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Cour fédérale

 

 

 

 

Federal Court

 

 

Date : 20091110

Dossier : IMM-3538-09

Référence : 2009 CF 1152

Montréal (Québec), le 10 novembre 2009

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

demandeur

 

et

 

MIGUEL ALFONSO SAMUELS

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de Louis Dubé, membre de la Section de l’immigration (le tribunal), en date du 29 juin 2009, d’ordonner la mise en liberté de Miguel Alfonso Samuels (le défendeur) (l’ordonnance de mise en liberté).

 

LES FAITS

 

[2]               Le défendeur est né au Panama, mais il a vécu durant 39 ans en Jamaïque. Il a la nationalité des deux pays. Il est arrivé en 1991 au Canada, dont il est devenu résident permanent.

 

[3]               En 1991 ou 1992, le défendeur a commencé de montrer des symptômes de maladie mentale. En septembre 1992, on a diagnostiqué chez lui la schizophrénie.

 

[4]               Depuis 1993, le défendeur a été déclaré coupable tant de fois que nul ne semble plus en mesure de les compter. Cinq fois, il a été déclaré coupable d’agression sexuelle; six ou sept fois, d’agression; six fois, de vols d’une valeur inférieure à 5 000 $; deux fois, d’obtention frauduleuse de moyens de transport; deux fois, de méfait inférieur à 5 000 $; deux fois, de violation d’ordonnances de probation; une fois, de nuisance publique et une fois, de possession de biens obtenus par des moyens criminels. Au total, le défendeur a été déclaré coupable de quelque 27 à 30 infractions criminelles, et de plus de dix infractions provinciales.

 

[5]               Le défendeur a souvent été arrêté, tant à la suite d’infractions criminelles ou autres qu’en application de la Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1990, ch. M.7. Je me dispenserai de faire la liste de ses arrestations, qui serait fastidieuse, et je me bornerai à résumer l’historique de sa détention depuis qu’il a été déclaré coupable d’une infraction criminelle le 14 mars 2005.

 

[6]               La détention du défendeur par la justice à la suite de cette déclaration de culpabilité a pris fin le 23 avril 2005, et le défendeur fut immédiatement mis en détention par les autorités de l’immigration.

 

[7]               Il n’a été mis en liberté que le 12 octobre 2006 à Toronto, au titre du Programme de cautionnements, pour être placé sous la surveillance de Steven Sharp.

 

[8]               Le Programme de cautionnements a cessé de surveiller le défendeur en janvier 2007. M. Sharp a expliqué que, contrairement aux conditions de sa mise en liberté, le défendeur avait à maintes reprises quitté son domicile sans être escorté. Le 8 janvier 2007, il a été ramené chez lui par un policier. Par ailleurs, il refusait de prendre ses médicaments, feignant parfois de les avoir pris. En bref, [traduction] « M. Samuels a[vait] cessé de collaborer et [n’était] pas sensible aux services fournis ». M. Sharp était donc d’avis que la sécurité publique serait menacée si le défendeur demeurait dans la collectivité.

 

[9]               Le défendeur a alors été arrêté de nouveau et remis en détention par les autorités de l’immigration; il est demeuré en détention depuis.

 

[10]           Il convient aussi de noter que le défendeur n’a jamais eu de domicile fixe au Canada; lorsqu’il n’était pas en détention, il vivait dans des refuges ou avec de la famille. Cependant, il a été banni d’au moins deux refuges, et sa famille, bien qu’elle l’ait soutenu durant une longue période, a fini en 2007 par ne plus tolérer ses comportements et sa rétivité.

 

[11]           En avril 2007, il a eu un entretien avec le Dr Pierce, psychiatre judiciaire au Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui a conclu qu’il souffrait de schizophrénie ou d’une maladie similaire. La schizophrénie peut souvent être traitée avec succès si le patient suit le traitement prescrit, mais les symptômes sont aggravés si le sujet consomme de la drogue, ce qui semblait être le cas du défendeur. Le Dr Pierce affirmait aussi que, d’après les résultats d’un test de dépistage, le défendeur était susceptible de commettre d’autres infractions sexuelles si l’occasion lui en était donnée.

