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Date : 20090721

Dossier : T-1542-08

Référence : 2009 CF 736

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

HASSANE EL FALAH

demandeur 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Le demandeur a interjeté appel, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté (L.R. 1985, ch. C-29), de la décision rendue le 9 septembre 2008 par le juge de la citoyenneté George Springate rejetant sa demande de citoyenneté.  Au soutien de son appel, le demandeur fait essentiellement valoir que le juge de la citoyenneté a erré en computant mal ses jours d’absence du Canada pendant la période de référence prescrite par la loi, et en ne tenant pas compte des corrections apportées par le demandeur à son formulaire de demande de citoyenneté.


[2]               Après avoir soigneusement examiné le dossier qui était devant le juge de la citoyenneté ainsi que les représentations écrites et orales des deux parties, j’en suis venu à la conclusion que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.  Mes motifs sont exposés dans les paragraphes qui suivent.

 

LES FAITS

 

[3]               Le demandeur est citoyen du Maroc.  Il est arrivé au Canada avec son épouse et ses trois filles le 23 juillet 1999.  Il a obtenu le statut de résident permanent le 1er juillet 2000.  Son épouse et ses trois filles ont obtenu la citoyenneté canadienne en décembre 2005.

 

[4]               Le 20 août 2004, le demandeur a présenté une demande de citoyenneté, dans laquelle il indiquait avoir été absent du Canada pendant 391 jours au cours des quatre ans précédant sa demande, soit du 20 août 2000 au 20 août 2004.

 

[5]               Le 27 février 2006, le demandeur a rencontré un agent de la citoyenneté.  Il a indiqué travailler à l’étranger depuis la fin de l’année 2003, et a été invité à remplir un questionnaire sur la résidence.  M. El Falah a rempli ce questionnaire et l’a envoyé au Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration le 2 mars 2006.

 

[6]               À ce questionnaire étaient joints une série de documents: une lettre explicative dans laquelle le demandeur mentionnait avoir été absent du Canada pendant 351 jours au cours de la période visée, divers documents relatifs à l’épouse et aux enfants du demandeur, ainsi que d’autres documents se rapportant plus directement à sa situation (copie de son passeport, documents de fin d’emploi en 2000 à Dubaï, documents faisant état de ses tentatives de se trouver un emploi au Canada), aux avoirs et obligations du couple (acte d’hypothèque, testaments, comptes de taxes municipales et scolaires, assurances automobiles, factures d’électricité et de téléphone) et à des transactions financières (compte bancaire, relevés de cartes de crédit, placements).

 

[7]               Le 18 juillet 2006, le dossier du demandeur a été référé par un agent du Ministère à un juge de la citoyenneté parce que les documents soumis ne démontraient pas à sa satisfaction une présence significative au Canada durant la période de référence.  Le 10 juillet 2008, le demandeur a été convoqué à une entrevue avec le juge de la citoyenneté, qui s’est déroulée le 30 juillet 2008.  Le 1er août 2008, le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté du demandeur.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[8]               Dans la lettre qu’il a fait parvenir à M. El Falah le 9 septembre 2009, le juge de la citoyenneté l’informe qu’il n’est pas satisfait des preuves soumises pour établir sa résidence au pays, et conclut qu’il ne satisfait pas en conséquence aux exigences de l’alinéa 5(1)(c) de la Loi sur la citoyenneté.

 

[9]               Les motifs de sa décision sont toutefois plus explicites dans l’avis de la décision que le juge de la citoyenneté a fait parvenir au Ministre le 30 juillet 2009 (Dossier du Tribunal, pp. 9-11). 


[10]           Après avoir identifié la période pertinente comme s’échelonnant du 20 août 2000 au 20 août 2004, le juge note que le demandeur révèle s’être absenté du Canada pendant 391 jours au cours de cette période.  Il est donc clair que le demandeur ne respecte pas le critère strict de la présence physique obligatoire pendant 1 095 jours au cours de la période visée, comme le demandeur l’admet lui-même.

 

[11]           Au surplus, le juge indique qu’après étude des documents fournis par le demandeur, il n’est pas convaincu selon la balance des probabilités que ce dernier a effectivement été physiquement présent au Canada durant le nombre de jours allégués.  Il énumère ensuite plusieurs raisons qui l’amènent à douter de la présence de M. El Falah au Canada :

 

-         Les informations fournies par le demandeur relativement à ses absences du Canada n’étaient pas claires : dans la première demande, il avait indiqué 357 jours d’absence, et suite à un amendement, il a indiqué totaliser 364 jours d’absence dans le questionnaire sur la résidence.  Puis, en fusionnant les deux listes d’absences du Canada, les absences admises se chiffraient à un total de 391 jours;

 

-         Bien que le demandeur indiquait être revenu au Canada à 10 reprises, le juge n’a pu comptabiliser que 5 étampes canadiennes dans son passeport;

 

