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Date : 20091110

 

Dossier : IMM-1112-09

Référence : 2009 CF 1151

Montréal (Québec), le 10 novembre 2009

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

JONES ERNEST AM NWAEZE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Jones Ernest Am Nwaeze (le demandeur) en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), afin de faire contrôler judiciairement la décision rendue le 23 février 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), qui a rejeté la demande d’asile du demandeur en application des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

CONTEXTE FACTUEL

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigéria. Le 13 septembre 2001, il a obtenu la résidence permanente en Hongrie à la suite de son mariage avec une citoyenne hongroise une année plus tôt.

 

[3]               Cependant, le demandeur a été déclaré coupable de fraude, et après avoir purgé une peine de prison, il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion de la Hongrie en décembre 2004, et y est depuis interdit de territoire.

 

[4]               Le demandeur est retourné au Nigéria. Il est ensuite allé en Italie et en Autriche pour de brefs séjours, et est finalement entré au Canada le 12 mai 2006, journée au cours de laquelle il a demandé l’asile.

 

[5]               Le 17 mai 2006, le demandeur a obtenu un pardon de la part du président de la Hongrie. Par conséquent, il n’était plus interdit de territoire en sol hongrois. Cependant, il n’y est pas retourné, et a poursuivi sa demande d’asile au Canada.

 

[6]               Le demandeur a prétendu que, lorsqu’il vivait en Hongrie, il faisait en permanence l’objet de discrimination. Il a affirmé qu’il se voyait refuser l’entrée ou était ostracisé, peu importe où il allait : restaurants, piscines publiques, autobus, taxis et métro. Lui et son épouse avaient de la difficulté à trouver un appartement, bien qu’ils aient été capables d’en dénicher un auprès d’un propriétaire plus ouvert. Le demandeur a aussi affirmé qu’il était incapable de se trouver un emploi, et que cela l’a obligé à lancer son entreprise. Il a également prétendu que sa belle-famille le rejetait, et qu’il a été harcelé par les forces policières. Finalement, il a affirmé avoir été insulté en raison de sa race lorsqu’il assistait à une partie de soccer.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[7]               Le tribunal a rejeté la demande d’asile du demandeur, en concluant que sa prétendue crainte de persécution en Hongrie n’était pas raisonnable.

 

[8]               Le tribunal a mentionné que la « persécution » désigne des mauvais traitements, plus graves que le simple harcèlement ou la discrimination, bien que des incidents répétés de harcèlement ou de discrimination peuvent, par accumulation, équivaloir à de la persécution.  

 

[9]               Le tribunal a conclu « que les incidents allégués par le demandeur d’asile ne peuvent constituer de la persécution s’ils sont pris en compte individuellement; le tribunal conclut en outre que les différentes mesures discriminatoires, même prises conjointement, n’étayent pas l’existence d’une crainte de persécution raisonnable ». Plus précisément, les manifestations quotidiennes de discrimination (soit, dans les bars et les restaurants) « n’étaient pas assez graves pour porter atteinte à un droit fondamental garanti au demandeur »; que « les propos du demandeur d’asile au sujet de sa présumée impossibilité de trouver un emploi en Hongrie ne sont pas crédibles »; qu’il a été capable de lancer une entreprise sans aucune difficulté, que la famille de son épouse l’a aidé; et qu’il s’est marié et a obtenu la résidence permanente en Hongrie sans problèmes.

 

[10]           Le tribunal a souscrit aux prétentions du demandeur concernant les difficultés qu’il a eues à trouver un appartement, mais a mentionné que celui-ci a fini par en trouver un. Le tribunal a aussi accepté les prétentions du demandeur portant sur les insultes dont étaient victimes ses enfants, mais a conclu que, bien que ces incidents soient déplorables, les enfants n’ont pas été privés de leur droit à l’éducation. En ce qui concerne les vérifications policières, le tribunal était d’avis que le demandeur n’avait pas réussi à prouver que celles-ci étaient dues à la race du demandeur, et qu’elles ne visaient pas non plus d’autres groupes marginalisés, ou « l’attitude générale des policiers » étant « un résidu de l’ère communiste ».

 

[11]           En réponse aux prétentions du demandeur portant qu’il ait été victime de discrimination dans le cadre de son procès criminel, le tribunal a mentionné que le demandeur a été remis en liberté en attendant l’issue de l’appel, puis remis en liberté pour bonne conduite après avoir purgé une partie de sa peine. Quoiqu’il en soit, une telle discrimination « n’est manifestement pas un risque prospectif, car rien ne porte à croire que le demandeur […] sera accusé, condamné et emprisonné de nouveau à son retour en Hongrie ».

 

[12]           Finalement, le tribunal a conclu que la preuve dont il était saisi ne lui permettait pas conclure que les groupes extrémistes présents en Hongrie, y compris la « Garde hongroise » néo-nazie, « [exposent le demandeur] à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités » parce que de tels groupes commettent surtout des actes d’intimidation, et non de violence.

 

[13]           Le tribunal a conclu que « [l]e traitement subi par le demandeur d’asile en Hongrie est déplorable et [qu’]il est disgracieux que de telles situations de racisme surviennent encore »; ces situations, aussi déplorables soient-elles, n’équivalent pas à de la persécution. 

 

QUESTIONS EN LITIGE

1)      Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en abordant mal la question de la persécution?

2)      Le tribunal a-t-il omis de tenir compte de toute la preuve pertinente?

 

ANALYSE

 

1)   Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en abordant mal la question de la persécution?

