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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20091116

Dossier : IMM‑1563‑09

Référence : 2009 CF 1163

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

Maria del Carmen RUIZ MARTINEZ

Monica Beatriz FEIJOO RUIZ

Aminta Alejandra FEIJOO RUIZ

Ximena Guadalupe TOVAR FEIJOO

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT GIBSON

 

Introduction

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition le jeudi 22 octobre 2009, à Toronto, en Ontario, de la demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demanderesses la qualité de réfugiées au sens de la Convention, ou de personnes pouvant se prévaloir d’une protection équivalente à celle qui est accordée au Canada à des réfugiés au sens de la Convention. La décision en cause est datée du 24 février 2009.

 

Contexte de l’affaire

[2]               La demanderesse Maria Del Carmen Ruiz Martinez est la mère de Monica Beatriz Feijoo Ruiz (la demanderesse principale), qui est la mère de Aminta Alejandra Feijoo Ruiz et de Ximena Guadalupe Tovar Feijoo. Aminta Alejandra Feijoo Ruiz et Ximena Guadalupe Tovar Feijoo sont mineures.

 

[3]               Le 1er juin 2007, la demanderesse principale et ses filles se sont enfuies du Mexique pour se rendre au Canada car elles craignaient d’être persécutées par Tovar, le conjoint de la demanderesse principale, à l’égard de qui elles pensaient ne pas pouvoir obtenir une protection adéquate des autorités étatiques. Elles sont arrivées au Canada le même jour, et ont, le jour suivant, déposé une demande d’asile.

 

[4]               Maria Del Carmen Ruiz Martinez, mère de la demanderesse principale, s’est enfuie le 4 juillet 2007 du Mexique pour se rendre au Canada, où elle est arrivée le même jour. Le lendemain, elle a, elle aussi, déposé une demande d’asile, invoquant les mêmes craintes que sa fille et ses petites‑filles.

 

[5]               En septembre ou octobre 2003, la demanderesse principale a rencontré Manuel Tovar Rodriguez (Tovar). Vers le 24 novembre 2003, la demanderesse principale et sa fille aînée, Aminta, ont emménagé avec Tovar. Si, avant d’emménager avec lui, la demanderesse principale disait de Tovar qu’il était « gentil », elle raconte, dans l’exposé circonstancié accompagnant son Formulaire de renseignements personnels, que, lorsqu’elle a emménagé avec lui, « tout a changé ». Il interdisait à la demanderesse principale de voir sa mère et les membres de sa famille élargie, il la frappait et la malmenait. Il l’a menacée en lui disant que si elle ne faisait pas tout ce qu’il voulait, il violerait Aminta. Il ne permettait pas à la demanderesse principale de quitter l’appartement sans qu’il l’accompagne. Il amenait à l’appartement des prostituées et forçait la demanderesse principale à prendre part à leurs ébats sexuels.

 

[6]               La demanderesse principale est tombée enceinte.

 

[7]               Elle a persuadé Tovar de permettre à Aminta d’aller vivre chez sa mère.

 

[8]               La demanderesse principale a donné naissance à sa seconde fille, Ximena, qui est, semble‑t‑il, la fille de Tovar. Lorsque Ximena avait sept mois, Tovar a obligé la demanderesse principale à reprendre le travail parce qu’il avait besoin d’argent. Il laissait le bébé Ximena seule dans l’appartement. Le 5 octobre 2005, la demanderesse principale a décidé d’emmener Ximena et de quitter Tovar. D’après son exposé circonstancié, elle l’a fait un jour où Tovar était tellement ivre qu’il en avait perdu connaissance.

 

[9]               Après avoir quitté Tovar en emmenant le bébé, la demanderesse principale s’est rendue à la police. Les policiers ont enregistré sa déclaration et lui ont dit qu’ils aviseraient Tovar et qu’ils le « confronteraient ». Ximena et la demanderesse principale ont emménagé chez l’oncle de cette dernière. La demanderesse principale a contacté l’ex‑épouse de Tovar qui, semble‑t‑il, se trouvait alors au Canada, où sa demande d’asile avait été accueillie.

 

[10]           Quelques jours plus tard, la demanderesse principale a reçu un coup de téléphone d’un homme qu’elle a décrit comme étant le commandant Jesus Zarate (Zarate), qui était, semble‑t‑il, un policier. L’individu a dit à la demanderesse principale de reprendre la vie commune avec Tovar et qu’elle avait été [traduction] « malavisée » de se rendre à la police car Tovar voulait maintenant sa mort.

