « comprenant » dans le contexte de la revendication 8 après renonciation serait interprété par la personne versée dans l’art comme étant non exhaustif, « comprenant » ne voudrait pas dire « comprenant seulement ».

 

[42]           M. Leroux a calculé que le produit de Hospira comprend : (i) 0,3 à 0,74 mg/ml de docetaxel, (ii) 6,9 à 17,02 ml/l d’éthanol et (iii) 7,22 à 17,81 ml/l de polysorbate 80. Ces intervalles respectent les intervalles précisés dans la revendication 8 après renonciation.

 

[43]           M. Leroux a analysé l’article GV et a conclu que cet article ne portait pas sur une solution pour perfusion, ne mettait pas l’accent sur la stabilité nécessaire pour l’injection intraveineuse et ne renfermait pas les pourcentages d’éthanol et de polysorbate se trouvant dans la solution définitive. Il a également analysé l’article Tarr et a conclu qu’il ne mentionnait pas le docetaxel, mais, même dans la mesure où il traitait du paclitaxel, il ne portait pas sur une infusion. M. Leroux a aussi analysé le brevet 221 et a conclu qu’il ne mentionnait pas le docetaxel et qu’il ne refermait aucun renseignement quant aux pourcentages d’éthanol et de polysorbate se trouvant dans la solution.

 

[44]           M. Leroux a décrit les diverses options qui existaient au début des années 1990 pour formuler des molécules vraiment peu solubles, tel que des cosolvants, des surfactants de faible poids moléculaire, des surfactants polymères, des émulsions, des agents complexants et des mélanges d’excipients, le cas échéant. M. Leroux a conclu que les documents d’antériorité ne permettraient pas à la personne versée dans l’art d’arriver directement et facilement à l’invention décrite dans le brevet 778, car aucun des documents d’antériorité ne portait sur une perfusion ou ne concernait le docetaxel. Il a souligné qu’un des documents d’antériorité faisait référence à une perfusion de docetaxel, mais on utilisait dans ce cas de l’emulphor et non du polysorbate. Compte tenu de ces diverses options et des documents d’antériorité, M. Leroux estime que la personne versée dans l’art ne pourrait pas arriver directement et facilement à la combinaison d’éthanol et de polysorbate du brevet 778 de Sanofi Canada.

 

[45]           M. Leroux affirme que la personne versée dans l’art interpréterait la revendication 8 après renonciation comme étant une liste non exhaustive; la liste des éléments essentiels, à savoir le docetaxel, l’éthanol et le polysorbate, ne serait pas exhaustive non plus. M. Leroux affirme également que le brevet 778 après renonciation est assez clair pour permettre à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention.

 

La preuve de la défenderesse sur le fond de la demande

[46]           M. David Attwood était professeur à la faculté de pharmacie et de sciences pharmaceutiques à l’Université de Manchester avant sa retraite en 2008. Il est maintenant professeur émérite à l’Université de Manchester. Il détient un doctorat de la faculté de pharmacie de l’Université de Londres. Il a enseigné des cours et supervisé des recherches de deuxième cycle sur la formulation de systèmes pharmaceutiques. M. Attwood a travaillé comme consultant sur des problèmes de formulation, touchant particulièrement les surfactants, auprès d’un certain nombre d’entreprises pharmaceutiques et il a corédigé des ouvrages de référence sur les systèmes des surfactants.

 

[47]           M. Attwood a signé un affidavit le 12 septembre 2008, dans lequel il a présenté des observations sur la personne versée dans l’art pertinente, sur l’interprétation du brevet 778 après renonciation et sur les allégations de Hospira de non‑contrefaçon et d’invalidité. Avant que M. Attwood fasse ces commentaires, on lui a fourni des copies du brevet 778, la renonciation datée du 28 novembre 2007, les documents d’antérioté auquel renvoyait l’avis d’allégation de Hospira, les affidavits de Mme Mancino, de M. Leroux et de M. Constantinides, la formulation et la monographie de produit de Hospira et l’avis d’allégation de Hospira.

 

[48]           Selon M. Attwood, la personne versée dans l’art a au moins un baccalauréat en sciences dans une discipline pertinente, deux ans d’études supérieures en formulations pharmaceutiques ou plusieurs années d’expérience en formulations en général ainsi que de l’expérience dans l’élaboration de formulations intraveineuses de médicaments peu solubles dans l’eau. La personne versée dans l’art aurait des connaissances sur l’utilisation des surfactants afin de faciliter la solubilisation de médicaments dans des solutions aqueuses par la formation de micelles.

 

[49]           M. Attwood soutient que le brevet 778 après renonciation porte sur des formulations pharmaceutiques injectables de quatre médicaments de la classe des taxanes. Selon l’interprétation de M. Attwood du brevet 778 après renonciation, les éléments essentiels de ce brevet sont une solution pour perfusion contenant un médicament de la classe des taxanes, du polysorbate et de l’éthanol. M. Attwood soutient que les intervalles de docetaxel, d’éthanol et de polysorbate n’auraient pas été essentiels du point de vue de la personne versée dans l’art en janvier 1993. Il affirme que rien n’explique l’intervalle dans les concentrations énoncées dans la revendication 8 après renonciation quant au docetaxel, à l’éthanol et au polysorbate et que ces concentrations semblent être arbitraires dans le contexte d’une invention ayant trait au remplacement du crémophore avec le polysorbate.

 

[50]           Après avoir examiné et décrit l’invention divulguée dans le brevet 778, M. Attwood affirme que l’emploi du mot « contient » dans la revendication 8 initiale aurait été interprétée par la personne versée dans l’art comme voulant dire qu’il s’agissait d’une liste exhaustive. M. Attwood affirme également que l’emploi du mot « comprenant » dans la revendication 8 après renonciation serait également interprété comme voulant dire qu’il s’agissait d’une liste exhaustive, parce qu’il y était mentionné que l’éthanol était le seul solvant utilisé et que le polysorbate était le seul surfactant utilisé et parce que les exemples ne renfermaient aucun autre ingrédient et que la personne versée dans l’art aurait su que d’autres surfactants, stabilisateurs ou agents de conservation auraient eu un effet sur la formation et les propriétés des micelles. Selon M. Attwood, la personne versée dans l’art se serait attendue à ce que les inventeurs énumèrent tout autre ingrédient de la formulation, surtout étant donné que l’étape inventive était l’arrêt de l’utilisation du crémophore.

 

[51]           M. Attwood a conclu que l’article GV divulguait bien la formulation de la revendication 8 après renonciation. L’article de GV décrit un véhicule solvant pour le docetaxel contenant de l’éthanol et du polysorbate dans un rapport 1:1, véhicule qui est identique à celui revendiqué dans le brevet 778. Selon M. Attwood, la personne versée dans l’art aurait compris que cette formulation devait être diluée dans une perfusion avant son administration à des humains. Selon lui, la personne versée dans l’art aurait connu l’existence d’une solution mère contenant 6 mg/ml de paclitaxel ainsi que la concentration idéale pour une perfusion. Grâce à ces connaissances, la personne versée dans l’art aurait pu réaliser l’invention décrite dans la revendication 8 après renonciation. M. Attwood conclut que seuls des tests de solubilités de routine auraient été nécessaires pour que la personne versée dans l’art puisse utiliser ces renseignements afin de préparer une perfusion stable respectant les caractéristiques du brevet 778.

 

[52]           M. Attwood conclut également que l’article de Tarr antériorise la revendication 8 après renonciation. D’après M. Attwood, l’article de Tarr décrit la solubilisation du paclitaxel dans un mélange de polysorbate et d’éthanol, ainsi que d’autres ingrédients, en vue d’obtenir une solution mère de 5 mg/ml pour préparer une perfusion, les concentrations de polysorbate et d’éthanol dans la formulation finale se situant dans le même intervalle que celui énoncé dans la revendication 8 après renonciation.

 

[53]           M. Attwood soutient que le brevet 221 divulgue une infusion contenant du paclitaxel, du polysorbate et de l’alcool. Selon M. Attwood, la personne versée dans l’art saurait que l’alcool dans ce contexte veut dire l’emploi d’éthanol et que le polysorbate serait utilisé afin d’agir en tant que surfactant dans la formation des micelles. M. Attwood a noté que le brevet 221 ne divulguait pas les concentrations d’éthanol et de polysorbate dans la perfusion définitive, mais que cela importait peu parce que les concentrations dans la revendication 8 après renonciation n’étaient pas essentielles à l’invention.

 

[54]           M. Attwood est d’avis que la personne versée dans l’art voulant formuler du docetaxel pour une infusion aurait su qu’il existait une solution mère de paclitaxel, aurait connu les problèmes liés au crémophore et aurait immédiatement pensé au polysorbate comme remplacement. La personne versée dans l’art aurait commencé avec une solution mère de 6 mg/ml de docetaxel et n’aurait eu qu’à mener de petites expériences de solubilisation pour réaliser une formulation finale respectant la concentration définitive souhaitée par le clinicien. Bien que d’autres véhicules solvants étaient accessibles, M. Attwood affirme que la personne versée dans l’art aurait choisi le polysorbate et l’éthanol : il s’agit du choix qui s’impose, car c’est le choix le plus pratique.

 

[55]           M. Attwood a fait des commentaires sur les allégations de portée excessive. Il affirme à nouveau que la revendication 8 après renonciation se limite aux ingrédients mentionnés et soutient que, autrement, la revendication aurait une portée plus large que l’invention décrite. Subsidiairement, M. Attwood affirme que, si la revendication 8 comprend d’autres ingrédients, elle n’explique pas suffisamment comment ces ingrédients devraient être incorporés dans la formulation.

 

[56]           M. Attwood compare ses conclusions sur ces questions à celles de MM. Leroux et Constantinides et mentionne les points de leur analyse auxquels il souscrit et ceux auquel il ne souscrit pas; il y avait bien peu de points sur lesquels ils s’entendaient.

 

[57]           M. Borgardus est consultant dans le secteur pharmaceutique. Il détient un doctorat en chimie pharmaceutique de l’Université du Kansas. Sa thèse portait essentiellement sur la solubilisation de certains médicaments. Il été professeur à la faculté de pharmacie de l’Université du Kentucky. M. Bogardus a également travaillé un certain nombre d’années pour Bristol-Myers Squibb, où il était responsable de l’élaboration du paclitaxel et d’autres médicaments anticancéreux peu solubles dans l’eau. Il a rédigé un certain nombre d’articles à ce sujet.

 

[58]           M. Bogardus a signé un affidavit le 17 septembre 2008, dans lequel il a présenté des observations sur la personne versée dans l’art, sur les éléments essentiels de la revendication 8 après renonciation, sur la question de savoir si la revendication 8 après renonciation était exhaustive et sur les allégations de non‑contrefaçon et d’invalidité. M. Borgadus a eu accès aux mêmes documents que M. Attwood.

 

[59]           M. Bodardus est d’avis que la personne versée dans l’art détiendrait au moins un baccalauréat en sciences dans une discipline pertinente et posséderait de l’expérience dans les formes posologiques parentérales et une certaine expérience dans les formulations de médicaments peu solubles dans l’eau. Il s’attendrait également à ce que la personne versée dans l’art ait accès aux textes pertinents quant à la solubilisation ainsi qu’à des scientifiques travaillant dans ce domaine.

 

[60]           M. Borgadus soutient que les éléments essentiels de la revendication 8 après renonciation sont les suivants :

a.       une perfusion renfermant,

b.      un taxane;

c.       du polysorbate;

d.      de l’éthanol.

 

[61]           À la suite de l’examen du brevet 778 après renonciation, M. Bogardus conclut que les intervalles de la revendication 8 après renonciation semblent être arbitraires et que ces intervalles n’ont rien d’inventif. Il affirme également que la revendication 8 après renonciation se limite aux éléments énumérés et ne renferme aucun autre ingrédient.

 

[62]           M. Bogardus a examiné la formulation de Hospira et a conclu que l’ajout de l’ingrédient B dans cette formulation aurait un effet important en particulier sur la formation des micelles et sur la stabilité.

 

[63]           M. Bogardus avance que la personne versée dans l’art ne lirait pas habituellement le journal dans lequel a été publié l’article GV, mais qu’au début des années 90, une recherche dans la littérature aurait permis de trouver l’article GV, ainsi que l’article Tarr et le brevet 221. M. Bogardus soutient que, malgré tout, la personne versée dans l’art connaîtrait d’autres professionnels qui lui auraient donné l’information se trouvant dans l’article GV. M. Bogardus conclu que l’article GV divulgue tous les éléments de la revendication 8 après renonciation, à savoir le docetaxel dans une perfusion renfermant de l’éthanol et du polysorbate dans un rapport 1:1. Il aurait été logique pour la personne versée dans l’art de commencer avec une solution mère de docetaxel renfermant une concentration correspondant à la concentration de la solution mère de paclitaxel, laquelle concentration était déjà connue, soit 6 mg/ml. Grâce à ces renseignements, la personne versée dans l’art pourrait réaliser l’invention décrite dans la revendication 8 après renonciation.

 

[64]           M. Bogardus conclut que l’article Tarr divulgue une perfusion renfermant du paclitaxel, de l’éthanol et du polysorbate. Étant donné sa conclusion selon laquelle le docetaxel n’était pas un élément essentiel de la revendication 8 après renonciation, M. Bogardus conclut que ce renseignement divulguait l’invention. Il mentionne également que la personne versée dans l’art saurait que les problèmes de cristallisation décrits dans l’article Tarr causeraient des difficultés sur le plan clinique.

 

[65]           M. Bogardus conclut que le brevet 221 divulgue la perfusion établie dans la revendication 8 après renonciation et que, même si la formulation était préparée afin de l’administrer à des souris, la personne versée dans l’art serait capable d’appliquer les mêmes principes de formulation pour l’administration aux humains.

 

[66]           M. Borgardus décrit de la façon suivante les étapes que la personne versée dans l’art prendrait pour réaliser la formulation de perfusion de docetaxel :

                     i. prendre la formulation de paclitaxel comme point de départ sur le fondement de la similitude des structures des deux molécules et des problèmes liés au crémophore;

                   ii. établir que le polysorbate 80 peut remplacer le crémophore sur le fondement de leurs caractéristiques non ioniques semblables et des documents d’antériorité accessibles;

                  iii. commencer avec une solution mère de 6 mg/ml, étant donné qu’elle sait qu’une telle solution mère fonctionne avec le paclitaxel.

 

[67]           M. Bogardus affirme que ces étapes, de concert avec des directives cliniques sur les exigences liées à la concentration définitive et avec des expériences de routine sur la stabilité, mèneraient directement et sans difficulté à la réalisation de l’invention.

 

[68]           M. Bogardus soutient que, si la revendication 8 après renonciation est interprétée comme contenant d’autres ingrédients, alors l’invention est de portée plus large que ce qui est décrit et elle ne donne pas les instructions nécessaires à sa réalisation. Il avance également que, si les intervalles de concentration des divers éléments sont essentiels, alors il n’est pas mentionné comment faire pour réaliser l’invention.

 

[69]           M. Bogardus a comparé ses conclusions à celles de MM. Leroux et Constantinides; il n’était pas d’accord avec eux en ce qui a trait aux principaux points.

