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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20090721

Dossier : T-1626-07

Référence : 2009 CF 740

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

ROBERT KANE

demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               M. Robert Kane (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de la décision rendue par le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) le 3 août 2007. Dans cette décision, le Tribunal a rejeté la plainte présentée par le demandeur en application de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP ou la Loi), qui constitue la partie 3 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. Dans sa plainte, le demandeur allègue que l’administrateur général de Service Canada a commis un abus de pouvoir à deux égards, d’abord en déclarant que son poste d’attache constituait un nouveau poste plutôt qu’un poste reclassifié, puis en choisissant un processus de nomination interne annoncé plutôt qu’un processus de nomination interne non annoncé pour doter le nouveau poste.

 

Contexte

[2]               Le demandeur était employé au bureau de Terre-Neuve du ministère des Ressources humaines et du Développement social – Service Canada. En mai 2005, la mise en place d’une nouvelle structure organisationnelle provisoire a été annoncée pour Service Canada, région Terre‑Neuve et-Labrador, ce qui a mené, en partie, à la création du secteur d’activités Services aux collectivités et services en personne (SCSEP). Le poste de gestionnaire de la prestation des services de SCSEP a été créé le 30 août 2005 et classifié au niveau PM-05. Le 1er septembre 2005, le demandeur a été muté du poste de PM-05 qu’il occupait jusque‑là à ce poste de gestionnaire.

 

[3]               Par note de service en date du 6 octobre 2005, tous les employés de la région ont été informés qu’à la suite de la réorganisation provisoire de mai, une étude serait effectuée pour déterminer le niveau de ressources requis pour l’Unité régionale de soutien de la direction responsable des SCSEP. Une fois l’examen complété, le Conseil régional de gestion (CRG) a approuvé la création de l’Unité régionale de soutien des SCSEP, le 14 février 2006. Cette unité devait comprendre un gestionnaire régional de niveau PM-06 et six employés, deux de niveau PM-05, deux de niveau PM-04, un de niveau AS-03 et un de niveau CR-04.

 

[4]               Le Conseil régional de gestion a engagé un processus de nomination interne annoncé pour doter les postes de niveau PM-05 et PM-06. En février 2006, le demandeur a présenté sa candidature au poste de gestion de niveau PM-06 et sa candidature a été évaluée au moyen d’un test standardisé de la Commission de la fonction publique (CFP).

 

[5]               Par note de service en date du 1er mars 2006, tous les employés de la région ont été informés de la réorganisation de l’administration régionale. La note de service indiquait plus particulièrement que le poste de gestionnaire régional des SCSEP était envoyé à la classification pour examen. Si le poste était classifié au niveau PM-06, il serait doté à partir du bassin de candidats créé à la suite du processus annoncé au niveau PM, qui était en cours. La note de service précisait que le demandeur continuerait d’occuper le poste de gestionnaire des SCSEP en attendant le résultat de l’examen de la classification.

 

[6]               Ce poste de gestionnaire régional des SCSEP a été classifié au niveau PM-06 et sa date d’entrée en vigueur a été établie au 15 juin 2006. Le demandeur a reçu une rémunération d’intérim rétroactive au 14 février 2006, date à laquelle la création du poste avait été approuvée. Dans une lettre en date du 1er mai 2006, le demandeur a été informé qu’il n’avait pas obtenu la note de passage au test standardisé, et que sa candidature avait été retirée du processus. Un courriel en date du 9 août 2006 a été envoyé au demandeur pour l’informer qu’à la fin de son affectation intérimaire, il continuerait à occuper un poste de PM-05 aux SCSEP et serait muté à un des postes de PM-05 créés par suite de la réorganisation, ou que son nom pourrait être inscrit sur une liste de bénéficiaires de priorité en attendant un autre poste vacant au niveau PM-05.

