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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 

Date : 20090615

Dossier : IMM-4963-08

Référence : 2009 CF 636

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 JUIN 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

ARJUNE RAMSAWAK

RAMRATTIE RAMSAWAK

DEEVIN RANDY RAMSAWAK

ANNALISA NIRMALA RAMSAWAK

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs sont citoyens du Guyana. Le demandeur principal soutient qu’il a été victime de menaces, de violence et de la destruction de sa propriété en raison de son ascendance indo-guyanienne et de ses idées politiques. Les demandeurs soutiennent que leur seconde demande fondée sur des motifs humanitaires a erronément été rejetée et ils contestent cette décision en se fondant sur quatre motifs différents.

 

[2]               Après un examen attentif du dossier et des observations orales et écrites des parties, la Cour conclut que la présente demande doit être accueillie pour les motifs suivants.

 

CONTEXTE

[3]                Monsieur Arjune Ramsawak, le demandeur principal, est arrivé au Canada le 29 mars 2001 muni d’un visa de visiteur valide. Le 6 avril, soit quelques jours plus tard, il a été rejoint par sa conjointe et ses trois enfants.

 

[4]               Le demandeur principal appartient à la minorité indo-guyanienne. Il a également entretenu des liens avec le People’s Progressive Party (“PPP”), dans un pays qu’il dit [traduction] « divisé de façon radicale » où les partis politiques perpétuent la polarisation des deux principaux groupes ethniques, soit les indo et les afro-guyaniens.

 

[5]               Le 19 juin 2001, les demandeurs ont déposé une demande d’asile fondée sur le fait qu’ils craignent pour leur sécurité dans leur pays. Une audience devant la Section de la protection des réfugiés a été tenue le 20 mars 2003 et une décision négative a été prononcée

le 11 avril 2003.

 

[6]               Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été présentée au ministre en vertu du  par. 25(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés,

L.C. 2001, ch. 27 (la  LIPR ), au mois de juin 2003; elle a été rejetée le 18 janvier 2005. En février 2006, le fils aîné du demandeur principal a épousé une citoyenne canadienne. Il est devenu citoyen canadien le 30 juillet 2007 et il a, depuis lors, soumis une demande de parrainage pour le compte de ses frères et sœurs et de ses parents.

 

[7]               Une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été reçue par Citoyenneté et Immigration Canada le 1er octobre 2007. Cette demande ne visait que les parents et deux autres enfants plus jeunes, alors respectivement âgés de 18 et 21 ans. Le 8 avril 2008, les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (« ERAR »).

 

[8]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui a été examinée par l’agent conjointement avec la demande d’ERAR.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               Après avoir exposé les conditions pour permettre à l’auteur d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire d’avoir gain de cause, l’agent a premièrement conclu que l’examen de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur principal était superflu, étant donné qu’ils étaient tous les deux âgés de plus de 18 ans à la date de la demande.

 

[10]           L’agent a alors examiné les allégations de risque personnalisé, soulignant que les risques auxquels sont exposés les demandeurs à charge au retour dans leur pays d’origine sont ceux du demandeur principal. Ces risques englobaient celui d’agression sexuelle sur la personne de sa fille en raison de son appartenance ethnique. Les éléments de preuve présentés par les demandeurs ont par la suite été analysés par l’agent, y compris la note d’un médecin décrivant des blessures subies par le demandeur principal au Guyana ainsi qu’une lettre attestant qu’il était membre du PPP. Malgré la preuve soumise, l’agent a conclu qu’aucune source objective n’appuyait la conclusion selon laquelle le fait d’être membre du PPP représentait un risque élevé de persécution ou de violence.

 

[11]           L’agent a reconnu l’existence de tensions raciales au Guyana, quoique cette situation ne soit pas reconnue par les autorités gouvernementales. De plus, celles-ci déployaient des efforts pour réduire la discrimination et le désordre social. On reconnaissait également que la violence à l’égard des femmes continuait d’être un problème au Guyana. Néanmoins, les conclusions de l’agent sont les suivantes :

[traduction]