 

La preuve de la demanderesse sur la renonciation

[70]           M. Gerald V. Dahling, dans un affidavit signé le 3 septembre 2009, mentionne qu’avant sa retraite le 1er juin 2008, il était le vice-président du groupe d’avocats spécialisés en propriété intellectuelle pour la société Sanofi Canada. Il a participé à la recommandation et à la prise de décisions liées au dépôt de la renonciation du brevet 778. Il a expliqué de la façon suivante les raisons du dépôt de la renonciation :

[traduction]

Le 15 octobre 2007, Hospira a envoyé un avis d’allégation portant entre autres sur le brevet 778. Dans cet avis d’allégation, Hospira alléguait que le brevet 778 était invalide pour cause de double brevet à la lumière du brevet canadien 2,102,777 (le brevet 777). Selon les membres de l’organisation Sanofi-Aventis, c’était la première fois qu’une telle allégation de double brevet quant au brevet 778 à la lumière du brevet 777 était avancée. Après examen de la question, nous reconnaissons qu’il est possible que la portée des revendications de ces deux brevets se chevauchent, et nous avons décidé de restreindre la portée de la revendication 8 du brevet 778 afin que seul le docetaxel constitue l’ingrédient actif (le paclitaxel n’étant ainsi plus visé par la revendication) et de restreindre les intervalles du docetaxel, de l’éthanol et du polysorbate.

 

 

[71]           M. Thierry Orlhac a signé un affidavit le 2 septembre 2009. Il est un partenaire du cabinet Leger Robic Richard SENCRL et un agent de brevets enregistré au Canada et aux États-Unis. Il a déposé la renonciation. Il déclare que :

[traduction]

Par suite de l’allégation de Hospira et en vue de veiller à ce que les brevets canadiens soient traités suivant le droit canadien applicable à cette époque, on m’a demandé de déposer une renonciation afin d’écarter tout chevauchement possible entre le brevet 777 et le brevet 778. On m’a également demandé de soustraire le paclitaxel de la portée des revendications afin de répondre à toute réserve liée à l’antériorité quant à ce composé et de limiter les revendications au docetaxel.

 

Il soutient également que le mot « contient » dans la version initiale et que le mot « comprenant » dans la renonciation [traduction] « sont équivalents en droit canadien et que la renonciation n’élargit donc pas la portée de la revendication initiale ».

 

[72]           M. Micheal Alt, un consultant ayant le statut de partenaire au cabinet Bird & Bird, en Allemagne, a signé un affidavit le 31 août 2009. On lui a demandé de donner son opinion sur la question de savoir si les points qui se chevauchent, dans la mesure où il y a chevauchement, dans les demandes présentées suivant le Traité de coopération en matière de brevets (le PCT) poseraient problème au regard du PCT, de la Convention sur le brevet européen ou des pratiques en matière de brevet à l’époque où les demandes ont été déposées et instruites lors de l’étape internationale. Il a expliqué qu’il [traduction] « ne savait pas si le PCT fournissait un fondement légal permettant de plaider une contestation fondée sur l’existence d’un double brevet [...] [et qu’il n’a] jamais vu de contestation fondée sur une double protection lorsqu’il a instruit des demandes lors de l’étape du PCT ».

 

[73]           Enfin, M. Robert Kajubi, le directeur, Contentieux en matière de brevet au sein du contentieux de Sanofi Canada, a signé un affidavit dans lequel il déclare que, avant que Hospira ait déposé tout dernièrement son mémoire des faits et droit en l’espèce, elle n’avait pas allégué que la renonciation était invalide d’une façon ou d’une autre. Il affirme que [traduction] « de permettre à Hospira de changer sa position maintenant et d’attaquer la validité de la renonciation ou d’alléguer que d’autres revendications que celles ayant fait l’objet d’une renonciation sont en litige portent préjudice à la demanderesse et est injuste, particulièrement à la lumière du fait que la responsabilité qui pourrait incomber à la demanderesse en application de l’article 8 du Règlement AC a augmenté entre‑temps ».

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[74]           Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

1.                  Le bien‑fondé des allégations de Hospira doit‑il être décidé en tenant compte du libellé des revendications du brevet à la date de la signification de l’avis d’allégation ou de leur libellé à la date de l’audience, laquelle a été tenue après que la renonciation a été déposée?

2.                  Hospira est‑elle empêchée par préclusion d’alléguer l’invalidité de la renonciation?

3.                  La renonciation est‑elle valide?

4.                  Y a‑t‑il au moins une des allégations de Hospira qui est fondée?

 

1.   La Cour doit-elle interpréter les revendications selon leur libellé à la date de signication de l’avis d’allégation ou selon leur libellé à la date de l’audience?

 

 

[75]           Le paragraphe 6(2) du Règlement AC dispose que la Cour doit rendre une ordonnance d’interdiction si « elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée ». Hospira soutient que la Cour qui doit trancher cette question doit examiner les revendications du brevet selon leur libellé à la date de signification de l’avis d’allégation. Sanofi Canada soutient que la Cour qui doit trancher cette question doit examiner les revendications du brevet selon leur libellé à la date de l’audience. Si Hospira a raison, la Cour doit interpréter les revendications du brevet 778 selon leur libellé lors de leur dépôt initial. Si Sanofi Canada a raison, la Cour doit interpréter les revendications du brevet 778 selon leur libellé après la renonciation.

 

[76]           Hospira se fonde sur trois décisions récentes rendues par la Cour, dans laquelle la Cour a conclu que la renonciation ou la cession déposée après la signification de l’avis d’allégation sont sans effet dans le contexte d’une demande présentée en vertu du Règlement AC : Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137 (BMS); Abbott Laboratories c. Sandoz Canada Inc., 2009 CF 648 (Abbott), et Janssen-Ortho Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 650, conf. par 2009 CF 783 (Janssen-Ortho). Hospira soutient que, étant donné que la renonciation était sans effet en l’espèce et que Sanofi Canada n’a présenté aucune preuve sur la contrefaçon et la validité du brevet 778 tel qu’il a été initialement déposé, la présente demande constitue un abus de procédure et devrait être rejetée.

 

[77]           Pour sa part, Sanofi Canada avance que dans la mesure où la Cour a conclu dans ses décisions que la date pertinente quant à l’évaluation des revendications d’un brevet dans une instance engagée en vertu du Règlement AC est la date de signification de l’avis d’allégation, ces décisions sont manifestement erronées. Sanofi Canada se fonde sur l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193 (Merck), rendu par la Cour suprême du Canada et sur l’arrêt connexe Eli Lilly & Co. c. Novopharm Limited, [1998] 2 R.C.S 129, rendu la même date, ainsi que sur une décision antérieure rendue par le juge Muldoon de la Cour, soit Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 132 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.), sur laquelle la Cour suprême s’était fondée. Sanofi Canada souligne que les juges dans les décisions BMS, Abbott ou Janssen-Ortho ne disposaient d’aucune de ces décisions. Les arrêts de la Cour suprême lient la Cour, et Sanofi Canada allègue que, si ces arrêts avaient été portés à l’attention des juges et des protonotaires qui ont rendu les décisions sur lesquelles se fonde Hospira, leurs issues auraient été différentes.

 

[78]           J’examinerai d’abord les décisions sur lesquelles Hospira se fonde.

 

[79]           Dans la décision BMS, la Cour a conclu que, dans le cadre des instances relatives à un avis de conformité, les revendications d’un brevet doivent être interprétées selon leur libellé à la date du dépôt de l’avis d’allégation, et ce, même si elles ont fait l’objet d’une renonciation par la suite. Dans l’affaire BMS, comme en l’espèce, la première personne, après avoir reçu un avis d’allégation, a déposé une renonciation le jour précédent le dépôt de son avis de demande. La renonciation ne portait que sur certaines des revendications en litige. Lorsqu’il a interprété les revendications du brevet, le juge Hugues a tenu compte de l’effet, le cas échéant, de la renonciation sur l’instance relative à l’avis de conformité.

 

[80]           Le juge Hughes a examiné et fait valoir le raisonnement du Conseil privé dans l’arrêt Canadian Celanese Ltd. c. BVD Co., [1939] 1 All E.R. 410 (C.P.) (BVD). Dans l’affaire BVD, la Cour suprême du Canada avait décidé qu’un brevet était invalide pour cause de portée excessive. Les motifs du jugement de la Cour suprême ont été prononcés avant que le jugement formel soit rendu. Avant que la Cour suprême rende son jugement formel, le titulaire du brevet a déposé une renonciation, dans laquelle il renonçait au brevet selon les motifs prononcés par la Cour suprême. Il a par la suite demandé que l’affaire soit réentendue par la Cour suprême parce que la portée du brevet, tel qu’il était libellé à la date du jugement formel, n’était pas excessive, même si elle l’était à la date du prononcé des motifs. Il a été plaidé que la date pertinente quant à l’interprétation du brevet était la date du jugement formel et non une date antérieure. La Cour suprême a refusé de réentendre l’affaire et a rendu son jugement formel. Le titulaire du brevet a interjeté appel au Conseil privé, qui a conclu qu’il n’était pas loisible au titulaire du brevet de modifier son brevet en cours d’instance afin de respecter l’interprétation du brevet donnée par la Cour suprême. Le Conseil privé a conclu que le brevet devait être interprété à la date de l’audience de la Cour suprême.

 

[81]           Le juge Hughes a examiné le Règlement AC et la procédure sous‑jacente et a noté, comme plusieurs avant lui, que l’avis d’allégation « est un document qui échappe à la compétence de la Cour ». La Cour n’a pas compétence sur l’avis d’allégation parce qu’il n’est pas déposé à la Cour. Cependant, l’avis d’allégation « avait une influence […] prédominante » sur les instances en matière d’AC, car il « sert à définir les questions ». Contrairement à ce qui se passe lors d’une action en contrefaçon de brevet, dans laquelle une renonciation peut être modifiée par voie de modifications apportées aux actes de procédure, le Règlement AC ne permet pas à la seconde personne de présenter de telles modifications en réponse.

 

[82]           Tenant compte de ces faits, de la jurisprudence et de la loi, le juge Hugues a par la suite examiné à quelle date, dans le contexte des instances relatives aux avis de conformité, les revendications d’un brevet en litige devaient être interprétées par la Cour et a conclu qu’elles devaient l’être à la date de signification de l’avis d’allégation.

54 En conséquence, étant donné que la Cour ne peut modifier un avis d’allégation, elle doit prendre en compte les diverses possibilités. Si le breveté a renoncé à certaines revendications sans introduire d’instance devant la Cour, l’avis de conformité du fabricant de médicaments génériques sera délivré dès l’expiration de la période de 45 jours prévue à l’al. 7(1)d) du Règlement sur les AC. Si le breveté initie des procédures sans que le fabricant ne se défende, il obtiendra un jugement interdisant la délivrance d’un avis de conformité au fabricant avant l’expiration du brevet. Si un fabricant de médicaments génériques souhaite contester la validité des revendications telles que reformulées par la renonciation, il ne peut revoir son avis de conformité, car les procédures, comme en l’espèce, ont déjà été introduites. [La seconde personne] ne peut soulever de nouveaux motifs d’invalidité ni invoquer la contrefaçon étant donné que les procédures dont notre Cour est saisie ont été introduites immédiatement après le dépôt de la renonciation, entraînant le gel de l’avis d’allégation.

 

55 La seule façon convenable d’aborder la question consiste à faire comme le Conseil privé l’a fait dans BVD, c’est-à-dire se placer à une date antérieure à la renonciation pour interpréter les revendications. Le Conseil privé a choisi la date de la décision de la Cour suprême, même si le dispositif du jugement n’était pas encore enregistré. En l’espèce, cette date doit être le 2 avril 2007, soit la date de signification de l’avis d’allégation. J’ajoute cependant que cette date aux fins d’interprétation ne concerne que la revendication 2 et ne s’applique qu’à la présente instance relative à un avis de conformité.

 

56 Si les demanderesses devaient faire valoir le brevet à une date postérieure à la renonciation dans le cadre d’une action ou d’une autre instance, la revendication 2 pourrait alors bien être prise en compte dans la teneur modifiée par la renonciation.

 

57 S’il ne s’agissait pas d’une procédure engagée en vertu du Règlement sur les AC mais d’une action ordinaire en contrefaçon de brevet, alors une renonciation, même déposée en cours d’instance, aurait pour effet de modifier le brevet et donc de possiblement changer les questions relatives à la validité et à la contrefaçon. Dans une action, les parties peuvent modifier leurs actes de procédure et procéder à de nouveaux interrogatoires. C’était le cas, par exemple, dans Cooper & Beatty c. Alpha Graphics Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 145 (CF), le juge Mahoney, aux p. 162-164. Rien de tout cela n’est possible dans le cadre de procédures engagées en vertu du Règlement sur les AC.

 

 

[83]           Le protonotaire Aalto a été saisi d’une question semblable dans l’affaire Janssen-Ortho. Avant de déposer son avis de demande, mais après que la seconde personne eut déposé son avis d’allégation, la première personne a déposé une renonciation visant toutes les revendications initiales dans le brevet en cause. Dans l’avis de demande déposé, la première personne n’a pas traité des allégations de la seconde personne et a plutôt plaidé que l’avis d’allégation de la seconde personne était déficient parce qu’il ne portait pas sur les revendications ayant fait l’objet d’une renonciation. J’ouvre ici une parenthèse pour souligner qu’il n’est guère surprenant que l’avis d’allégation ne traitât pas des revendications ayant par la suite fait l’objet de la renonciation : c’eût été impossible à moins que la seconde personne n’ait eu le don de prédire l’avenir. La seconde personne a par la suite présenté une requête en radiation de la demande de la première personne. Le protonotaire Aalto a formulé la question en litige entre les parties de la façon suivante :

1. [I]l s’agit de savoir si le fabricant de médicaments génériques doit tenir compte des revendications d’un brevet qui ont changé par suite d’une renonciation de la part de la société innovatrice survenue après l’avis d’allégation dudit fabricant mais avant le dépôt d’un avis de demande visant à interdire la délivrance d’un avis de conformité.

 

[84]           Sur le fondement de la décision BMS et d’un raisonnement étoffé de son propre cru, le protonotaire Aalto a répondu à cette question par la négative de la façon suivante :

19 Il n’est pas logique de prétendre [que la seconde personne] aurait dû tenir compte de « revendications » qui n’existaient pas tant au moment de sa PADN [présentation abrégée de nouvelle drogue] que de son AA. [La première personne] devait répondre à l’AA en introduisant une demande d’interdiction. Pour des raisons stratégiques, elle a choisi de renoncer aux revendications avant de solliciter une ordonnance d’interdiction. Du simple point de vue de la politique générale et compte tenu de la façon dont le Règlement fonctionne, une société innovatrice ne devrait pas pouvoir modifier le paysage une fois le brevet mis en jeu par l’AA.

 

20 Les allégations contenues dans l’AA ne concernent pas le brevet tel qu’il existait après la renonciation. Il s’agit en fait d’un nouveau brevet. Il ne suffit pas de répondre [que la seconde personne] devrait recommencer le processus depuis le début. [La seconde personne] s’est fait tirer le tapis sous les pieds dans le cadre d’une stratégie imaginée par [la première personne] qui a décidé de renoncer à toutes les revendications [de son brevet].

 

 

[85]           Le protonotaire Aalto a conclu que les droits respectifs des parties se sont cristallisés au moment de la réception par la première personne de l’avis d’allégation de la seconde personne et que le dépôt d’un avis d’allégation gèle le registre des brevets à cette date. Le protonotaire Aalto a conclu que les renonciations devaient prendre effet de manière prospective et non rétroactive. Il a appuyé sa conclusion sur une analyse des modifications de la Loi sur les brevets, de la décision BVD et des objectifs de politique générale liée à la certitude et à la prévisibilité. Il posé la question suivante au paragraphe 35 : « Qu’est-ce qui empêcherait une société innovatrice de renoncer ne serait‑ce qu’à une infime partie de son brevet après avoir reçu un AA dans le but de rendre cet AA non conforme au Règlement? » Il a dit craindre que, si une telle conduite était permise, l’innovateur puisse prolonger de façon inappropriée et injuste la période pendant laquelle le produit générique ne pourrait pas être commercialisé.