 

[12]           Le 2 juin 2009, un agent d’évaluation des risques est arrivé à une décision favorable au défendeur suite à sa demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR). Le ministre entend maintenant obtenir un avis de dangerosité à l’encontre du défendeur, ce qui entraînerait pour celui-ci son renvoi du Canada.

 

[13]           Fort du succès de sa demande d'ERAR, le défendeur a voulu recouvrer sa liberté.

 

[14]           Par décision orale assez brève, le tribunal a ordonné la mise en liberté du défendeur le 29 juin 2009. Il a relevé que le défendeur était devenu, par l’effet de la décision sur sa demande d'ERAR, une personne protégée. Un avis de dangerosité avait été demandé, mais il allait sans doute s’écouler beaucoup de temps avant qu’il soit rendu – et ce pourrait fort bien être un avis négatif, de telle sorte qu’[traduction] « il ne serait pas juste » de maintenir le défendeur en détention. Le tribunal a relevé que le défendeur avait [traduction] « un casier judiciaire assez impressionnant », mais il a conclu que, [traduction] « s’il n’y a pas de renvoi en vue, alors il n’appartient plus [au Tribunal] de protéger la société canadienne ». Le ministre a demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[15]           La présente demande soulève deux points : d’abord, le tribunal pouvait-il maintenir le défendeur en détention malgré l’issue favorable de sa demande d'ERAR? Ensuite, dans l’affirmative, le tribunal a-t-il négligé, pour arriver à sa décision, de se plier à son obligation légale de considérer les critères réglementaires?

 

ANALYSE

 

1) Le tribunal pouvait-il maintenir le défendeur en détention?

 

 

Les observations du défendeur

 

[16]           Selon le défendeur, le tribunal n’avait d’autre choix que de le mettre en liberté, et cela parce qu’il n’avait pas compétence pour le maintenir en détention étant donné que, suite à l’issue favorable de sa demande d'ERAR, il était devenu une personne protégée.

 

 

[17]           Le défendeur s’appuie sur l’article 58 de la LIPR, qui prévoit ce qui suit :

 

Mise en liberté par la Section de l’immigration

 

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

 

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

 

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

 

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

 

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger.

 

Release — Immigration Division

 

 

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

 

(a) they are a danger to the public;

 

 

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

 

 

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

 

 

 

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.

 

Mise en détention par la Section de l’immigration

 

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

 

 

 

 

Detention — Immigration Division

 

 

(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

 

 

 

 

[18]           Le défendeur soutient que, conformément aux alinéas 232d) et e) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), l’issue favorable de sa demande d'ERAR a pour effet de suspendre la mesure de renvoi prononcée contre lui. Le Règlement prévoit ce qui suit :

 

232. Il est sursis à la mesure de renvoi dès le moment où le ministère avise l’intéressé […] qu’il peut faire une demande [pour un examen de risques avant-renvoi]. Le sursis s’applique jusqu’au premier en date des événements suivants :

 

 

d) s’agissant d’une personne à qui l’asile a été conféré aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi et qui n’a pas fait sa demande de séjour au Canada à titre de résident permanent dans le délai prévu au paragraphe 175(1), l’expiration du délai;

 

e) s’agissant d’une personne à qui l’asile a été conféré aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi, la décision quant à sa demande de séjour au Canada à titre de résident permanent…

232. A removal order is stayed when a person is notified … that they may make an application [for a PRRA], and the stay is effective until the earliest of the following events occurs

 

 

 

 

(d) if a decision to allow the application for protection is made under paragraph 114(1)(a) of the Act and the person has not made an application within the period provided under subsection 175(1) to remain in Canada as a permanent resident, the expiry of that period;

 

(e) if a decision to allow the application for protection is made under paragraph 114(1)(a) of the Act, the decision with respect to the person's application to remain in Canada as a permanent resident is made…

 

 

[19]           Puisque le paragraphe 48(1) de la LIPR prévoit que la mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis, une mesure de renvoi qui fait l’objet d’un sursis n’est pas exécutoire. Le défendeur fait valoir que, puisque la mesure de renvoi prononcée contre lui n’est pas exécutoire, alors il ne fait pas « l’objet [...] d’une mesure de renvoi » aux fins du paragraphe 58(2) de la LIPR, et le tribunal ne pouvait donc pas le maintenir en détention et devait le mettre en liberté.

