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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090626

 

Dossier : T-876-08/T-886-08

 

Référence : 2009 CF 671

 

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

PFIZER CANADA INC., PFIZER LIMITED

et PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

demanderesses

 

et

 

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS CONFIDENTIELS

DE L’ORDONNANCE ET DE L’ORDONNANCE

PRONONCÉS LE 26 JUIN 2009

 

 

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’une ordonnance en date du 10 mars 2009 par laquelle la protonotaire Martha Milczynski a rejeté les requêtes présentées par Apotex en vue de faire rejeter la demande de Pfizer visant à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer à Apotex des avis de conformité pour deux nouveaux produits, à savoir des comprimés à base d’amlodipine et des comprimés de maléate d’amlodipine. Apotex avait initialement présenté les requêtes en question en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement), qui permet à la Cour de rejeter une demande lorsqu’elle conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure. Après avoir examiné les éléments de preuve présentés par Apotex au sujet de l’absence de contrefaçon, la protonotaire a conclu qu’ils constituaient une preuve par ouï-dire inadmissible et qu’en tout état de cause, ils n’auraient pas été suffisants pour pouvoir accorder la réparation demandée. Bien que les requêtes présentées par la défenderesse Apotex soient de la nature d’un appel de l’ordonnance de la protonotaire, la Cour doit en reprendre l’examen depuis le début.

 

CONTEXTE

[2]               Pfizer a obtenu un avis de conformité pour un médicament connu sous le nom de bésylate d’amlodipine, vendu sous le nom commercial de Norvasc. Pfizer avait fait inscrire relativement à ce médicament deux brevets au registre tenu par le ministre de la Santé conformément au Règlement, à savoir le brevet 1321393 (le brevet 393) et le brevet 2170278 (le brevet 278).

 

[3]               Pendant toute la période pertinente, il était établi que l’amlodipine et ses sels étaient des médicaments faisant partie de la classe des inhibiteurs calciques et qu’ils étaient indiqués dans le traitement de l’hypertension et de l’angine de poitrine. L’amlodipine est un mélange racémique contenant l’énantiomère R(+) et l’énantiomère S(-). Un « racémate » ou « mélange racémique » contient des quantités égales de deux énantiomères. Bien qu’ils aient les mêmes propriétés physiques, comme le point de fusion, la solubilité, etc., les énantiomères sont des composés chimiques qui sont des images miroir non superposables l’un de l’autre; autrement dit, chaque énantiomère d’un mélange racémique provoque une rotation du plan de la lumière polarisée du même angle, mais dans des directions opposées. En raison de cette caractéristique, deux énantiomères d’une substance médicamenteuse interagiront différemment avec leurs cibles biologiques.

 

[4]               Par conséquent, les énantiomères R(+) et S(-) de l’amlodipine sont des molécules identiques, mis à part leur configuration tridimensionnelle et leur effet biologique. Que l’amlodipine existe sous la forme de bésylate (un sel), de base libre ou de maléate (un sel) ne fait aucune différence. Le bésylate d’amlodipine, la base libre d’amlodipine et le maléate d’amlodipine contiennent les mêmes énantiomères.

 

[5]               On savait que l’activité antagoniste du calcium de l’amlodipine se limite essentiellement à la forme S(-) et au mélange racémique des formes R(+) et S(-), et que l’isomère R(+) a peu ou n’a pas d’activité antagoniste du calcium. On savait également que les inhibiteurs calciques, en général, inhibent la migration des cellules musculaires lisses et, de ce fait, pourraient être utiles dans le traitement de l’athérosclérose (affection caractérisée par un durcissement et un rétrécissement des vaisseaux sanguins). En effet, le brevet 278 reconnaît d’abord ces propriétés.

 

[6]               L’invention visée par le brevet 278 a trait à la découverte du fait que [traduction] « l’isomère R(+) de l’amlodipine, même s’il ne présente pas d’activité antagoniste du calcium, est un inhibiteur puissant de la migration des cellules musculaires lisses ». La découverte décrite dans le brevet 278 a trait au fait que l’énantiomère R(+) de l’amlodipine inhibe la migration des cellules musculaires lisses, sans produire d’effets antagonistes du calcium. Cette propriété particulière de l’énantiomère R(+) de l’amlodipine n’appartient pas à la forme racémique de l’amlodipine ni à d’autres inhibiteurs calciques, et donne au brevet 278 son utilité déclarée : [traduction] « [Un] moyen de traiter des affections associées à une migration des cellules musculaires lisses, sans provoquer d’effets cardiovasculaires concomitants… peut donc être appliqué aux patients pour lesquels une réduction de la pression artérielle ne serait pas souhaitable. »

 

[7]               De plus, le brevet 278 compare directement son invention – l’administration de l’énantiomère R(+) de l’amlodipine – à l’administration de la forme racémique de l’amlodipine, faisant valoir que seule la première permet d’éviter les effets cardiovasculaires (c.‑à‑d. diminution de la pression artérielle :

[traduction] Pour administration chez l’humain, dans le traitement curatif ou prophylactique d’affections caractérisées par la migration des cellules musculaires lisses, une dose orale de l’énantiomère R(+) de l’amlodipine ou de ses sels peut être de l’ordre de 2 à 10 mg par jour chez un patient adulte moyen (pesant 70 kg); cette fourchette est semblable à celle de l’amlodipine utilisée dans le traitement de l’hypertension. Toutefois, en raison de l’absence d’effets cardiovasculaires, il est possible d’administrer des doses beaucoup plus fortes que celles recommandées pour l’inhibiteur calcique ou le racémate, et d’obtenir ainsi un effet proportionnellement plus grand sur la migration des cellules.

 

Brevet 278, p. 6 

 

 

[8]               Le brevet 278 prétend contenir les résultats d’essais effectués en utilisant, comme composés à l’essai distincts, la forme racémique de l’amlodipine, l’énantiomère R(+) de l’amlodipine, l’énantiomère S(-) de l’amlodipine et des inhibiteurs calciques connus, la nitrendipine et le vérapamil. Les essais indiquent que les cinq composés inhibent la migration des cellules musculaires lisses, mais que seul l’énantiomère R(+) de l’amlodipine (exempt de racémate) est « essentiellement exempt » d’activité antagoniste du calcium. À la lumière de ces résultats, les inventeurs concluent que [traduction] « l’énantiomère R(+) de l’amlodipine est efficace pour inhiber la migration des cellules musculaires lisses, même si son activité antagoniste du calcium est négligeable ». Le rapport de l’étude indique que le racémate n’a pas cet effet biologique désiré unique de l’énantiomère R(+) de l’amlodipine.

 

[9]               Le brevet 278 comprend huit revendications. Les revendications 1 à 3 portent sur l’isomère R(+) de l’amlodipine pour [traduction] « utilisation dans le traitement », « pour fabriquer un médicament pour le traitement » et « pour le traitement » d’affections pour lesquelles il faut inhiber la migration des cellules musculaires lisses vasculaires. Les revendications 4 à 7 portent sur une composition pharmaceutique et sur des doses unitaires de cette composition, contenant l’énantiomère R(+) de l’amlodipine pour utilisation dans le traitement de ces mêmes affections. La revendication 8 a trait à un conditionnement commercial contenant l’isomère R(+) de l’amlodipine pour le traitement de ces mêmes affections.

 

[10]           On ne s’entend pas quant à la bonne façon d’interpréter ce brevet. Apotex allègue que les revendications du brevet 278 excluent la forme racémique de l’amlodipine, et que l’expression [traduction] « énantiomère R(+) de l’amlodipine », présente dans les diverses allégations du brevet, devrait être interprétée selon son sens ordinaire, comme un composé distinct de la forme racémique de l’amlodipine. Pfizer, en revanche, préconise une interprétation qui engloberait les énantiomères R(+) et S(-). Je reviendrai bientôt sur ce débat concernant la bonne interprétation du brevet 278.