-         Dans son questionnaire sur la résidence, le demandeur a indiqué comme occupation « H. E. Falah Corporation » pour la période de mai 2002; or, il n’a fourni aucun document d’incorporation, rapport annuel ni relevé bancaire relatif à cette corporation;

 

-         La seule implication communautaire du demandeur serait sa position d’entraîneur de soccer à l’été 2002, laquelle n’était appuyée par aucun document;

 

-         Le demandeur a présenté des relevés bancaires de TD Canada Trust qui ne couvraient que 7 mois sur la période de 4 ans;

 

-         Les relevés de transactions par carte de crédit couvraient des périodes de temps très courtes : 29 décembre 2001 au 4 janvier 2002 pour American Express; 26 décembre 2002 au 13 janvier 2003 pour TD Visa; 19 novembre 2001 au 13 janvier 2002, 18 décembre 2002 au 4 janvier 2003 et 19 août 2003 au 26 septembre 2003 pour MBNA Canada;

 

-         Bien que le demandeur allègue avoir débuté son emploi au Koweït en novembre 2003, il appert des documents soumis qu’il a quitté le Canada le 21 septembre 2003 relativement à cet emploi, qu’il occupait toujours au moment de la décision.

 

[12]           Compte tenu de la preuve et du fardeau qui incombait au demandeur de démontrer qu’il répondait aux exigences de résidence prévues par l’alinéa 5(1)(c) de la Loi sur la citoyenneté, le juge a donc conclu que M. El Falah n’était pas physiquement présent au Canada même pendant les 1069 jours où il prétendait l’avoir été, selon la prépondérance des probabilités.  Il faut souligner que le juge dit avoir offert la possibilité au demandeur de compléter son dossier au moyen de nouveaux éléments de preuve lors de l’audition, offre que le demandeur a déclinée.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[13]           La seule question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si le juge de la citoyenneté a erré en rejetant la demande de citoyenneté de M. El Falah au motif qu’il ne se conformait pas aux exigences de l’alinéa 5(1)(c) de la Loi sur la citoyenneté.

 

ANALYSE

 

[14]           Il est maintenant bien établi que la norme de contrôle applicable aux décisions des juges de la citoyenneté est celle de la décision raisonnable : voir, par ex., Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 483; Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1140.  Qu’il s’agisse de questions mixtes de droit et de fait, comme lorsqu’il s’agit d’appliquer l’un des tests jurisprudentiels sur la notion de résidence aux faits particuliers de l’espèce, ou de questions purement factuelles, comme la computation des journées d’absence, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick (2008 CSC 9) enseigne que la Cour de révision doit faire preuve de déférence et résister à la tentation de substituer sa propre évaluation à celle du juge de la citoyenneté.  Dans la mesure où la décision contestée est intelligible et bien motivée, et qu’elle peut être considérée comme une solution acceptable au vu de la preuve et du droit, elle ne saurait faire l’objet de contrôle judiciaire : Paez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 204.

[15]           Le demandeur reproche essentiellement au juge de la citoyenneté de ne pas avoir tenu compte de son questionnaire de résidence, dans lequel il faisait état de 351 jours d’absence, et de s’en être plutôt remis uniquement à son formulaire de demande de citoyenneté, où il avait erronément indiqué 391 jours d’absence.  Il soutient que ce total de 391 jours résultait manifestement d’une erreur de calcul, qui se constate aisément à la face même de sa demande.  Ainsi, il a indiqué 160 jours d’absence pour la période s’étalant du 20 février 2004 au 9 juillet 2004, alors que cette période correspond plutôt à 140 jours.

 

[16]           Il y a effectivement beaucoup de confusion dans le dossier du demandeur eu égard à ses absences du Canada.  Dans sa demande initiale de citoyenneté, il appert que le demandeur s’est effectivement trompé dans le calcul de ses journées d’absence.  Néanmoins,  il est difficile de conclure qu’il s’agit uniquement d’une erreur de calcul, dans la mesure où les périodes d’absence notées dans son questionnaire de résidence ne correspondent pas à celles qu’il avait indiquées sur sa demande de citoyenneté.  Dans cette dernière, il avait notamment mentionné avoir été absent du pays du 7 octobre 2003 au 23 janvier 2004 et du 20 février 2004 au 9 juillet 2004, alors que dans son questionnaire de résidence il mentionne plutôt les périodes du 7 novembre 2003 au 20 février 2004 et du 4 mars 2004 au 9 juillet 2004.  De toute évidence, ce sont là davantage que de simples erreurs de calcul.

 

[17]           Le juge de la citoyenneté lui-même semble avoir eu de la difficulté à déterminer avec précision le nombre de jours d’absence déclaré par le demandeur lui-même.  Dans son avis au Ministre, il comptabilise un total de 10 absences pour un total de 391 jours, sans vraiment expliciter comment il en arrive à ce résultat.  Or, même en fusionnant les absences déclarées dans la demande de citoyenneté et dans le questionnaire de résidence, je n’ai pu en arriver à ce résultat ou à quelque chose qui s’en approchait.  Le juge de la citoyenneté réfère également au nombre de jours d’absence indiqués par le demandeur dans sa demande de citoyenneté et dans son questionnaire de résidence; mais encore une fois, ces chiffres ne correspondent pas aux chiffres que l’on retrouve dans ces formulaires tels que remplis par le demandeur.