 

[7]               Le 31 août 2006, le demandeur a été informé que son poste d’attache avait été déclaré excédentaire, et on lui a offert un poste de gestionnaire principal de projets au sein de la direction responsable des SCSEP. On lui a aussi demandé de continuer à occuper le poste de gestionnaire régional intérimaire des SCSEP jusqu’à la fin du mois de septembre ou jusqu’à ce qu’une nomination ait lieu, selon la première de ces éventualités. Le demandeur a accepté d’occuper le poste à titre intérimaire.

 

[8]               Le 11 septembre 2006, le demandeur a déposé une plainte au Tribunal, alléguant abus de pouvoir, en violation de la LEFP.

 

[9]               Le Tribunal a défini deux questions à trancher. Premièrement, y avait-il eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination interne annoncé pour la dotation du poste de gestionnaire régional des SCSEP? Deuxièmement, y avait-il eu abus de pouvoir dans la décision de ne pas nommer le demandeur à ce poste?

 

[10]           Relativement à la première question, le Tribunal a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que l’administratrice générale avait commis un abus de pouvoir en décidant d’annoncer le poste. Relativement à la deuxième question, le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas établi que l’administratrice générale avait commis un abus de pouvoir en décidant de ne pas le nommer au poste en question.  

 

Questions en litige

[11]           La Cour en l’espèce doit statuer sur deux questions : elle doit déterminer la norme de contrôle applicable, et elle doit décider si le Tribunal a commis une erreur en concluant que la distinction entre un nouveau poste et un poste reclassifié n’était pas pertinente pour décider s’il y avait eu abus de pouvoir dans le choix entre un processus de nomination interne annoncé et un processus de nomination interne non annoncé.  

 

Analyse et décision

i) Norme de contrôle

[12]           Chacune des deux parties a plaidé que la norme de contrôle doit être déterminée en procédant à une analyse pragmatique et fonctionnelle, en tenant compte de quatre facteurs, à savoir la présence d’une clause privative, l’expertise du décideur, l’objet de la loi et la nature de la question.

 

[13]           L’analyse pragmatique et fonctionnelle doit être abordée dans le contexte de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[14]           La Loi comporte une clause privative à l’article 102, dont voici le libellé :

Caractère définitif de la décision

102. (1) La décision du Tribunal est définitive et n’est pas susceptible d’examen ou de révision devant un autre tribunal.

 

Interdiction de recours extraordinaires

(2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action du Tribunal en ce qui touche une plainte.

 

Decisions final

102. (1) Every decision of the Tribunal is final and may not be questioned or reviewed in any court.



No review by certiorari, etc.

(2) No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain the Tribunal in relation to a complaint.

 

 

 

[15]           Le Tribunal est un organisme spécialisé créé pour statuer sur des plaintes présentées en vertu de l’article 77 conformément au mandat que lui confère la Loi au paragraphe 88(2).

 

[16]           L’objet général de la Loi est de régir l’emploi dans la fonction publique fédérale. L’objet de l’article 77 est de permettre la présentation de plaintes fondées sur certains motifs précis concernant le processus de nomination interne à des postes dans la fonction publique.

 

[17]           La nature de la question, qui consiste à décider s’il y a eu abus de pouvoir, est essentiellement factuelle et commande une évaluation de la preuve soumise.

 

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a statué que les décisions des décideurs administratifs doivent faire l’objet d’un examen fondé soit sur la norme de la décision correcte, soit sur la norme de la décision raisonnable. Les questions de faits appellent généralement un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, autrement dit selon une norme de retenue.

 

[19]           Je suis convaincue qu’eu égard aux quatre éléments de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme appropriée en l’espèce est celle de la décision raisonnable. 

 

ii) Le Tribunal a-t-il commis une erreur?