 

[11]           Avec Ximena, la demanderesse principale s’est rendue à Veracruz, où elle a été hébergée dans un refuge pour femmes. Pendant un certain temps, tout s’est bien passé. Malheureusement, la directrice du refuge a, peu de temps après, fait savoir à la demanderesse principale qu’elle avait reçu de Zarate un appel l’informant qu’« ils » étaient à la recherche de la demanderesse principale et savaient qu’elle habitait le refuge. Ils ont fait pression sur la directrice du refuge pour qu’elle mette la demanderesse principale à la porte, et l’ont menacée, lui disant que si elle n’obéissait pas, le refuge serait fermé et la vie de la directrice serait en danger. Cela étant, la demanderesse principale et son bébé ont quitté le refuge pour aller vivre chez son père dans un autre quartier de Veracruz.

 

[12]           Le 10 novembre 2005, alors que la demanderesse principale rentrait chez son père après être allée faire des courses, elle a été interpelée par Tovar qui, affirme‑t‑elle, lui a mis un couteau à la gorge et ordonné d’aller chercher Ximena et de rentrer chez lui. Selon la demanderesse principale, Tovar l’a menacée en lui disant que si elle n’obéissait pas à ses ordres, il tuerait Aminta, fille aînée de la demanderesse principale.

 

[13]           La demanderesse principale est retournée vivre au domicile de Tovar. Il a continué à la maltraiter et à menacer de la tuer, elle et ses filles.

 

[14]           Dans son exposé circonstancié, la demanderesse principale explique que, le 29 septembre 2006, Tovar l’a battue en présence de Ximena, qui a commencé à hurler. Tovar s’en prit si violemment à la petite que la demanderesse principale a dû appeler une ambulance. La demanderesse principale a alors appelé sa famille ainsi que la police. Ximena est restée presqu’une semaine à l’hôpital. La demanderesse principale a porté plainte et Tovar a passé huit mois en prison. La demanderesse principale est retournée vivre chez son oncle.

 

[15]           Le 10 octobre 2006, la fille aînée de la demanderesse principale est revenue vivre avec sa mère et sa petite sœur.

 

[16]           Le 20 mai 2007, Tovar est sorti de prison, sa mise en liberté étant assortie d’un certain nombre de restrictions. Le 29 mai 2007, en début de matinée, Tovar s’est introduit par effraction dans la chambre de la demanderesse principale. Dans son exposé circonstancié, elle explique que Tovar était ivre et drogué. Il a menacé Ximena de son couteau. La demanderesse principale s’est enfuie avec ses deux filles. La police, qui a été appelée, est rapidement arrivée. Tovar s’est enfui mais a bientôt été rattrapé par la police et emmené en prison. La demanderesse principale a porté plainte. Le jour suivant, Tovar a été remis en liberté. La demanderesse principale en conclut que Tovar avait l’aide de Zarate et qu’elle et ses enfants ne pourraient pas par conséquent lui échapper. C’est pourquoi la demanderesse principale et ses filles se sont enfuies au Canada, avec l’aide de l’ancienne épouse de Tovar qui, elle, se trouvait déjà au Canada.

 

[17]           Selon l’exposé circonstancié de la mère de la demanderesse principale, en juin 2004, Tovar avait déjà commencé à l’insulter et à lui interdire de venir à l’appartement où il vivait avec la demanderesse principale et de parler au téléphone avec sa fille. En septembre 2004, peu après la naissance de Ximena, la mère de la demanderesse principale s’est néanmoins rendue à l’appartement de sa fille pendant que Tovar n’y était pas. Tovar est toutefois rentré plus tôt que prévu. Il a proféré des menaces de violence à l’endroit de la mère de la demanderesse principale ainsi que de la fille aînée de celle‑ci. Le même mois, la mère de la demanderesse principale s’est rendue à la police et a signé un rapport faisant état des menaces proférées par Tovar. Les policiers lui ont alors dit qu’ils allaient [traduction] « voir ce qu’il en était et lui parler », mais ils ne l’ont jamais recontactée après cela.

 

[18]           Selon ce qu’a écrit la mère de la demanderesse principale, au mois de novembre ou décembre 2004, elle avait perdu tout contact avec sa fille. Cette situation aurait duré presque un an, quand la demanderesse principale a repris contact avec elle après avoir emménagé chez son père.

