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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 


Date :  20090720

Dossier :  T-1044-08

Référence :  2009 CF 735

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny 

 

ENTRE :

ALAIN BOISVERT

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur, Monsieur Alain Boisvert, sollicite de cette Cour le contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 mai 2008 par le Tribunal des Anciens Combattants (révision et appel) (le « Tribunal »), lequel a conclu que l’arthrose cervicale dont il souffre ne lui donne pas droit à une pension au terme du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, L.R. 1985, ch. P-6 (la Loi ou la Loi sur les pensions).

 

[2]               Ce faisant, le Tribunal confirmait une décision antérieure du Comité de révision rendue le 5 août 2005, à l’effet que cette affection n’était ni consécutive, ni directement rattachée au service militaire en temps de paix dans les Forces régulières.

 

[3]               D’autre part, cette décision maintenait à son tour la décision rendue par le Ministère des Anciens Combattants (le « Ministère ») le 27 juillet 2004, rejetant la demande de pension de M. Boisvert fondée notamment sur l’arthrose cervicale.  Fait à souligner, la demande initiale de pension déposée auprès du Ministère le 14 juillet 2003 n’était pas fondée uniquement sur l’arthrose cervicale, mais s’appuyait également sur le syndrome d’accrochage de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche et sur un kyste muco-synovial au poignet droit.  Les deux demandes basées sur ces deux dernières affections ont également été rejetées par le Ministère, et les demandes de révision concernant ces deux volets ont été retirées devant le Comité de révision.  Par conséquent, seule la demande de pension reliée à l’affection de l’arthrose cervicale a été considérée par le Tribunal, tant en révision qu’en appel.

 

LES FAITS

 

[4]               M. Boisvert est entré au service des Forces régulières de l’Armée canadienne (Forces Armées) en temps de paix le 12 septembre 1986.  Mis à part un court séjour en Syrie du 3 septembre 1991 au 5 mars 1992, où il était en zone de service spécial, le demandeur a toujours œuvré en territoire canadien.  Il a occupé la fonction de technicien en approvisionnement.

 

[5]               Dans sa demande de pension au Ministère, le demandeur a relié ses problèmes de santé au choc à la tête qu’il a subi en se frappant sur le rebord de sa voiture alors qu’il voulait prendre son uniforme de parade sur la banquette arrière.  Il a par ailleurs soutenu que le travail auquel il était affecté de 1996 à 1999 l’obligeait à se pencher de façon répétée en accomplissant les mêmes gestes. 

 

[6]               Dans sa décision du 27 juillet 2004, le Ministère a jugé que les éléments de preuve médicaux soumis par M. Boisvert étaient insuffisants pour démontrer que le fait de s’être frappé sur le cadre de sa voiture pouvait avoir contribué au développement de l’affection alléguée.  Quant à la chute qu’aurait faite le demandeur dans l’escalier de sa résidence alors qu’il se rendait au travail, en février 1997, le Ministère a conclu qu’elle pouvait être plus significative mais qu’aucune indication ne permettait de la relier à ses fonctions militaires.  Le Ministère a de plus déterminé qu’il n’y avait aucune indication à l’effet que les microtraumatismes associés au travail de technicien en approvisionnement pouvaient avoir contribué au développement de son arthrose cervicale.  Par conséquent, le Ministère en est arrivé à la conclusion que l’affection de M. Boisvert n’était pas rattachée directement et n’avait pas été aggravée par le service dans les Forces régulières.

 

[7]               Le 17 août 2004, M. Boisvert a déposé une demande de révision auprès du Tribunal à l’encontre de la décision du Ministère rendue le 27 juillet 2004.  À l’appui de sa demande, M. Boisvert a soumis de la preuve additionnelle, soit une déclaration relatant les divers événements qui avaient pu, selon lui, contribuer à ses problèmes médicaux, une courte lettre d’un médecin militaire attestant des nombreuses blessures qu’a subies M. Boisvert dans le cadre de son emploi et concluant que toutes ces lésions « ont pu causer son problème de cervicalgie chronique », ainsi que des extraits de son dossier médical et personnel.  M. Boisvert a également témoigné lors de l’audition devant le Tribunal.

 

[8]               Le Comité de révision du Tribunal s’est prononcé sur cette demande le 5 août 2005, et a confirmé la décision du Ministère à l’effet que l’arthrose cervicale, dont se plaint M. Boisvert, n’est ni consécutive ni directement rattachée au service en temps de paix dans les Forces régulières.  Le Comité a d’abord noté qu’aucune plainte n’avait été enregistrée par le demandeur pour une blessure ou un traumatisme au cou alors qu’il était dans l’exercice de ses fonctions.  Puis, on a constaté le laconisme de la preuve médicale produite et l’absence de lien entre les événements mentionnés et l’affection en cause.  Pour ces raisons, le Comité a conclu qu’à défaut de preuve tendant à établir soit des microtraumatismes ou des mouvements répétitifs ayant pu influencer l’état de son cou, le Comité ne pouvait accorder une pension à M. Boisvert pour l’affection réclamée.