[…] Je conclus que les demandeurs ne m’ont pas convaincu qu’ils sont personnellement la cible de violence ou de persécution, ou qu’ils y sont personnellement exposés. Je conclus que les problèmes évoqués sont de nature générale et les demandeurs ne m’ont pas convaincu que ces problèmes les concernent spécifiquement. De plus, ils ne m’ont pas convaincu qu’ils ne peuvent jouir d’aucune protection dans leur pays d’origine. Certes, la situation en matière des droits de la personne n’est pas idéale au Guyana, mais je ne suis pas convaincu que les demandeurs risquent personnellement d’être persécutés.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[12]           Les demandeurs ont soulevé trois questions dans leurs observations orales et écrites :

a.       L’agent a-t-il commis une erreur de droit en refusant de ne pas tenir compte de

l’« intérêt supérieur de l’enfant » au motif que les enfants du demandeur principal étaient âgés de plus de 18 ans à la date de la décision?

b.      L’agent a-t-il commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, soit en considérant les risques personnalisés plutôt que les difficultés? 

c.       Les motifs sont-ils insuffisants en ce qu’ils n’exposent pas le fondement de la décision?

 

 

 

ANALYSE

[13]           La nature juridique des deux premières questions soulevées par les demandeurs ne fait aucun doute. La première relève de l’interprétation qu’il convient de donner au terme « enfant » dans le cadre de l’analyse requise par la Cour suprême du Canada lorsqu’il s’agit d’évaluer

l’« intérêt supérieur de l’enfant ». La deuxième porte sur le critère qu’il convient d’appliquer à une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Ces questions juridiques sont cependant intimement liées au contexte factuel à l’intérieur duquel elles ont été soulevées; elles portent, en outre, sur l’interprétation même des dispositions habilitant les agents à rendre leurs décisions et on doit tenir pour acquis que les agents possèdent une connaissance approfondie de la LIPR du fait qu’ils l’appliquent dans le cadre normal de leurs fonctions. Pour ces motifs, j’estime que la norme de contrôle applicable quant à l’examen des deux premières questions devrait être celle de la « décision raisonnable ».

 

            - L’intérêt supérieur de l’enfant

[14]           Les demandeurs soutiennent que les enfants du demandeur principal étaient âgés de plus de 18 ans à la date de la décision, mais l’agent avait néanmoins l’obligation de prendre en compte leur intérêt supérieur. Les demandeurs soulignent que les plus jeunes d’entre eux,  âgés de plus de 18 ans, demeuraient dépendants de leurs parents au sens de la définition d’« enfant à charge » prévue à l’art. 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[15]           Le défendeur conteste vigoureusement cet argument en soulignant que Deevin Randy et Annalisa Nirmala étaient adultes, et non mineurs, à la date de la deuxième décision prises à l’égard des motifs d’ordre humanitaire. En conséquence, ils n’étaient pas des « enfants » au sens que la Cour suprême a donné à la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant » dans l’analyse de l’arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817 et celui du droit international. Selon le défendeur, les demandeurs considèrent à tort comme identiques la définition d’« enfant à charge » figurant dans le Règlement et celle d’« enfant ». Le défendeur fait valoir que des personnes seront considérées comme des enfants si elles sont mineures, âgées de moins de 18 ans. En effet, la Convention relative aux droits de l'enfant de l’Organisation des Nations Unies, dont les valeurs devraient « être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire » (Baker, au par. 70), prévoit ce qui suit en son Article premier :

Au sens de la présente Convention, un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.

[16]           Selon le défendeur, même si Deevin Randy et Annalisa Nirmala ne pouvaient être considérés comme des enfants en vertu du droit canadien ou du droit international, cela n’aurait aucune incidence sur leur statut de « dépendants » en ce qui a trait à leur inclusion dans la demande de leur père. La définition d’« enfant à charge » qui se trouve dans le Règlement prévoit qu’un enfant peut être considéré comme dépendant s’il est âgé de moins de 22 ans, et s’il n’est ni un époux ni un conjoint de fait. Le Règlement prévoit en outre qu’une personne âgée de plus de 22 ans peut répondre à la définition d’« enfant à charge » si elle n’a pas cessé d’être inscrite à des études à temps plein jusqu’à ce la décision portant sur la demande de résidence permanente soit rendue. Bien que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des parents puisse inclure leurs enfants adultes qui, par ailleurs, répondent aux conditions d’enfants « dépendants », cela ne transforme pas pour autant un « adulte » en « enfant », au point qu’il devienne nécessaire de procéder à une évaluation de l’« intérêt supérieur de l’enfant ».