 

[11]           S’agissant du brevet 393, il semble n’y avoir aucun différend quant à l’interprétation de ses revendications pertinentes. Selon ce brevet, le bésylate présente une combinaison unique de bonne solubilité, bonne stabilité, non‑hygroscopicité et bonne traitabilité, ce qui le rend [traduction] « exceptionnellement approprié » pour la préparation de formulations pharmaceutiques d’amlodipine (brevet 393, p. 6). Le brevet 393 comporte 22 revendications. Les revendications 1 à 10 ont trait aux procédés de préparation du bésylate (un sel de l’amlodipine), d’une composition pharmaceutique, d’un comprimé, d’une capsule et d’une solution aqueuse stérile de bésylate. Les revendications 11 à 22 portent sur la sélection du bésylate d’amlodipine à partir d’une classe de sels pharmaceutiquement acceptables. La revendication 11 vise le composé bésylate d’amlodipine. Ce composé est inscrit au registre des brevets concernant les comprimés de bésylate d’amlodipine pour administration orale à des doses de 2,5, de 5 et de 10 mg. Tout ce qui importe, c’est de savoir si les produits d’Apotex contiennent ou, à un moment quelconque du procédé de fabrication, utilisent le bésylate, et contrefont le brevet 393.

 

[12]           Le 26 juin 2007 et le 30 janvier 2008, Apotex a déposé deux nouvelles présentations de drogue nouvelle (PDN) à l’égard de comprimés contenant respectivement comme ingrédient médicinal de l’amlodipine et du maléate d’amlodipine. Dans les présentations en question, Apotex comparait ses comprimés aux comprimés Norvasc de Pfizer. Au moment où ces présentations ont été déposées, Apotex a également déposé auprès du ministre des formules V par lesquelles elle acceptait de ne pas se voir délivrer d’avis de conformité avant l’expiration des brevets de Pfizer.

 

[13]           Conformément à l’alinéa 5(3)a) du Règlement, Apotex a envoyé à Pfizer, par courrier recommandé, deux lettres se présentant comme des avis d’allégation relativement au brevet 278. Puis, le 25 avril 2008, Apotex a envoyé à Pfizer, par courrier recommandé, deux lettres se présentant comme des avis d’allégation relativement au brevet 393. Dans ces lettres, on avertissait Pfizer qu’Apotex avait déposé des présentations auprès du ministre en vue d’obtenir l’approbation de comprimés contenant de l’amlodipine et du maléate d’amlodipine, à des concentrations équivalant aux doses de 5 mg et de 10 mg de bésylate d’amlodipine de Pfizer, destinés à être utilisés comme médicaments antihypertenseurs-antiangineux. Ces deux lettres ont été reçues par Pfizer les 22 et 29 avril 2008, respectivement.

 

[14]           Dans les deux premiers avis d’allégation, Apotex allègue qu’aucune revendication portant sur l’ingrédient médicinal, la formulation, la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal que l’on trouve dans le brevet 278 ne serait contrefaite par la fabrication, l’élaboration, l’utilisation ou la vente qu’elle ferait de ses comprimés d’amlodipine ou de ses comprimés de bésylate d’amlodipine. Dans ces deux derniers avis d’allégation, Apotex formule la même allégation au sujet du brevet 393.

 

[15]           S’agissant du brevet 278, Apotex soutient que les revendications se limitent à l’isomère R(+) de l’amlodipine et que, par conséquent, il n’y aura pas de contrefaçon, parce que ses comprimés contiendront du racémate d’amlodipine, et non l’isomère R(+). Apotex s’engage également à faire en sorte que l’avis de conformité délivré par le ministre ne comprenne pas, jusqu’à l’expiration de ce brevet, d’indication relative au traitement d’affections pour lesquelles l’inhibition de la migration des cellules musculaires lisses est indiquée, et à ne pas fabriquer, ni construire, ni utiliser ou vendre ses comprimés à cette fin.

 

[16]           Quant au fondement factuel et juridique des avis d’allégation relatifs au brevet 393, Apotex allègue que les revendications 1 à 10 sont des revendications relatives au procédé seulement et sont donc non pertinentes, tandis que les revendications 11 à 22 sont expressément limitées au bésylate d’amlodipine ou à une composition ou une formulation composée de celle-ci et que, par conséquent, elles ne seraient pas contrefaites par ses comprimés, étant donné que ces derniers ne contiendraient pas le bésylate d’amlodipine et que le bésylate d’amlodipine ne serait en aucune façon utilisé dans la fabrication de ses comprimés ni dans l’amlodipine utilisé dans ses comprimés.

 

[17]           Le 28 avril 2008, Apotex a transmis au ministre de la Santé d’autres formules V relativement au brevet 278 et au brevet 393. Dans ces formules V révisées, Apotex alléguait qu’aucune revendication portant sur l’ingrédient médicinal, la formulation, la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal ne serait contrefaite par la fabrication, l’élaboration, l’utilisation ou la vente qu’Apotex ferait du médicament pour lequel la présentation était déposée.

 

[18]           En réponse aux avis d’allégation envoyés par Apotex, Pfizer a introduit, les 4 et 5 juin 2008, deux demandes de contrôle judiciaire. Pfizer réclamait une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité relativement aux deux produits pharmaceutiques qui contenaient de l’amlodipine et du maléate d’amlodipine et qui étaient fabriqués par Apotex.

 

[19]           Au départ, Pfizer n’était pas au courant du fait qu’Apotex n’avait pas formulé d’« allégation » comme l’exigeait le Règlement. Toutefois, en réponse aux demandes de production de Pfizer, Apotex a fourni à Pfizer des copies des formules V originales dans lesquelles Apotex avait choisi d’accepter qu’aucun avis de conformité ne lui serait délivré tant que les brevets 278 et 393 ne seraient pas expirés. Pfizer a par la suite présenté une requête en vue d’être autorisée à modifier ses avis de demande pour plaider qu’Apotex n’avait pas formulé l’allégation exigée par le Règlement et que les avis d’allégation étaient par conséquent entachés de nullité. En réponse à la requête de Pfizer, qui a par la suite été accueillie, Apotex a produit des formules V supplémentaires.

 

[20]           Par avis de requête daté du 17 octobre 2008, Pfizer a également demandé à la Cour, en vertu de l’alinéa 6(7)a) du Règlement, d’ordonner à Apotex de produire des extraits des PDN qu’elle avait déposées auprès du ministre à l’appui de sa demande d’avis de conformité. Avant que la requête ne soit instruite, Apotex a de son plein gré divulgué à Pfizer une bonne partie des présentations en question. Le protonotaire Alto a ordonné que la production de ces extraits soit réputée avoir été faite conformément au paragraphe 6(7), et a enjoint à Apotex de produire sans délai tout changement apporté à ces extraits. Il a également ordonné au ministre de s’assurer que les extraits en question, ainsi que tout changement qui leur serait apporté, correspondent fidèlement aux renseignements versés au dossier dont il disposait. Ces conclusions n’ont pas été portées en appel.

 

[21]           Pfizer souhaitait également prendre connaissance de toute la section des PDN d’Apotex portant sur les produits chimiques et la fabrication, et ce, même si Apotex lui en avait déjà communiqué des extraits de son plein gré. Cette requête a été rejetée, étant donné que le protonotaire Alto n’était pas convaincu que les renseignements réclamés étaient pertinents, importants ou nécessaires. Cette décision a été confirmée par mon collègue, le juge Harrington, le 4 mars 2009 (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 226). Ce jugement a été porté en appel (avis d’appel du 16 mars 2009).