 

[9]               Le 15 novembre 2007, M. Boisvert a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal.  Dans les représentations écrites et orales qu’a présentées en son nom l’avocat du Bureau des services juridiques des pensions, on a de nouveau fait valoir en s’appuyant sur la preuve au dossier que les problèmes cervicaux de M. Boisvert avaient débuté bien avant 1996 et que son service militaire était à l’origine de son affection. 

 

[10]           On a également introduit plusieurs nouveaux éléments de preuve que l’on peut brièvement résumer comme suit.  D’abord, une lettre de son ostéopathe qui, s’appuyant sur ce que M. Boisvert lui avait relaté (elle ne le traite que depuis juin 2005) ainsi que sur ses observations, conclut qu’il serait « très fortement probable que les tâches effectuées par Monsieur Boisvert aient pu affecter sa condition physique et donc participer à la détérioration de son état, ainsi qu’aux douleurs résiduelles en découlant ».

 

[11]           Puis, une lettre d’un physiatre qui, sur la base de son propre examen ainsi que du dossier médical de M. Boisvert et de ses déclarations, pose un diagnostic de discarthrose cervicale symptomatique « probablement provoquée par des activités physiques intenses notamment la pratique du hockey contact surtout qu’elle est survenue entre 1986 et 1991, c’est-à-dire il y a plus de 12 ans.  Les activités professionnelles peuvent avoir complétées l’aggravation de son tableau clinique actuel ».

 

[12]           On a également déposé une lettre de l’entraîneur de l’équipe de hockey pour laquelle M. Boisvert a joué de 1986 à 1991, témoignant de l’extrême violence et de la très grande compétitivité qui caractérisaient ce sport dans l’armée, ainsi que des nombreuses blessures subies par M. Boisvert.

 

[13]           Enfin, deux lettres d’un médecin orthopédiste sont venues compléter la preuve. Une première, en date du 23 janvier 2008, fait état de l’expertise médicale de M. Boisvert à la demande de son avocat pour déterminer si son problème cervical était relié à son service dans les Forces Armées.  S’appuyant lui aussi sur son propre examen physique de M. Boisvert ainsi que sur son dossier médical et son récit des événements, il émet l’opinion que le demandeur présente un degré de discarthrose cervicale bien au-delà de ce à quoi l’on peut s’attendre pour une personne de son âge, et « [i]l est clair que cette condition, qui représente un état très anormal pour un homme de son âge, a été engendrée dans une proportion à 5/5 par ses activités dans les Forces Armées Canadiennes ». Dans une deuxième lettre du même médecin orthopédiste, en date du 13 mars 2008, ce dernier apporte des précisions à la demande de l’avocat de M. Boisvert.  Bien que le médecin avait tenu compte de la chute dans l’escalier et du choc sur le cadre de la voiture, on demanda au médecin d’évaluer le rôle qu’auraient joué ces incidents sur le développement de la maladie de M. Boisvert compte tenu du fait que le Tribunal avait conclu que ces incidents n’étaient pas survenus dans le cadre du service militaire.  À ces questions, le médecin répondit que la chute de l’escalier n’avait eu aucune incidence. En revanche, il se dit d’avis que le fait de s’être frappé sur sa voiture constituait « un événement dans une série de plusieurs événements qui ont contribué à l’apparition d’une arthrose cervicale très anormale chez un jeune homme de 29 ans »   et il conclut : « En conséquence donc, nous croyons que l’intensité des traumatismes subis au hockey est de beaucoup plus importante et s’il y avait eu seulement le fait de se frapper la tête sur un montant de porte, nous ne croyons pas que cet incident aurait contribué de quelque façon que ce soit à l’accélération de l’arthrose cervicale ».

 

[14]           Dans une décision rendue le 14 mai 2008, le Comité d’appel du Tribunal a rejeté la demande de M. Boisvert.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[15]           Le Tribunal passe d’abord en revue la nouvelle preuve médicale soumise par l’avocat de M. Boisvert, et cite même plusieurs des extraits reproduits dans les paragraphes qui précèdent.  Puis, il note que tant l’ostéopathe que le physiatre se fondent sur les dires de M. Boisvert pour formuler leur diagnostic.  Au surplus, aucune des lettres rédigées par ces deux spécialistes ne font état de la chute dans l’escalier et du choc qu’a subi le demandeur en se frappant la tête sur le rebord de son automobile, ni de l’impact possible que ces incidents auraient pu avoir sur son affection.