 

Les observations du ministre

 

[20]           Le ministre fait valoir que le tribunal avait bel et bien le pouvoir de maintenir le défendeur en détention.

 

[21]           Il soutient que les dispositions de l’article 58 de la LIPR et le règlement applicable contiennent tous les critères que doit appliquer le tribunal pour une détention et une mise en liberté. Selon lui, [traduction] « dans la mesure où les critères légaux et réglementaires de l’article 58 sont validement pris en compte, la détention ou la mise en liberté peut être ordonnée, et la mise en liberté peut s’accompagner des conditions qui s’imposent ».

 

[22]           De l’avis du ministre, l’alinéa 58(1)a) de la LIPR autorisait le tribunal à ordonner la détention du défendeur s’il concluait – et, selon le ministre, c’est ce qu’il aurait dû conclure – que le défendeur constituait un danger pour la sécurité publique. Puisque les critères exposés dans les divers alinéas du paragraphe 58(1) ne sont pas cumulatifs, il n’importe pas de savoir si le défendeur est l’objet d’une mesure de renvoi.

 

[23]           Quoi qu’il en soit, le défendeur demeure soumis à la mesure de renvoi prononcée contre lui le 15 avril 2004, et cela nonobstant la décision favorable qui a été rendue à la suite de sa demande d'ERAR. Selon le ministre, l’effet de cette décision est [traduction] « simplement de protéger le défendeur, en application du paragraphe 115(1) de la LIPR, contre un renvoi vers un pays où il risquerait la persécution ». La décision de l’agent d’ERAR rendue en faveur du défendeur était un facteur que le tribunal devait prendre en compte, mais ce n’était pas le seul facteur. Cette décision ne conférait pas au défendeur la résidence permanente ni n’annulait la mesure de renvoi. Le ministre se fonde sur l’article 51 de la LIPR, en vertu duquel « la mesure de renvoi inexécutée devient périmée quand l’étranger devient résident permanent », ce que le défendeur n’est pas.

 

[24]           Par conséquent, la mesure de renvoi prononcée contre le défendeur subsiste, bien que son exécution soit suspendue, en application du Règlement, jusqu’à l’examen de la demande de résidence permanente déposée par le défendeur. Tel examen ne sera pas mené à terme avant que soit rendue une décision sur l’avis de dangerosité demandé par le ministre.

 

[25]           D’après le ministre, dire que le tribunal n’avait pas compétence pour maintenir le défendeur en détention signifierait que [traduction] « lorsqu’un résident permanent ou une personne protégée fait l’objet d’une mesure de renvoi qui ne peut pas être immédiatement exécutée, alors la [Section de l’immigration] n’a pas le pouvoir légal de détenir l’intéressé ni de le mettre en liberté sous réserve de conditions ». Une telle interprétation de la LIPR irait à l’encontre de l’objectif du législateur, à savoir la sécurité publique, et un tel résultat serait absurde.

 

Analyse

 

[26]           Comme je l’ai dit précédemment, les parties admettent que la décision favorable d’un agent d’ERAR entraîne un sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre un demandeur d'asile. Elles diffèrent sur la question de savoir si une personne visée par une mesure de renvoi qui est suspendue « fait [encore] [...] l’objet d’une mesure de renvoi » aux fins du paragraphe 58(2) de la LIPR. Le ministre soutient que tel est le cas, puisque le sursis n’annule pas la mesure de renvoi – seul l’octroi de la résidence permanente peut l’annuler. Le défendeur dit que, si l’on interprète d’une manière libérale le paragraphe 58(2), d’une manière conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, et conforme aux libertés qu’elle garantit, une mesure de renvoi qui n’est pas exécutoire devient sans objet.