 

[22]           Se fondant sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement, Apotex a demandé le 31 juillet 2008 le traitement accéléré des deux demandes de Pfizer. Pour reprendre les mots d’Apotex, la requête vise à mettre fin à une instance qui est manifestement vouée à l’échec, ce qui est de toute évidence l’objectif visé par cette disposition. Ainsi que la protonotaire Mylczynski l’a fait observer dans sa décision : [traduction] « l’alinéa 6(5)b) du Règlement constitue une sorte de soupape de sûreté qui permet de déclarer irrecevables les demandes inutiles qui ne visent qu’à bloquer un peu plus longtemps l’accès au marché à un concurrent qui fabrique un médicament générique » (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 250, au paragraphe 3). Apotex interjette appel de la décision par laquelle la protonotaire a rejeté sa requête.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[23]           La protonotaire a d’abord abordé la question de la charge de la preuve applicable dans le cas des requêtes fondées sur le paragraphe 6(5). Elle a déclaré que le fardeau de la preuve reposait entièrement et exclusivement sur le requérant et que la norme applicable était exigeante, écartant ainsi l’argument d’Apotex suivant lequel un avis d’allégation doit être tenu pour avéré jusqu’à ce que le contraire soit démontré dans le cadre de l’instance en interdiction. Autrement dit, elle n’a pas retenu l’idée que le fardeau est inversé et que Pfizer doit convaincre la Cour, dans le cadre de la requête, que les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex ne sont pas fondées. La protonotaire a estimé que le raisonnement suivi par Apotex était erroné :

[traduction] Pfizer n’a pas à établir le bien-fondé de sa cause à ce moment-ci, et lorsque la preuve n’a même pas été déposée dans le cadre de la demande principale, il n’appartient pas à la Cour d’anticiper ou de spéculer sur l’éventuelle solidité de ces éléments de preuve. C’est à Apotex qu’il incombe de démontrer, dans le cadre de la présente requête, que Pfizer n’a aucune chance d’établir le bien-fondé de sa cause et qu’elle ne serait pas en mesure de convaincre la Cour si l’affaire était jugée sur le fond. Dans la présente demande, s’agissant des allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex en ce qui concerne les brevets 278 et 393, c’est à Apotex qu’il incombe de démontrer que Pfizer ne peut pas établir que les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex ne sont pas fondées. Apotex ne peut inverser le fardeau pour qu’il repose sur Pfizer et transformer une requête fondée sur le paragraphe 6(5) du Règlement en audience en bonne et due forme portant sur le fond.

 

 

 

[24]           La protonotaire fait ensuite observer qu’Apotex ne peut convaincre la Cour du bien-fondé de sa requête qu’en mettant tout en œuvre pour présenter ses meilleurs éléments de preuve. Elle signale qu’en l’espèce, Apotex s’est vigoureusement opposée à la divulgation et qu’elle a réussi à convaincre la Cour — le protonotaire Alto et, en appel, le juge Harrington — qu’il n’était pas nécessaire de produire certaines parties de sa PDN comme la section portant sur « les produits chimiques et la fabrication ». Mais comme il incombe à la défenderesse de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, mais par des éléments de preuve clairs et convaincants, qu’il est impossible pour la demanderesse d’obtenir gain de cause, la défenderesse s’oppose à la divulgation à ses propres risques et périls. Comme la protonotaire l’écrit : [traduction] « La meilleure façon d’y parvenir ne consiste-t-elle pas à être aussi exhaustif que possible pour aider la Cour à se prononcer sur la question de savoir si la demande devrait ou non être jugée et pour déterminer si elle a une chance d’être accueillie? »

 

[25]           Enfin, la protonotaire a examiné la preuve et conclu qu’Apotex n’avait pas réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait de présenter des éléments de preuve admissibles à l’appui de ses allégations d’absence de contrefaçon du brevet 278 et du brevet 393. Apotex s’en était remis à l’affidavit de M. Batey, un expert à qui l’on a soumis, en vue de recueillir ses observations, une copie d’un extrait des présentations soumises par Apotex au ministre que l’avocat d’Apotex lui avait communiquée. Comme M. Batey n’avait pas pris part à la préparation des documents qui avaient été déposés auprès du ministre et qu’il n’était pas au courant de leur existence, la protonotaire est arrivée à la conclusion qu’il s’agissait de preuve par ouï-dire étant donné qu’il n’avait pas été démontré que les documents joints à l’affidavit de M. Batey faisaient partie de ceux qui avaient été soumis au ministre. La protonotaire a par conséquent estimé que ces éléments de preuve étaient inadmissibles.

 

[26]           En tout état de cause, la protonotaire s’est également dite d’avis que l’opinion de M. Batey et les documents joints à son affidavit n’auraient pas été suffisants pour lui permettre d’accorder la réparation demandée. S’agissant du brevet 393, elle a convenu avec Pfizer qu’il était impossible d’écarter entièrement la possibilité que le bésylate d’amlodipine  puisse être utilisé ou produit comme substance intermédiaire lors de la fabrication des comprimés d’Apotex. Elle a reconnu que ces spéculations, qui étaient inévitables faute de renseignements utiles, n’étaient peut-être pas suffisantes pour permettre à Pfizer d’obtenir une ordonnance d’interdiction. En revanche, elle n’était pas disposée à accepter que le fait de spéculer sur l’issue possible de l’audience principale satisfaisait au critère permettant de mettre fin sans délai à l’instance [traduction] « d’autant plus que Pfizer n’a pas encore produit d’éléments de preuve » (au paragraphe 28).

 

[27]           Pour ce qui est du brevet 278, la protonotaire a conclu qu’à défaut d’éléments de preuve permettant de tirer des conclusions au sujet de la capacité de Pfizer de démontrer que les allégations de non-contrefaçon formulées par Apotex au sujet du brevet 393 et du brevet 278 n’étaient pas fondées, il était préférable de laisser au juge du fond le soin de donner l’interprétation qu’il convient au brevet 278.

 

[28]           Se fondant sur ces conclusions, la protonotaire Milczynski a refusé d’examiner les autres questions soulevées par Pfizer au sujet de la validité des avis d’allégation, de la possibilité de modifier les formules V, et de divers moyens d’irrecevabilité. Elle a rejeté la requête au seul motif qu’il n’était pas évident et manifeste que la demande de Pfizer était vouée à l’échec.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[29]           La seule question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la protonotaire a commis une erreur en rejetant la requête d’Apotex et en concluant qu’il n’était pas évident et manifeste que la demande de Pfizer devait être rejetée au motif qu’elle était clairement futile.

 

ANALYSE

[30]           Il est maintenant bien établi en droit que le juge saisi de l’appel de la décision discrétionnaire d’un protonotaire ne doit intervenir que si les questions soulevées par la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal ou si les ordonnances sont entachées d’erreurs flagrantes (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19, Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.)). Les parties s’entendent pour dire que la décision du protonotaire de rejeter ou non une requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement a une influence déterminante sur l’issue du principal étant donné qu’elle est susceptible de trancher le litige de façon définitive. L’appel de la décision rendue sur ce genre de requête reprend par conséquent l’examen depuis le début, et la norme de contrôle est celle de la décision correcte (Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (2006), 56 C.P.R. (4th) 242, au paragraphe 17; Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Apotex Inc. (2002), 20 C.P.R. (4th) 300, au paragraphe 16; AstraZeneca AB c. Apotex Inc. (2002), 23 C.P.R. (4th) 213, au paragraphe 6; Sanofi-Aventis Canada Inc. et al. c. Apotex Inc., 2008 CF 628, aux paragraphes 8 et 9; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Canada, 2008 CF 129, aux paragraphes 1 et 2; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 358, aux paragraphes 23 et 26; AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc. (2002), 23 C.P.R. (4th) 378, au paragraphe 7).

 

[31]           L’alinéa 6(5)b) du Règlement prévoit qu’il est loisible à une seconde personne comme Apotex de présenter une requête en vue de faire rejeter en tout ou en partie la demande d’interdiction présentée en vertu du Règlement au motif qu’elle est frivole ou qu’elle constitue, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

 

DROITS D’ACTION

 

6. [. . .]