 

[18]           Ces divergences ne m’apparaissent cependant pas fatales, et témoignent sans doute de la confusion causée par les différentes versions fournies par le demandeur quant à ses absences du pays.  En bout de ligne, le juge a rejeté la demande de citoyenneté en s’appuyant non pas tant sur le fait que le demandeur n’avait pas cumulé le nombre de jours requis en vertu de l’alinéa 5(1)(c) de la Loi sur la citoyenneté, mais en insistant sur le fait que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il était effectivement au Canada durant les périodes au cours desquelles il ne s’était pas déclaré absent.  Par conséquent, le nombre exact de jours où le demandeur a déclaré s’être absenté du Canada importe assez peu; encore lui fallait-il démontrer qu’il était bel et bien au pays pendant les périodes durant lesquelles il prétendait y avoir séjourné.

 

[19]           L’alinéa 5(1)(c) de la Loi sur la citoyenneté se lit comme suit :

Attribution de la citoyenneté

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

            a) …

 

            b) …

 

 

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 …

 

Grant of citizenship

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

            (a) …

 

            (b) …

 

 

 

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

[20]           Or, la jurisprudence de cette Cour établit que le juge de la citoyenneté peut appliquer l’une ou l’autre des trois approches qui ont été retenues pour interpréter la notion de résidence : voir, par ex., Mizani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 698.  L’une de ces approches consiste à déterminer si un demandeur a eu une présence physique et réelle au Canada pendant un total de trois ans, en additionnant ces jours de présence de façon stricte : Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no. 232.  C’est la méthode qu’a privilégiée le juge de la citoyenneté dans le présent dossier.

[21]           Dans l’application de ce test, le juge ne saurait s’en remettre aux seules prétentions du demandeur.  Il doit également vérifier la présence effective du demandeur au Canada durant les périodes où ce dernier déclare ne pas avoir été absent du pays.  Accepter la prétention du demandeur, selon qui le juge aurait erré parce qu’il n’a pas accepté les déclarations qu’il a faites dans son questionnaire de résidence, reviendrait à dire que le juge doit accepter aveuglément les représentations qui lui sont faites quant aux jours d’absence et de présence au Canada.  Ce n’est pas ma compréhension de l’approche retenue dans l’affaire Re Pourghasemi.  Si l’on s’attache au calcul strict du nombre de jours pendant lesquels le demandeur doit être présent au Canada, il va de soi que le juge peut et doit s’assurer que le demandeur était bel et bien en territoire canadien pendant la période où il prétend l’avoir été.  Faut-il rappeler que c’est au demandeur à qui incombe le fardeau de prouver qu’il satisfait aux conditions prévues par la loi, et notamment aux exigences de résidence : El Fihri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1106; Saqer c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1392.  En l’occurrence, les différentes versions fournies par le demandeur ne pouvaient qu’inciter le juge à faire preuve de prudence et à exiger des preuves de sa présence physique au Canada.

 

[22]           Dans le cadre de son analyse, le juge a examiné les documents présentés par le demandeur, qui ne l’ont cependant pas convaincu que ce dernier avait effectivement été physiquement présent au Canada pendant les diverses périodes telles qu’alléguées.  On ne m’a pas convaincu qu’il avait commis une erreur dans son appréciation de la preuve.

 

[23]           Ainsi, les documents relatifs à l’épouse et aux enfants du demandeur ne prouvaient rien relativement à la présence du demandeur au Canada.  Quant aux documents concernant les transactions bancaires, ils ne couvraient que des périodes de temps extrêmement courtes.  Enfin, le juge était en droit de s’étonner du fait que le demandeur prétend avoir créé une corporation, alors même qu’il n’a fourni aucun document au soutien de cette allégation ni même aucun document relativement à l’impôt sur le revenu.

 

[24]           En l’absence de preuve convaincante, le juge pouvait légitimement remettre en question la présence physique du demandeur au Canada au cours de la période visée.  D’autant plus que le juge dit avoir offert au demandeur la possibilité de présenter de nouveaux documents lors de l’entrevue, offre dont le demandeur ne s’est pas prévalu.

 

[25]           Compte tenu de la preuve au dossier, j’arrive donc à la conclusion que le juge de la citoyenneté n’a pas erré et pouvait raisonnablement conclure que le demandeur ne répondait pas aux exigences de résidence prévues par l’alinéa 5(1)(c) de la Loi sur la citoyenneté.  Je comprends la déception du demandeur, mais il ne m’a pas convaincu que la décision du juge Springate ne faisait pas partie des solutions acceptables au vu de la preuve et du droit applicable en la matière.  L’appel doit donc être rejeté.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel de la décision rendue par le juge de la citoyenneté soit rejeté, sans dépens.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

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