 

[86]           Pour les motifs exposés ci-dessus et parce que la première personne n’avait pas déposé d’observations réfutant les allégations de la seconde personne, le protonotaire Aalto a radié la demande. La première personne a interjeté appel de cette décision. L’appel a été rejeté par le juge Hugues, qui a confirmé la décision du protonotaire Aalto; voir 2009 CF 783. Un autre appel interjeté à la Cour d’appel fédérale est en instance.

 

[87]           La juge Heneghan dans la décision Abbott a examiné une question semblable, mais dans le contexte d’un avis de cession plutôt que dans le contexte d’une renonciation. Elle a tiré une conclusion semblable aux conclusions tirées par le juge Hugues et le protonotaire Aalto.

 

[88]           Dans l’affaire Abbott, la seconde personne a avancé que brevet en cause était invalide pour cause de double brevet par rapport au brevet canadien no 2,325,541 (le brevet 541). Abbott, après avoir reçu l’avis d’allégation, dans lequel l’allégation de double brevet était avancé, a déposé un avis de cession au Bureau des brevets, dans lequel il cédait au public le brevet 541. La Cour, au paragraphe 96 de la décision G.D. Searle & Co. c. Merck & Co. (2002), 20 C.P.R. (4th) 103 (C.F. 1re inst.) a conclu que « [l]orsqu’il y a cession des revendications, le brevet doit être interprété comme si ces revendications n’avaient jamais existé, sous réserve de toute poursuite pour contrefaçon passée ». Abbott a donc plaidé que l’allégation d’invalidité pour cause de double brevet n’avait aucun fondement puisque, dans les faits, le brevet 541 n’avait jamais été délivré.

 

[89]           La juge Heneghan, se fondant sur la décision BMS, a conclu au paragraphe 199 que la cession était sans effet en ce qui avait trait à l’instance en matière d’avis de conformité.

201 […] [L]es arguments des demanderesses, en ce qui concerne l’effet de leur avis de cession dans le contexte de la présente instance, ne me convainquent pas. La question du préjudice causé à un défendeur n’est pas le point de départ de l’examen d’une allégation d’invalidité dans une procédure d’interdiction. Le point de départ est plutôt l’AA, le document qui énonce les motifs pour lesquels la seconde personne allègue l’invalidité ou l’absence de contrefaçon, selon le cas, contre un ou plusieurs brevets; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), paragraphe 20. C’est en se fondant sur le contenu de l’AA que les demanderesses ont décidé d’engager la présente instance, de sorte que la situation, quant au brevet 541, doit être examinée à la date de délivrance de l’AA.

 

[…]

 

203 […] Dans le contexte des procédures d’interdiction, l’AA est le document crucial. Selon le Règlement AC, la signification d’un AA place le titulaire d’un brevet dans la situation où il doit décider si des procédures d’interdiction doivent être engagées.

 

 

204 Comme le juge Hughes l’a fait remarquer au paragraphe 48 de la décision Bristol‑Myers : « Dans le cadre de procédures instituées sous le régime du Règlement sur les AC, la Cour ne peut statuer que sur la question de savoir si les allégations faites, [...] dans [l’]avis d’allégation, sont justifiées. »

 

[90]           La coutoisie judiciaire prévoit qu’un tribunal doit se conformer à ses décisions antérieures à moins qu’il soit établi que ces décisions antérieures étaient manifestement erronées ou ne devraient plus être suivies. Le juge Richard de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, plus tard juge en chef de la Cour d’appel fédérale, dans la décision Glaxo Group Ltd. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social (1995), 64 C.P.R. (3d) 65 (C.F. 1re inst.), a accepté qu’une décision était manifestement erronée si elle ne tenait pas compte de dispositions législatives ou de précédents qui auraient entraîné une issue différente. Sur le fondement du principe de la courtoisie judiciaire et des trois décisions mentionnées ci‑dessus, Hospira soutient que le brevet 778 et ses revendications doivent être interprétés par la Cour selon leur libellé à la date de la signification de son avis d’allégation.

 

[91]           Sanofi Canada allègue que l’arrêt Merck, soit l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada, lequel n’a pas été examiné dans les décisions BMS, Janssen-Ortho et Abbott, constitue un précédent qui, si la Cour en avait tenu compte, aurait entraîné des issues différentes. Elle plaide que l’arrêt Merck a établi que la date à laquelle il faut interpréter un brevet dans une instance relative à un avis conformité est la date de l’audience et non la date de signification de l’avis d’allégation. En l’espèce, il faudrait alors que la Cour interprète les revendications du brevet 778 ayant fait l’objet d’une renonciation. Sanofi Canada soutient également que la Cour, dans les décisions invoquées par Hospira, a également omis de tenir compte d’une disposition législative pertinente, à savoir le paragraphe 48(6) de la Loi sur les brevets.

 

[92]           À mon avis, l’argument selon lequel la Cour, dans les trois décisions invoquées par Hospira, n’a pas tenu compte du paragraphe 48(6) de la Loi sur les brevets, est sans fondement. Le juge Hugues mentionne ce paragraphe dans la décision BMS sur laquelle les autres décisions se sont largement fondées.

 

[93]           La Cour dans l’affaire Merck devait se pencher sur une instance relative à un avis de conformité qui avait découlé du régime de licence obligatoire en vigueur à l’époque. Merck Frosst avait sollicité une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour le médicament norfloxacine – dont le brevet canadien était détenu par Kyorin et dont Merck était le titulaire exclusif de la licence et de la sous-licence – jusqu’à ce que le brevet soit expiré. Apotex alléguait la non‑contrefaçon sur le fait qu’elle obtiendrait la norfloxacine de Novopharm, qui était titulaire d’une licence obligatoire valide pour la norfloxacine. Merck Frosst a plaidé que « l’[avis d’allégation] était prématuré du fait que, le 46e jour suivant sa signification, qui est la première date à laquelle l’ADC aurait pu théoriquement être délivré conformément au Règlement, aucune activité n’emportant pas contrefaçon n’était possible en raison des restrictions légales auxquelles la licence obligatoire de Novopharm était assujettie » : Merck, paragraphe 12. La juge Simpson a souscrit à l’avis de Merck Frosst et a conclu que l’allégation de non‑contrefaçon n’était pas justifiée et était prématurée. Elle a accueilli la demande et a accordé l’ordonnance d’interdiction. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel d’Aportex, mais n’a pas traité de la présente question. Par la suite, la Cour suprême du Canada a été saisie d’un appel.

 

[94]           Le juge Iacobucci de la Cour suprême a formulé la question en litige comme suit : « Quelle est la date pertinente pour évaluer si un ADA était fondé? » : arrêt Merck, paragraphe 17. La Cour suprême a rejeté la conclusion de la juge Simpson, selon laquelle la date pertinente était soit la date de la signification de l’avis d’allégation, soit le 46e jour suivant sa signification. Elle a cité et approuvé la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1997), 132 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.). Dans cette décision, le juge Muldoon a expressément écarté le raisonnement de la juge Simpson. Il a conclu que la date appropriée quant à l’évaluation du bien‑fondé d’un avis de conformité est la date de l’audience. Le raisonnement du juge Muldoon a été résumé et cité par le juge Iacobucci de la façon suivante :

26 Dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale du Bien-être social) (1997), 132 F.T.R. 60, le juge Muldoon a rejeté expressément le raisonnement du juge Simpson et a plutôt conclu que la date appropriée pour évaluer si un ADA était fondé est la date de l’audition. Pour tirer cette conclusion, le juge Muldoon a mis en doute la pertinence du 46e jour suivant le dépôt de l’ADA, étant donné que, dans la plupart des cas, aucun ADC ne peut être délivré avant qu’il ne soit statué sur la demande d’ordonnance d’interdiction ou que n’ait expiré la « suspension de nature législative » de 30 mois découlant de cette demande. À son avis, à la p. 71, de tels « délais connus et prévisibles » devraient être pris en considération pour évaluer le bien‑fondé d’une allégation. En outre, il s’est demandé si le Ministre serait en fait tenu de délivrer l’ADC demandé le 46e jour suivant le dépôt de l’ADA, même si aucune demande d’ordonnance d’interdiction n’était présentée et même s’il était alors illégal pour la partie requérante de se prévaloir de l’ADC. Selon lui, à la p. 71, « le Ministre n’est pas un robot », et le Règlement lui confère le pouvoir discrétionnaire de ne pas délivrer l’ADC immédiatement.

 

27 Le juge Muldoon a fait remarquer, à la p. 73, que, aux termes du par. 6(2) du Règlement, la cour doit rendre une ordonnance d’interdiction «si elle conclut qu’aucune des allégations [c.‑à‑d. celles contenues dans l’ADA] n’est fondée » (je souligne). Il ajoute, à la p. 73 :

 

À quelle date la cour arrive‑t‑elle ou peut‑elle arriver à une telle conclusion? Pas avant l’audition de la demande d’interdiction, telle est cette date. Il y a lieu de noter que le règlement ne dit pas : « elle conclut qu’aucune des allégations n’était fondée », c.‑à‑d. « à la date de l’avis d’allégation et à la date à laquelle un ADC aurait pu être délivré sur le fondement de l’avis d’allégation » […] Il est clair toutefois que si le temps est l’élément crucial à considérer, la date relative au caractère « prématuré » ou à la « maturité » des allégations est celle où la cour « conclut qu’aucune des allégations n’est fondée », ce qui correspond au plus tôt à la date de l’audition de la demande d’interdiction et, au plus tard, à celle de l’ordonnance du tribunal et de ses motifs, si tant est qu’il y en ait. Après tout, n’est‑ce pas là précisément la date que prévoit textuellement le paragraphe 6(2) et non une date antérieure quelconque? Comme on l’a montré ci‑dessus, ce paragraphe du règlement aurait pu exiger ce que la distinguée juge a conclu au sujet du caractère « prématuré », mais il ne l’a pas fait. [Souligné dans l’original.]

 

[95]           Le juge Iacobucci affirme qu’il « s’agit selon [lui] d’une simple question de bon sens ». Il convient qu’il ne serait pas opportun d’« autorise[r] la délivrance prématurée d’un ADC lorsque les conditions prévues par la loi n’ont pas été remplies », mais il conclut que, si les conditions ont été remplies à la date de l’audience, il ne serait pas opportun d’interdire au ministre de délivrer un avis de conformité. Ses conclusions sont fondées, en grande partie, sur l’objet du Règlement AC qui, selon lui, « vise simplement à empêcher la contrefaçon en retardant la délivrance de l’ADC jusqu’à ce qu’aucune contrefaçon ne puisse en résulter ». [Non souligné dans l’original.] Cet objet découle du fait que le Règlement AC a été pris en vertu du paragraphe 55(4) de la Loi sur les brevets qui permet au gouverneur en conseil de prendre les règlements qu’il estime nécessaires « afin d’empêcher la contrefaçon d’un brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée ». Comme je l’expliquerai ci-dessous, je suis d’avis que la question soulevée par les parties en l’espèce sera en grande partie répondue grâce à l’examen de l’objet du Règlement AC.

 

[96]           La Cour suprême dans l’arrêt Merck était d’avis que, si le fabricant de médicaments génériques peut prévoir exactement à quelle date l’exercice des droits conférés par un avis de conformité n’emportera pas contrefaçon d’un brevet et est capable de choisir en conséquence le moment où présenter son avis d’allégation, l’avis d’allégation ne devrait pas être rejeté « seulement parce que l’allégation présentée à son appui n’était pas fondée au moment où l’ADA a été produit, même s’il n’y avait aucune possibilité que l’ADC soit délivré à cette date ». La Cour suprême note que cette interprétation « n’est pas incompatible avec le par. 6(2) du Règlement, qui prévoit seulement que la cour rend une ordonnance d’interdiction "si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée", une conclusion qui ne peut être tirée, au plus tôt, qu’à la date de l’audition ». [Non souligné dans l’original.] La Cour suprême a conclu que la réponse à la question « Quelle est la date pertinente pour évaluer si un ADA était fondé? » est « à la date de l’audition ».

 

[97]           Hospira plaide que l’arrêt Merck ne constitue pas un précédent quant à la présente question dont est saisie la Cour, et ce, pour quatre raisons : (1) l’affaire Merck portait sur des faits différents et non sur une affaire concernant une renonciation; (2) l’arrêt rendu dans l’affaire Merck n’est pas incompatible avec sa position; (3) le droit en vigueur à l’époque de l’affaire Merck n’est plus applicable compte tenu des modifications apportées par la suite au Règlement AC et (4) la Cour suprême s’est fondée sur le bon sens dans l’arrêt Merck, et le protonotaire Aalto et les juges Heneghan et Hughes ont utilisé la même approche. Aucune de ces raisons ne me convainc.

 

[98]           L’affaire Merck ne portait pas sur situation où l’innovateur avait déposé une renonciation et, dans cette mesure, les circonstances factuelles sont différentes de l’espèce. Cependant, la prétention selon laquelle ce seul fait justifierait que la Cour conclue que l’affaire Merck et l’espèce sont différentes et qu’elle ne doit pas la suivre est erronée. La ratio decidendi dans l’arrêt Merck n’est pas aussi restreinte que l’avance Hospira. La question que devrait trancher la Cour suprême était de savoir si l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex était fondée. De façon semblable, la question en l’espèce est de savoir si les allégations de non‑contrefaçon et d’invalidité de Hospira sont fondées. Dans l’arrêt Merck, la Cour suprême a noté qu’il fallait d’abord qu’elle détermine la date pertinente pour évaluer si un avis d’allégation est fondé et elle a conclu qu’il s’agissait de la date de l’audience. La Cour suprême a par la suite mentionné, et il s’agit de la conclusion dont il faut tenir compte, qu’il fallait qu’elle détermine si l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex était fondée à la date pertinente. Il ne faisait aucun doute que l’allégation n’était pas fondée si la date pertinente était la date de l’avis d’allégation, car Apotex n’aurait d’aucune façon pu obtenir de la norfloxacine sans qu’il y ait contrefaçon à cette date. Selon la Cour suprême dans l’arrêt Merck, après avoir conclu que la date pertinente était la date de l’audience, il faut par la suite se demander si les allégations de non‑contrefaçon sont fondées à la date pertinente. Il s’agit précisément de la question que la Cour doit trancher dans les instances relatives aux avis de conformité, et ce, peu importe qu’une renonciation ait été déposée ou non : Y a-t-il ne serait‑ce qu’une seule allégation fondée à la date pertinente?

 

[99]           Il existe une deuxième différence entre les trois décisions invoquées par Hospira et l’arrêt Merck. Les affaires BMS, Janssen-Ortho et Abbott portaient toutes sur la question de la validité d’un brevet alors que l’affaire Merck portait sur la contrefaçon. Dans les affaires BMS, Janssen-Ortho et Abbott, l’innovateur a modifié sa position pour essayer de conserver la validité de leur brevet alors que, dans l’affaire Merck, le fabriquant de médicament générique a modifié sa position pour essayer de plaider la non‑contrefaçon. Bien que l’affaire Merck portait sur un fabriquant de médicament générique essayant de tirer avantage du Règlement AC par le dépôt « rapide » d’un avis d’allégation alors que les affaires BMS, Janssen-Ortho et Abbott portaient sur des innovateurs qui avaient déposé une renonciation ou une cession afin d’éviter une déclaration d’invalidité, je ne vois aucun fondement pour conclure que la date pertinente devrait être différente selon la personne qui tire avantage des dispositions réglementaires. En définitive, la question que les cours devaient trancher dans toutes ces affaires – et il s’agit de la question que les cours doivent trancher dans toute instance relative à un avis de conformité –, est de savoir si les allégations, quelles qu’elles soient, sont fondées. Je ne peux voir aucun argument justifiant une conclusion selon laquelle le bien‑fondé des allégations doit être décidé suivant des dates différentes selon que l’allégation porte sur l’invalidité ou sur la contrefaçon.