 

[16]           S’agissant des lettres du chirurgien orthopédiste, le Tribunal ne leur accorde également aucune valeur, et ce pour les motifs suivants.  D’abord, le Tribunal note qu’il ne fait référence aux deux incidents mentionnés plus haut qu’après en avoir été informé par l’avocat de M. Boisvert.  De plus, le Tribunal relève que le médecin n’indique pas la nature de sa relation avec M. Boisvert, et notamment le nombre de fois où il a vu M. Boisvert.  Enfin, le Tribunal souligne que le médecin ne fait pas mention des motifs qui étayent sa conclusion, et ne mentionne même pas si M. Boisvert a été revu suite à la lettre que lui a fait parvenir son avocat. 

 

[17]           En conséquence, le Tribunal conclut que la nouvelle preuve ne l’a pas convaincu que la décision précédente devait être modifiée, et confirme donc la décision du Comité de révision rendue le 5 août 2005.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           Le présent litige me semble soulever une seule question, soit celle de savoir si le Tribunal a erré en fait ou en droit en concluant que M. Boisvert n’avait pas droit à une pension en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions.  Bien entendu, la réponse à cette question sera partiellement conditionnée par l’identification de la norme de contrôle applicable.

 

[19]           Le procureur du demandeur a également fait valoir, de façon un peu confuse, qu’il y avait eu violation des règles de justice naturelle dans la mesure où son client n’avait pu témoigner lors de l’audition devant le Comité d’appel du Tribunal.  Bien que cet argument me paraisse sans fondement et n’ait pas été plaidé avec beaucoup de conviction, j’en traiterai brièvement dans le cadre des présents motifs.

 

ANALYSE

 

            - Objection préliminaire

 

[20]           Dans le cadre d’une objection préliminaire, le défendeur a demandé la radiation de l’affidavit du demandeur souscrit par le demandeur le 15 août 2008 à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, ainsi qu’à la pièce D-1 annexée à cet affidavit.  Cette dernière consiste en des extraits du dossier médical du demandeur qui n’avaient pas été reproduits par l’agent de pension du Ministère.

 

[21]           Il est bien établi que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, seule la preuve qui était devant le décideur original peut être introduite devant la Cour : voir, par ex., Kaminski c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 225; Gagnon c. Canada (Attorney General), 2009 FC 147.  Je note par ailleurs que le demandeur avait le loisir, conformément à l’article 28 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), 1995, ch. 18, (la Loi sur le Tribunal) de présenter des éléments de preuve à condition qu’ils soient documentés.  Le demandeur s’est prévalu de cette possibilité, mais les extraits du dossier médical que l’on voudrait maintenant introduire devant la Cour n’ont pas été déposés en preuve devant le Tribunal; par conséquent,  le demandeur est maintenant forclos de le faire dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.  En tout état de cause, l’avocat du demandeur n’y a pas référé dans ses représentations, et il a même concédé dans son mémoire (au paragraphe 17) que les critères pour accepter de nouveaux éléments de preuve n’étaient pas réunis en l’espèce.

 

[22]           Quant à l’affidavit du demandeur, je suis d’avis qu’il pouvait être introduit en preuve, sous réserve de certains paragraphes qui relèvent davantage de l’argumentation que du témoignage.  Le fait que plusieurs énoncés reprennent pour l’essentiel des informations que M. Boisvert a déjà communiquées au Tribunal, bien que de façon légèrement différente, n’est pas un motif suffisant pour radier son affidavit.  Par contre, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les paragraphes 23, 25, 26, 27 et 28 de l’affidavit relèvent davantage de l’argumentation et ne constituent pas des éléments de fait.  De même, les paragraphes 29, 30 et 31 comportent plusieurs conclusions d’ordre juridique et médical qui doivent pour cette raison être radiés. 

 

- Le cadre juridique

 

[23]           Le droit à une pension est prévu à l’article 21 de la Loi sur les pensions.  Les conditions d’ouverture à une pension diffèrent selon que la personne concernée était membre des Forces en période de guerre ou en temps de paix : dans le premier cas, c’est le paragraphe 21(1)a) qui
s’applique, tandis que dans le second, ce sera plutôt le paragraphe 21(2)a).  Cette dernière disposition se lit comme suit :

PARTIE III

PENSIONS

 

Service pendant la guerre ou en service spécial

 

21. (1) ...

 

Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix

 

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

PART III

PENSIONS

 

Service during war, or special duty service

 

21. (1) ...

 

Service in militia or reserve army and in peace time

 

 

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

 

[24]           Comme l’a déjà fait remarquer le juge Nadon alors qu’il siégeait en Cour fédérale dans l’arrêt King c. Canada (Tribunal des anciens combattants, révision et appel), [2001] A.C.F. no. 850, 2001 CFPI 535 (au paragraphe 65), l’alinéa 21(2)a) a une portée plus restreinte que l’alinéa 21(1)a).  Tandis que ce dernier parle de blessure ou maladie «survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci», l’alinéa 21(2)a) réfère plutôt à une blessure ou maladie «consécutive ou rattachée directement au service militaire».  En d’autres termes, le membre qui a subi une blessure ou maladie en temps de paix doit établir que le service militaire est la «cause principale» de la blessure ou de l’invalidité, et il lui revient d’établir le lien de causalité.  Voir aussi : Leclerc c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. no. 1425, 126 F.T.R. 94, aux paras. 18-21