 

[17]           Tous les arguments présentés par le défendeur ont récemment été examinés par mon collègue le juge Mandamin dans l’affaire Yoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 343. Soulignant que le juge Gibson avait déjà conclu, dans Naredo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1250, au droit pour les enfants d’âge adulte de bénéficier de l’analyse de l’« intérêt supérieur de l’enfant », le    juge Mandamin s’est senti tenu d’appliquer le même raisonnement, par courtoisie judiciaire. Par souci d’exhaustivité, j’ajouterais également que le juge MacKay a appliqué la décision Naredo dans Swartz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 268, [2002] A.C.F. no 340.

 

[18]           Malgré mes réserves à l’égard de ces décisions, j’estime qu’il serait mal venu de rendre le droit incertain. À l’exception d’une décision contraire invoquée par le défendeur, laquelle avait elle-même été rendue dans le cadre d'une requête visant l'obtention d'un sursis à une mesure de renvoi (Hunte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3538-03), la jurisprudence ne semble pas contradictoire sur cette question. On ne saurait affirmer non plus que les dispositions législatives pertinentes ou la jurisprudence ayant force obligatoire ont été négligé par l’agent qui a tiré la conclusion. Je suis donc disposé à admettre que le simple fait qu’un « enfant » soit âgé de plus de 18 ans ne devrait pas automatiquement dispenser un agent de prendre en compte son « intérêt supérieur », selon la ligne de conduite proposée dans Baker.

 

[19]           Ceci étant dit, l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants doit prendre en compte les faits pertinents dans chacun des cas. Ainsi, l’intérêt supérieur d’un enfant âgée de deux ans, par exemple, ne sera certainement pas identique à celui d’un jeune adulte de 21 ans. À titre d’exemple, la lecture de la décision de la juge L’Heureux-Dubé dans Baker montre clairement qu’elle avait à l’esprit l’intérêt des enfants (voir, par exemple, les par. 71 et 73, où elle renvoie à la Convention relative aux droits des enfants de l’ONU ainsi qu’à l’importance et  à l’attention qu’il convient de porter aux enfants et à l’« enfance »).

 

[20]           De façon similaire, s’il faillait tenir compte des difficultés qu’une décision défavorable imposerait aux enfants de l’auteur d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’autonomie de ces enfants, ou à l’inverse, leur état de dépendance à l’égard de leurs parents, doit constituer un facteur pertinent. À cet égard, il est intéressant de souligner la conclusion du juge MacKay selon laquelle l’enfant de 19 ans du demandeur était encore un « enfant » pour les besoins de l’analyse fondée sur l’arrêt Baker, parce qu’il était toujours dépendant et qu’il n’était pas autorisé à travailler ou à continuer ses études au Canada. De même, le juge Mandamin a estimé que les fils du demandeur avait droit à une analyse fondée sur l’intérêt supérieur en raison du fait qu’ils étaient financièrement dépendants de leur père car ils poursuivaient leurs études.

 

[21]           En l’espèce, à la date de la demande, les deux jeunes demandeurs occupaient des emplois réguliers ou à temps plein. Selon le dossier du demandeur, ils avaient tous deux obtenu leur diplôme d’études secondaires et avaient un emploi permanent. Il est évident qu’ils ne vivaient pas une relation de dépendance parentale identique à celle des enfants visés dans les affaires précédentes.

 

[22]           Mais il y a plus. L’agent n’a pas du tout été négligeant : il a bien au contraire tenu compte des observations relatives aux deux jeunes enfants du demandeur. En dépit du fait que l’agent a déclaré que Deevin Randy et Annalisa Nirmala [traduction] « ne feraient pas l’objet d’une évaluation fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant » en raison de leur âge, il a néanmoins examiné leurs circonstances dans le cadre de l’analyse des questions relatives à l’établissement et aux difficultés. Sous la rubrique [traduction] « Relations sociales au Canada », l’agent de l’ERAR a écrit ce qui suit :

[traduction]

Deevin Randy et Annalisa Nirmala ont terminé leurs études au Canada, qu’ils avaient commencées dans leur pays d’origine. Les deux jeunes demandeurs sont de jeunes adultes et, avec leur niveau de scolarité, ils pourraient se trouver du travail dans leur propre pays d’origine, comme ils l’ont fait au Canada. Rien n’indique au dossier qu’ils ne pourraient surmonter l’obstacle de la langue, ou d’autres obstacles majeurs, d’une manière qui les empêcherait de se trouver un emploi dans leur pays d’origine. Malgré les quelques années cruciales de leur développement passées au Canada, je ne crois pas que les relations sociales créées les exposeraient à des difficultés excessives à leur retour dans leur pays d’origine.