 

[100]       Hospira soutient que la conclusion de l’arrêt Merck, à savoir qu’il faut examiner l’allégation à la date de l’audience, n’est pas incompatible avec sa position. Cette prétention de Hospira ne tient pas compte du fait que la Cour suprême s’est ensuite penchée sur la question de savoir si l’allégation était fondée à la date pertinente et non, comme le soutient Hospira, à la date où l’allégation a été faite. Par conséquent, l’arrêt Merck n’est pas compatible avec la position de Hospira en l’espèce.

 

[101]       Hospira avance que les modifications aux paragraphes 5(3) et (4) du Règlement AC, qui, selon Hospira, ont été apportées par suite de l’arrêt Merck, remet en question l’applicabilité de cet arrêt. Les modifications en question ont été apportées pour empêcher qu’un fabricant de médicaments génériques signifie un avis d’allégation avant qu’il dépose sa présentation de drogue nouvelle (alinéa 5(3)a)) et pour geler le registre des brevets de façon à ce qu’un fabricant de médicaments génériques qui a déposé une présentation de drogue nouvelle n’ait pas besoin de répondre à un nouveau brevet déposé après que la présentation de drogue nouvelle a été déposée (paragraphe 5(4)). Les deux modifications sont postérieures à l’arrêt Merck. Cependant, je souscris aux observations de Sanofi Canada, selon lesquelles ni l’une ni l’autre des modifications n’étaient en réponse à l’arrêt Merck et n’ont aucun effet sur la conclusion de l’arrêt Merck. Il n’existe aucune raison de croire que l’issue de l’arrêt Merck rendu par la Cour suprême aurait été différente si ces modifications avaient été en vigueur à cette époque, car ni l’une ni l’autre des modifications n’auraient eu un effet sur les faits pertinents ayant été appréciés par la Cour suprême.

 

[102]       À mon avis, la modification visant le gel du registre des brevets appuie la position de Sanofi Canada plutôt que celle de Hospira. Si Hospira a raison et que la date pertinente pour l’évaluation du bien‑fondé des allégations est la date de l’avis d’allégation, alors il faut se demander pourquoi le paragraphe 5(4) du Règlement AC est nécessaire, car il traite de faits postérieurs à l’avis d’allégation. Ce paragraphe n’est pertinent que si la date quant à l’évaluation du bien‑fondé des allégations est la date de l’audience, date postérieure à l’ajout de nouveaux brevets au registre. Sans le paragraphe 5(4) du Règlement AC, on pourrait penser que le fabricant de médicaments génériques devrait également répondre à ces brevets, qui sont plus récents.

 

[103]       Enfin, Hospira plaide que la Cour suprême a utilisé une approche fondée sur le bon sens et que si la Cour voulait en faire autant, elle suivrait les décisions rendues par les juges Heneghan et Hugues et par le protonotaire Aalto. Même s’il était accepté que ces derniers ont utilisé une approche fondée sur le bon sens, cela ne trancherait pas la question dans une affaire où il faut suivre une autorité supérieure.

 

[104]       Je conclus que l’arrêt Merck lie la cour en ce qui à trait à la question de savoir quelle est la date pertinente quant à l’évaluation du bien‑fondé d’un avis d’allégation – qui doit être évalué selon son libellé à la date de l’audience – et que les décisions BMS, Abbott et Janssen-Ortho ne doivent pas être suivies.

 

[105]       Même si cette conclusion suffit pour trancher la présente question, je souhaite répondre aux autres observations présentées par les parties, car il ne fait aucun doute qu’une cour de juridiction supérieure devra un jour trancher cette question.

 

[106]       Hospira soutient que, si la Cour dans une instance relative à un avis de conformité devait mettre l’accent sur le brevet selon son libellé à la date de l’audience, cela ferait en sorte que les entreprises innovatrices utiliseront les renonciations comme tactique de défense envers les demandes d’avis de conformité. Elle plaide que, une fois que la première personne a en main l’avis d’allégation de la seconde personne, la première personne sait comment la seconde personne a formulé son médicament et elle peut alors restreindre les revendications de façon à ce que les allégations soient rejetées. Selon Hospira, cela pourrait être répété ad vitam aeternam créant ainsi une interdiction perpétuelle contre le fabricant de médicaments génériques. Le protonotaire Aalto, dans la décision Janssen-Ortho, a également fait cette observation et formulé cette réserve.

 

[107]       À mon avis, cette réserve ne tient pas compte d’une évidence, à savoir qu’il n’est pas approprié d’utiliser une renonciation d’une telle façon. Une renonciation n’est valide que si les revendications initiales étaient déficientes « par erreur, accident ou inadvertance ». En outre, le paragraphe 48(1) de la Loi sur les brevets dispose que la personne doit déposer la renonciation « sans intention de frauder ou de tromper le public ». À première vue, il semble que l’on pourrait estimer que le titulaire de brevet qui utiliserait les dispositions relatives à la renonciation afin d’empêcher un fabricant de médicaments génériques d’entrer sur le marché aurait eu l’intention de frauder le public.

 

[108]       Le protonotaire Aalto laisse entendre que de permettre que l’avis d’allégation soit rejeté en raison d’une renonciation déposée après que l’avis d’allégation a été signifié se compare à empêcher une équipe de marquer en bougeant les poteaux du but alors que le ballon est dans les airs. Il utilise cet exemple pour illustrer le caractère supposément inéquitable des modifications apportées aux revendications d’un brevet. À mon humble avis, cette analogie ne convient pas. Aucun règlement au football ne permet de bouger les poteaux, alors que la Loi sur les brevets permet expressément que des renonciations soient déposées par un titulaire de brevet si les exigences prévues à l’article 48 de cette loi sont respectées.

 

[109]       Une analogie avec le soccer serait plus appropriée. Un attaquant qui botte le ballon dans le filet adverse marque un but, à moins qu’il soit hors‑jeu. L’attaquant est hors‑jeu si, lorsqu’il reçoit une passe d’un milieu de terrain, il est plus près du but adverse que le ballon et le dernier défenseur adverse. L’habile défenseur qui se doute que le milieu de terrain s’apprête à recevoir le ballon et à le passer à l’attaquant courra vers le milieu du terrain au-delà de l’attaquant, ce qui mettra l’attaquant hors‑jeu. Tout ballon botté dans le but par la suite par l’attaquant ne comptera pas comme un but. Au soccer, les règles permettent de bouger la ligne de hors‑jeu. Cette règle étant en vigueur, on ne peut pas affirmer qu’il n’est pas équitable que le défenseur coure afin de mettre l’attaquant hors‑jeu – il s’agit simplement d’un jeu habile. L’utilisation adéquate d’une revendication ne crée pas plus d’iniquité que l’utilisation de la règle du hors‑jeu par un habile défenseur: les deux sont permis par les règles.

 

[110]       Hospira a avancé que le fabricant de médicaments génériques est désavantagé parce qu’il tient compte du brevet selon son libellé au moment de la signification de l’avis d’allégation. Le protonotaire Aalto était du même avis.

39 […] Janssen fait valoir qu’il ne sera occasionné aucune « difficulté » à Apotex si elle est autorisée à poursuivre sa demande puisque rien n’empêche Apotex de retirer son AA et d’en déposer un nouveau à l’égard du brevet tel qu’il existait après la renonciation. Janssen se dit prête à consentir à cette réparation sans dépens. Comme je l’ai dit plus haut, cette approche ne reflète ni la réalité ni l’état du droit.

40 Apotex subit un préjudice important du fait qu’elle a déposé son AA en se fondant sur le brevet tel qu’il était inscrit au registre. Elle a engagé des frais importants pour ce faire. C’est la tactique de Janssen visant à différer sa renonciation jusqu’à la réception de l’AA qui a provoqué la présente instance. Comme nous l’avons vu, le Règlement est conçu de manière à accorder à la société innovatrice un délai de 45 jours suivant la réception de l’AA pour décider s’il y a lieu de solliciter une ordonnance d’interdiction. Cette décision est et doit être prise eu égard aux allégations contenues dans l’AA. Compte tenu du fait que Janssen a admis dans sa renonciation que les revendications initiales étaient trop larges, la présente instance n’aurait manifestement jamais été introduite si la décision avait été prise eu égard aux allégations contenues dans l’AA. Il sera donc occasionné une difficulté à Apotex si la poursuite de la présente instance est autorisée ou si elle se voit contrainte de tout recommencer au moyen d’un nouvel AA.

 

[111]       En toute déférence pour le protonotaire Aalto et son opinion, son explication suppose que le titulaire de brevet attend son heure, sachant que ses revendications sont rédigées de façon trop large et espérant peut‑être qu’elles découragent un fabricant de médicaments génériques d’élaborer un médicament concurrent, et suppose qu’il n’a pas déposé de renonciation lorsqu’il s’est rendu compte pour la première fois de l’erreur, de l’accident ou de l’inadvertance faisant en sorte que la portée de la revendication est excessive. Dans une telle circonstance, comme je l’ai déjà mentionné, la revendication pourrait être estimée invalide. Si la première personne n’est pas capable d’établir la validité de sa renonciation, alors la seconde personne en tirera peut‑être avantage, car la première personne ne pourra se fonder que sur le brevet tel qu’il existe après la renonciation. Je suis d’accord avec l’avocat de Sanofi Canada pour affirmer que le titulaire de brevet ayant déposé une renonciation ne peut pas également se fonder sur le brevet tel qu’il était libellé avant la renonciation. Le dépôt d’une renonciation constitue une admission que le brevet, comme il avait été déposé initialement, avait une portée excessive et cette admission reste en vigueur malgré une conclusion ultérieure selon laquelle la renonciation n’était pas valide.

 

[112]       Hospira soutient également qu’elle s’est fondée sur le brevet tel qu’il était libellé lorsqu’elle a déposé sa présentation de drogue nouvelle et son avis d’allégation et qu’elle a engagé des frais inutiles qu’elle n’aurait pas engagés si le brevet avait eu à cette époque le même libellé qu’il a aujourd’hui. Elle avance donc que l’évaluation des allégations au regard d’un brevet ayant fait l’objet d’une renonciation augmente les frais du fabricant de médicaments génériques. À mon avis, cet argument suppose que le fabricant de médicaments génériques qui a obtenu un avis de conformité sur la base d’un brevet qui fera par la suite l’objet d’une renonciation ne sera pas ultérieurement poursuivi par le titulaire de brevet pour contrefaçon de ce brevet, s’exposant ainsi à tous les frais liés à cette action en contrefaçon.

 

[113]       À mon avis, permettre à un fabricant de médicaments génériques d’obtenir un avis de conformité alors que le brevet a fait l’objet d’une renonciation ne respecte pas l’objet du Règlement AC : la Cour ne rend pas une décision empêchant la contrefaçon si elle ne tient pas compte de l’existence d’un brevet ayant fait l’objet d’une renonciation. Bien que dans certaines affaires il se peut que le fabricant de médicaments génériques engage des frais inutilement, trancher les affaires selon des revendications qui ont par la suite fait l’objet de renonciation et qui ne seront plus en vigueur lorsque le médicament générique sera produit et commercialisé constitue une perte de temps et de ressources pour la Cour et les parties, surtout étant donné que l’innovateur peut intenter, et intentera probablement, par la suite une action en contrefaçon fondée sur le brevet ayant fait l’objet d’une renonciation.

 

[114]       Le juge Iacobucci, au paragraphe 30 de l’arrêt Merck, a affirmé que le Règlement AC vise « simplement à empêcher la contrefaçon en retardant la délivrance de l’ADC jusqu’à ce qu’aucune contrefaçon ne puisse en résulter ». Une interprétation adéquate du Règlement AC doit respecter cet objet et ne pas le violer. Comment peut‑on affirmer que cet objet est respecté si la Cour ne tient pas compte du brevet ayant fait l’objet d’une renonciation lorsqu’elle détermine si les allégations sont fondées? Si pour ce faire le fabricant de médicaments génériques doit retirer son avis d’allégation et en déposer un nouvel, alors il s’agit de la procédure appropriée qu’il faut appliquer.

 

[115]       Les juges Heneghan et Hughes se sont fondés en partie sur le fait que l’avis d’allégation est un document qui ne peut pas être modifié par le fabricant de médicaments génériques après avoir été signifié et qui ne peut pas non plus être modifié par la Cour. On allègue que c’est pertinent parce que l’article 6 du Règlement AC dispose que la Cour interdit au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet « si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée », et les allégations ne peuvent pas être modifiées. Cela suppose que les « allégations » que la Cour doit examiner lors de l’instance sont celles énoncées dans l’avis d’allégation.

 

[116]       Je suis d’accord avec la demanderesse que les « allégations » dont il est question au paragraphe 6(2) du Règlement AC – les allégations que la Cour doit examiner – sont les allégations dont il est question aux alinéas 5(1)b) et 5(2)b) et non l’« énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation » prévu au paragraphe 5(3) du Règlement AC.

 

[117]       L’alinéa 5(1)b) du Règlement AC dispose que si une seconde personne dépose une présentation pour un avis de conformité, alors elle doit inclure dans cette présentation :

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration présentée par la première personne aux termes de l’alinéa 4(4)d) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n’est pas valide,

(iv) elle ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, revendication de la formulation, revendication de la forme posologique ni revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant la drogue pour laquelle la présentation est déposée.

[Non souligné dans l’original.]

(b) allege that

 

(i) the statement made by the first person under paragraph 4(4)(d) is false,

 

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

 

(iv) no claim for the medicinal ingredient, no claim for the formulation, no claim for the dosage form and no claim for the use of the medicinal ingredient would be infringed by the second person making, constructing, using or selling the drug for which the submission is filed.

 

[emphasis added]

 

 

 

[118]       L’« allégation » de la seconde personne se limite à l’une des quatre allégations prévues dans le paragraphe ci‑dessus. En effet, le formulaire V, soit le formulaire devant être rempli par la seconde personne, ne permet que de cocher la case appropriée – aucun renseignement à l’appui de l’allégation n’est inclus.

 

[119]       Le paragraphe 5(3) du Règlement AC dispose que la « seconde personne qui inclut l’allégation visée à l’alinéa (1)b) et (2)b) doit […] [signifier un avis d’allégation et] […] insérer dans l’avis d’allégation […] un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation […] » [non souligné dans l’original]. L’article 6 du Règlement AC prévoit que la Cour rend une ordonnance d’interdiction « à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée » [non souligné dans l’original]. Selon mon examen, il est clair que les « allégations » dont il est question dans ces dispositions sont les allégations présentées par la seconde partie suivant les alinéas 5(1)b) et 5(2)b) – il ne s’agit pas de l’énoncé détaillé inséré dans l’avis d’allégation.

 

[120]       L’avis d’allégation ne fait que créer une cause d’action et informer l’innovateur du fondement sur lequel le fabricant de médicaments génériques allègue ne pas contrefaire son brevet. Avant de recevoir l’avis d’allégation, l’innovateur n’a aucun fondement pour intenter une action contre le fabricant de médicaments génériques. L’avis d’allégation renferme les renseignements permettant à l’innovateur de raisonnablement déterminer s’il contestera les allégations. Il lie le fabricant de médicaments génériques parce que l’innovateur prend la décision de contester ou non les allégations du fabricant de médicaments génériques sur le fondement des renseignements que l’avis d’allégation fournit. La première personne peut décider de présenter une demande contestant seulement certaines allégations ou l’ensemble des allégations ou bien décider de ne contester aucune allégation. Si le fabricant de médicaments génériques pouvait changer ses allégations ou en ajouter des nouvelles après que l’innovateur a présenté sa demande, cela serait injuste envers l’innovateur qui s’est fondé sur l’avis d’allégation pour déterminer s’il présenterait une demande d’ordonnance d’interdiction et, le cas échéant, la portée de cette demande.