[20]           Dans les observations qu’il a présentées au Tribunal, le demandeur s’est concentré sur les circonstances entourant sa mutation au poste de gestionnaire régional. Il a indiqué avoir été muté à ce poste, qui a été décrit dans un courriel en date du 9 août 2006 comme un poste [traduction] « pas clairement défini » et nécessitant développement. L’auteur de ce courriel est Mme Bonnie Pope, directrice des SCSEP et superviseure du demandeur. Mme Pope poursuit en expliquant au demandeur, en ces termes, la décision d’avoir recours à un processus de nomination annoncé pour doter le poste :  

[traduction]

[…] Il ne fait aucun doute que vous avez accompli un travail considérable ces derniers mois, et que ce travail a grandement contribué à la structure organisationnelle qui a été recommandée et approuvée à la réunion du CRG tenue le 14 février. Cela dit, l’autorisation d’attribuer le niveau PM-06 aux fonctions du poste de gestionnaire à doter a nécessité la création d’un nouveau poste à ce niveau. Comme il s’agissait d’un nouveau poste à un niveau supérieur, il a été jugé équitable et indiqué de donner à tous les gestionnaires la possibilité de poser leur candidature plutôt que de procéder à une nomination au moyen d’un processus non annoncé. (Page 181 du dossier d’appel du demandeur.)

 

 

 

[21]           Devant le Tribunal, le demandeur a soutenu qu’en décidant que le poste constituait un nouveau poste plutôt qu’un poste reclassifié, l’employeur a agi déraisonnablement et a fait abstraction des Lignes directrices sur la reclassification de l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada (AGRHFPC). Ces lignes directrices font état de quatre situations dans lesquelles un nouveau poste doit être créé :

Création d’un nouveau poste

 

Il faut créer un nouveau poste plutôt que procéder à la reclassification d’un poste existant dans les circonstances suivantes :

 

·        Un changement important dans les fonctions donne lieu à une augmentation de plus d’un niveau dans le groupe professionnel actuel.

 

·        Le poste a été reclassifié au cours des deux dernières années. La plupart des fonctions n’évoluent pas à un rythme justifiant un autre changement de niveau au cours de la même période sauf si le poste s’inscrit dans un Programme d’apprentissage ou de formation professionnelle (PAFP) ministériel établi conformément à l’Annexe 9 du Guide de délégation des pouvoirs en dotation de la Commission de la fonction publique.

 

·        Les importants changements aux fonctions nuisent à la continuité de leur évolution. Il peut s’agir de changements comme l’établissement d’une nouvelle relation hiérarchique, l’augmentation de l’étendue des responsabilités, l’ajout de nouvelles tâches ou l’assignation de responsabilités accrues pour les ressources humaines.

 

·        Plus d’un poste au sein de l’organisation comporte les mêmes fonctions, mais ces postes ne sont pas tous reclassifiés. Il importe de faire preuve de transparence et d’équité. Au lieu d’assigner les nouvelles fonctions à un poste plutôt qu’à un autre, il serait préférable de créer un nouveau poste de manière à donner à tous les membres du personnel une occasion d’avancement.

 

[22]           Le demandeur a présenté sa plainte en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

Motifs des plaintes

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

[…]

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

[…]

Grounds of complaint

77. (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of



b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process; or

 

[23]           L’alinéa 77(1)b) ne renvoie à aucune autre disposition de la Loi, et le terme « abus de pouvoir » n’est pas défini dans la Loi.

 

[24]           Le Tribunal s’est reporté à la décision rendue dans Tibbs c. Sous-ministre de la Défense, 2006 TDFP 0008, et a déclaré qu’il incombait au demandeur de démontrer que le choix d’un processus de nomination annoncé pour le poste de niveau PM-06, qu’il s’agisse d’un nouveau poste ou d’un poste reclassifié, constituait un abus de pouvoir. Le Tribunal a fait remarquer que l’article 33 de la Loi ne limite d’aucune façon le choix d’un processus annoncé ou d’un processus non annoncé. Il n’est fait aucune mention de la nature du poste à doter.

 

[25]           Le Tribunal a rejeté les arguments du demandeur, concluant que la distinction entre un nouveau poste et un poste reclassifié était sans pertinence pour évaluer si le choix exercé entre un processus annoncé et un processus non annoncé procédait d’un abus de pouvoir.