 

[19]           En octobre 2006, lorsque Tovar a été mis en prison, Aminta, fille de la demanderesse principale, a quitté la maison de sa grand‑mère pour retourner vivre chez sa mère. Elle y serait restée jusqu’à ce que la demanderesse principale et ses filles partent pour le Canada.

 

[20]           La demanderesse principale soutient que Tovar a commencé à la harceler après le départ de la demanderesse principale et de ses filles pour le Canada. Il lui téléphonait pour lui dire des grossièretés. Il l’a interpelée dans la rue, menaçant de lui faire du mal si elle ne lui disait pas où se trouvait sa fille. Elle a retrouvé, à côté de son chien mort, une lettre de menaces lui disant qu’elle [traduction] « … finirait comme son chien ». Elle est allée à la police, qui a enregistré sa plainte, lui faisant savoir qu’ils convoqueraient Tovar et la tiendraient au courant des résultats de l’interrogatoire. Or, on ne l’a jamais recontactée.

 

[21]           La mère de la demanderesse principale a parlé au téléphone avec sa fille, qui lui a conseillé de venir au Canada. Elle a fait une demande de passeport. Le 28 juin 2007, Tovar a accusé la mère de la demanderesse principale, l’a empoignée et l’a ruée de coups de poing jusqu’à ce qu’elle tombe à terre, tout en continuant à la menacer. Elle s’est rendue à l’hôpital pour faire examiner la blessure qu’elle avait reçue au genou. Elle a alors commencé à être très prudente. Le 4 juillet 2007, elle a quitté Veracruz et le Mexique pour se rendre au Canada.

 

[22]           Tous les faits relatés ont eu lieu soit dans la ville de Veracruz soit dans l’État de Veracruz, à proximité de la ville.

 

[23]           Outre les efforts dont elle a fait état pour obtenir la protection de la police, la demanderesse principale a obtenu une ordonnance de protection, de garde et de soutien, et la mise en liberté de Tovar a été assortie d’une interdiction de la contacter.

 

Les motifs de la décision en cause

[24]           Les demandes d’asile des quatre demanderesses ont été réunies conformément au paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés[1]. Aucun exposé circonstancié n’a été présenté par les demanderesses d’asile mineures ou pour leur compte, et aucune demande d’asile distincte n’a été déposée en leur nom. Les demanderesses d’asile mineures sont maintenant respectivement âgées de neuf et cinq ans.

 

[25]           La SPR a admis l’identité des demanderesses en tant que citoyennes du Mexique. La SPR a précisé que les demandes d’asile faisant état de violences liées au genre, elle a pris en compte les Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe[2]. Selon la SPR, la question déterminante pour la demande d’asile présentée par les demanderesses est celle de savoir si les demanderesses ont réfuté la présomption voulant que l’État, en l’occurrence le Mexique, est en mesure de protéger ses ressortissants. La SPR a estimé que les demanderesses n’y étaient pas parvenues. Citant abondamment la jurisprudence applicable, la SPR a écrit ce qui suit concernant la présomption :

Il existe une présomption selon laquelle un État est capable de protéger ses citoyens, sauf dans les situations où il se trouve dans un état de déliquescence complète. Pour réfuter la présomption de protection de l’État, en l’absence d’un aveu de l’État du demandeur d’asile de son incapacité à protéger celui‑ci, le demandeur doit présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à le protéger. Bien que l’efficacité soit une considération pertinente, le critère est celui d’une protection adéquate. La preuve que la protection de l’État n’est pas adéquate doit être fiable et probante et doit aussi me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate. Les demandeurs d’asile sont tenus de demander la protection de leur État dans le cas où une protection pourrait raisonnablement être assurée. Lorsqu’un État a le contrôle effectif de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes ne peuvent pas se réclamer de sa protection. Le fait que la protection de l’État ne soit pas parfaite ne constitue pas une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à protéger ses citoyens, puisqu’aucun État ne peut garantir la protection de tous ses citoyens en tout temps. Les omissions locales de maintenir l’ordre, d’une façon efficace n’équivalent pas à une absence de protection étatique, à moins qu’elles ne s’inscrivent dans une tendance plus générale d’incapacité de l’État à fournir une protection. Le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur d’asile s’accroît avec le degré de démocratie de l’État en cause. Plus l’État est démocratique, plus le demandeur d’asile devra avoir cherché à épuiser tous les recours qui s’offraient à lui afin de démontrer que l’État ne pouvait ou ne pourrait raisonnablement assurer sa protection.