 

[121]       Cependant, ce n’est pas l’avis d’allégation mais bien l’avis de demande qui énonce précisément les questions en litige. L’avis de demande porte sur les allégations contre le brevet tel qu’il est libellé à la date du dépôt de la demande à la Cour. Si le brevet a fait l’objet d’une renonciation avant la demande, alors il faut examiner le brevet ayant fait l’objet de la renonciation au regard des allégations présentées en vertu des paragraphes 5(1) et 5(2) du Règlement AC. Dans cette demande, si le fabricant de médicaments génériques conteste le caractère authentique de la renonciation, le fardeau de la preuve incombe à l’innovateur, qui doit établir que la renonciation est valide et appropriée, comme je l’ai expliqué ci‑dessus.

 

[122]       En résumé, avec déférence pour les juges Heneghan et Hughes et le protonotaire Aalto et leurs conclusions, je ne vois aucun fondement pour conclure que la date pertinente quant à l’évaluation des allégations de la seconde personne n’est pas la date de l’audience, comme la Cour suprême du Canada l’a conclu dans l’arrêt Merck. Par conséquent, je conclus que les trois décisions précédentes rendues par la Cour et invoquées par Hospira étaient erronées et que la Cour aurait rendu des décisions différentes si l’arrêt Merck avait été porté à son attention.

 

[123]       Le bien‑fondé des allégations présentées par Hospira dans sa demande d’avis de conformité sera évalué sur le fondement du brevet 778 après renonciation. Si la présente conclusion est erronée, alors la présente demande doit être rejetée, car Sanofi Canada n’a présenté aucune preuve concernant le brevet 778 tel qu’il a été déposé et sur laquelle la Cour pourrait se fonder pour conclure qu’aucune des allégations de Hospira n’est justifiée.

 

2.   Hospira est‑elle empêchée par préclusion d’alléguer l’invalidité de la renonciation?

[124]       Sanofi Canada soutient que Hospira est empêchée par preclusion d’alléguer l’invalidité de la renonciation. Elle se fonde sur le principe établi par lord Denning dans l’arrêt Amalgamated Investment & Property Co. (In Liquidation) c. Texas Commerce International Bank Ltd., [1982] 1 Q.B. 84 (C.A.), qui a été cité par la Cour suprême du Canada au paragraphe 51 de l’arrêt Ryan c. Moore, 2005 CSC 38 (Ryan). Lord Denning a résumé la préclusion de la façon suivante :

[traduction]

Lorsque les parties à une opération se fondent sur une présupposition sous‑jacente – de fait ou de droit – peu importe qu’elle découle d’une affirmation inexacte ou d’une erreur – qui a guidé leurs rapports –, aucune d’elles ne peut revenir sur cette présupposition lorsqu’il serait inéquitable ou injuste de lui permettre de le faire. Si l’une des parties souhaite revenir sur la présupposition, les tribunaux accorderont à l’autre partie la réparation qui s’impose en equity.

 

[125]       Au paragraphe 59 de l’arrêt Ryan, la Cour suprême a conclu que les trois facteurs qui suivent constituent le fondement de la préclusion par convention :

1.      Les rapports des parties doivent avoir reposé sur une présupposition de fait ou de droit commune : la préclusion exige qu’une assertion manifeste émanant d’une déclaration ou d’une conduite ait créé une présupposition commune. La préclusion peut néanmoins résulter (implicitement) d’un silence.

 

2.      Une partie doit avoir agi sur la foi de cette présupposition commune, et ses actes doivent avoir entraîné une modification de sa situation juridique.

 

3.      Il doit également être injuste ou inéquitable de permettre à l’une des parties de revenir sur la présupposition commune ou de s’en écarter. La partie qui cherche à établir la préclusion doit donc démontrer que, s’il est permis à l’autre partie de revenir sur la présupposition, elle subira un préjudice en raison du changement de la situation présupposée.

 

 

[126]       Sanofi Canada et Hospira semblent toutes deux avoir presupposé que la renonciation était valide et en vigueur jusqu’à tout récemment. Les deux parties n’ont déposé des éléments de preuve que sur les revendications après renonciation. Hospira n’a contesté la validité de la renonciation que bien après la présentation de la preuve d’expert et le contre‑interrogatoire à ce sujet. Par conséquent, le premier facteur du critère de la préclusion par convention est respecté.

 

[127]       On ne peut en dire autant du deuxième facteur. La Cour suprême affirme que l’on doit se fonder sur une présupposition commune pour qu’il y ait préclusion par convention. En l’espèce, Sanofi Canada ne s’est pas fondée sur une présupposition commune des parties. La présente affaire a été engagée parce que Hospira a signifié un avis d’allégation à Sanofi Canada. L’avis d’allégation portait sur les revendications initiales des brevets en cause. C’est Sanofi Canada qui a par la suite déposé un avis de demande et qui a limité ses observations aux revendications après renonciation du brevet 778. La question du brevet ayant fait l’objet d’une revendication a d’abord été soulevée par Sanofi Canada. C’est également Sanofi Canada qui a déposé sa preuve en premier; Hospira a déposé la sienne par la suite. Même si la preuve de Hospira traitait des revendications après renonciation, cette preuve a été présentée en réponse à l’avis de demande de Sanofi Canada et à la preuve d’expert. Rien dans le dossier ne révèle que Sanofi Canada a changé sa position juridique compte tenu de la présupposition commune.

 

[128]       La partie qui invoque la préclusion par convention a le fardeau d’établir qu’elle a subi un préjudice. La preuve de Sanofi Canada à ce sujet est mince. Sanofi Canada allègue qu’elle a décidé quelle preuve déposer sur le fondement du silence de Hospira lors d’une conférence de gestion de l’instance entre les parties. Cette allégation semble insoutenable étant donné que Sanofi Canada avait déjà déposé son avis de demande, lequel limitait les questions en litige au brevet 778 après renonciation. En outre, la renonciation du brevet 778 a été faite du propre chef de Sanofi Canada, et son avocat à l’audience a admis ce qui suit :

[traduction]

[C]omment puis-je plaider les revendications initiales alors que mon client a déposé une renonciation inconditionnelle? Je tromperais la Cour si je les plaidais. Cela reviendrait à demander à la Cour de se pencher sur quelque chose qui n’existe plus. À mon avis, il serait inapproprié de demander à la Cour de faire cela.

 

 

[129]       Sanofi Canada soutient que la possibilité d’une demande pour dépens prévue à l’article 8 du Règlement AC constitue également un préjudice. Le présent argument suppose que, si Hospira avait contesté la validité de la renonciation immédiatement après le dépôt de l’avis de demande, Sanofi Canada aurait retiré sa demande afin de limiter ces dépens au minimum. Rien n’appuie cette supposition. De toute façon, il a été reconnu lors de l’audience que Hospira n’a pas encore obtenu l’approbation règlementaire pour sa présentation de drogue nouvelle, par conséquent, aucun préjudice n’a encore été subi.

 

[130]       Je suis d’avis que la preuve déposée par Sanofi Canada n’établit pas qu’il y a eu préjudice. Par conséquent, le troisième facteur du critère de la préclusion par convention n’est pas respecté non plus.

 

[131]       Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que Hospira peut contester la validité de la renonciation.

 

3.   La renonciation était‑elle valide?

[132]       La Loi sur les brevets dispose que le titulaire d’un brevet peut renoncer à tout ou partie de son brevet s’il respecte les conditions prévues à l’article 48 de cette loi, qui est ainsi rédigé :

48. (1) Le breveté peut, en acquittant la taxe réglementaire, renoncer à tel des éléments qu’il ne prétend pas retenir au titre du brevet, ou d’une cession de celui-ci, si, par erreur, accident ou inadvertance, et sans intention de frauder ou tromper le public, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) il a donné trop d’étendue à son mémoire descriptif, en revendiquant plus que la chose dont lui-même, ou son mandataire, est l’inventeur;

 

b) il s’est représenté dans le mémoire descriptif, ou a représenté son mandataire, comme étant l’inventeur d’un élément matériel ou substantiel de l’invention brevetée, alors qu’il n’en était pas l’inventeur et qu’il n’y avait aucun droit.

 

 

 

 

 

 (2) L’acte de renonciation est déposé selon les modalités réglementaires, notamment de forme.

(3) [Abrogé, 1993, ch. 15, art. 44]

 (4) Dans toute action pendante au moment où elle est faite, aucune renonciation n’a d’effet, sauf à l’égard de la négligence ou du retard inexcusable à la faire.

 (5) Si le breveté original meurt, ou s’il cède son brevet, la faculté qu’il avait de faire une renonciation passe à ses représentants légaux, et chacun d’eux peut exercer cette faculté.

 

 (6) Après la renonciation, le brevet est considéré comme valide quant à tel élément matériel et substantiel de l’invention, nettement distinct des autres éléments de l’invention qui avaient été indûment revendiqués, auquel il n’a pas été renoncé et qui constitue véritablement l’invention de l’auteur de la renonciation, et celui-ci est admis à soutenir en conséquence une action ou poursuite à l’égard de cet élément.

48. (1) Whenever, by any mistake, accident or inadvertence, and without any wilful intent to defraud or mislead the public, a patentee has

 

 

 

 

(a) made a specification too broad, claiming more than that of which the patentee or the person through whom the patentee claims was the inventor, or

 

(b) in the specification, claimed that the patentee or the person through whom the patentee claims was the inventor of any material or substantial part of the invention patented of which the patentee was not the inventor, and to which the patentee had no lawful right,

the patentee may, on payment of a prescribed fee, make a disclaimer of such parts as the patentee does not claim to hold by virtue of the patent or the assignment thereof.

(2) A disclaimer shall be filed in the prescribed form and manner.

 

(3) [Repealed, 1993, c. 15, s. 44]

(4) No disclaimer affects any action pending at the time when it is made, unless there is unreasonable neglect or delay in making it.

 

(5) In case of the death of an original patentee or of his having assigned the patent, a like right to disclaim vests in his legal representatives, any of whom may exercise it.

 

(6) A patent shall, after disclaimer as provided in this section, be deemed to be valid for such material and substantial part of the invention, definitely distinguished from other parts thereof claimed without right, as is not disclaimed and is truly the invention of the disclaimant, and the disclaimant is entitled to maintain an action or suit in respect of that part accordingly.

 

 

[133]       Hospira conteste la validité de la renonciation. Tout d’abord, elle soutient que la renonciation liée à la revendication 8 n’est pas adéquate, car elle étend la revendication 8 plutôt que de la limiter. Ensuite, Hospira avance que Sanofi Canada n’a déposé aucune preuve pour établir qu’il y avait eu erreur, accident ou inadvertance au moment du dépôt du brevet 778. Hospira plaide qu’il incombe à Sanofi Canada d’établir, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle respecte les conditions essentielles de l’article 48. Sanofi Canada doit établir (i) que le mémoire descriptif initial était trop étendu; (2) qu’elle l’a fait par erreur, accident ou inadvertance et (iii) qu’elle n’avait pas l’intention de frauder ou de tromper le public.

 

[134]       Sanofi Canada soutient que la renonciation est valide et qu’il ne devrait pas être permis à Hospira de contester sa validité, parce que Hospira l’a contestée pour la première fois dans son mémoire déposé peu de temps avant l’audience. Sanofi Canada avance que Hospira aurait dû contester la renonciation lors de la conférence de gestion de l’instance tenue le 15 février 2008, lorsque les parties ont discuté de l’échéancier lié au dépôt de la preuve.

 

[135]       Sanofi Canada prétend que, si Hospira voulait plaider l’invalidité de la renonciation, elle aurait dû suivre le processus approprié, à savoir retirer son avis d’allégation et en déposer un nouveau soulevant la présente question. Sanofi Canada allègue qu’elle subirait un préjudice important si la Cour permettait à Hospira de plaider ces nouvelles allégations si tardivement en cours d’instance, en partie en raison des dépens liés à l’article 8 du Règlement AC qui continuent de s’accumuler et qu’elle pourrait être obligée de payer.

 

[136]       Tout d’abord, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, les dépens liés à l’article 8 ne sont pas en cause parce que Hospira n’a pas reçu l’approbation réglementaire en ce qui a trait à sa présentation. En outre, le protonotaire a permis à Sanofi Canada de déposer une contre‑preuve sur les questions portant sur la renonciation et un mémoire supplémentaire, ce qu’elle a fait.

 

[137]       On ne saurait sérieusement contester que Hospira a soulevé tardivement son allégation quant à l’invalidité de la renonciation. Même si les décisions invoquées par Hospira à l’appui de sa position, selon laquelle le brevet après renonciation n’est pas pertinent, n’ont été rendues que récemment, rien ne l’empêchait d’alléguer que la renonciation était invalide. Hospira a gardé le silence le 15 février 2008 lors de la conférence de gestion de l’instance et n’a soulevé la question qu’après la présentation de la preuve.

 

[138]       Dans un appareil de justice civile efficace et juste, on devrait se garder de tendre des pièges lors des instructions. Cependant, Sanofi Canada ne cite aucune autorité à l’appui de son observation selon laquelle il ne devrait pas être permis à Hospira de présenter ses allégations parce qu’il est trop tard, et son seul argument est qu’elle subira un préjudice. Je conclus que Sanofi Canada ne subirait aucun préjudice. La Cour d’appel fédérale a décrit au paragraphe 9 de l’arrêt Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), le critère visant à déterminer si l’on devrait permettre à une partie de modifier ses actes de procédure à une étape tardive de la procédure :

[…] [U]ne modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

 

[139]       À mon avis, un raisonnement semblable devrait être appliqué aux circonstances de l’espèce. Étant donné l’absence de préjudice et le fait que c’est Sanofi Canada qui est en partie responsable parce que le brevet en cause a fait l’objet d’une renonciation par Sanofi Canada après que l’avis d’allégation a été signifié, il convient d’examiner les observations présentées par Hospira concernant la validité de la renonciation.

 

[140]       Selon la Loi sur les brevets, le commissaire aux brevets ne dispose pas du pouvoir discrétionnaire de rejeter une renonciation; par conséquent, lorsqu’une question liée à la validité d’un brevet est soulevée, il revient au tribunal, dans le cadre d’une action en contrefaçon ou d’une autre procédure, de trancher cette question : Richards Packaging Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 11, paragraphe 10, conf. par 2008 CAF 4.

 

[141]       Le juge Martineau, au paragraphe 79 de la décision Hershkovitz c. Tyco Safety Products Canada Ltd., 2009 CF 256, a conclu que, lorsque le bien‑fondé d’une renonciation est contesté et fait l’objet d’un litige, « c’est au breveté qu’il incombe de montrer qu’il y a eu "erreur, accident ou inadvertance" ». Sanofi Canada soutient que le juge Martineau a commis une erreur parce qu’il n’a pas tenu compte de l’importance du paragraphe 48(6) de la Loi sur les brevets qui prévoit qu’« [a]près la renonciation, le brevet est considéré comme valide […] ». À mon avis, l’allégation de Sanofi Canada n’est pas fondée parce qu’elle confond la validité de la renonciation avec la validité du brevet après renonciation.

 

[142]       Le paragraphe 48(6) de la Loi sur les brevets ne fait qu’établir que la renonciation ne porte pas atteinte à la présomption de validité dont jouit tout brevet. Le brevet ayant fait l’objet d’une renonciation jouit encore de la présomption de validité. Par ailleurs, le paragraphe 48(6) ne mentionne pas expressément si la renonciation même jouit d’une présomption quelconque de validité et, à mon avis, elle ne bénéficie pas d’une telle présomption. Si la validité de la renonciation n’est pas remise en question, alors le titulaire de brevet peut plaider le paragraphe 48(6) comme moyen de défense à l’égard des allégations d’invalidité du brevet ayant fait l’objet d’une revendication. Cependant, si la validité de la renonciation est remise en question, alors le titulaire du brevet doit établir, selon la prépondérance de la preuve, que la renonciation est valide.