 

[23]           Il ne me semble pas que l’on puisse dire de cette analyse qu’elle ne tient pas compte de  l’intérêt supérieur des enfants. Naturellement, elle n’est pas exprimée de la même manière qu’elle aurait été si les enfants avaient été encore dépendants de leurs parents, peu importe leur âge. En raison du fait qu’ils sont maintenant autonomes, les effets d’une décision défavorable portant sur des motifs d’ordre humanitaire ne sont pas évalués indirectement pour ce qui est des conséquences à leur égard du retour possible de leurs parents au Guyana; de façon plus appropriée, l’agent tente de voir les chances qui pourraient s’offrir à eux, en se plaçant de leur propre perspective, pour établir les probabilités de réintégration ou d’emploi à leur retour dans leur pays d’origine. Cette démarche ne me semble pas incompatible ou contraire à l’analyse de  l’intérêt supérieur de l’enfant fondée sur l’arrêt Baker; il s’agit plutôt d’une façon plus appropriée d’être « réceptif, attentif ou sensible » à leurs besoins et intérêts compte tenu de leur situation propre. En conséquence, je suis d’avis que l’agent n’a pas omis de prendre en compte et d’apprécier les facteurs pertinents aux deux plus jeunes demandeurs, en dépit du fait qu’il n’a pas entrepris d’analyse distincte sous une rubrique intitulée « intérêt supérieur des enfants ».

 

- L’évaluation des risques

[24]           Les demandeurs font valoir que l’agent a confondu l’évaluation des risques qu’il a réalisée dans le cadre de sa décision portant sur les motifs d'ordre humanitaire et celle réalisée dans le cadre de sa décision d’ERAR, et qu’il n’a pas tenu compte du critère approprié des [difficultés] « inhabituelles, injustifiées ou excessives » dans sa décision à l’égard des motifs d’ordre humanitaire. Selon les demandeurs, le risque général relevé par l’agent engendrerait sans aucun doute des difficultés.

[25]           Quant au défendeur, il soutient que l’agent a commencé son analyse en déclarant textuellement que dans le cadre d’[traduction] « [...] une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire, l’évaluation des risques que présentent les demandeurs doit se faire en fonction de l’ampleur de leurs difficultés ». Le défendeur fait également valoir que le simple emploi par l’agent de termes comme « risques personnalisés » ne porte pas un coup fatal à la décision et que celle-ci ne devrait pas être examinée à la loupe.

 

[26]           La Cour a souligné dans plusieurs arrêts l’importance d’évaluer une demande fondée sur des motifs humanitaires en fonction des « difficultés », par opposition au « risque » apprécié dans le cadre d’un ERAR : voir, par exemple, Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 460; Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356; Sha’er c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 231; Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296; Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404.

 

[27]           Le simple fait pour l’agent de mentionner le critère approprié au début de ses motifs ne signifie évidemment pas qu’il a correctement apprécié la preuve. En venir à la conclusion contraire équivaudrait à privilégier la forme par rapport au fond. Naturellement, il n’y a rien à redire de l’agent qui s’appuie sur le même ensemble de conclusions factuelles pour apprécier une demande fondée sur des considérations humanitaires et une demande d’ERAR, à condition qu’il applique aux faits en question le critère approprié à chaque demande. C’est exactement sur ce point que l’agent a erré : il semble avoir reproduit les conclusions de sa décision relative à l’ERAR rendue le même jour.