 

[Renvois supprimés, non souligné dans l’original.]

 

 

[26]           La SPR a longuement analysé les preuves qui lui ont été présentées, et en particulier les témoignages de la demanderesse principale et de sa mère, s’attardant moins sur la documentation faisant état de la situation dans le pays.

 

[27]           Sauf dans le passage qui suit, la SPR ne met pas en doute la crédibilité des demanderesses. Voici ce qu’elle écrit :

Il convient de noter que, jusqu’au prononcé de l’ordonnance de garde, je dispose de documents qui étayent les allégations de la deuxième demandeure d’asile. Cependant, après cela, aucune des demandeures d’asile n’a pu produire d’éléments de preuve documentaire tels que des rapports de police ou des rapports médicaux à l’appui de leurs prétentions. La deuxième demandeure d’asile et la première demandeure ont toutes deux affirmé qu’elles ne pouvaient pas produire de rapports de police parce qu’on les avait perdus et que l’oncle de la deuxième demandeure n’avait pas réussi à les trouver; cela, malgré le fait que les rapports ont été établis dans des endroits différents, par des personnes différentes, et ont été conservés à des endroits différents et à des moments différents. Bien que cela soit possible, ce n’est pas probable, considérant la facilité d’accès à d’autres documents, dont des documents plus anciens comme l’ordonnance de garde.

 

La deuxième demandeure d’asile a tout de même présenté plusieurs courriels hostiles que Tovar lui avait envoyés. Ces courriels portent une date postérieure à celle de l’arrivée de la deuxième demandeure d’asile au Canada et semblent se concentrer sur le désir de Tovar de voir sa fille, comme il y avait droit aux termes de l’ordonnance de garde. Ils deviennent de plus en plus hostiles à mesure que le temps passe depuis le départ de la deuxième demandeure d’asile. Tovar en vient à menacer la deuxième demandeure d’asile. Les messages tendraient à étayer certaines des allégations des demandeures d’asile, comme le comportement violent de Tovar, mais ils sont non vérifiés. En outre, leur valeur probante relativement aux événements survenus avant que la deuxième demandeure d’asile quitte le Mexique est limitée, puisque ces messages ne comportent aucune mention de ces événements.

 

Par ailleurs, j’ai des réserves quant à la crédibilité de la deuxième demandeure d’asile relativement aux événements survenus après qu’elle eut déménagé chez son oncle en septembre 2006. Par exemple, la deuxième demandeure d’asile a affirmé qu’en mai 2007, alors qu’elle vivait chez son oncle, Tovar avait brisé les serrures de la maison et avait aussi cassé la fenêtre pour tenter de s’emparer de la demandeure mineure. Elle a affirmé qu’il s’agissait de deux événements distincts. Cependant, dans la lettre de son oncle, celui‑ci décrit ces faits comme s’inscrivant dans le cadre d’un seul événement. En outre, la deuxième demandeure d’asile a affirmé qu’elle et son oncle se rendaient au poste de police, mais que le deuxième événement était survenu, alors qu’ils n’avaient pas fait de dénonciation à la police. Dans la lettre de son oncle, celui‑ci dit qu’ils se sont rendus au poste de police. La deuxième demandeure d’asile a expliqué qu’il s’agissait peut‑être d’erreurs de la part de son oncle. Je trouve cette explication déraisonnable. Si les événements se sont produits comme elle le dit, et si son oncle était également présent, il serait raisonnable de s’attendre à ce que les deux comptes rendus concordent quant au nombre d’incidents et quant à savoir s’ils avaient communiqué avec la police. Je suis d’avis que les événements qui se sont déroulés chez l’oncle ne se sont pas passés comme la deuxième demandeure d’asile aimerait me le faire croire. Mis à part cela, le témoignage de la deuxième demandeure d’asile au sujet des mauvais traitements qu’elle avait subis avant d’aller vivre chez son oncle était cohérent et généralement crédible, hormis certaines différences mineures qui sont peut‑être dues aux circonstances entourant la demande d’asile.

 

 

[28]           Sur la question de la protection de l’État, la SPR est parvenue à la conclusion suivante :

Je ne suis pas convaincu que les demandeures d’asile ont réfuté la présomption de protection de l’État. Elles n’ont pas produit d’éléments de preuve clairs et convaincants ayant une valeur probante qui m’amèneraient à conclure que la protection de l’État au Mexique n’est pas adéquate.