 

[143]       Hospira soutient que la renonciation déposée dans le cadre du brevet 778 ne découlait pas d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance de bonne foi, mais qu’elle a plutôt été utilisée sciemment à des fins tactiques dans le cadre du litige [traduction] « afin de continuer un litige relatif à un avis de conformité qui est voué à l’échec depuis le début ». Hospira avance également que ce n’est pas Sanofi Canada qui a commis une erreur, a été victime d’un accident ou a fait preuve d’inadvertance lors du dépôt initial de la preuve, car la preuve révèle que Sanofi Canada n’a aucunement participé à la renonciation – ce sont les avocats de Sanofi Canada en l’espèce qui ont pris la décision de déposer la renonciation et qui l’ont rédigée.

 

[144]       Sanofi Canada soutient avoir établi qu’il avait eu une erreur lors du dépôt du brevet 778 parce que l’examinateur de brevet canadien n’avait pas comparé le brevet 777 au regard du brevet 778 et que, par conséquent, il était possible de contester la validité du brevet 778 pour cause de double brevet. Sanofi Canada soutient que le droit ayant trait au double brevet n’avait pas été établi au moment du dépôt parce que l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 168 (C.S.C.) (Whirlpool), n’avait encore pas été rendu. En outre, Sanofi Canada a déposé des éléments de preuve révélant que deux agents des brevets au Canada poursuivaient les demandes liées aux deux brevets et que ni l’un ni l’autre n’avaient les deux brevets en main. Sanofi Canada a également déposé des éléments de preuve concernant la pratique en matière de brevet en Europe afin d’établir que la possibilité de double brevet ne constituerait pas un problème en Europe.

 

[145]       Les affidavits de MM. Thierry Orlhac et Gerald V. Dahling, lesquels ont été respectivement signés les 2 et 3 septembre 2009, constituent le cœur de la preuve de Sanofi Canada.

 

[146]       M. Orlhac est un agent de brevets. Il était chargé du dépôt de la renonciation en cause. Il a déclaré que la renonciation a été déposée [traduction] « afin d’éviter tout chevauchement entre les brevets 777 et 778 et de régler certains problèmes liés à l’antériorité concernant le paclitaxel ». Son affidavit et son contre‑interrogatoire révèlent clairement que M. Orlhac n’était au courant d’aucun problème lié à l’antériorité. M. Orlhac n’a fait aucune déclaration quant à savoir quels documents d’antériorité pourraient constituer un problème et, plus important encore, il n’a fait aucune déclaration selon laquelle l’omission de tenir compte de ces documents d’antériorité était due à une erreur, à un accident ou à une inadvertance. Par conséquent, la preuve n’établit tout simplement pas que Sanofi Canada ne connaissait pas les documents d’antériorité présentés par Hospira. Si, comme l’a déclaré M. Orlhac, la renonciation a été déposée en partie pour régler certains problèmes liés à l’antériorité, alors Sanofi Canada ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait, à savoir établir une quelconque erreur, accident ou inadvertance de sa part quant à l’allégation portant sur l’antériorité.

 

[147]       M. Orlhac a déclaré également que la renonciation a été déposée en partie en raison de l’allégation de double brevet. Cependant, il n’a aucune connaissance directe quant à savoir comment la renonciation avait été faite par suite d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance de la part de Sanofi Canada. Il a affirmé dans son témoignage que l’avocat de Sanofi Canada [traduction] « lui a envoyé des renseignements lui expliquant pourquoi il devait faire la renonciation et quel type de renonciation devait être fait » (pages 8 et 9 de son contre‑interrogatoire). Quant à la raison pour laquelle la renonciation devait être effectuée, nous n’en avons aucune idée, car Sanofi Canada a invoqué le secret professionnel pour contester le dépôt des communications entre M. Orlhac et M. Creber, avocat de Sanofi Canada.

 

[148]       En résumé, rien dans le témoignage de M. Orlhac ne permet d’établir que les conditions prévues au paragraphe 48(1) de la Loi sur les brevets sont respectées.

 

[149]       Le témoignage de M. Dahling constitue l’autre preuve présentée par Sanofi Canada. M. Dahling a pris sa retraite du groupe Sanofi‑Aventis le 1er juin 2008. Avant sa retraite, il travaillait à l’interne en qualité d’avocat‑conseil spécialisé en matière de brevet et il donné des directives à des avocats à l’externe dans le cadre de la présente demande de Sanofi Canada. Il déclare que, dans le cadre de l’une de ces responsabilités avant sa retraite, il avait participé à la recommandation et à la prise de décisions liées au dépôt de la renonciation en cause. Bien que je l’aie déjà cité ci‑dessus, je reproduis de nouveau son témoignage portant sur les raisons du dépôt de la renonciation par souci de commodité :

[traduction]

Le 15 octobre 2007, Hospira a envoyé un avis d’allégation portant entre autres sur le brevet 778. Dans cet avis d’allégation, Hospira alléguait que le brevet 778 était invalide pour cause de double brevet à la lumière du brevet canadien 2,102,777 (le brevet 777). Selon les membres de l’organisation Sanofi-Aventis, c’était la première fois qu’une telle allégation de double brevet quant au brevet 778 à la lumière du brevet 777 était avancée. Après examen de la question, nous reconnaissons qu’il est possible que la portée des revendications de ces deux brevets se chevauchent, et nous avons décidé de restreindre la portée de la revendication 8 du brevet 778 afin que seul le docetaxel constitue l’ingrédient actif (le paclitaxel n’étant ainsi plus visé par la revendication) et de restreindre les intervalles du docetaxel, de l’éthanol et du polysorbate.

 

 

[150]       M. Dahling a déclaré que l’allégation de double brevet faite dans l’avis d’allégation était la première allégation du genre à être présentée à Sanofi Canada. L’allégation de double brevet présentée dans l’avis d’allégation était ainsi rédigée :

[traduction]

Le brevet 778 est invalide pour cause de double brevet à la lumière du brevet 777. Les deux brevets revendiquent une solution mère ainsi qu’une solution pour perfusion renfermant du polysorbate, un taxane (en particulier le paclitaxel ou le docetaxel) et de l’éthanol.

 

Aventis a par conséquent revendiqué deux fois l’avantage d’un même monopole (par exemple, la solution pour perfusion de la revendication 16 (brevet 777) ne constitue pas un élément brevetable distinct de la revendication 8 (brevet 778); les compositions visées par les revendications 1 à 11 (brevet 777) ne constituent pas des éléments brevetables distincts des compositions visées par les revendications 1 à 7 (brevet 778).

 

[151]       M. Dahling a déclaré que, en réponse à cette allégation, la renonciation devait faire en sorte que la revendication ne vise plus le paclitaxel afin que seul le docetaxel constitue l’ingrédient actif. Il soutient également que Sanofi Canada a décidé de restreindre les intervalles du docetaxel, de l’éthanol et du polysorbate.

 

[152]       En contre‑interrogatoire, M. Dahling a admis ne pas se souvenir s’il a été nécessaire de faire une renonciation en raison d’un problème lié à l’antériorité. Son témoignage expliquant pourquoi la renonciation était nécessaire et pourquoi la renonciation a été déposée de la façon qu’elle a été déposée et expliquant ce qui a fait en sorte que les revendications du brevet initial étaient de portée excessive se trouve dans les extraits qui suivent de son contre‑interrogatoire :

[traduction]

Q.        Avez‑vous donc lu l’avis d’allégation et déterminé que le brevet 778 renfermait des problèmes de validité ou bien est‑ce un avocat externe qui a porté ces problèmes à votre attention?

 

R.         Je ne suis pas autorisé à pratiquer le droit au Canada, je ne donnerais donc certainement pas mon avis sur des questions de validité liées à des brevets canadiens. Par conséquent, si ma mémoire est bonne, j’ai saisi Tony Creber de l’affaire.

 

Q.        Et, à un certain moment, M. Creber vous a mentionné que des problèmes de validité avaient été soulevés dans l’avis d’allégation?

 

R.         C’est exact.

 

Q.        Et vous souvenez‑vous de ce dont vous avez discuté ou bien du conseil qu’il vous a donné?

 

R.         Oui, je me souviens des grandes lignes. Il y avait un certain problème entre les deux brevets et M. Creber était d’avis qu’il s’agissait d’un problème de double brevet et que l’on devrait s’en occuper. Et, je le répète, j’ai suivi sa recommandation.

 

Q.        Avez‑vous donné quelque conseil que ce soit quant à la façon dont les revendications devant faire l’objet d’une renonciation devaient être modifiées?

 

R.         Non.

 

Q.        Y a‑t‑il quelqu’un de Sanofi qui a vérifié si la proposition de M. Creber était la bonne chose à faire?

 

R.         Je ne crois pas. Je n’en suis pas tout à fait certain, mais je ne pense pas. Tony Creber était l’expert. Son équipe au Canada comprend le droit canadien en matière de brevet. Il faut déléguer les dossiers aux personnes ayant l’expertise nécessaire, et c’est ce qui a été fait.

 

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Q.        Quelle a été votre participation dans la recommandation et la prise de décision liées au dépôt de la renonciation en cause?

 

R.         J’ai convoqué une réunion avec l’avocat à l’externe au Canada, il s’agissait de Tony Creber et de son équipe ainsi que – je ne me souviens pas vraiment de toutes les personnes qui ont assisté à la réunion, mais j’y étais et je crois que le chef du contentieux pour le Canada ainsi que deux ou trois autres avocats y ont aussi participé. Tony Creber nous a fait part de son évaluation des divers brevets en cause. Et, à un moment donné, Tony Creber a souligné qu’il y avait un problème lié à un possible double brevet concernant les deux brevets dont il est question au paragraphe 4, et il a recommandé que certaines revendications fassent l’objet d’une renonciation. C’est moi qui devais donner l’autorisation à ce sujet, c’était ma participation. J’ai pris la décision et j’ai suivi le conseil et la recommandation de M. Creber.

 

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Q.        Quelle était la proposition de M. Creber? Avez‑vous discuté dans le détail des modifications qu’il proposait d’apporter aux revendications?

 

R.         Non, les détails précis des modifications n’ont pas fait l’objet de discussions, mais il a recommandé le dépôt de la renonciation pour remédier au possible problème, ce que j’ai autorisé.

 

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Q.        Y a-t-il d’autres problèmes quant aux allégations soulevées dans l’avis d’allégation, et comment pourriez‑vous les régler par la renonciation?

 

R.         J’ai demandé à Tony Creber de vérifier tous les brevets de Sanofi liés au docetaxel et à l’avis d’allégation et d’établir un plan visant à protéger notre produit au Canada. Tony Creber a suivi cette directive. Par la suite, j’ai convoqué une réunion pour connaître les résultats de son analyse, et Tony Creber a parlé de l’avis d’allégation; il a décrit les divers brevets qui ont été délivrés au Canada, et les deux brevets dont il est question au paragraphe 4 de mon affidavit ont été abordés et certains autres ont certainement aussi été abordés. Est‑ce que je m’en souviens précisément? Non. Mais cette réunion aurait été bien étrange et bien courte si elle n’avait porté que sur les brevets 777 et 778 dont il est question au paragraphe 4 de mon affidavit.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[153]       Le témoignage de M. Dahling contient un certain nombre de problèmes. Le premier problème, qui est sans doute le plus important, est que M. Dahling n’a fait aucune déclaration et n’a fourni aucun fondement permettant à la Cour de conclure qu’il y a eu erreur, accident ou inadvertance de la part de Sanofi Canada lors du dépôt du mémoire descriptif initial visant le brevet 778 qui aurait fait en sorte que ce brevet avait une portée excessive. M. Dahling a affirmé que l’avis d’allégation a fait savoir à Sanofi Canada [traduction] « qu’il est possible que la portée des revendications de ces deux brevets se chevauche ». Il n’a pas affirmé que les revendications des deux brevets se chevauchaient effectivement et que, par conséquent, les revendications du brevet 778 étaient trop étendues; il a seulement affirmé qu’il était possible qu’il y ait chevauchement. Pour qu’une renonciation soit valide au titre de la Loi sur les brevets, le titulaire de brevet doit, au minimum, admettre sans équivoque que le mémoire descriptif initial est trop étendu. Il faut convenir que Sanofi Canada a fait cette admission lors du dépôt de la renonciation parce que le formulaire réglementaire contient précisément une admission selon laquelle le titulaire de brevet a « par erreur, accident ou inadvertance et sans intention de frauder ou de tromper le public […] donné trop d’étendue au mémoire descriptif […] ». Cependant, cette déclaration est précisément ce qui est contesté par Hospira, et Sanofi Canada doit en faire davantage pour étayer la validité de cette déclaration et de sa renonciation, car il ne suffit pas qu’une personne déclare dans un affidavit qu’il est « possible » que la revendication soit trop étendue. Afin d’établir qu’il a donné trop d’étendue à la revendication par erreur, accident ou inadvertance et sans intention de frauder ou de tromper le public, le témoin pertinent doit au minimum admettre que la revendication était trop étendue puis préciser comment cela est arrivé. En l’espèce, Sanofi Canada n’a pas établi selon la prépondérance de la preuve qu’elle avait donné par erreur, accident ou inadvertance trop d’étendue au brevet tel qu’il a été déposé. En résumé, Sanofi Canada ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve : elle n’a pas établi que la renonciation respecte les conditions prévues au paragraphe 48(1) de la Loi sur les brevets. Par conséquent, je conclus, aux fins de la présente demande, que la renonciation est invalide et que Sanofi Canada ne peut pas invoquer le brevet 778 après renonciation.

 

[154]       Hospira soutient également que la renonciation est invalide parce qu’elle donne plus d’étendue à la revendication précédente. La renonciation vise à restreindre ce qui était déjà revendiqué et elle est donc invalide si elle donne plus d’étendue à ce qui était revendiqué ou si elle reformule l’invention.

 

[155]       Hospira soutient que le remplacement du mot « contient » dans le brevet initial par « comprenant » et « comprend » dans le brevet ayant fait l’objet d’une renonciation donne plus d’étendue à ce dernier brevet par rapport au brevet initial. Hospira se fonde sur l’admission de M. Constantinides lors du contre‑interrogatoire, qui a déclaré que l’emploi de « contient » ou de « contenant » serait plus restrictif que l’emploi de « comprend » ou « comprenant ».

 

[156]       Les revendications d’un brevet sont rédigées de façon à ce que le public puisse les comprendre. Cependant, le public, dans le contexte de l’interprétation des brevets, n’est pas le grand public profane, il s’agit plutôt de la personne versée dans l’art. C’est pourquoi lors de l’interprétation des revendications, il est nécessaire d’obtenir une preuve d’expert pour que le décideur sache comment la personne versée dans l’art interpréterait les revendications. Cependant, c’est au juge des faits qu’il incombe de déterminer si un titulaire de brevet a eu recours à bon escient aux dispositions sur la renonciation prévues dans la Loi sur les brevets. Les avis des experts sont pertinents, mais ils ne tranchent pas la question.

 

[157]       Je suis d’avis que « contient » ou « contenant » et « comprend » ou « comprenant » sont synonymes dans le contexte du présent brevet. Le brevet 778 renferme de nombreux passages où les mots « contient » ou « contenant » sont employés et où il est clair que ces mots renvoient à une liste non exhaustive, car ils renvoient à l’un des nombreux ingrédients formant la composition. Par exemple :

1.      « […] une première solution, dite "solution mère", contenant environ 6 mg/ml de taxol dans un mélange solvant composé de [50 % en volume d’éthanol et 50 % en volume de crémophore]. »

2.      « […] il est nécessaire d’injecter des solutions contenant en même temps que le principe actif des concentrations en chacun des composés suivants, éthanol et crémophore […]. »

3.      « Selon un mode de réalisation préféré, la composition contient 6 à 15 mg/l de composés de formule (I). »

4.      « Les perfusions préparées à partir des solutions mères précédentes et contenant une concentration en principe actif de […]. »

5.      « Cette solution après mélange avec une solution de glucose à 5 % de façon à obtenir une concentration finale de 1 mg/ml contient environ 33 ml/l de polysorbate 80 et 33 ml/l d’éthanol. »

 

[158]       Par conséquent, selon mon interprétation du brevet dans son ensemble, je conclus que la renonciation ne donnait pas plus d’étendue à la revendication ayant fait l’objet de la renonciation par rapport à la revendication initiale, comme l’alléguait Hospira, et que la renonciation n’est pas invalide pour cause de portée excessive.