 

[26]           Le Tribunal, s’appuyant sur la décision rendue dans Robbins c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2006] TDFP 0017, a conclu que le choix d’un processus annoncé ou d’un processus non annoncé ne constitue pas en soi un abus de pouvoir. Le demandeur doit plutôt établir que la décision d’arrêter ce choix a constitué un abus de pouvoir.

 

[27]           Le Tribunal a relevé que la décision de créer le poste de gestionnaire régional avait été prise le 14 février 2006 et que le Comité régional de gestion avait informé les employés, le 1er mars, que « [s]i le poste était classifié au niveau PM-06, il serait doté à partir du bassin de candidats créé à la suite du processus annoncé (PM-06) » qui était en cours.

 

[28]           Le Tribunal a précisé ce qui suit, au paragraphe 63 :

[63]      L’Annonce de possibilité d’emploi lié au processus de sélection en question a été affichée en février 2006 dans le but de créer un répertoire de candidats à partir duquel l’intimé pouvait procéder à une nomination. Le plaignant a remis sa lettre de présentation et son curriculum vitae le 12 février 2006. La décision de procéder à une nomination à partir du bassin de candidats a été prise avant l’annonce des résultats du processus de classification et du test standardisé subi par le plaignant. Les mesures prises ne montrent aucun abus de pouvoir, bien au contraire.

 

 

 

[29]           Le Tribunal a porté son attention sur le moment où a été prise la décision de sélectionner le candidat retenu pour le poste de PM-06 à partir d’un bassin de candidats, et il a constaté que cette décision avait été prise avant la finalisation du processus de classification. À ce moment, le demandeur n’avait pas reçu les résultats du test standardisé. Le tribunal a conclu que l’initiative de l’employeur de créer un répertoire de candidats ne constituait pas un « abus de pouvoir, bien au contraire ».

 

[30]           Le Tribunal a aussi examiné si la décision de ne pas nommer le demandeur au poste de gestionnaire régional de niveau PM-06 relevait d’un abus de pouvoir. Il a conclu qu’il n’y avait pas eu abus de pouvoir, se fondant à cet égard sur le fait que le demandeur avait échoué au test standardisé choisi par les défendeurs. Le Tribunal a estimé que c’est le défaut du demandeur de répondre aux « critères de mérite fondés sur la méthode d’évaluation » choisie qui a fait en sorte que sa candidature n’a pas été retenue, et non le choix du processus de nomination lui-même.

 

[31]           Comme il a été mentionné, le terme « abus de pouvoir » n’est pas défini dans la Loi; cependant, le paragraphe 2(4) y réfère, énonçant :

Abus de pouvoir

 

(4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

 

 

References to abuse of authority

 

(4) For greater certainty, a reference in this Act to abuse of authority shall be construed as including bad faith and personal favouritism.

 

 

 

[32]           Les auteurs David Phillip Jones et Ann S. de Villars traitent de ce sujet dans Principles of Administrative Law, 4e éd. (Scarborough, Thomson Carswell, 2004). À la page 154, ils écrivent ce qui suit sur l’abus de pouvoir :

[traduction]

Néanmoins, il ne saurait y avoir pouvoir discrétionnaire illimité. Les tribunaux ont constamment réitéré le droit qui leur est conféré de réviser l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire délégué, pour ce qui est d’un large éventail d’abus de pouvoir. Il est possible de répertorier au moins cinq catégories générales d’abus, que l’on peut décrire comme suit. La première catégorie d’abus survient lorsque le délégataire exerce son pouvoir discrétionnaire en étant animé d’une intention illégitime, ce qui comprend le fait d’agir dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou pour des motifs dénués de pertinence. La seconde catégorie survient lorsque le délégataire agit en s’appuyant sur des éléments d’information inadéquats, y compris en l’absence de preuve ou en faisant abstraction d’éléments pertinents. Troisièmement, les tribunaux concluent parfois à l’abus de pouvoir discrétionnaire lorsqu’ils constatent un résultat inapproprié, notamment des actes administratifs déraisonnables, discriminatoires ou rétroactifs. La quatrième catégorie d’abus consiste en un exercice du pouvoir discrétionnaire délégué qui est fondé sur une compréhension erronée du droit. Enfin, le délégataire commet un abus de pouvoir s’il refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner chaque cas d’espèce avec un esprit ouvert.