 

(5) Sous réserve du paragraphe (5.1), lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :

 

[. . . ]

 

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

RIGHT OF ACTION

 

6. [. . .]

 

(5) Subject to subsection (5.1), in a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application in whole or in part

 

[. . . ]

 



(b) on the ground that it is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process in respect of one or more patents.

 

[32]           L’alinéa 6(5)b), qui a été ajouté au Règlement en 1998, trouve sa source dans l’article 221 des Règles des Cours fédérales, 1998 DORS/98-106. D’ailleurs, la Cour d’appel fédérale a laissé entendre que, dans des cas exceptionnels, il est possible de rejeter sommairement une procédure de contrôle judiciaire par analogie avec l’ancien article 419 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663, avant l’entrée en vigueur de l’alinéa 6(5)b) (Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 58 C.P.R. (3d) 209, à la page 217). En conséquence, la Cour a adopté les principes élaborés au sujet des Règles en question pour interpréter l’alinéa 6(5)b) du Règlement (voir, par exemple, Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (1999), 1 C.P.R. (4th) 358), et la Cour d’appel a adhéré à ce raisonnement (Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited et al. (2007), 59 C.P.R. (4th) 416, au paragraphe 36).

 

[33]           Je répète que les parties s’entendent pour dire que la requérante Apotex supporte entièrement le fardeau de la preuve dans le cas d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement. Il est bien établi que le requérant doit démontrer qu’il est « évident et manifeste » que la demande ne révèle aucune cause d’action valable et qu’elle est « tellement futile » qu’elle n’a pas la moindre chance de prospérer. De toute évidence, le fardeau imposé au requérant est très lourd (Nycomed GmbH c. Canada (Ministre de la Santé) (2008), 64 C.P.R. (4th) 388, aux paragraphes 4 et 77).

 

[34]           Une requête visant à faire rejeter une demande avant que celle-ci ne soit instruite constitue un recours exceptionnel qui ne devrait être ouvert que dans des cas bien précis, par exemple lorsque les mêmes parties se sont déjà affrontées au sujet des mêmes brevets dans le cadre d’une demande d’avis de conformité (Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd. (2005), 46 C.P.R. (4th) 46 (C.F.); AB Hassle c. Apotex Inc. (2005), 38 C.P.R. (4th) 216). Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel a confirmé que, lorsqu’un brevet a été déclaré invalide dans une instance antérieure sur le fondement du même motif d’invalidité que celui qu’invoque le fabricant du médicament générique dans l’instance ultérieure, le fait de laisser la seconde instance suivre son cours constituerait un abus de procédure (Sanofis-Aventis Inc. c. Novopharm Ltd. (2008), 59 C.P.R. (4th) 416, (demande d’autorisation rejetée, [2007] C.S.C.R. no 311). Une norme aussi élevée est nécessaire pour empêcher un plaideur d’être « privé d’un jugement ». Pour cette raison, une requête en rejet de la demande n’est pas censée donner lieu à un examen du fond de la demande. Le tribunal saisi d’une telle requête doit résoudre en faveur de l’intimé tout doute quant à la question de savoir si le requérant s’est acquitté ou non du fardeau qui lui incombait (Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (2006), 54 C.P.R. (4th) 22, au paragraphe 11 (C.F.), inf. pour d’autres motifs à (2007), 59 C.P.R. (4th) 24 (C.A.F.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 9 C.P.R. (4th) 79, aux paragraphes 11 à 13 (C.F.)).

 

[35]           Les requêtes présentées en vertu de l’alinéa 6(5)b) ne sont pas censées accorder à la seconde personne la première de deux occasions de plaider l’affaire au fond. Sauf dans les cas les plus évidents, les arguments de fond concernant l’absence de contrefaçon d’un brevet doivent être examinés lors de l’examen sur le fond de la demande d’interdiction, et non lors de l’instruction d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b). Les instances prévues par le Règlement sont de nature sommaire et elles sont jugées rapidement. Il ne convient donc pas de rejeter sommairement une telle instance en l’absence d’éléments de preuve clairs et convaincants.

 

[36]           La protonotaire Milczynski a appliqué ces principes et conclu qu’Apotex ne s’était pas acquittée de ce fardeau très lourd et qu’elle ne pouvait inverser la charge de la preuve en se contentant de formuler une allégation et en prétendant que celle-ci doit être tenue pour avérée. Tout comme dans le cas des requêtes en question, Apotex soutient non seulement que ses allégations d’absence de contrefaçon doivent être tenues pour avérées, mais aussi que Pfizer n’a pas présenté d’éléments de preuve propres à combattre cette présomption.

 

 

[37]           J’abonde dans le sens de la protonotaire lorsqu’elle affirme, s’agissant d’une requête présentée en vertu du paragraphe 6(5), que c’est à Apotex qu’il incombe de démontrer que Pfizer n’a pas la moindre chance d’établir sa preuve. Apotex a sans doute raison de souligner que les allégations de fait contenues dans un avis d’allégation sont tenues pour avérées jusqu’à ce que le demandeur prouve le contraire (Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 319 (C.A.F.); Eli Lilly Canada Inc. et autre c. Apotex et autre, 2009 CF 320, au paragraphe 41). Elle a également raison de dire que, pour réfuter cette présomption, il est nécessaire de présenter des éléments de preuve clairs qui ne reposent pas sur des spéculations (Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Limited (2005), 42 C.P.R. (4th) 97, aux paragraphes 19 à 25, 27 et 28 (C.A.F.)). Ces principes demeurent vrais, mais dans le contexte d’une demande d’interdiction, ils ne peuvent s’appliquer à l’étape préliminaire d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) en vue d’obtenir le rejet de la demande. En raison des graves conséquences qu’entraîne une telle requête, la seconde personne ne peut se contenter de « pointer du doigt » le titulaire du brevet; elle a la charge de convaincre la Cour que la demande d’interdiction n’a aucune chance d’être accueillie. La protonotaire a reconnu à juste titre la distinction qui existe entre les deux étapes de l’instance en s’exprimant comme suit :

[traduction]

 

[4] Il y a toutefois lieu d’établir une distinction entre la requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement et l’audience sur le fond. Alors que, dans le cas d’une audience sur le fond, la charge de la preuve repose sur le demandeur, dans le cas d’une requête fondée sur l’alinéa 6(5)b), la charge de la preuve repose entièrement et exclusivement sur le requérant – en l’espèce, Apotex – et la norme de preuve est élevée.

 

[…]

 

[9] À cet égard, le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) crée un régime inusité et déplorable. Il suffit au demandeur de démontrer que la requête révèle l’existence d’arguments défendables, ce qui ne suffira peut-être pas à l’étape de l’audience sur le fond. Il se peut fort bien que le demandeur ne soit pas en mesure de convaincre le juge appelé à statuer sur le fond de la demande que les allégations d’absence de contrefaçon ne sont pas fondées. Le demandeur risque en pareil cas de se retrouver avec bien peu d’atouts, à part les témoignages d’experts qu’il peut faire entendre et les observations qu’il peut formuler au sujet des extraits qu’il a pu obtenir en réponse à une requête fondée sur le paragraphe 6(7) du Règlement ou au sujet des autres éléments qu’il a pu obtenir du défendeur ou que ce dernier a pu lui divulguer.