 

[159]       Étant donné que j’ai conclu que le bien‑fondé des allégations de Hospira doit être décidé sur le fondement du brevet 778 après renonciation et que la renonciation est invalide, la présente demande doit être rejetée. Cependant, dans l’éventualité où l’on interjetterait appel de la présente décision, je trancherai les autres questions en litige soulevées par les parties. Je trancherai ces questions sur la base du brevet 778 après renonciation et de la revendication 8 après renonciation, puisque Sanofi Canada a admis qu’elle n’invoquait pas le brevet tel qu’il était libellé avant la renonciation.

 

4.   Y a‑t‑il au moins une des allégations de Hospira qui est fondée?

[160]       Les parties conviennent du fardeau de la preuve applicable dans les instances relatives aux avis de conformité. Les allégations de Hospira sont présumées être vraies. Par conséquent, Sanofi Canada a le fardeau d’établir que, selon la prépondérance de la preuve, les allégations ne sont pas fondées : Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 320, paragraphe 41. L’article 43 de la Loi sur les brevets établit une présomption légale selon laquelle le brevet est valide. Si la seconde personne allègue l’invalidité, la première personne peut invoquer la présomption légale; le fardeau de la preuve est alors inversé et il incombe à la seconde personne de réfuter, selon la prépondérance de la preuve, la présomption légale : La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 393, paragraphes 15 et 16, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, [2005] C.S.C.R. no 9 (QL). Par conséquent, le fardeau d’établir l’invalidité, selon la prépondérance de la preuve, incombe à Hospira.

 

            La personne versée dans l’art

[161]       Les brevets ne s’adressent pas au grand public, mais à l’être fictif qu’est la personne versée dans l’art. La Cour suprême a adopté au paragraphe 44 de l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 (Free World Trust), la définition suivante de la personne versée dans l’art, laquelle a été formulée par M. Fox :

[La personne versée dans l’art est] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.

 

 

[162]       La première étape de toute analyse en matière de contrefaçon ou d’invalidité consiste à déterminer qui est cette personne versée dans l’art dans les circonstances du brevet en cause.

 

[163]       Les parties conviennent que la personne versée dans l’art détiendrait au moins un baccalauréat en sciences dans une discipline scientifique connexe. Sanofi Canada soutient que la personne versée dans l’art posséderait de l’expérience dans l’élaboration de formulations intraveineuses de médicaments peu solubles dans l’eau. Hospira soutient que la personne versée dans l’art posséderait une certaine expérience dans l’élaboration de formulations parentérales de médicaments peu solubles dans l’eau. Outre le mot « certaine », bien peu de choses séparent les positions des parties à ce sujet. Le mot « certaine » est compatible avec la position selon laquelle la personne versée dans l’art détient seulement un diplôme de premier cycle en sciences. Si la personne versée dans l’art détenait un diplôme d’études supérieures, on s’attendrait au minimum à ce qu’elle possède davantage d’expérience que seulement une certaine expérience. Par conséquent, je conclus que la personne versée dans l’art détient au moins un baccalauréat en sciences dans une discipline scientifique connexe et possède une certaine expérience dans l’élaboration de formulations parentérales de médicaments peu solubles dans l’eau.

 

L’interprétation des revendications

[164]       Les parties conviennent des principes juridiques généraux régissant l’interprétation des revendications. L’interprétation des revendications constitue une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher, Whirlpool Corp., paragraphe 61, et la date pertinente est la date de publication, c’est-à-dire le 21 janvier 1993. La Cour doit déterminer comment la personne versée dans l’art interpréterait le brevet et les revendications à la date pertinente.

 

[165]       Selon l’arrêt Catnic Components Ltd. c. Hill and Smith Ltd, [1982] R.P.C. 183, page 243 (C.L.), [traduction] « [l]e mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt qu’une interprétation purement littérale ». Selon l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, page 520 (Consolboard), « [i]l faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, [...] sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public ». Si le brevet peut être interprété comme appuyant une invention vraiment utile, alors il faut lui donner cette interprétation : Consolboard, page 521.

 

[166]       La tâche principale de la Cour qui interprète des revendications consiste à déterminer quels éléments des revendications sont essentiels et lesquels ne le sont pas. Selon le paragraphe 31 de l’arrêt Free World Trust, cette détermination est effectuée :

a.   en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

 

b.    à la date à laquelle le brevet est publié;

 

c.   selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou;

 

d.              conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

 

e.   mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

 

[167]       Les parties conviennent des aspects généraux des éléments essentiels de la revendication 8 après renonciation, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une perfusion renfermant du polysorbate et de l’éthanol. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la revendication 8 après renonciation ne revendique que le docetaxel ou revendique la classe générale des taxanes; sur la question de savoir si les intervalles de concentration énumérés constituent des éléments essentiels et sur la question de savoir si la liste des éléments énumérés dans la revendication 8 après renonciation est exhaustive, en ce sens qu’elle fait état de ce qui compose la formulation. J’ai déjà conclu que la liste n’est pas exhaustive, mais cela ne veut pas dire que les ingrédients supplémentaires constituent des éléments essentiels.

 

[168]       Sanofi Canada soutient que les éléments essentiels de la revendication 8 après renonciation sont les suivants :

a.       une perfusion renfermant ce qui suit :

b.      de 0,1 mg/ml à 1 mg/ml de docetaxel;

c.       de 5 mg/ml à 35 mg/ml d’éthanol;

d.      de 5 mg/ml à 35 mg/ml de polysorbate.

 

[169]       Hospira soutient que les éléments essentiels de la revendication 8 après renonciation sont les suivants :

a.       une perfusion renfermant ce qui suit :

b.      un taxane;

c.       de l’éthanol;

d.      du polysorbate.

 

[170]       Hospira allègue que, si la revendication 8 est interprétée dans le contexte de la divulgation, l’emploi du mot « docetaxel » devrait vouloir dire tout taxane. Je ne peux pas souscrire à cette allégation. L’objectif même de la renonciation était de restreindre une revendication qui avait trop d’étendue afin que cette revendication soit plus précise. La revendication 8 initiale revendiquait bien une large classe de taxane, mais elle a fait l’objet d’une renonciation par le titulaire du brevet afin qu’elle ne vise que le docetaxel. Le titulaire du brevet a choisi des mots très précis ce qui, de concert avec l’objectif même de la revendication, mène à la conclusion que la revendication 8 après renonciation ne revendique que le docetaxel.

 

[171]       J’ai tranché la question de savoir si le libellé de la revendication 8 après renonciation était exhaustif et j’ai conclu qu’il ne l’était pas. Cela ne veut pas dire que certains éléments essentiels ne sont pas énumérés, mais seulement que la revendication 8 après renonciation prévoit la possibilité que d’autres ingrédients, non essentiels, soient ajoutés.

 

[172]       Hospira soutient que les intervalles prévus dans la revendication 8 après renonciation sont arbitraires et que le brevet n’explique pas l’aspect inventif des intervalles; elle invoque les décisions BMS, précitée, et Shire Biochem Inc. et al. c. Apotex Inc. et al., 2008 CF 538. Sanofi Canada soutient qu’il n’existe aucune obligation d’expliquer pourquoi les intervalles étaient restreints.

 

[173]       L’étape inventive n’est pas l’établissement des intervalles de chaque élément de la perfusion, mais plutôt le remplacement du crémophore par du polysorbate. À mon avis, les décisions invoquées par Hospira n’appuient pas sa position. Dans la décision BMS, le juge Hughes a conclu que l’intervalle d’eau établie pour une formulation donnée ne constituait pas un élément essentiel parce qu’elle concernait la présence d’autres formes cristallines de la molécule, lesquelles n’étaient pas importantes par rapport à l’objet de la revendication. Dans la décision Shire, le mémoire descriptif prévoyait une « quantité efficace » de l’ingrédient actif pour qu’il produise une réaction physiologique particulière. Sur ce fondement, le juge Hugues a conclu que la liste des intervalles relatifs aux doses d’ingrédients actifs n’était pas inventive et ne constituait pas un élément essentiel, car qui importait était de savoir si la quantité était efficace, et l’efficacité était liée à la taille des particules et non à l’intervalle relatif aux doses.

 

[174]       J’ai des réserves concernant la position avancée par la défenderesse en l’espèce. Hospira a noté à juste titre que le décideur doit déterminer les éléments essentiels de la revendication au regard de l’idée originale, comme l’a fait le juge Hughes dans les décisions auxquelles j’ai renvoyé ci‑dessus. Cependant, un élément de la formulation peut être essentiel, parce qu’il ne peut être remplacé sans modifier le fonctionnement de l’invention, et, en même temps, ne pas être inventif en soi. Hospira a soutenu que les intervalles ne sont pas inventifs parce qu’ils découlent simplement des demandes des cliniciens quant à la quantité nécessaire de docetaxel qu’un patient devrait recevoir.

 

[175]       À mon avis, les intervalles prévus sont essentiels, même s’ils ne sont peut-être pas inventifs. La concentration souhaitée d’ingrédient actif découle des demandes des cliniciens. Si la concentration est trop faible, alors l’administration de la formulation sera trop longue; le patient sera du coup exposé à une dose élevée de solvant et il en subira les effets secondaires. Si la concentration est trop élevée, alors la formulation peut être toxique pour le patient et être instable du point de vue physique et chimique dans la solution pour perfusion. En résumé, les concentrations sont importantes, et la personne versée dans l’art qui interpréterait la revendication 8 après revendication considérerait les intervalles comme étant des éléments essentiels de la formulation.

 

[176]       Je conclus que la revendication 8 après renonciation renferme les éléments essentiels suivants :

a.       une perfusion renfermant ce qui suit :

b.      0,1 mg/ml à 1 mg/ml de docetaxel;

c.       5 ml/l à 35 ml/l d’éthanol;

d.      5 ml/l à 35 ml/l de polysorbate.

 

La contrefaçon

[177]       La contrefaçon constitue une question mixte de fait et de droit. Afin d’avoir gain de cause, la première personne doit seulement établir qu’une seule des revendications constitue de la contrefaçon. Il n’y a pas contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis, mais il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis : voir l’arrêt Free World Trust.

 

[178]       Hospira a recours dans sa formulation à l’ensemble des éléments essentiels de la revendication 8 après renonciation, telle qu’elle a été interprétée ci-dessus, et elle n’en omet aucune. Elle soutient que l’ajout de l’ingrédient B différencie leur formulation de celle de Sanofi Canada d’une telle façon qu’elle ne contrefait pas la revendication 8 après renonciation. Hospira soutient que l’ingrédient B est une variante et que les principes établis au paragraphe 55 de l’arrêt Free World Trust rendu par la Cour suprême font en sorte que sa formulation ne contrefait pas l’invention de Sanofi Canada.

 

[179]       Au paragraphe 55 de l’arrêt Free World Trust, le juge Binnie a décrit le recours à une variante dans le cadre d’une action en contrefaçon de la façon suivante :

Il serait injuste de permettre qu’un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet. En conséquence, les éléments de l’invention sont qualifiés soit d’essentiels (la substitution d’un autre élément ou une omission fait en sorte que l’appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l’omission n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une allégation de contrefaçon). Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.-à-d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative : Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu’il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[180]       On doit se demander quel élément de la formulation de Sanofi Canada a été modifié par Hospira. Hospira a modifié la quantité d’éthanol et de polysorbate : elle les a en partie remplacés par l’ingrédient B; cependant, la variante de Hospira ne fait pas en sorte qu’elle se situe en dehors des intervalles prévus dans le brevet 778 après renonciation ou même de ceux prévus dans le brevet 778 initial. L’éthanol et le polysorbate ont été interprétés comme étant des éléments essentiels du brevet; il est donc impossible que Hospira ne commette pas une contrefaçon compte tenu du point (i) du critère énoncé ci-dessus.

 

[181]       La Cour suprême a mentionné que la non-contrefaçon ne pourrait être établie que d’une seule autre manière, soit si la personne versée dans l’art interprétait le brevet d’une telle façon que l’« élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention ». [Non souligné dans l’original.] Dans la présente affaire, il n’y a eu aucune substitution, seulement un ajout et, par conséquent, il est impossible d’établir la non-contrefaçon grâce au point (ii) du critère énoncé ci-dessus.

 

[182]       Hospira n’a substitué l’ingrédient B à aucun des ingrédients essentiels. En outre, Hospira n’a pas substitué l’ingrédient B à une partie d’un ingrédient essentiel de telle sorte que sa formulation serait actuellement en dehors des intervalles revendiqués par le titulaire de brevet. En résumé, on n’a eu recours à aucune variante des éléments essentiels. L’invention a été entièrement contrefaite, et on lui a seulement ajouté ce que le juge Binnie a qualifié de « caractéristiques secondaires ». Même si les « caractéristiques secondaires » avaient grandement modifié le fonctionnement de l’invention, et rien n’appuie cette conclusion, Hospira aurait tout de même eu recours à l’invention de Sanofi Canada d’une telle façon qu’il y aurait eu contrefaçon.

 

[183]       Par conséquent, je conclus que la formulation de Hospira tombe dans le champ d’application de la revendication 8 et contrefait le brevet du demandeur.

 

La validité

[184]       La contestation de la validité du brevet 778 après renonciation dont a été saisie la Cour est fondée sur des observations selon lesquelles les revendications sont invalides pour cause de portée excessive, d’antériorité, d’évidence, de déclaration inexacte importante et d’objet non brevetable.

 

            Les revendications de portée excessive

[185]       Une invention qui revendique davantage que ce qui a été inventé par l’inventeur ou que ce qui a été décrit dans la divulgation est invalide pour cause de portée excessive : Pfizer Canada Inc. et al. c. Ministre de la Santé et al., 2008 CF 11, paragraphes 45 et 46.

 

[186]       Hospira soutient que si les revendications du brevet 778 sont interprétées comme visant des ingrédients supplémentaires, alors l’invention est invalide pour cause de portée excessive. J’ai conclu que la personne versée dans l’art n’interpréterait pas la revendication 8 après renonciation comme excluant d’autres ingrédients non essentiels.

 

[187]       J’ai conclu que le brevet établit l’ensemble des éléments essentiels – les autres éléments qui pourraient découler de l’interprétation de la revendication 8 après renonciation ne constituent pas des éléments essentiels de l’invention. L’omission d’énumérer chaque ingrédient non essentiel ne fait pas en sorte que la revendication soit de portée excessive.

 

[188]       Par conséquent, je conclus que la revendication 8 après renonciation prévoit l’invention des inventeurs et n’est pas de portée excessive.

 

            L’antériorité

[189]       L’antériorité porte sur la question de savoir si une seule divulgation permet à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention; l’antériorité est différente de l’évidence, qui porte sur la question de savoir comment la personne versée dans l’art se serait comportée si elle avait eu accès aux divers documents d’antériorité.