 

Par conséquent, je conclus que les demandeures d’asile n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention, et leurs demandes d’asile fondées sur l’article 96 de la LIPR sont rejetées. [...]

 

 

[29]           La SPR se prononce ensuite en termes très brefs sur la demande de protection présentée par les demanderesses au titre de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui équivaut à la protection accordée aux réfugiées au sens de la Convention, et l’a rejeté pour les mêmes motifs.

 

Les questions en litige

[30]           Comme je l’ai mentionné précédemment, l’ancienne conjointe de Tovar a fui le Mexique pour se rendre au Canada, où elle a allégué avoir subi des actes de persécution sensiblement analogues à ceux allégués en l’espèce par les demanderesses. Elle s’était vu reconnaître au Canada la qualité de réfugiée au sens de la Convention. Selon l’avocat des demanderesses, en omettant d’examiner et d’analyser ce qu’il décrit comme étant pour les demanderesses [traduction] « la question essentielle », la SPR a commis une erreur susceptible de révision. En effet, leur situation est semblable à celle de l’ancienne conjointe de Tovar, et leurs demandes d’asile devraient être accueillies comme l’a été celle de cette ancienne conjointe.

 

[31]           Leur avocat fait en second lieu valoir que la SPR a commis une erreur appelant le contrôle judiciaire en effectuant une analyse de la question de la protection qui va à l’encontre de l’ensemble des éléments de preuve produits.

 

[32]           Leur avocat soutient par ailleurs que la SPR a commis une erreur en ne précisant pas exactement où au Mexique les demanderesses auraient eu une possibilité de refuge intérieur viable. Enfin, les demanderesses font valoir qu’en ne prenant pas en compte les demandes d’asile des demanderesses mineures, la SPR a, là encore, commis une erreur susceptible de révision.

 

[33]           Outre les questions exposées ci‑dessus, la question de la norme de contrôle applicable se pose également en l’espèce, comme dans toute demande de contrôle judiciaire.

 

Analyse

a)   La norme de contrôle

[34]           Dans le cas d’une erreur de droit qui n’appartient pas au domaine des connaissances spécialisées d’un tribunal administratif tel que la SPR, ou d’un manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle, la norme de contrôle applicable à une décision comme celle dont la Cour est saisie en l’espèce est celle de la décision correcte. Dans tous les autres cas, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Lorsque s’applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit, dans son analyse, s’intéresser à :

... la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit [...][3].

 

 

 

[35]           Ces éléments guideront la Cour dans son examen des questions soulevées au nom des demanderesses.

 

b)   La situation analogue de l’ancienne conjointe du présumé agent de persécution de la demanderesse principale

 

[36]           Selon l’avocat de la demanderesse, l’ancienne conjointe de Tovar, à qui celui‑ci avait fait subir le même type de traitement qu’à la demanderesse principale, s’était à tous égards trouvée dans la même situation que la demanderesse principale, mais l’avocat du défendeur soutient que ce n’est pas le cas. Selon l’avocat du défendeur, dans la décision antérieure, qui a été rendue en mars 2006, le décideur avait conclu, au vu des faits dont il disposait, qu’à l’époque en cause les victimes de violence familiale ne pouvaient pas, au Mexique, obtenir la protection de l’État. L’avocat du défendeur fait valoir que dans cette autre affaire, l’ancienne conjointe de Tovar n’avait jamais sollicité la protection des autorités de l’État, ce qui n’est pas du tout le cas en l’espèce. En effet, dans la présente affaire, la demanderesse principale a sollicité la protection des autorités, qui la lui ont accordée même si cette protection était loin d’être parfaite. Ainsi que la SPR l’a relevé dans le cadre de son analyse du droit relatif à la protection de l’État, que nous avons citée plus haut, le critère applicable est celui de la « protection adéquate », et non de la « protection parfaite ». D’après les faits de la présente affaire, la police a réagi aux plaintes déposées par la demanderesse principale. Tovar a passé plusieurs mois en prison, même si, manifestement, il n’y est pas resté aussi longtemps que la demanderesse principale l’aurait voulu. La demanderesse principale a obtenu une ordonnance de garde, de protection et de soutien, et Tovar s’est vu interdire le droit de la contacter ainsi que ses enfants. Tout cela est loin d’avoir permis à la demanderesse principale et à ses enfants, puis à sa mère, de vivre sans peur, et sans être harcelée, menacée ou brutalisée, mais ce n’est pas cela le critère. À la connaissance de la Cour, il n’y a aucun pays où la sécurité absolue et une protection totale contre le harcèlement et les menaces dans le contexte de la violence familiale peuvent être toujours garanties ou assurées.