 

 

[38]           Apotex souligne à juste titre que, dans l’arrêt Novopharm Limited c. Sanofi-Aventis Canada Inc. et autre, (2007), 59 C.P.R. (4th) 24, la Cour d’appel fédérale a effectivement fait droit à une requête en rejet de la demande d’interdiction présentée par la première personne au motif que l’argument à l’appui de la contrefaçon des brevets était entièrement spéculatif. Dans l’avis d’allégation à l’origine de la demande d’interdiction présentée par Sanofi dans cette affaire, Novopharm alléguait que le produit qu’elle proposait ne contreferait pas les brevets de Sanofi parce qu’il ne serait pas fabriqué ou vendu pour aucune des utilisations revendiquées dans les brevets en question. Il n’y avait manifestement rien dans la monographie du produit ou dans aucun des autres documents versés au dossier qui aurait permis d’établir que Novopharm contreferait les brevets, soit de façon directe, soit en incitant d’autres personnes à les contrefaire. Pourtant, Sanofi faisait valoir que « quelque chose » pouvait être révélé lors du contre-interrogatoire. La Cour a jugé cet argument non fondé, le considérant entièrement spéculatif.

 

[39]           La situation dont il était question dans cette affaire était cependant entièrement différente de celle révélée par les faits articulés dans les présentes requêtes. Dans l’affaire Sanofi, les éléments de preuve portant sur le fond de la demande avaient déjà été présentés. Sanofi et Novopharm avaient toutes les deux déposé leurs affidavits, de même que la monographie du produit, ce qui n’est pas le cas pour ce qui est des présentes requêtes. Apotex a choisi de présenter ses requêtes avant que des éléments de preuve ne soient présentés sur le fond et, comme la protonotaire l’a fait observer, elle s’est opposée à la requête présentée par Pfizer en vue d’obtenir la divulgation de renseignements additionnels. De plus, l’appel de la décision du juge Harrington interjeté par Pfizer en vue d’obtenir la divulgation de renseignements additionnels est toujours en instance. Enfin, aucune décision n’a encore été rendue au sujet des questions relatives au brevet 278 ou aux produits d’Apotex contenant de l’amlodipine ou du maléate d’amlodipine. Dans ces conditions, le fardeau imposé à Apotex est, comme on peut le comprendre, particulièrement lourd, et c’est à bon droit que la protonotaire a estimé qu’Apotex devait démontrer qu’il est impossible pour Pfizer de présenter des éléments de preuve suffisants pour obtenir gain de cause dans sa demande (voir, par analogie, Nycomed Canada Inc. et Nycomed GmbH c. Ministre de la Santé et Sandoz Canada Inc., 2008 CF 541, au paragraphe 42).

 

[40]           En conséquence, si l’on tient compte du fait que la charge de la preuve repose sur Apotex, cette dernière a-t-elle établi, selon la norme de la preuve « évidente et manifeste », que les demandes de Pfizer sont frivoles et qu’elles sont vouées à l’échec? Je vais d’abord examiner les arguments relatifs au brevet 393, pour ensuite aborder les observations se rapportant au brevet 278.

 

- Le brevet 393

[41]           Ainsi que je l’ai déjà mentionné, il n’y a pas de différend entre les parties au sujet de l’interprétation du brevet 393. La seule question à trancher est celle de savoir si les produits d’Apotex contiennent ou, à un moment quelconque du procédé de fabrication, utilisent le bésylate, et contrefont le brevet 393.

 

[42]           Dans ses avis d’allégation, Apotex affirme que ses comprimés [traduction] « ne contiendront pas le bésylate d’amlodipine et que le bésylate d’amlodipine ne sera en aucune façon utilisé dans la fabrication de ses comprimés ni dans l’amlodipine utilisé dans nos comprimés ». Elle ajoute que ses comprimés contiendront uniquement de l’amlodipine ou du maléate d’amlodipine comme ingrédient médicinal.

 

[43]           Au cours de l’instance et avant l’instruction de la requête, Apotex a volontairement communiqué à Pfizer une bonne partie des PDN qu’elle avait déposées auprès du ministre. Suivant Apotex, ces communications démontrent clairement que les comprimés à base d’amlodipine et de maléate d’amlodipine d’Apotex ne contiendront pas de bésylate d’amlodipine ou d’amlodipine R(+) (visés par le brevet 278), et ne seront pas fabriqués avec ces produits.

 

[44]           Apotex se fonde sur l’affidavit de M. Robert A. Batey, professeur de chimie à l’Université de Toronto, à l’appui de sa thèse. Après avoir examiné les documents susmentionnés, M. Batey est arrivé à la conclusion que [traduction] « rien ne permet de penser » que les comprimés d’amlodipine et de maléate d’amlodipine d’Apotex contiennent du bésylate d’amlodipine ou qu’Apotex ou ses fabricants emploient du bésylate d’amlodipine à quelque étape que ce soit de la synthèse de l’amlodipine.

 

[45]           Ainsi que je l’ai déjà mentionné, la protonotaire a estimé que les éléments de preuve étaient inadmissibles parce qu’ils constituaient du ouï-dire. Elle a conclu que les documents joints à l’affidavit de M. Batey à titre de pièce B avaient été soumis sans que l’on dispose du témoignage d’une personne qui aurait été au courant de leur nature, de la façon dont ils avaient été préparés et par qui ils l’avaient été. En fait, M. Batey ne connaissait pas ces documents; ils lui avaient été fournis par l’avocat d’Apotex. Il n’a pas été démontré que ces documents faisaient partie des PDN.

 

[46]           Apotex affirme que la protonotaire a commis une erreur de droit en faisant fi de cette procédure et en concluant que ces documents n’étaient pas admissibles. Je ne vois pas comment on pourrait interpréter le paragraphe 6(7) du Règlement de manière à dispenser la seconde personne de l’application des règles de preuve habituelles. Il n’y a rien dans cette disposition qui écarte explicitement ou implicitement la règle du ouï-dire. De plus, Apotex n’a avancé aucune raison pour expliquer pourquoi elle avait choisi de ne pas présenter la déposition de quelqu’un qui aurait été au courant des documents déposés auprès du ministre. Rien ne permet de savoir qui a fourni ces documents à l’avocat d’Apotex ni s’ils correspondent aux renseignements qui se trouvent dans le dossier soumis au ministre. Apotex affirme, dans le cadre du présent appel, que le ministre s’est assuré que les documents produits correspondaient aux renseignements versés au dossier soumis à Santé Canada, mais elle n’a offert aucune preuve pour confirmer cette affirmation. En conséquence, je suis d’accord avec la protonotaire pour dire que l’opinion de M. Batey n’est pas admissible étant donné qu’elle constitue, dans le meilleur des cas, du ouï-dire double.

 

[47]           Cette conclusion suffirait à elle seule à trancher le sort de l’appel. Mais je souscris aux conclusions subsidiaires tirées par la protonotaire et suivant lesquelles, en tout état de cause, l’opinion de M. Batey et les documents déposés comme pièce B n’auraient pas été suffisants pour permettre à la Cour d’accorder la réparation sollicitée par Apotex.

 

[48]           Pour obtenir gain de cause dans le présent appel en ce qui a trait au brevet 393, Apotex doit démontrer que la demande de Pfizer est clairement futile, en ce sens que les éléments de preuve présentés par Apotex démontrent clairement que la fabrication, l’élaboration, l’utilisation et la vente des comprimés d’Apotex ne contreferont pas le brevet 393. Il est acquis aux débats que la revendication 11 du brevet 393 revendique un composé, en l’occurrence le bésylate d’amlodipine. Apotex n’a droit à la réparation exceptionnelle qu’elle réclame que si elle réussit à démontrer qu’il est « manifeste et évident » qu’elle ne contrefera pas cette revendication. Pour ce faire, Apotex doit établir non seulement que ses comprimés ne contiendront pas de bésylate d’amlodipine, mais également qu’elle n’utilisera pas de bésylate d’amlodipine comme produit de départ ou comme substance intermédiaire au cours du processus de fabrication (Abbott Laboratories Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 56 C.P.R. (4th) 387, aux paragraphes 16 et 21 (C.A.F.); autorisation de pourvoi refusée à [2006] C.S.C.R. no 292; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 898, 61 C.P.R. (4th) 137, au paragraphe 37 (C.F.)).

 

[49]           Pfizer soutient que les documents communiqués par Apotex n’appuient pas les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex, et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, ces documents mentionneraient expressément le bésylate d’amlodipine.    