 

[25]           Fait à souligner, le paragraphe 21(3) de la même Loi établit une présomption quant à l’existence du lien de causalité requis au terme du paragraphe 21(2)a) entre l’incident invoqué et la blessure ou la maladie subie.  On y précise en effet qu’une blessure ou une maladie est réputée, sauf preuve contraire, « être consécutive ou rattachée directement au service militaire » lorsqu’elle est survenue au cours de l’une ou l’autre des circonstances énumérées aux divers alinéas de ce paragraphe :

Présomption

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), une blessure ou maladie — ou son aggravation — est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

 

 

 

a) d’exercices d’éducation physique ou d’une activité sportive auxquels le membre des forces participait, lorsqu’ils étaient autorisés ou organisés par une autorité militaire, ou exécutés dans l’intérêt du service quoique non autorisés ni organisés par une autorité militaire;

 

b) d’une activité accessoire ou se rattachant directement à une activité visée à l’alinéa a), y compris le transport du membre des forces par quelque moyen que ce soit entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et le lieu de cette activité;

 

c) soit du transport du membre des forces, à l’occasion de ses fonctions, dans un bâtiment, véhicule ou aéronef militaire ou par quelque autre moyen de transport autorisé par une autorité militaire, soit d’un acte fait ou d’une mesure prise par le membre des forces ou une autre personne lorsque cet acte ou cette mesure était accessoire ou se rattachait directement à ce transport;

 

d) du transport du membre des forces au cours d’une permission par quelque moyen autorisé par une autorité militaire, autre qu’un moyen de transport public, entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et soit le lieu où il devait passer son congé, soit un lieu où un moyen de transport public était disponible;

 

e) du service dans une zone où la fréquence des cas de la maladie contractée par le membre des forces ou qui a aggravé une maladie ou blessure dont souffrait déjà le membre des forces, constituait un risque pour la santé des personnes se trouvant dans cette zone;

 

f) d’une opération, d’un entraînement ou d’une activité administrative militaires, soit par suite d’un ordre précis, soit par suite d’usages ou pratiques militaires établis, que l’omission d’accomplir l’acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

 

g) de l’exercice, par le membre des forces, de fonctions qui ont exposé celui-ci à des risques découlant de l’environnement qui auraient raisonnablement pu causer la maladie ou la blessure ou son aggravation.

 

Presumption

 

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

(a) any physical training or any sports activity in which the member was participating that was authorized or organized by a military authority, or performed in the interests of the service although not authorized or organized by a military authority;

 

 

(b) any activity incidental to or directly connected with an activity described in paragraph (a), including the transportation of the member by any means between the place the member normally performed duties and the place of that activity;

 

(c) the transportation of the member, in the course of duties, in a military vessel, vehicle or aircraft or by any means of transportation authorized by a military authority, or any act done or action taken by the member or any other person that was incidental to or directly connected with that transportation;

 

 

(d) the transportation of the member while on authorized leave by any means authorized by a military authority, other than public transportation, between the place the member normally performed duties and the place at which the member was to take leave or a place at which public transportation was available;

 

 

(e) service in an area in which the prevalence of the disease contracted by the member, or that aggravated an existing disease or injury of the member, constituted a health hazard to persons in that area;

 

 

 

 

(f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member; and

 

 

(g) the performance by the member of any duties that exposed the member to an environmental hazard that might reasonably have caused the disease or injury or the aggravation thereof.

 

 

[26]           Il convient également d’attirer l’attention sur l’article 2 de la Loi sur les pensions et l’article 3 de la Loi sur le Tribunal, qui prescrivent une interprétation large et libérale des dispositions de ces deux lois en reconnaissance de ce qu’ont fait pour le pays les membres des Forces Armées.  Ces dispositions se lisent comme suit :

Loi sur les pensions :

RÈGLE D’INTERPRÉTATION

 

Règle d’interprétation

 

2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

 

CONSTRUCTION

 

 

Construction

 

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

 

 

Loi sur le Tribunal:

Principe général

 

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

 

Construction

 

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

 


[27]            Enfin, une autre disposition dont il faut tenir compte est l’article 39 de la Loi sur le Tribunal, qui prévoit des règles favorables au demandeur eu égard à son fardeau de preuve :

Règles régissant la preuve

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

Rules of evidence

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

[28]           Cette disposition, dont on retient généralement qu’elle accorde le bénéfice du doute au demandeur ou à l’appelant, a donné lieu à de nombreux débats concernant la nature de la preuve susceptible de permettre au demandeur ou à l’appelant d’avoir gain de cause.  La jurisprudence de cette Cour et de la Cour d’appel enseigne que cette disposition n’a pas pour effet d’obliger le Tribunal à accepter toutes les allégations faites par un ancien combattant.  Au terme de l’alinéa 21(2)a), le demandeur doit établir, selon la norme de preuve applicable en matière civile (soit celle de la prépondérance des probabilités), qu’il souffre d’une invalidité, et que cette invalidité est consécutive ou rattachée directement à son service militaire.  C’est le membre qui doit faire la preuve d’un lien de causalité entre l’incident allégué et l’affection invoquée.  La Cour d’appel, sous la plume de la juge Sharlow, a bien résumé l’impact de l’article 39 dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Wannamaker, 2007 CAF 126, aux paragraphes 5 et 6 

L’article 39 assure que la preuve au soutien de la demande de pension est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible.  Toutefois, l’article 39 ne dispense pas le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (C.F. 1ère inst.), Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1ère inst.).