 

[27]           Je partage l’avis du ministre. Une mesure de renvoi qui est suspendue ne cesse pas d’être valide. Elle ne peut pas être exécutée jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de résidence permanente de la personne protégée, ou jusqu’à ce qu’expire le délai de dépôt d’une telle demande, mais elle continue d’exister et elle demeure valide et, selon moi, la personne contre qui elle a été prononcée en « fait [encore] [...] l'objet ».

 

[28]           Le défendeur demande en fait à la Cour de dire que le paragraphe 58(2) exclut les mesures de renvoi qui font l'objet d'un sursis, de telle sorte que ce paragraphe serait formulé ainsi (s’agissant de la partie qui intéresse la présente affaire) : « la section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet […] d’une mesure de renvoi exécutoire et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique […] »

 

[29]           Je ne suis pas persuadée par l’argument du défendeur selon lequel cette interprétation libérale est nécessaire pour garantir la conformité de la disposition avec la Charte. Selon le paragraphe 57(2) de la LIPR, le défendeur a le droit de faire contrôler les motifs de sa détention tous les 30 jours. Ces contrôles ont pour objet de prendre en compte les nouveaux faits intéressant le cas du défendeur. La Section de l’immigration doit, conformément à l’article 248 du Règlement, prendre en compte la durée prévue de la détention et l’existence de solutions de rechange à la détention. À mon avis, ces éléments confirment que le régime établi par la section 6 de la partie I de la LIPR et par le Règlement prend déjà en compte des éléments liées à la Charte.

 

[30]           J’ajouterais que le droit à la liberté garanti par la Charte n'est pas absolu; la Charte proscrit uniquement les privations de liberté qui ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale. Le défendeur ne prétend pas que la détention durant une période limitée (qui, reconnaissons-le, pourrait être assez longue) d’une personne qui constitue un danger pour la sécurité publique est en réalité incompatible avec de tels principes. Vu l’absence d’un débat quelconque sur ce point, je ne crois pas qu’il appartienne à la Cour de reformuler la LIPR de la manière proposée par le défendeur.

 

[31]           Je suis d’avis que le tribunal avait compétence pour ordonner le maintien en détention du défendeur, s’il était persuadé qu’il constituait un danger pour la sécurité publique.

 

 

2) Le tribunal a-t-il négligé de se conformer à ses obligations?

 

[32]           Le ministre fait valoir que le tribunal a négligé de se plier à son obligation d’évaluer les facteurs que, selon la LIPR et le Règlement, il doit prendre en compte avant d’ordonner la détention ou la mise en liberté d’une personne.

 

[33]           Le défendeur ne répond pas directement à cet argument, mais affirme que [traduction] « la décision, les motifs et l’ordonnance de mise en liberté doivent être considérés dans leur intégralité ». Vu que le défendeur est une personne protégée et qu’un avis de dangerosité ne sera pas émis avant longtemps, la décision du tribunal de mettre le défendeur en liberté sous réserve de conditions est raisonnable.

 

[34]           L’article 244 du Règlement prévoit que les critères prévus dans les dispositions suivantes « doivent être pris en compte lors de l’appréciation […] b) du danger que constitue l’intéressé pour la sécurité publique » [non souligné dans l'original] en application du paragraphe 58(1) de la LIPR.

 

[35]           Les dispositions applicables du Règlement sont les articles 246 et 248, rédigés ainsi :

 

246. Pour l’application de l’alinéa 244b), les critères sont les suivants :

d) la déclaration de culpabilité au Canada, en vertu d’une loi fédérale, quant à l’une des infractions suivantes :

246. For the purposes of paragraph 244(b), the factors are the following:

(d) conviction in Canada under an Act of Parliament for

 

(i) infraction d’ordre sexuel,

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

(i) a sexual offence, or

(ii) an offence involving violence or weapons;

248. S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

248. If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

(a) the reason for detention;

(b) the length of time in detention;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

 

[36]           Comme le fait observer le ministre, le tribunal semble ne pas avoir tenu compte de ces critères ou en tout cas de la plupart d’entre eux, l’exception évidente étant la durée de la détention passée et future.