 

[50]           Je suis d’accord avec Apotex pour dire que la simple mention du bésylate d’amlodipine dans ce qui semble être les documents soumis par Apotex au soutien de ses présentations ne saurait constituer une preuve qu’il est possible que du bésylate d’amlodipine soit utilisé ou produit comme substance intermédiaire lors de la fabrication des comprimés d’Apotex. Les extraits qui ont été divulgués ne renferment aucune indication permettant de penser que les produits d’Apotex contiendront du bésylate d’amlodipine ou que celui-ci entrera dans la fabrication des comprimés.

 

[51]           La mention dans les extraits de la PDN qui sont joints aux affidavits de M. Batey d’autres procédés de fabrication et d’étapes de retraitement qui ne sont par ailleurs pas décrits dans les documents produits est davantage problématique. Ces renseignements ne sont communiqués que dans la partie confidentielle de chacune des fiches maîtresses du médicament.

 

[52]           La partie confidentielle des fiches maîtresses du médicament n’a pas été jointe aux affidavits souscrits par M. Batey. Pfizer affirme que, sans l’avoir vue, il sera impossible tant pour elle-même que pour la Cour de déterminer si du bésylate d’amlodipine est utilisé à une étape ou à une autre du procédé de fabrication des comprimés d’Apotex.

 

[53]           Apotex rétorque qu’aucun des éléments de preuve présentés à l’appui de la présente requête ne démontre qu’il existe effectivement d’autres procédés. Tout d’abord, cet argument semble contredire l’affirmation déjà citée au sujet de la partie confidentielle des fiches maîtresses du médicament pour ce qui est des autres procédés. Ensuite, Apotex ne peut s’en prendre qu’à elle-même pour ce qui est de cette insuffisance de la preuve : dans le cas d’une requête fondée sur l’alinéa 6(5)b), l’obligation à laquelle Pfizer est tenue ne consiste pas à présenter des éléments de preuve au sujet de la contrefaçon, mais simplement à démontrer qu’elle a des arguments valables à faire valoir au sujet du bien-fondé de la demande.

 

[54]           Apotex affirme en outre qu’en tout état de cause, elle doit être présumée avoir utilisé le procédé non contrefait qui existe déjà. Elle cite plusieurs décisions dans lesquelles cette présomption a été confirmée, ajoutant que, si la PDN d’un fabricant de médicaments génériques renferme des renseignements inexacts ou trompeurs, le titulaire du brevet peut toujours, en common law, exercer une action en contrefaçon de brevet ou réclamer une injonction et des dommages-intérêts punitifs une fois que le produit a été lancé sur le marché. Il ne suffirait donc pas pour Pfizer de se contenter d’évoquer la possibilité d’une contrefaçon ou de spéculer sur la façon dont la contrefaçon pourrait se produire, parce que ces arguments ne permettraient pas de trancher la demande au fond. La question que le juge saisi de la demande doit trancher est celle de savoir si le procédé qu’Apotex affirme qu’elle utilisera constituerait une contrefaçon, et non celle de savoir si d’autres procédés pourraient constituer une contrefaçon.

 

[55]           Je suis d’accord avec l’avocat de Pfizer pour dire que la jurisprudence citée par Apotex à l’appui de ses arguments ne va pas aussi loin que ce qu’Apotex prétend. Cette jurisprudence appuie tout au plus le principe que, lorsqu’elle juge la demande sur le fond, si la preuve ne porte que sur un seul procédé, la Cour refusera d’admettre les arguments du demandeur suivant lesquels le défendeur pourrait contrefaire le brevet en cause en utilisant un procédé qui n’a pas été mis en preuve, et ce, parce que ces arguments équivalent à une allégation de fraude (voir, par exemple, Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2005 CAF 270, au paragraphe 24, et SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 99, aux paragraphes 39 et 40).

 

[56]           Tel n’est pas le cas en l’espèce. Dans le cas qui nous occupe, nous disposons d’éléments de preuve portant sur de multiples procédés et sur la possibilité que l’un ou plusieurs de ces procédés de rechange puissent contrefaire le brevet 393 ou le brevet 278. Pour être en mesure d’évaluer cette possibilité, Pfizer réclame la production des documents pertinents qu’Apotex a soumis à l’appui de ses présentations mais qu’elle a refusé de produire.

 

[57]           Il se peut fort bien que Pfizer ne soit pas en mesure de démontrer le bien-fondé de sa cause lorsque sa demande sera jugée sur le fond, puisque de simples spéculations et hypothèses ne suffiront pas à cette étape. Mais, ainsi que la protonotaire Milczynski l’a fait observer, il serait prématuré, dans le cas d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement pour mettre fin à l’instance, de chercher à prévoir ce qui pourrait se produire lors de l’audience principale, d’autant plus que Pfizer n’a pas encore déposé sa preuve et que la Cour d’appel ne s’est pas encore prononcée sur l’appel interjeté par Pfizer pour obtenir d’autres extraits des PDN d’Apotex. Vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait, la protonotaire n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’était pas manifeste et évident que les demandes de Pfizer étaient vouées à l’échec.

 

- Le brevet 278

[58]           Ainsi que je l’ai déjà mentionné, les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation qu’il convient de donner au brevet 278. Il est acquis aux débats que les revendications 4 à 7 du brevet 278 se limitent à l’énantiomère R(+) de l’amlodipine. Apotex affirme toutefois que, lorsqu’on les interprète comme il se doit, les revendications 1, 2 et 3 excluent aussi la forme racémique de l’amlodipine. Pfizer est d’avis contraire.

 

[59]           La détermination du sens d’un brevet est une question de droit qui doit être tranchée par le tribunal. L’interprétation téléologique est une méthode par laquelle le tribunal examine le sens des mots employés par l’inventeur en fonction de l’ensemble du brevet et conformément à l’intention visée par l’invention (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; H.G. Fox, The Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions (4e éd.), Carswell, 1969, p. 215 à 217.

 

[60]           Les revendications 1 à 4 sont libellées comme suit :

[traduction]

Revendication 1 : « L’isomère R(+) de l’amlodipine ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables pour utilisation dans le traitement d’affections pour lesquelles l’inhibition de la migration des cellules musculaires lisses est indiquée. »

 

Revendication 2 : « Utilisation de l’isomère R(+) de l’amlodipine ou d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables pour fabriquer un médicament pour le traitement d’affections pour lesquelles l’inhibition de la migration des cellules musculaires lisses est indiquée. »

 

Revendication 3 : « Utilisation de l’isomère R(+) de l’amlodipine ou d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables dans le traitement d’affections pour lesquelles l’inhibition de la migration des cellules musculaires lisses est indiquée. »

 

Revendication 4 : « Une composition pharmaceutique pour utilisation dans le traitement d’affections pour lesquelles l’inhibition de la migration des cellules musculaires lisses est indiquée, comprenant une quantité efficace de l’isomère R(+) de l’amlodipine ou d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables et un véhicule ou un diluant pharmaceutiquement acceptable, ladite composition étant essentiellement exempte d’activité antagoniste du calcium. »

 

 

[61]           Les revendications 5 à 7 dépendent de la revendication 4. Il convient de les reproduire, car elles contiennent la même limitation que la revendication 4.

 

[62]           Apotex avance un certain nombre d’arguments à l’appui de son interprétation selon laquelle le brevet 278 exclut la forme racémique de l’amlodipine. Elle soutient en premier lieu qu’une simple lecture des revendications 1 à 3 montre qu’elles ont trait à l’énantiomère R(+) de l’amlodipine et non à la forme racémique de l’amlodipine. Puisqu’on établit une nette distinction dans tout le brevet 278 entre l’énantiomère R(+) de l’amlodipine et la forme racémique de l’amlodipine, l’inventeur aurait pu simplement écrire « amlodipine » plutôt que de prendre la peine d’écrire « l’énantiomère R(+) de l’amlodipine », si les revendications 1 à 3 avaient eu pour but d’englober le racémate.