 

L’article 39 n’oblige pas non plus le Tribunal à admettre toute la preuve présentée par le demandeur.  Le Tribunal n’a pas l’obligation d’accepter des éléments de preuve présentés par le demandeur s’il conclut qu’ils ne sont pas crédibles, et ce, même s’ils ne sont pas contredits.  Par contre, il se peut que le Tribunal doive expliquer la raison pour laquelle il conclut que les éléments de preuve ne sont pas crédibles : MacDonald c. Canada (Procureur général) (1999), 164 F.T.R. 42, aux paragraphes 22 et 29.  La preuve est crédible si elle est plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve du fait en question.

 

Voir aussi : Nisbet c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1106, aux paras. 17-19; Moar c. Canada (Procureur général), 2006 CF 610, aux paras. 10 et 29; Currie c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1512, para. 9; Comeau c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1648, paras. 22-25; McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647; Gillis c. Canada (Procureur général), 2004 CF 751.


[29]           Ni la Loi sur les pensions ni la Loi sur le Tribunal ne prévoient de restrictions ou de délais quant à la demande de révision ou de réexamen présentée au Tribunal ni quant à l’appel interjeté devant ce dernier.  Le Tribunal a donc compétence pour connaître de ces recours indépendamment du moment où les faits se sont produits et de la date de la décision la plus récente.

 

[30]           D’autre part, il importe de dire quelques mots sur le processus décisionnel afférent aux pensions et aux avantages sociaux des anciens combattants.  C’est le Ministère des Anciens combattants qui a pour mission d’indemniser, en cas d’invalidité ou de décès, les personnes ayant servi au sein des Forces canadiennes.  La décision initiale est rendue par un fonctionnaire du Ministère; aucune audience n’est tenue au premier palier.  Sur la foi des renseignements contenus dans la demande et dans les rapports médicaux, l’évaluateur rend des décisions sur différentes questions touchant au droit à une pension, ainsi que sur l’étendue de l’invalidité découlant d’une blessure ou d’une maladie ouvrant droit à pension, ou de l’aggravation d’une telle blessure ou maladie.

 

[31]           L’article 84 de la Loi sur les pensions dispose que le requérant qui n’est pas satisfait de la décision rendue par le Ministère peut demander au Tribunal de la réviser (voir aussi art. 18 de la Loi sur le Tribunal).  Le requérant a droit à une audition complète de sa demande par le Comité de révision, lequel se compose généralement d’au moins deux membres désignés par le président.  Le requérant peut témoigner de vive voix ou faire entendre des témoins et il a droit au remboursement des frais occasionnés par sa comparution.  Il a de plus le droit d’être représenté gratuitement par un avocat du Bureau des services juridiques du Ministère.  La décision de la majorité des membres du Comité de révision vaut décision du Tribunal.  Dans le cas où il n’y a pas de majorité, la décision qui est la plus favorable au requérant est celle qui prévaut.  Même après avoir rendu sa décision, le Comité de révision peut de son propre chef rouvrir le dossier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit sont erronées.  En pareil cas, il peut réexaminer sa décision et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate qu’elle est entachée d’une erreur : voir les articles 18 à 24 et 35 de la Loi sur le Tribunal.

 

[32]           La personne qui n’est pas satisfaite de la décision du Comité de révision peut en appeler au Tribunal.  Une audience est tenue, et l’appelant peut alors présenter des éléments de preuve documentaire et des arguments à un comité composé d’au moins trois membres.  Aucune preuve testimoniale n’est recevable en appel.  La décision de la majorité des membres du Comité d’appel vaut décision du Tribunal et elle est définitive.  Pourtant, même si sa décision est définitive, le Comité d’appel peut, dans certaines circonstances, décider de la réexaminer.  Il peut le faire lorsque l’appelant a de nouveaux éléments de preuve à lui présenter ou s’il constate de lui-même ou par suite des allégations d’une personne que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit sont erronées.  À l’issue du réexamen, le Comité d’appel peut soit confirmer la décision, soit l’annuler ou la modifier : voir articles 25 à 32 de la Loi sur le Tribunal.