 

 

 

[33]           Pour étayer son argument selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en ne vérifiant pas si le poste de PM-06 était un nouveau poste ou un poste reclassifié, le demandeur invoque le fait que le Tribunal aurait omis de suivre la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale; il n’allègue donc pas que le Tribunal a fait erreur dans son interprétation de la Loi ou a agi sans compétence. L’erreur de droit alléguée découle de la façon dont le Tribunal aurait fait abstraction d’une jurisprudence pertinente, notamment l’arrêt Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489, et Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503.

 

[34]           Selon le demandeur, l’arrêt Canada (Procureur général) c. Laidlaw et al. (1998), 237 N.R. 1, restreint le pouvoir discrétionnaire de l’employeur lorsqu’il exclut un candidat d’un processus de nomination en présumant erronément que le poste à doter est nouveau. Le demandeur se fonde plus particulièrement sur le paragraphe 15, dans lequel la Cour d’appel fédérale a déclaré : 

[15]      En l'espèce, la preuve indique que la Commission, en supposant qu'elle avait le droit de choisir entre le mode prévu au paragraphe 10(1) ou celui prévu au paragraphe 10(2), avait décidé de choisir le mode prévu au paragraphe 10(2) lorsque les postes reclassifiés n'étaient pas nouveaux. Les appelants n'ont pas profité de ce mode de sélection uniquement parce que, de l'avis de Revenu Canada, leurs postes étaient nouveaux. Une fois que le comité d'appel a déterminé - et cette conclusion a été confirmée par le juge des requêtes - que les postes n'étaient pas nouveaux, le postulat en vertu duquel la Commission a exclu les appelants de ce mode s'est avéré faux et leur exclusion ne pouvait plus être justifiée étant donné qu'elle se fondait sur une considération erronée. En outre, la Commission ne devrait pas être autorisée, une fois qu'elle a choisi de procéder en vertu du paragraphe 4(2), à traiter différemment des employés qui se trouvent dans une situation semblable. Dans les circonstances, il n'est pas nécessaire de renvoyer la question au comité d'appel puisque celui-ci est parvenu à la bonne conclusion et qu'il ne pourrait rien faire de plus que de parvenir à la même conclusion pour d'autres motifs.

 

 

 

[35]           Il importe de souligner que le principe du mérite est traité différemment dans la Loi actuelle et dans l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33 (l’ancienne loi). C’est l’ancienne loi qui était en cause dans l’arrêt Laidlaw. Les paragraphes 10(1) et 10(2) de l’ancienne loi prévoyaient :

Nominations au mérite

 

10.(1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sure le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

 

Appointments to be based on merit

 

10.(1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

 

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the  Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

 

 

[36]           Sous le régime de la loi actuelle, le principe du mérite est exposé à l’article 30 :

Principes

 

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

 

Définition du mérite

 

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

 

b) la Commission prend en compte :

 

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

 

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

 

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

 

Besoins

 

(3) Les besoins actuels et futurs de l’administration visés au sous-alinéa (2)b)(iii) peuvent comprendre les besoins actuels et futurs de la fonction publique précisés par l’employeur et que l’administrateur général considère comme pertinents pour l’administration.

 

Précision

 

(4) La Commission n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite.

Appointment on basis of merit

 

30. (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

 

Meaning of merit

 

(2) An appointment is made on the basis of merit when

 

 

 

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

 

(b) the Commission has regard to

 

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

 

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

 

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

 

Needs of public service

 

(3) The current and future needs of the organization referred to in subparagraph (2)(b)(iii) may include current and future needs of the public service, as identified by the employer, that the deputy head determines to be relevant to the organization.
 

 

Interpretation

 

(4) The Commission is not required to consider more than one person in order for an appointment to be made on the basis of merit.