 

[63]           En second lieu, Apotex soutient qu’une analyse contextuelle appropriée fait ressortir l’intention de l’inventeur d’exclure la forme racémique de l’amlodipine de la portée des revendications du brevet 278. Le brevet commence par poser que la forme racémique de l’amlodipine, l’énantiomère R(+) de l’amlodipine et l’énantiomère S(-) de l’amlodipine, ainsi que d’autres inhibiteurs calciques, sont des inhibiteurs connus de la migration des cellules musculaires lisses. L’invention que le brevet 278 prétend viser est la découverte du fait que [traduction] « l’isomère R(+) de l’amlodipine, même s’il ne présente pas d’activité antagoniste du calcium, est un inhibiteur puissant de la migration des cellules musculaires lisses ». La découverte décrite dans le brevet 278 a trait au fait que l’énantiomère R(+) de l’amlodipine inhibe la migration des cellules musculaires lisses, sans produire d’effets antagonistes du calcium. Par conséquent, le fait d’interpréter l’expression [traduction] « l’isomère R(+) de l’amlodipine » dans les revendications 1 à 3 comme si elle englobait la forme racémique de l’amlodipine irait directement à l’encontre de l’objet même du brevet, soutient-on, étant donné qu’un patient recevant la forme racémique de l’amlodipine souffrirait [traduction] « d’effets cardiovasculaires concomitants », effets que le brevet vise à éviter. De plus, une telle interprétation des revendications 1 à 3 équivaudrait à englober ce que le brevet lui-même considère comme une antériorité.

 

[64]           Bien qu’ils semblent séduisants à première vue, ces arguments ne permettent pas, à mon avis, à Apotex de s’acquitter du lourd fardeau qui lui incombe de démontrer que les demandes de Pfizer sont tellement futiles qu’elles n’ont pas la moindre chance d’être accueillies. En premier lieu, l’interprétation subsidiaire du brevet 278 proposée par Pfizer n’est pas farfelue au point où il est manifeste et évident qu’il faut préférer l’interprétation d’Apotex. Si l’on retient l’interprétation que Pfizer fait des revendications 1, 2 et 3, Apotex contreferait les revendications 1, 2 et 3 du brevet 278, parce que les comprimés d’Apotex contiennent, de l’aveu même d’Apotex, la forme racémique de l’amlodipine. Et même si l’on doit préférer l’interprétation de revendications en question proposée par Apotex, on ne peut affirmer avec certitude qu’Apotex ne les contreferait pas, si la Cour se fonde sur les éléments de preuve dont elle dispose à cette étape‑ci de l’instance. Je vais examiner à tour de rôle chacun de ces aspects.

 

[65]           D’entrée de jeu, on peut dire à juste titre que la Cour n’a pas encore interprété les revendications du brevet 278. Apotex soutient que Pfizer est irrecevable à soutenir que les revendications 1, 2 et 3 du brevet 278 englobent la forme racémique de l’amlodipine étant donné que la Cour a déjà jugé qu’une revendication portant sur l’énantiomère R(+) de l’amlodipine n’englobe pas la forme racémique (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 187; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2007), 59 C.P.R. (4th) 166). Mais l’application du principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige dans le contexte du Règlement exige que : a) la même question ait été décidée; b) la décision judiciaire invoquée comme créant l’irrecevabilité soit définitive; c) les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où l’irrecevabilité est soulevée (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, à la page 477, AB Hassle c. Apotex Inc. (2005), 38 C.P.R. (4th) 216, aux paragraphes 66 et 67 (C.F.), conf. par (2006), 47 C.P.R. (4th) 329 (C.A.F.); Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2003), 33 C.P.R. (4th) 193, au paragraphe 17 (C.A.F.)).

 

[66]           Je suis d’accord avec l’avocat des demanderesses pour dire que les      questions soumises à la Cour dans les deux affaires invoquées par les défendeurs sont entièrement différentes. Ces affaires portaient toutes les deux sur un brevet entièrement différent, le brevet canadien 2355493 (le brevet 493) et reposaient sur un dossier de preuve entièrement différent. Le brevet 278 n’était pas soumis à l’examen de la Cour dans ces instances antérieures et la Cour serait mal avisée de tenir compte du brevet 493 pour interpréter le brevet 278. Qui plus est, l’interprétation des brevets doit avoir lieu à la date de la publication du brevet – en l’espèce, mars 1995. La Cour suprême du Canada a bien précisé que les revendications de brevet doivent être interprétées en fonction du mémoire descriptif du brevet et non en fonction d’éléments de preuve extrinsèques. Apotex se sert du brevet 493 comme preuve extrinsèque pour interpréter les revendications du brevet 278. Cette façon de faire ne convient pas, d’autant plus que le brevet 493 a été publié sept ans après le brevet 278.

 

[67]           Les seuls éléments de preuve que l’on trouve dans les présents dossiers au sujet de la façon dont les revendications 1, 2 et 3 du brevet 278 seraient comprises par la personne versée dans l’art sont ceux de M. Roush, l’expert qui a témoigné pour le compte de Pfizer. L’expert qu’Apotex a fait entendre, M. Batey, n’a pas offert d’opinion au sujet des revendications 1,2 et 3. Ainsi qu’il l’a déclaré dans son affidavit, il n’est pas en mesure de formuler de commentaires au sujet de ces revendications étant donné qu’elles portent sur un sujet qui déborde le cadre de ses compétences.

 

[68]           Dans son affidavit, M. Roush déclare qu’une personne versée dans l’art comprendrait que la forme racémique de l’amlodipine contient l’énantiomère R(+) de l’amlodipine et a un effet antagoniste sur la migration des cellules musculaires lisses. Par conséquent, la forme racémique de l’amlodipine peut être utilisée dans le traitement d’affections pour lesquelles un inhibiteur de la migration des cellules est indiqué. Une personne versée dans l’art comprendrait également que les revendications 1, 2 et 3 du brevet 278 englobent la forme racémique de l’amlodipine, du fait que cette dernière contient une certaine quantité de l’énantiomère R(+) capable d’inhiber la migration des cellules musculaires lisses. Selon M. Roush, rien dans ces revendications n’exclut la présence de l’énantiomère S(-) ni d’aucun autre agent thérapeutique.

 

[69]           À cet égard, la présence de termes limitatifs dans les revendications 4 à 7 (c.‑à‑d. nécessitant un énantiomère R(+) de l’amlodipine pur sur le plan optique) appuie également une interprétation souple des revendications 1, 2 et 3, qui ne contiennent pas une telle limitation. Le fait que le breveté n’impose pas cette limitation dans les revendications 1, 2 et 3 indique que la forme racémique de l’amlodipine permettrait d’obtenir le résultat souhaité (c.‑à‑d. contient une quantité suffisante de l’énantiomère R(+) pour inhiber la migration des cellules musculaires lisses).

 

[70]           J’admets qu’aussi utile qu’elle puisse être lorsqu’il s’agit d’interpréter un brevet, l’opinion d’un expert ne dispense pas la Cour de la tâche qui lui incombe en fin de compte. L’interprétation du brevet est une question de droit et c’est à la Cour qu’il revient d’interpréter les revendications du brevet. Ainsi que la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt de principe Whirlpool Corp. c. Camco Inc., précité, au paragraphe 57, « […] le rôle [de l’expert] consist[e] non pas à interpréter les revendications du brevet, mais à faire en sorte que le juge de première instance soit en mesure de le faire de façon éclairée ».