 

- Norme de contrôle applicable

 

[33]           La Cour d’appel et cette Cour ont eu à se prononcer à de nombreuses reprises sur la norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal.  Dans la très grande majorité des cas, on en est arrivé à la conclusion que la question de savoir quelle était la cause de l’invalidité, de même que l’évaluation ou l’interprétation par le Tribunal d’éléments de preuve contradictoires ou non concluants pour déterminer si l’invalidité avait été causée ou aggravée par le service militaire, étaient des questions de fait dont la révision devait se faire avec la plus grande déférence.  Au nombre des décisions qui ont appliqué la norme du « manifestement déraisonnable », on peut notamment mentionner les affaires suivantes : Caswell c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1364, au para. 17; Nolan c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1305, au para. 10; Rousselle c. Canada (Procureur général), 2005 CF 330, au para. 13; Comeau c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1648, au para. 18, confirmé à 2007 CAF 68, au para. 9; McTague c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 647, au para. 46; Bradley c. Canada (Procureur général), 2004 CF 996, au para. 11; Nisbet c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1106.

 

[34]           Par contre, on a parfois jugé que la question de savoir si une blessure particulière est consécutive au service militaire (par opposition à l’existence d’un lien de causalité entre cette blessure et l’invalidité du demandeur) était une question mixte de fait et de droit qui devait être examinée selon la norme de la décision raisonnable : P.G. du Canada c. Wannamaker, 2007 CAF 126, au para. 12; Thériault c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1070, au paras. 22-23.

 

[35]           Depuis la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, cette divergence de points de vue n’a plus de conséquence pratique puisque les deux normes de contrôle ne font maintenant plus qu’une, soit celle de la décision raisonnable.  C’est d’ailleurs la norme qu’ont appliquée mes collègues appelés à se prononcer sur des décisions rendues par le Tribunal depuis l’arrêt Dunsmuir : voir, entre autres, Bullock c. The Attorney General of Canada, 2008 FC 1117; Goldsworthy c. Le Procureur général du Canada, 2008 CF 380; Macdonald c. Canada (Procureur général), 2008 CF 796; Rioux c. Canada (Procureur général), 2008 CF 991; Dugré c. Canada (Procureur général), 2008 CF 682; Lenzen c. Canada (Procureur Général), 2008 CF 520; Clarke c. Veterans Review and Appeal Board, Attorney General of Canada, 2009 FC 298.  Cette jurisprudence ayant déjà établi de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable, il n’est nul besoin de procéder à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « l’analyse relative à la norme de contrôle ».

 

[36]           La Cour doit donc se demander si la décision du Tribunal, tant au niveau de la forme que du fond, peut être considérée comme raisonnable.  Au niveau formel, la raisonnabilité de la décision s’appréciera en fonction de sa justification, de sa transparence et de son intelligibilité, tandis que dans sa substance, elle devra appartenir à l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, supra, au para. 47).  Comme s’est fait fort de le rappeler la Cour suprême, cette nouvelle norme unique n’appelle pas à une plus grande immixtion judiciaire dans le processus administratif.  Il ne faut en effet jamais perdre de vue que ce type de questions soumises aux tribunaux administratifs peuvent souvent donner lieu à plus d’une solution raisonnable, et qu’il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la décision qu’elle aurait pu rendre si elle avait été saisie de la question à la place du tribunal administratif.

 

- La raisonnabilité de la décision du Tribunal

 

[37]           Au terme de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, M. Boisvert devait d’abord établir selon la prépondérance des probabilités que son affection constituait une invalidité.  Cette première exigence n’a pas été remise en question par le Tribunal, tant au niveau de la révision que de l’appel, pas plus d’ailleurs que par le Ministère.  Il est admis que le demandeur souffre d’arthrose cervicale, telles qu’en font foi les nombreuses expertises médicales au dossier.  D’autre part, M. Boisvert devait également prouver que cette blessure ou cette maladie résultait d’une maladie ou d’une blessure, laquelle était consécutive ou rattachée directement au service militaire.  C’est à ce niveau que M. Boisvert a échoué dans sa preuve.  Comme on l’a vu plus haut, le Tribunal s’est dit d’avis que la nouvelle preuve soumise par le demandeur ne lui permettait pas d’infirmer les décisions antérieures.

 

[38]           Le procureur du demandeur a fait valoir que le Tribunal avait erré en rejetant la preuve médicale soumise et en remettant en question l’évaluation du chirurgien orthopédiste, en l’absence de toute preuve contradictoire.  Au dire du demandeur, le Tribunal aurait excédé sa juridiction en substituant son opinion à celle du médecin alors même qu’aucun de ses membres ne possède une expertise médicale et qu’aucune contre-expertise n’a été sollicitée sous l’autorité de l’article 38 de la Loi sur le Tribunal.