 

[37]           La SPR a estimé qu’au vu des circonstances de l’affaire, les demanderesses n’ont pas démontré, comme il leur incombait de le faire, que la protection de l’État qui pourrait leur être accordée si elles rentraient au Mexique, ne serait pas adéquate. J’estime que, compte tenu des éléments de preuve versés au dossier à la fois quant à ce que les demanderesses avaient vécu et quant à la situation au Mexique, il était raisonnablement loisible à la SPR de parvenir à cette conclusion.

 

[38]           Dans la décision Cius c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[4], le juge Beaudry a écrit ceci au paragraphe 35 de ses motifs :

En réponse, le défendeur prétend que la Commission n’est pas liée par les décisions rendues par une autre formation. Je souscris à cette prétention. Bien qu’il eût été préférable de faire une distinction entre les affaires susmentionnées et l’affaire en l’espèce, je crois que chaque commissaire doit prendre ses décisions en fonction de la preuve dont il est saisi. En l’espèce, la Commission a évalué le récit du demandeur et a conclu que des contradictions, des invraisemblances et des incohérences figuraient dans sa demande.

 

 

[39]           Si en l’espèce, après avoir évalué les témoignages des demanderesses, et les preuves concernant la situation dans leur pays d’origine, la SPR a jugé que le récit des demanderesses était dans l’ensemble crédible, elle n’en a pas moins rejeté leur demande, car les demanderesses ne sont pas parvenues à réfuter la présomption de protection de l’État. Si la Cour estime en l’espèce que, comme dans l’affaire Cius, il aurait été préférable de faire une distinction entre le cas de l’ancienne conjointe de Tovar et la situation des demanderesses, je considère que, comme dans l’affaire Cius, la SPR n’était pas en l’espèce liée par la décision antérieure dont il était fait état, et qu’elle était libre de trancher l’affaire dont elle était saisie en fonction de la preuve qui lui a été présentée.

 

[40]           J’estime par conséquent que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de révision du simple fait qu’elle n’a pas fait de distinction entre la présente affaire et la décision rendue avant cela par une autre formation à l’égard de la précédente conjointe de Tovar.

 

c)   La décision de la SPR sur la question de la protection de l’État

[41]           L’avocat des demanderesses a soutenu que, sur la question de la protection de l’État, la SPR avait commis une erreur dans son application du critère permettant de réfuter la présomption de protection de l’État et dans la manière dont cette présomption s’applique. Il reproche à la SPR d’avoir tenté de justifier les progrès lents et irréguliers du Mexique en vue d’adapter et de faire respecter les dispositions ayant pour objet de protéger les femmes en estimant que le Mexique faisait de « sérieux efforts » et que ces efforts étaient suffisants malgré les preuves accablantes de corruption, d’impunité et d’inefficacité invoquées par l’avocat des demanderesses. Je ne suis pas de cet avis.

 

[42]           Dans l’arrêt Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[5] le juge Létourneau s’est, au nom de la Cour, exprimé en ces termes au paragraphe 30 :

À mon humble avis, il ne suffit pas que la preuve produite soit digne de foi; elle doit aussi avoir une valeur probante. Pensons par exemple au cas d’éléments de preuve dénués de pertinence : ils seront peut‑être dignes de foi, mais ils n’auront aucune valeur probante.

 

Non seulement la preuve doit être digne de foi et avoir une valeur probante, mais il faut aussi que cette valeur probante se révèle suffisante pour satisfaire à la norme de preuve applicable. La preuve aura une valeur probante suffisante si elle convainc le juge des faits de l’insuffisance de la protection accordée par l’État considéré. Autrement dit, le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante.