 

 

[37]           Le demandeur prétend que le Tribunal a commis une erreur en rejetant l’élément essentiel de sa demande au motif qu’il n’était pas pertinent. Il soutient que le cœur de sa plainte tient à la décision des défendeurs de traiter le poste de gestionnaire régional de niveau PM-06 comme un nouveau poste plutôt que comme un poste reclassifié. Les défendeurs, souligne-t-il, n’ont pas contredit son assertion selon laquelle il existe dans la région de Terre-Neuve-et-Labrador une pratique qui consiste à nommer les titulaires de postes reclassifiés à leur ancien poste.

 

[38]           Bref, il est d’avis que si les défendeurs avaient comme il se doit reconnu le poste de gestionnaire régional PM-06 comme un poste reclassifié, il aurait été nommé à ce poste compte tenu de la pratique existante et en conformité avec les Lignes directrices de l’AGRHFPC. Il plaide aussi que de son point de vue, le fait qu’il a échoué au test standardisé est sans pertinence, puisque la décision d’avoir recours au test standardisé était fondée sur le postulat qu’il s’agissait d’un nouveau poste, et que l’on ne peut présumer que le test aurait été nécessaire si le processus de dotation n’avait pas été annoncé. Il fait valoir par ailleurs qu’il était qualifié pour occuper ce poste, étant donné qu’il en avait exercé les fonctions de façon satisfaisante pendant son affectation intérimaire.

 

[39]           Je souscris aux observations des défendeurs portant que le régime législatif actuel marque une rupture avec l’ancienne loi. Le principe du mérite y est maintenu, mais il est différent de celui précédemment en place. Les notions de mérite relatif et de mérite individuel, énoncées respectivement aux paragraphes 10(1) et 10(2) de l’ancienne loi, ne sont plus en jeu. Selon les documents déposés par des défendeurs dans leur dossier de demande, une commission parlementaire a rejeté une proposition préconisant la réintroduction de ces notions dans le régime législatif actuel régissant l’emploi dans la fonction publique.  

 

[40]           La jurisprudence antérieure a peu de pertinence, s’il en est, au regard des questions que soulève la présente demande. La question n’est pas de savoir si le poste de gestionnaire régional PM-06 a été correctement défini comme un nouveau poste plutôt que comme un poste reclassifié, mais bien si l’employeur a commis un abus de pouvoir en décidant que le poste serait doté au moyen d’un processus annoncé après la création d’un répertoire de candidats. Il était prévu que pour figurer au répertoire, les candidats devraient avoir réussi à un test standardisé. Cette façon de procéder est autorisée par la Loi.  

 

[41]           Je suis d’accord avec les défendeurs, qui soutiennent que le demandeur n’a pas présenté une preuve permettant d’étayer ses allégations au sujet d’une « pratique » ayant cours dans la région de Terre‑Neuve-et-Labrador en ce qui touche la nomination du titulaire d’un poste reclassifié.

 

[42]           Je partage également l’avis des défendeurs quant à la pertinence des Lignes directrices de l’AGRHFPC. Ces lignes directrices semblent être un guide indiquant les facteurs à examiner quand un poste doit être reclassifié. Je ne peux admettre qu’elles imposent une limite à la façon dont les postes doivent être dotés, c'est-à-dire au choix d’un processus de dotation.

 

[43]           Le Tribunal a indiqué que la question dont il était saisi était de savoir s’il y avait eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus annoncé plutôt que d’un processus non annoncé, compte tenu du moment où cette décision a été prise. Il a conclu que cette décision avait été prise avant que les résultats du processus de classification ne soient connus et avant que le demandeur ne prenne part au test standardisé.

 

[44]           Eu égard à la preuve soumise et au cadre législatif, je ne suis pas convaincue que la décision était déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est rejetée avec dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1626-07

 

INTITULÉ :                                       ROBERT KANE

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

Andrew Astritis

 

POUR LE DEMANDEUR

Stephan Bertrand

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne, Yazbeck, s.r.l.

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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