 

[37]           Le tribunal a reconnu que le défendeur a [traduction] « un casier judiciaire assez impressionnant », mais il n’a pas relevé le fait – ni ne semble en avoir mesuré les effets – que ce casier judiciaire comprenait de nombreuses déclarations de culpabilité pour infractions sexuelles et autres infractions comportant des actes de violence.

 

[38]           Le tribunal a manqué à son obligation légale, ce qui constitue une erreur de droit, et sa décision doit être annulée.

 

[39]           Vu cette conclusion, il ne m’est pas nécessaire d’examiner les autres points soulevés par le ministre.

 

[40]           L’ordonnance du tribunal mettant en liberté M. Samuels est annulée, et la demande de mise en liberté déposée par M. Samuels sera instruite par un autre membre de la Section de l’immigration.

 

LA QUESTION GRAVE DE PORTÉE GÉNÉRALE

 

[41]           Le ministre a prié la Cour de certifier que la présente affaire comporte une question grave de portée générale, ainsi que le prévoit l’alinéa 74d) de la LIPR, si elle devait conclure que le tribunal n’avait pas compétence pour maintenir le défendeur en détention ou pour imposer des conditions à sa mise en liberté.

 

[42]           Le ministre propose que la question soit formulée ainsi :

            [traduction]

Lorsqu’un étranger qui est détenu ou qui est mis en liberté sous réserve de conditions est l’objet d’une mesure de renvoi qu’il n’est pas possible d’exécuter avant l’accomplissement d’une procédure d’immigration et qu’il obtient gain de cause dans sa demande d'ERAR, la Section de l’immigration a-t-elle le pouvoir, selon la LIPR, de le détenir ou de le mettre en liberté sous réserve de conditions, ou par ailleurs de le maintenir en liberté sous réserve de conditions?

 

 

[43]           Le ministre dit que cette question répond au critère bien établi énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4, [1994] A.C.F. n° 1637 (QL), en ce sens qu’elle transcende les intérêts des parties dans la présente affaire et qu’elle réglerait de l’appel.

 

[44]           Le défendeur dit lui aussi que la présente affaire soulève une question grave, mais propose qu’elle soit formulée ainsi :

            [traduction]

La Section de l’immigration demeure-t-elle compétente pour détenir un étranger après que l’étranger a été déclaré réfugié ou personne protégée?

 

 

[45]           Je reconnais qu’il s’agit là d’une question grave de portée générale. Les mots « fait l’objet [...] d’une mesure de renvoi », au paragraphe 58(2) de la LIPR, sont ambigus, parce que l’on ne sait pas si la mesure de renvoi doit être exécutoire ou non. D’une part, la LIPR ne dit pas explicitement que la mesure doit être exécutoire; de l’autre, une mesure de renvoi peut être non exécutoire, et l’étranger peut demeurer en détention, pour une longue période, simplement parce qu’un agent administratif a estimé, selon la prépondérance de la preuve, qu’il constitue un danger. Cette ambiguïté doit être dissipée, non seulement pour l’avantage des parties, mais également pour celui de tout autre étranger qui devient une personne protégée alors que la Section de l’immigration a ordonné sa détention ou sa mise en liberté sous réserve de conditions.

 

[46]           Je certifie donc que la question suivante est une question grave de portée générale, de telle sorte qu’appel pourra être interjeté de la présente décision conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR :

 

La Section de l’immigration demeure-t-elle compétente pour détenir un étranger après que l’étranger a été déclaré réfugié ou personne protégée?

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée, et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un autre membre de la Section de l’immigration.

 

La question suivante est certifiée comme question grave de portée générale, de telle sorte qu’appel pourra être interjeté de la présente décision conformément à l’alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés :

 

La Section de l’immigration demeure-t-elle compétente pour détenir un étranger après que l’étranger a été déclaré réfugié ou personne protégée?

 

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3538-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. MIGUEL ALFONSO SAMUELS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 NOVEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amina Riaz

Eleanor Elstub

 

POUR LE DEMANDEUR

Carole Simone Dahan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

The Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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