 

[14]           Le demandeur prétend que le tribunal a conclu de manière erronée que seuls un déni total ou une privation d’un droit fondamental peuvent constituer de la persécution. Selon le demandeur, le tribunal a donc omis de tenir compte de la possibilité qu’une série de gestes de harcèlement et de discrimination qui, pris isolément, n’équivalent pas à un déni complet d’un droit peuvent constituer de la persécution. Je ne suis pas d’accord.

 

[15]           Comme je l’ai dit dans Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 450, au paragraphe 19, « la question de savoir ce qui constitue de la persécution donne lieu à une analyse de nombreux facteurs, y compris la répétition, la gravité et la nature des incidents reprochés ». Dans ses motifs, le tribunal relève neuf anomalies différentes dans la preuve du demandeur.

 

[16]           À titre d’exemple, le tribunal relève son manque de crédibilité à propos de sa prétendue impossibilité de trouver un emploi en Hongrie. L’épouse du demandeur a contredit le témoignage de ce dernier en ce qui concerne les entrevues qu’il a passées; par la suite, il a modifié son récit. Il a aussi modifié son témoignage portant sur les permis de travail dont a besoin un étranger en sol hongrois. Le tribunal a conclu que le demandeur « modifie son témoignage lorsque des contradictions lui sont signalées [et qu’il] n’a pas établi de façon crédible qu’il était victime de discrimination liée à l’emploi ».

 

[17]           Comme l’a fait observer le ministre, la [traduction] « persistance, la gravité et la nature » de la discrimination dont a été victime le demandeur était [traduction] « somme toute relative ». Par conséquent, le tribunal pouvait conclure que les divers incidents de discrimination dont a été victime le demandeur n’équivalaient pas à de la persécution.

 

[18]           Contrairement à l’affirmation du demandeur, le tribunal n’a pas « exigé » une « privation » ou un « déni » complet des droits du demandeur, mais a plutôt conclu qu’ils n’étaient pas « gravement » limités.

 

[19]           Le tribunal connaissait bien le critère à appliquer lorsqu’il a cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Madelat c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (QL), pour affirmer que « l’effet cumulatif des expériences de harcèlement et de discrimination répétées peut équivaloir à de la persécution ».

 

[20]           Cependant, le tribunal a rejeté la prétention du demandeur parce qu’il a conclu que la discrimination dont celui-ci était victime n’était ni grave ni constante au point d’équivaloir à de la persécution. Le tribunal n’a pas commis d’erreur de droit. En fait, le problème du demandeur semble plutôt s’inscrire en faux avec les conclusions de fait du tribunal, mais ces dernières ne peuvent être considérées comme étant déraisonnables.

 

2) Le tribunal a-t-il omis de tenir compte de toute la preuve pertinente?

 

[21]           Premièrement, le demandeur prétend que le tribunal a erronément omis de tenir compte de la preuve portant sur le harcèlement dont il faisait l’objet de la part des forces policières. Le tribunal n’était pas convaincu que le harcèlement policier visait seulement les minorités raciales, et non les autres minorités ou les groupes impopulaires.

 

[22]           Deuxièmement, le demandeur prétend que le tribunal a omis de tenir compte, comme il aurait dû le faire en application de l’article 96 de la LIPR, du risque que le demandeur soit attaqué par des membres de la « Garde hongroise », laquelle, selon ses dires, est [traduction] « manifestement raciste et prend pour cible les membres de minorités visibles, comme lui ».

 

[23]           Troisièmement, le demandeur prétend avoir présenté [traduction] « des éléments de preuve démontrant que son procès […] était empreint de racisme » et qu’il a fait l’objet de mauvais traitements en prison en raison de sa race. Le demandeur prétend que le tribunal a commis une erreur en considérant ce risque comme n’étant pas prospectif, parce que vu qu’il est pris pour cible par les forces policières, il risquerait davantage que les autres d’être aux prises avec l’appareil judiciaire criminel.

 

[24]           Selon le demandeur, l’omission de tenir compte de ces facteurs de risque constitue une erreur de droit, et justifie l’intervention de la Cour.

 

[25]           Le tribunal a conclu, se fondant sur la preuve qu’il avait devant lui, qu’il « ne peut donc établir si [le harcèlement constitue] l’attitude générale des policiers ou si c’est de la discrimination fondée sur la race du demandeur […] » [Non souligné dans l’original.] Le demandeur ne relève aucun élément de preuve au dossier qui aurait pu justifier une conclusion contraire. Le lien avec un motif prévu dans la Convention n’a donc pas été établi.

 

[26]           En ce qui concerne la menace posée par la Garde hongroise (ainsi que les autres extrémistes), je ne suis pas convaincue que le tribunal a simplement fait fi de cet élément de preuve, parce qu’il en a fait mention vers la fin de ses motifs. Le tribunal avait manifestement connaissance de cet élément de preuve, et estimait que les extrémistes constituaient un danger, quoique limité, pour le demandeur. Par conséquent, je suis d’accord avec l’observation du ministre portant que le tribunal n’a pas commis d’erreur importante justifiant l’intervention de la Cour, même s’il aurait pu répondre à cette question de manière plus limpide.

 

[27]           En ce qui concerne le prétendu risque que le demandeur soit encore victime de discrimination par l’appareil judiciaire criminel hongrois, celui-ci est doublement non établi. Le tribunal a conclu qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve pour conclure que les actes des forces policières hongroises étaient motivés par le racisme; il a aussi conclu que le racisme du système judiciaire hongrois n’était pas étayé par la preuve. Comme le relève le ministre, l’argument du demandeur n’est que pure conjecture.

 

[28]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision sera rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1112-09

 

INTITULÉ :                                       JONES ERNEST AM NWAEZE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Tremblay-Lamer

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 10 novembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LE DEMANDEUR

Mario Blanchard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre, Grenier avocats inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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