 

[190]       Le paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets est ainsi rédigé :

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

 

 

 

a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a);

d) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt correspond ou est postérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a) si :

(i) cette personne, son agent, son représentant légal ou son prédécesseur en droit, selon le cas :

(A) a antérieurement déposé de façon régulière, au Canada ou pour le Canada, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a),

 

(B) a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a), dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada,

 

(ii) la date de dépôt de la demande déposée antérieurement est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa a),

(iii) à la date de dépôt de la demande, il s’est écoulé, depuis la date de dépôt de la demande déposée antérieurement, au plus douze mois,

(iv) cette personne a présenté, à l’égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

28.2 (1) The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the "pending application") must not have been disclosed

(a) more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

(b) before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

(c) in an application for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant, and has a filing date that is before the claim date; or

 

 

(d) in an application (the "co-pending application") for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant and has a filing date that is on or after the claim date if

 

(i) the co-pending application is filed by

 

 

(A) a person who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim, or

(B) a person who is entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party and who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for any other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens of Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim,

(ii) the filing date of the previously regularly filed application is before the claim date of the pending application,

 

(iii) the filing date of the co-pending application is within twelve months after the filing date of the previously regularly filed application, and

(iv) the applicant has, in respect of the co-pending application, made a request for priority on the basis of the previously regularly filed application.

 

[191]       Les trois documents d’antériorité présentés dans le mémoire des faits et du droit de Hospira ont été publiés à des dates remplissant les exigences de la Loi sur les brevets et, par conséquent, ils seraient antérieurs au brevet 778 si le critère juridique était respecté.

 

[192]       Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 (Sanofi‑Synthelabo), la Cour suprême du Canada a reformulé le critère relatif à l’antériorité. La Cour suprême a établi un critère en deux étapes : Un document d’antériorité pris isolément divulgue-t-il au complet l’objet revendiqué par le brevet en cause? Dans l’affirmative, la divulgation permet-elle à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention?

 

[193]       Lors de la première étape, aucun essai et erreur ni expérience n’est permis. La personne versée dans l’art « se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur » : arrêt Sanofi‑Synthelabo, paragraphe 25. Si un document d’antériorité pris isolément divulgue au complet l’objet revendiqué par le brevet en cause, alors on passe à la seconde étape.

 

[194]       Lors de la seconde étape, la personne versée dans l’art peut effectuer un certain nombre d’expériences par essais et erreurs, mais sans qu’il y ait de « difficultés excessives », c’est-à-dire que les expériences ne doivent pas demander trop de travail. Au paragraphe 37 de l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, la Cour suprême a mentionné que les facteurs non exhaustifs qui suivent peuvent être considérés :

1. Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’antériorité est constituée de la totalité du brevet antérieur.

 

2. La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.

 

3. Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

 

4. Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

 

 

[195]       Gardant à l’esprit ces principes, j’analyserai les documents d’antériorité cités par la défenderesse.

 

            L’article GV

[196]       L’article GV divulgue une formulation de docetaxel contenant un véhicule solvant comprenant du polysorbate et de l’éthanol dans un rapport 1:1. La divulgation concernait une solution mère et non une perfusion.

 

[197]       Sanofi Canada soutient que l’article GV n’antériorise pas la revendication 8 après renonciation parce qu’il ne porte pas sur une perfusion, ne traite pas de la stabilité et n’enseigne pas quel est le pourcentage pertinent de polysorbate et d’éthanol dans la perfusion définitive. Hospira soutient que l’article GV antériorise la revendication 8 après renonciation parce qu’il divulgue tous les éléments essentiels de cette revendication et permettrait à la personne versée dans l’art de produire tous les éléments essentiels de cette revendication.

 

[198]       L’article GV divulgue bien tous les éléments de la revendication 8 après renonciation, ce qui respecte la première étape du critère de l’arrêt Sanofi-Synthelabo. La véritable question est de savoir si cet article permettrait à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention. L’article GV divulgue la formulation de docetaxel solubilisé dans de l’éthanol et du polysorbate. Il faut d’abord se demander si la personne versée dans l’art a les connaissances générales nécessaires : sait‑elle qu’une perfusion doit être conçue grâce à la solution mère avant d’être administrée aux humains? À mon avis, il faut répondre par l’affirmative à cette question. Il faut par la suite se demander si la personne versée dans l’art aurait la connaissance générale lui permettant de savoir que la concentration clinique souhaitée de docetaxel devrait être entre 0,1 et 1 mg/ml. Cette connaissance a été mentionnée par le titulaire de brevet dans sa divulgation et elle découlait de l’article Rowinsky dont il était question dans cette divulgation. Vu la preuve dont la Cour disposait, il ne semble pas probable que la personne versée dans l’art, étant donné qu’elle est un scientifique et non un médecin, connaîtrait cet intervalle souhaité même si l’intervalle pourrait être facilement trouvé. Je ne suis pas convaincu que la personne versée dans l’art saurait qu’elle doit préparer une perfusion définitive contenant de 0,1 à 1 mg/ml de docetaxel. Par conséquent, l’article GV ne permettrait pas de réaliser l’invention et n’antériorise pas le brevet 778.

 

[199]       Si j’ai tort, la question suivante serait de savoir si la personne versée dans l’art pourrait produire la concentration nécessaire de polysorbate et d’éthanol. Il faut répondre par l’affirmative à cette question. Les concentrations de polysorbate et d’éthanol dans la formulation de Sanofi Canada semblent n’être qu’une simple conséquence de la dilution de la solution mère de 0,1‑1 mg/ml de docetaxel dans la solution pour perfusion.

 

[200]       Il faut enfin se demander si la personne versée dans l’art pourrait, sans difficulté excessive, établir que la perfusion définitive serait stable. On doit également répondre à cette question par l’affirmative. Les essais liés à la stabilité sont des exercices plus ou moins de routine. Il ne serait pas difficile pour la personne versée dans l’art d’établir la stabilité physique et chimique des perfusions dans les intervalles décrits dans le brevet 778 après renonciation.

 

[201]       Cependant, étant donné que j’ai conclu que la personne versée dans l’art n’aurait pas la connaissance générale nécessaire pour établir que la concentration de départ de docetaxel devrait être entre 0,1 et 1 mg/ml, l’article GV n’antériorise pas le brevet 778 après renonciation.

 

            L’article Tarr

[202]       L’article Tarr mentionnait le paclitaxel, mais non le docetaxel. Il divulguait un véhicule solvant contenant de l’éthanol et du polysorbate dans un rapport 3:1, et non dans un rapport 1:1. Il divulguait une perfusion, mais cette perfusion avait une faible stabilité physique et elle cristallisait dans la solution pour perfusion en deux heures.

 

[203]       L’article Tarr ne mentionnait pas le docetaxel et, par conséquent, ne respecte pas la première étape du critère établi dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo.

 

Le brevet 221

[204]       Le brevet 221 divulgue une formulation de paclitaxel avec du polysorbate et de l’alcool ainsi qu’une solution saline. Sanofi Canada soutient que ce brevet ne divulgue pas une perfusion pour les humains puisque les expériences ont été effectuées sur des souris. Hospira soutient que la personne versée dans l’art interpréterait l’alcool comme étant synonyme d’éthanol et que les mêmes principes de formulation pour l’administration aux souris s’appliqueraient à l’administration aux humains.

 

[205]       Étant donné que le brevet 221 ne divulgue pas une formulation comprenant du docetaxel, il ne peut pas antérioriser le brevet 778 après renonciation.

 

            L’évidence

[206]       Le critère lié à l’évidence a récemment été confirmé au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi‑Synthelabo :

a.                   a) Identifier la « personne versée dans l’art »; b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

b.                  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

c.                   Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

d.                  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

[207]       La Cour suprême enseigne que la quatrième étape, le critère relatif à « l’essai allant de soi », peut être appliquée, mais avec prudence. Les facteurs pertinents devant être examinés dans le cadre du critère relatif à « l’essai allant de soi » sont énoncés de la façon suivante au paragraphe 69 de l’arrêt Sanofi‑Synthelabo :

a.                   Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

b.                  Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

c.                   L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

[208]       J’ai déjà décrit la personne versée dans l’art. Les parties ne s’entendent pas sur les connaissances générales courantes que devrait posséder la personne versée dans l’art. Les deux parties ont essayé de définir les connaissances générales courantes pertinentes de la personne versée dans l’art afin que ces connaissances cadrent avec leurs arguments juridiques. Je conclus que la personne versée dans l’art possède les connaissances générales courantes qui suivent; elle connaît :

a.       les taxanes, en particulier le paclitaxel et le docetaxel;

b.      les problèmes de solubilité propres aux taxanes;

c.       les différences chimiques possibles entre des médicaments qui sont membres d’une même classe;

d.      la formulation d’une certaine quantité inconnue, mais facilement déterminable, de paclitaxel dans un solvant comprenant de l’éthanol et du crémophore dans un rapport 1:1;

e.       la connaissance nécessaire pour mener des essais de stabilité en ce qui à trait à la stabilité physique et chimique des perfusions;

f.        les divers solvants, ou les autres options possibles, permettant de solubiliser des médicaments peu solubles dans l’eau.

 

[209]       Bien qu’il ait déjà été question de l’idée originale, je tiens à la rappeler : il s’agit du remplacement du crémophore par du polysorbate de façon à formuler une perfusion contenant du docetaxel, de l’éthanol et du polysorbate.

 

[210]       Hospira soutient qu’aucune différence n’existe entre l’état de la technique et l’idée originale. Sanofi Canada soutient qu’il y a des différences pertinentes, à savoir qu’il n’était aucunement question du docetaxel, d’une perfusion, des concentrations pertinentes ni d’une perfusion stable.

 

[211]       L’article GV pris isolément divulgue une formulation de docetaxel dans du polysorbate et de l’éthanol. Il ne divulgue pas une perfusion ni si une telle perfusion serait stable. La personne versée dans l’art n’aurait pas la connaissance générale de la concentration de la solution mère de paclitaxel dans cette formulation. Elle aurait été au fait de l’article GV qui divulgue le véhicule solvant comprenant du polysorbate et de l’éthanol. Aurait-il été évident pour la personne versée dans l’art d’essayer d’abord ce véhicule solvant au lieu de celui comprenant du crémophore et de l’éthanol? Je crois que la réponse est oui, tant sur le fondement de l’antériorité que du fait que le crémophore et le polysorbate sont des surfactants semblables. Aurait-il été évident que le véhicule comprenant du polysorbate et de l’éthanol fonctionnerait d’une façon telle qu’il pourrait remplacer le crémophore dans le cadre de l’article Rowinsky? Je ne crois pas, mais il aurait été évident de l’essayer. Si la personne versée dans l’art essayait cette combinaison, elle trouverait directement et sans difficulté l’ensemble des éléments essentiels de la revendication 8 après renonciation. Il ne resterait que des essais de routine à mener afin d’atteindre une formulation stable, ce qui, à mon avis, ne demanderait pas des efforts pouvant être considérés comme des difficultés excessives. Je conclus que le brevet 778 après renonciation est invalide pour cause d’évidence.

 

Déclaration inexacte importante

[212]       Hospira allègue que Sanofi Canada a fait une déclaration inexacte importante parce qu’elle n’a pas correctement décrit la diminution de l’anaphylaxie résultant de leur invention. À l’appui de cette allégation d’omission, Hospira cite la monographie de produit du Taxotere, qui exige le prétraitement des patients avant d’administrer le médicament afin de diminuer la gravité de l’anaphylaxie et d’en réduire les risques. Sanofi Canada allègue que, vu la mince preuve présentée par Hospira, cette dernière ne s’est pas acquittée de sa charge de présentation et que, par conséquent, la présente question ne devrait pas être en litige. Je suis d’accord avec Sanofi Canada.

 

[213]       Le brevet 778 ne revendique aucunement la capacité de contrer totalement l’anaphylaxie ou la diminution du besoin de pré-traitement. Le brevet 778 revendique une réduction de la toxicité par le retrait du crémophore, ce qui entraîne moins d’anaphylaxie. L’allégation de Hospira, selon laquelle il faut encore faire des prétraitements, ne réfute pas cette revendication.

 

[214]       Hospira soutient également que le brevet 778 est insuffisant parce qu’il n’énumère pas les ingrédients supplémentaires possiblement nécessaires à la réalisation de l’invention. Le critère relatif à l’insuffisance « est [...] de savoir si le mémoire descriptif décrit adéquatement l’invention pour une personne versée dans l’art », de façon à ce que, lorsque le monopole expirera, cette personne puisse réaliser l’invention : Consolboard, page 525. Le mémoire descriptif décrit bien l’invention et la façon de la réaliser. Le fait que la revendication 8 après renonciation ne soit pas exhaustive ne veut pas dire que le brevet est insuffisant. Par conséquent, le brevet n’est pas invalide pour cause d’insuffisance.

 

Objet non brevetable

[215]       Hospira soutient que, parce que des compétences professionnelles sont nécessaires pour déterminer la dose appropriée d’ingrédient actif devant être administrée, le brevet est invalide comme méthode de traitement médical. Je ne suis pas d’accord. L’invention est le remplacement du crémophore par du polysorbate. Il n’y a aucun esprit inventif dans l’intervalle de docetaxel choisi, et ce, même si cet intervalle constitue un élément essentiel de l’invention. Par conséquent, l’objet du brevet est brevetable.

 

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS

[216]       La Cour conclut en ces termes :

a.       Dans une demande d’ordonnance d’interdiction présentée en vertu du Règlement AC, où le titulaire du brevet a déposé une renonciation après la signification de l’avis d’allégation, la Cour doit examiner les allégations de la seconde partie à la lumière du brevet tel qu’il était libellé à la date de l’audience et non tel qu’il était libellé à la date de l’avis d’allégation. En l’espèce, les allégations de Hospira doivent être examinées à la lumière du brevet 778 après renonciation.

b.      Hospira n’est pas empêchée par préclusion de contester la validité de la renonciation du brevet 778 déposée par Sanofi Canada le 28 novembre 2007.

c.       Sanofi Canada n’a pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que la renonciation déposée le 28 novembre 2007 respecte les conditions prévues au paragraphe 48(6) de la Loi sur les brevets, et la renonciation est donc invalide.

d.      Si la revendication avait été valide, alors la formulation de Hospira aurait contrefait la revendication 8 après renonciation.

e.       Si la renonciation avait été valide, alors le brevet 778 après renonciation n’aurait pas été invalide pour cause de portée excessive, d’antériorité, de déclaration inexacte importante ou d’objet non brevetable, mais aurait été invalide pour cause d’évidence.

 

[217]       Hospira a droit à ses dépens contre Sanofi Canada. Les parties sont au fait de la jurisprudence récente établissant les paramètres pour l’adjudication de dépens raisonnables applicables dans les demandes relatives aux avis de conformité. Si les parties n’arrivent pas à conclure une entente sur les dépens, alors elles peuvent demander des directives ou solliciter une ordonnance sur toute question nuisant à la conclusion d’une entente.

 

POST-SCRIPTUM

[1]        Les présents motifs de jugement sont la version non expurgée des motifs confidentiels du jugement rendu le 22 octobre 2009 conformément à la directive datée du 22 octobre 2009.

 

[2]        La Cour a demandé aux avocats des parties s’ils voyaient des inconvénients à ce que les motifs soient publiés dans une version non expurgée. Les parties ont été informées que, si aucune observation n’était reçue au plus tard le 2 novembre 2009, les motifs du jugement seraient rendus publics dans leur intégralité. Le 30 octobre 2009, Hospira a fait savoir qu’aucune partie des motifs confidentiels de jugement ne devrait être expurgée. Sanofi Canada n’a donné aucune réponse.

 

                                                                                                             « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean‑François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          T-2080-07

 

INTITULÉ :                                                         SANOFI-AVENTIS CANADA INC. c.

                                                            CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA ET MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 DU 21 AU 23 SEPTEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 22 OCTOBRE 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony G. Creber

James E. Mills

 

POUR LA DEMANDERESSE

Warren Sprigings

George Murti

POUR LA DÉFENDERESSE

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sprigings

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA

 

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