[28]           Je le répète, les risques personnalisés ne constituent pas des éléments non pertinents dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; dans un tel contexte, l’agent est cependant tenu d’examiner, au-delà des risques et à supposer qu’ils existent, les autres éléments de difficulté. En l’espèce, l’agent ne fait absolument aucune référence aux difficultés. En effet, la section en elle-même porte le titre de [traduction] « Allégations de risques personnalisés ». L’agent a convenu que le dossier contenait des éléments de preuve concernant des tensions raciales et des « problèmes » liés aux crimes et à la violence dont sont victimes les femmes au Guyana. L’agent n’a cependant pas été convaincu que les demandeurs étaient [traduction] « personnellement visés par des risques de violence ou de persécution, ou y étaient exposés », étant donné que les problèmes en cause « sont de nature générale ». Pourtant,  il n’a nulle part évalué les raisons pour lesquelles les demandeurs ne rencontreraient pas de difficulté du fait de cette situation, même si elle était de nature générale.

 

[29]           Après avoir déterminé que les demandeurs n’étaient pas personnellement visés par des risques de violence ou de persécution, ou n’y étaient pas exposés, l’agent a conclu ce qui suit :  

[traduction]

En conséquence, je ne peux conclure que les éléments de preuve présentés par les demandeurs étayent de quelque façon les allégations selon lesquelles les demandeurs sont confrontés à un risque personnalisé qui, s’ils étaient de retour dans leur pays d’origine, leur causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives pour présenter une demande de résidence permanente à l’étranger. Cet élément m’apparaît donc très peu crédible.

 

[30]           La Cour ne saisit pas tout à fait le sens de ce qui précède. Cet extrait peut toutefois être interprété comme si le risque personnalisé constitue une condition préalable à la conclusion de difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive. À tout le moins, cet extrait est révélateur d’une certaine confusion existant entre les notions de risque et de difficulté, et il est loin de répondre à l’analyse qui s’impose dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Pour ce motif, je dois conclure que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. New Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au par. 47).

 

- Le caractère suffisant des motifs

[31]           Ayant statué en faveur des demandeurs à l’égard du deuxième argument, il n’est pas nécessaire que la Cour se penche sur les autres arguments. Toutefois, dans la mesure où les présents motifs pourraient aider l’agent à qui incombera la tâche d’évaluer à nouveau la présente demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, j’ajouterai les observations suivantes.   

 

[32]           Les demandeurs ont prétendu que l’agent aurait commis des « erreurs cruciales »  lors de l’examen de leur degré d’établissement au Canada en ne prenant pas en compte le fait qu’ils avaient acheté une résidence et en concluant à tort qu’ils avaient encore de la famille au Guyana (alors, qu’en réalité, ces proches avaient depuis lors quitté le pays). Je conviens avec le défendeur que ces conclusions ne portaient pas à conséquence. Premièrement, l’agent a reconnu que les demandeurs avaient « acquis » leur propre appartement. Deuxièmement, même si l’agent a commis une erreur en déclarant que les demandeurs avaient de la famille au Guyana, cette erreur ne s’est pas révélée un facteur déterminant dans la décision.

[33]           Quant au caractère suffisant des motifs, l’agent a clairement exprimé dans ses motifs le fondement du rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : la preuve ne permettait pas d'établir l'existence d'un risque personnalisé et le degré d’établissement n’était pas suffisamment étayé pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR. Bien que l’argument vise l’absence de motifs expliquant pourquoi les demandeurs ne seraient pas confrontés à des difficultés excessives s’ils étaient forcés de retourner au Guyana, il a déjà été analysé sous la rubrique « évaluation des risques » et il présente donc un caractère redondant. Autrement, je suis d’accord avec l’affirmation du défendeur selon laquelle  les notes de l’agent sont assez claires, précises et intelligibles pour permettre aux demandeurs de comprendre les motifs du rejet de leur demande.

 

[34]           Pour tous les motifs évoqués précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Les avocats n’ont proposé aucune question à des fins de certification, et je conviens qu’aucune n’a été soulevée dans le présent dossier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de l’agent du 26 septembre 2008 soit annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme   

 

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4963-08

 

INTITULÉ :                                       ARJUNE RAMSAWAK et al. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 mai 2009 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge de Montigny

 

DATE :                                               Le 15 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

POUR LES DEMANDEURS

ARJUNE RAMSAWAK et al.

 

Suranjana Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)   M4P 1L3

Téléc. : 416-489-9618

POUR LES DEMANDEURS

ARJUNE RAMSAWAK et al.

 

 

 

 

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

La Tour Exchange

130, rue King Ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Ottawa (Ontario)   M5X 1K6

416-954-8982

P0UR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’ IMMIGRATION

 

 

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