 

[71]           Je tiens également compte des arguments opposés avancés par l’avocat du défendeur, selon lesquels M. Roush a commis des erreurs à plusieurs égards. Ainsi, il a été allégué que M. Roush avait mal compris l’idée originale du brevet 278, qu’il a utilisé à mauvais escient la monographie de produit de Norvasc pour interpréter les revendications du brevet 278 , et qu’il a ignoré le fait que les revendications 1 à 3 se rapportent à un composé (l’énantiomère R(+) de l’amlodipine), tandis que la revendication 4 a trait à une composition qui contient, entre autres, l’énantiomère R(+) de l’amlodipine.

 

[72]           Ces opinions et arguments contradictoires au sujet de la bonne interprétation du brevet 278 constituent des éléments de preuve qui démontrent clairement que la question est loin d’être réglée de façon certaine et qu’il est préférable de laisser au juge qui statuera sur la demande de Pfizer le soin de la trancher. Il serait tout à fait inopportun de la part de notre Cour de se prononcer de façon définitive et pour la première fois sur l’interprétation qu’il convient de donner à un brevet dans le cas d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement. Indépendamment des opinions qui peuvent être exprimées au sujet de la solidité des arguments présentés par les deux parties, je ne suis pas convaincu que la présente affaire ne devrait pas se poursuivre et être instruite sur le fond.

 

[73]           Quoi qu’il en soit, Apotex pourrait contrefaire le brevet 278 en fonction de l’une ou l’autre interprétation de ce brevet. Si l’on retient l’interprétation des revendications 1 à 3 donnée par Pfizer, Apotex contreferait les revendications 1 à 3 du brevet 278 parce que les comprimés d’Apotex contiennent, de l’aveu d’Apotex, la forme racémique de l’amlodipine. Mais même si l’on retient l’interprétation de ces revendications donnée par Apotex, cette dernière pourrait tout de même contrefaire ces revendications, en raison du fait que les comprimés d’Apotex contiendraient l’énantiomère R(+) de l’amlodipine en excédent.

 

[74]           Apotex se fonde sur la pièce « B » de chacun des affidavits de M. Batey, documents qui seraient des copies de certaines parties des observations qu’elle a présentées au ministre, pour montrer que les comprimés d’Apotex ne contiendront pas l’énantiomère R(+). Pour les motifs déjà exposés ci‑dessus relativement au brevet 393, ces documents sont, au mieux, du double ouï‑dire. Apotex s’appuie clairement sur ces documents comme faisant foi de leur contenu. Toutefois, pour des raisons qui lui appartiennent, Apotex a choisi de ne pas présenter d’éléments de preuve de personnes qui seraient au courant de ces observations. M. Batey n’est pas au courant de ces observations, ces documents lui ayant été remis par l’avocat d’Apotex. Aucune preuve n’indique qui a fourni ces documents à l’avocat d’Apotex ni que ces documents correspondent aux renseignements versés au dossier du ministre.

 

[75]           En outre, les documents joints aux affidavits de M. Batey relativement à la présentation d’Apotex sur la base libre d’amlodipine (T-876-08) font ressortir la présence d’une certaine impureté produite pendant le procédé de fabrication d’Apotex. M. Roush est d’avis qu’un tel énantiomère ne peut être obtenu que si le produit de départ n’est pas racémique. Ce raisonnement l’incite à penser que le médicament contenu dans les comprimés d’Apotex pourrait contenir un mélange inégal d’énantiomères.

 

[76]           En réponse, Apotex avance que l’impureté est forcément racémique parce qu’elle est le sous‑produit d’un procédé de synthèse qui n’utilise que des matières racémiques dans la préparation de l’amlodipine. Apotex prétend également que certaines propriétés physiques des comprimés d’Apotex, comme la rotation optique, concordent avec la conclusion selon laquelle l’impureté est racémique.

 

[77]           Comme on pouvait s’y attendre, Pfizer conteste énergiquement ces arguments. Je suis d’accord avec l’avocat de Pfizer pour dire que bon nombre de ces arguments, qui ont été avancés par le biais de l’affidavit souscrit par M. Golberg, scientifique principal de la Division des opérations d’analyse d’Apotex, constituent du ouï-dire. Il est également vrai que M. Goldberg n’a pas soumis d’éléments d’information ou de documents pour étayer son affirmation que le fournisseur d’Apotex n’utilise que des matières racémiques dans la préparation de l’amlodipine par procédé de synthèse. Mais il n’est pas nécessaire, à cette étape‑ci, d’évaluer plus en profondeur ces divers arguments, étant donné qu’ils reposent essentiellement sur des spéculations (en ce qui concerne Pfizer), sur des preuves par ouï-dire et sur un dossier incomplet (dans le cas d’Apotex), ce qui est loin d’être suffisant pour convaincre la Cour que la demande de Pfizer est frivole et qu’elle constitue un abus de procédure. J’estime par ailleurs que je manquerais à mes devoirs si je devais conclure, en me fondant sur les éléments de preuve dont je dispose, qu’Apotex s’est acquittée du lourd fardeau que lui impose le paragraphe 6(5) du Règlement. Je suis d’accord avec la protonotaire pour dire que, dans ces conditions, il est de loin préférable de laisser trancher ces questions par le juge qui statuera sur la demande de Pfizer et qui disposera d’un dossier de preuve plus complet. Non seulement la Cour d’appel n’a-t-elle pas encore jugé la requête par laquelle Pfizer réclame la communication de toute la section des PDN d’Apotex portant sur les produits chimiques et la fabrication, mais Pfizer n’a pas non plus présenté ses éléments de preuve sur le fond. En conséquence, la Cour n’est pas en mesure de mettre fin à la demande de Pfizer; vu le dossier qui m’a été soumis, il est impossible de conclure que Pfizer n’a pas à tout le moins une cause défendable.

 

[78]           Tout comme elle l’a fait devant la protonotaire, Pfizer a également invoqué un certain nombre d’autres arguments pour contester la requête déposée par Apotex en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement. Elle soutient notamment que les avis d’allégation sont entachés de nullité parce qu’Apotex n’a pas formulé d’allégation lorsqu’elle a signifié ses avis d’allégation. Elle fait également valoir que, même si Apotex a le droit de formuler une allégation, elle ne l’a pas fait avant de signifier à Pfizer des lettres censées être des avis d’allégation portant sur le brevet 278. Pfizer allègue par ailleurs qu’Apotex est irrecevable à affirmer qu’il est évident et manifeste que Pfizer n’a aucune chance d’obtenir gain de cause étant donné qu’elle n’a pas contesté le bien-fondé des requêtes présentées par Pfizer en vue de faire modifier ses avis de demande.

 

[79]           La protonotaire a refusé de statuer sur ces questions, estimant qu’il était préférable de laisser au juge du fond le soin de le faire. Je suis du même avis. Étant donné que j’ai conclu qu’Apotex n’a pas réussi à démontrer que les demandes de Pfizer sont frivoles et qu’elles constituent un abus de procédure, il est sans intérêt de discuter à cette étape-ci des arguments de Pfizer qui ont davantage trait à la procédure et dont certains sont nouveaux et n’ont pas encore été tranchés péremptoirement. Il est préférable de laisser au juge qui statuera sur le fond des demandes présentées par Pfizer le soin d’examiner ces questions, comme les autres dont il a été question précédemment.

 

[80]           Pour tous les motifs qui ont été exposés, le présent appel est rejeté et les dépens sont adjugés à Pfizer.


ORDONNANCE

 

LA COUR REJETTE le présent appel et adjuge les dépens à Pfizer.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                             T-876-08

                                                                  T-886-08

 

INTITULÉ :                                              PFIZER CANADA INC., PFIZER LIMITED et PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS c. APOTEX INC. et MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                      Le 9 avril 2009

 

VERSION PUBLIQUE DES

MOTIFS CONFIDENTIELS

DE L’ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                   LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 26 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Peter R. Wilcox

Damien McCotter

 

POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Brodkin

Richard Naiberg

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE Apotex

 

POUR LE DÉFENDEUR

le ministre de la Santé

 

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