 

[39]           Tel que mentionné précédemment, l’article 39 de la Loi sur le Tribunal ne soustrait pas un demandeur à l’obligation d’établir que son affection est directement attribuable à son service militaire.  Même s’il n’existe aucune preuve contradictoire, le Tribunal n’est pas tenu d’accepter aveuglément la preuve soumise par le demandeur s’il estime qu’elle n’est pas crédible ou de peu de valeur probante.  Dans ce dernier cas, la Cour devra soupeser les motifs invoqués pour rejeter la preuve soumise par le demandeur et déterminer si ces motifs sont raisonnables, au regard de l’ensemble du dossier.


[40]           Pour bien situer la décision du Tribunal, il convient de la situer dans son contexte.  La décision contestée origine d’un appel du Comité de révision du Tribunal, qui confirmait la décision du Ministère de refuser le droit à une pension essentiellement pour deux motifs.  Dans un premier temps, on avait conclu que la chute dans l’escalier et le choc sur le rebord de la voiture ne constituaient pas des événements survenus dans l’exercice des fonctions du demandeur comme militaire.  Au surplus, le Comité de révision avait conclu que la preuve médicale n’avait pas établi de lien entre ces événements et l’affection en cause, et qu’à défaut d’un preuve tendant à établir soit des microtraumatismes ou des mouvements répétitifs ayant pu influencer l’état du cou du demandeur, aucune pension ne pouvait être réclamée. 

 

[41]           C’est donc pour contrer ces deux conclusions que le demandeur a soumis la preuve médicale supplémentaire à laquelle j’ai déjà fait référence.  La décision dont il faut maintenant évaluer la raisonnabilité n’est donc pas celle qui a été prise par le Ministère ou par le Comité de révision du Tribunal, mais plutôt celle du Comité d’appel à l’effet que la nouvelle preuve n’était pas suffisante pour renverser la décision originale.

 

[42]           À mon avis, le Tribunal pouvait accorder peu de crédibilité à l’opinion de l’ostéopathe et du physiatre, dans la mesure où ces spécialistes s’appuyaient essentiellement sur ce que leur avait relaté M. Boisvert pour formuler leur opinion.  Je note par ailleurs que ces deux spécialistes se contentent de spéculer sur le lien qui peut exister entre les tâches accomplies par M. Boisvert et sa condition physique.  L’ostéopathe opine qu’il est « très fortement probable » que les tâches effectuées par M. Boisvert aient pu engendrer ses douleurs cervicales, tandis que le physiatre conclut que la discarthrose cervicale symptomatique de M. Boisvert est « probablement provoquée » par la pratique du hockey et que ses activités professionnelles « peuvent avoir complétées l’aggravation » de son état.  La question n’est pas de savoir si la Cour en serait arrivée à la même conclusion, mais plutôt de déterminer si la conclusion du Tribunal est raisonnable.  Compte tenu de la jurisprudence et de l’ensemble du dossier, j’estime que la motivation du Tribunal sur ce point n’est pas déraisonnable : P.G. du Canada c. Wannamaker, supra, au para. 30; Nisbet c. Procureur général du Canada, 2004 CF 1106, au para. 22.

 

[43]           Il en va autrement des motifs invoqués pour rejeter l’opinion du chirurgien orthopédiste.  D’une part, on reproche au médecin de ne pas avoir fait référence à la chute dans l’escalier et au choc sur l’automobile dans sa première lettre, et de n’en avoir fait mention qu’après y avoir été invité par le procureur de M. Boisvert.  Or, tel n’est pas le cas.  D’une part, il a explicitement noté  dans sa première lettre que M. Boisvert s’était frappé la tête sur le bord de sa voiture en 1996 et que sa douleur cervicale augmenta par la suite.  D’autre part, sa deuxième lettre n’avait pas pour objet de pallier une lacune dans sa première lettre et d’accréditer la thèse de M. Boisvert, comme le laisse sous-entendre le Tribunal, mais bien de préciser que le choc sur la tête consécutif au heurt sur son automobile n’aurait pas, à lui seul, contribué à l’accélération de l’arthrose cervicale. Par conséquent, le fait que cet incident se soit produit alors que M. Boisvert n’était pas dans l’exercice de ses fonctions n’était pas significatif.

 

[44]           Il y a néanmoins une autre raison pour laquelle la décision du Tribunal me semble déraisonnable.  Dans ses deux lettres, le chirurgien orthopédiste fait état des nombreuses blessures subies par M. Boisvert alors qu’il jouait au hockey dans une équipe des Forces.  Dans sa deuxième lettre, il écrit même que « l’intensité des traumatismes subis au hockey est de beaucoup plus importante » que le fait de s’être frappé sur sa voiture.  Ce faisant, il reprenait en quelque sorte l’opinion émise par le physiatre.  Qui plus est, ces nombreuses blessures ont été corroborées par l’entraîneur de l’équipe de hockey pour laquelle jouait M. Boisvert entre 1986 et 1991.  Or, le paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions crée un certain nombre de présomptions, au nombre desquelles on trouve la suivante :

Présomption

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), une blessure ou maladie — ou son aggravation — est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

 

 