 

 

[43]           D’après moi, le passage ci‑dessus expose correctement le critère qu’il convient d’appliquer pour savoir si, compte tenu des faits en cause, la SPR a ou non commis une erreur susceptible de contrôle en se prononçant sur la question de savoir si les demanderesses avaient effectivement réfuté la présomption de protection de l’État. Selon les faits de l’affaire, et les motifs de la décision de la SPR, celle‑ci a bien évalué l’ensemble de la preuve dont elle disposait avant de conclure que les demanderesses n’étaient pas parvenues à réfuter la présomption de protection de l’État au Mexique, même si elle n’a pas repris en détail chacun de ces éléments. La SPR a jugé pertinente, fiable et convaincante la preuve présentée par les demanderesses. C’est simplement qu’elle a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, ces éléments n’avaient pas suffi à la convaincre du caractère inadéquat de la protection de l’État offerte aux demanderesses. J’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de parvenir à cette conclusion, quelle que soit par ailleurs la conclusion à laquelle je serais moi‑même parvenu au vu des mêmes éléments de preuve.

 

d)   Omission de préciser quelle aurait été, au Mexique, la possibilité de refuge intérieur [PRI] dont aurait pu se prévaloir les demanderesses

[44]           Compte tenu des faits de la cause, la question de savoir si les demanderesses auraient disposé au Mexique d’une PRI ne s’est tout simplement pas posée. Selon la SPR, les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle au Mexique, y compris dans la ville de Veracruz et dans l’État du Veracruz, elles auraient pu obtenir la protection de l’État. Compte tenu des circonstances et de la conclusion à laquelle elle est parvenue sur ce point, la SPR n’avait tout simplement pas à se pencher sur la question de savoir si, dans d’autres régions du Mexique, les demanderesses auraient pu obtenir une protection adéquate. Vu les circonstances de la présente affaire et la conclusion à laquelle elle était parvenue sur la question de la protection de l’État à Veracruz et dans la région environnante, la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de révision en n’examinant pas la question d’une PRI.

 

e)   Omission d’examiner les demandes d’asile des demanderesses mineures

[45]           Comme nous l’avons vu, aucune demande distincte n’avait été déposée au nom des demanderesses mineures. Leurs demandes d’asile étaient englobées dans les demandes de leur mère et de leur grand‑mère. Les demandes de la mère et de la grand‑mère ont fait, de la part de la SPR, l’objet d’un examen complet et j’ai déjà décidé que les conclusions à laquelle la SPR est parvenue à l’égard des demandes en cause ne comportent aucune erreur susceptible de révision. Vu les circonstances de l’affaire, la SPR n’a pas non plus commis d’erreur susceptible de révision en n’examinant pas séparément les demandes concernant les demanderesses d’asile mineures, car des demandes distinctes n’avaient pas été présentées en leur nom.

 

Conclusion

[46]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification d’une question

[47]           À la clôture de l’audience, j’ai fait savoir aux avocats des parties que j’entendais remettre à plus tard ma décision, et que mes motifs signés seraient transmis dans les meilleurs délais. J’ai par ailleurs fait savoir aux avocats des parties qu’ils auraient, une fois remis les motifs de la décision, la possibilité de présenter des observations écrites quant à la certification d’une question. Les présents motifs vont leur être remis. L’avocat des demanderesses disposera alors d’un délai de sept (7) jours pour signifier et déposer des observations écrites quant à la certification d’une question. Après cela, l’avocat du défendeur aura sept (7) jours pour signifier et déposer les observations qu’il souhaite présenter en réponse. Ensuite, l’avocat des demanderesses aura trois (3) jours pour signifier et déposer ses observations en réplique. Sur réception des observations signifiées et déposées, la Cour rendra une ordonnance répondant aux observations et donnant effet aux présents motifs.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge suppléant

 

Ottawa (Ontario)

Le 16 novembre 2009

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1563‑09

 

 

INTITULÉ :                                      MARIA DEL CARMEN RUIZ MARTINEZ ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 octobre 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : Le juge suppléant Gibson

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 16 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel M. Fine                                                             POUR LES DEMANDERESSES

 

Kristina Dragaitis                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DANIEL M. FINE

Avocat

Toronto (Ontario)                                                        POUR LES DEMANDERESSES

 

JOHN H. SIMS, C.R.

Sous‑procureur général du Canada                             POUR LE DÉFENDEUR



[1]               DORS/2002‑228.

[2]               CISR, Ottawa, 9 mars 1993, mises à jour en novembre 1996, leur validité ayant été prorogée le 28 juin 2002 aux termes de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[3]               Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[4]               2008 CF 1, 7 janvier 2008.

[5]               2008 CAF 94.

 

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