 

a) d’exercices d’éducation physique ou d’une activité sportive auxquels le membre des forces participait, lorsqu’ils étaient autorisés ou organisés par une autorité militaire, ou exécutés dans l’intérêt du service quoique non autorisés ni organisés par une autorité militaire;

 

Presumption

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

 

(a) any physical training or any sports activity in which the member was participating that was authorized or organized by a military authority, or performed in the interests of the service although not authorized or organized by a military authority;

 

[45]           Curieusement, le Tribunal ne discute même pas de cet aspect de la question, qui avait pourtant été plaidé par le procureur de M. Boisvert.  Il s’agissait d’autant plus d’une preuve non contredite, qui aurait dû bénéficier des présomptions établies par l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).  En omettant d’expliciter les motifs pour lesquels il n’a pas jugé bon de se prononcer sur cette question, le Tribunal prive cette Cour de la possibilité d’apprécier la raisonnabilité de sa justification.  Il s’agit là d’une autre raison militant en faveur de l’octroi de la demande de contrôle judiciaire.

 

[46]           Enfin, le Tribunal invoque l’absence de précision quant à la nature de la relation entre le médecin et M. Boisvert pour rejeter ses opinions.  À mon avis, il s’agit là d’un argument spécieux.  Il n’était pas nécessaire de revoir M. Boisvert pour répondre à la demande de précision de son avocat quant à l’impact de sa chute dans l’escalier et du choc qu’il avait subi en se frappant sur son automobile, dans la mesure où le médecin avait déjà rencontré M. Boisvert et avait eu tout le loisir de l’examiner et de se pencher sur son historique.  Quant à la question de savoir combien de fois M. Boisvert avait vu ce médecin, cela ne me paraît pas pertinent pour évaluer le bien-fondé de son opinion.  À moins de vouloir remettre en question le professionnalisme et l’éthique de ce médecin, il faut présumer que l’opinion de ce dernier était conforme aux règles de l’art et que sa connaissance du demandeur lui paraissait suffisante pour exercer son jugement.  Il m’apparaît d’ailleurs significatif que ce médecin spécialiste, contrairement à l’ostéopathe et au physiatre, exprime une opinion ferme et dénuée de spéculation.  Non seulement affirme-t-il dans sa première lettre que le degré de discarthrose cervicale de M. Boisvert va bien au-delà de ce à quoi l’on peut s’attendre chez un patient de cet âge, mais il ajoute : « Il est clair que cette conclusion, qui représente un état anormal pour un homme de son âge, a été engendrée dans une proportion 5/5 par ses activités dans les Forces Armées Canadiennes ».


[47]           Pour tous ces motifs, je suis donc d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. 

 

[48]           Le procureur du demandeur a également tenté de faire valoir que M. Boisvert n’avait pas eu droit à une audition pleine et entière devant le Comité d’appel parce qu’il n’avait pu témoigner pour établir sa crédibilité.  On a également reproché au Ministère d’avoir omis certains éléments de preuve médicale importants dans le dossier qui a été constitué pour les fins d’établir son droit à une pension.  Ces arguments me paraissent sans fondement.

 

[49]           L’article 28 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) prévoit qu’un demandeur peut adresser des représentations écrites au Comité d’appel ou encore comparaître, à ses frais, en personne ou par l’intermédiaire de son représentant, pour y présenter des éléments de preuve documentés et ses arguments oraux.  Cela me paraît pleinement conforme aux exigences de l’équité procédurale, d’autant plus que les Forces Armées ne sont pas habilitées à comparaître ou à faire des représentations écrites devant le Comité d’appel.  Il est vrai que le demandeur, s’il choisit de comparaître (personnellement ou par avocat), doit le faire à ses frais.  Mais cela ne me paraît pas suffisant pour conclure à l’invalidité de l’article 28.  Le but de la Loi est de faire en sorte que les procédures se déroulent le plus informellement possible, et de permettre au demandeur de faire valoir ses arguments et d’introduire de la nouvelle preuve sans formalité excessive.  Rien dans la preuve ne me permet de conclure que les prescriptions de l’article 28 n’ont pas été respectées, et le demandeur a cherché à faire déclarer cette disposition invalide.

 

[50]           Quant à l’exhaustivité du dossier constitué par le Ministère, c’est devant le Comité de révision ou, à la limite, devant le Comité d’appel du Tribunal, que le demandeur aurait dû faire ses représentations.  Au stade du contrôle judiciaire, la Cour ne peut prendre connaissance que du dossier tel qu’il était constitué devant le Tribunal.  En tout état de cause, un examen rapide des extraits supplémentaires du dossier médical de M. Boisvert ne me permettent pas de conclure à leur pertinence et n’auraient sans doute pas eu un impact déterminant sur l’issue du litige.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, avec dépens.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1044-08

 

INTITULÉ :                                       Alain Boisvert c.

                                                            Le Procureur General du Canada         

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Monsieur le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 juillet 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sylvain Lamarche

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Miller

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Sylvain Lamarche

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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