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Date : 20090608

Dossier : IMM-2695-09

Référence : 2009 CF 593

Montréal (Québec), le 8 juin 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

DOUMICK YVENS JEAN

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE  L'IMMIGRATION

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               L’un des objectifs de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR) est de garantir la sécurité des Canadiens et de promouvoir l’interdiction de territoire au Canada aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité :

3.      (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[...]

 

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

 

 

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

 

(La Cour souligne.)

3.      (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

 

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks; and

 

 

(Emphasis added.)

 

[2]               Cet objectif a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539 :

[10]      Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada [...] (La Cour souligne).

 

[3]               Enfin, cette Cour a déjà refusé d’accorder des sursis demandés par des ressortissants haïtiens criminalisés qui étaient renvoyés dans ce pays après avoir purgé leur sentence (Antoine et M.C.I. et M.S.P.P.C., IMM-2642-06 et IMM-2648-06, 25 mai 2006, (juge François Lemieux);  Dauphin et M.C.I. et M.S.P.P.C., IMM-2428-08, 2 juin 2008 (juge Luc Martineau); Brutus et M.C.I. et M.S.P.P.C., IMM-5033-08, 24 novembre 2008 (juge en chef Allan Lutfy).

II.  Introduction

[4]                Le demandeur, monsieur Doumick Yvens Jean, est un citoyen d’Haïti qui est interdit de territoire au Canada pour « grande criminalité ». Il a un casier judiciaire comportant des condamnations, le 24 mai 2007, relativement à des accusations d’avoir fait le trafic de cocaïne-base (crack) et d’avoir comploté pour faire le trafic de crack, entre le 14 août 2006 et le 30 novembre 2006; le casier judiciaire du demandeur comporte également des condamnations le 6 mars 2008 pour des accusations d’avoir fait le trafic de cocaïne-base (crack) et d’avoir eu en sa possession de la cocaïne-base (crack) dans le but d’en faire le trafic en date du 22 août 2007. Le demandeur est détenu par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) depuis le 13 mars 2009 à l’établissement carcéral de Rivière-des-Prairies (pièces C et D en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik).

 

[5]               Le demandeur a également des dossiers au Tribunal de la jeunesse et a été condamné pour voies de fait et lésions corporelles, ainsi qu’évasion en 2005 (voir pièce E en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik).

 

[6]               Il demande à cette Cour de surseoir à son renvoi vers Haïti prévu pour mardi, le 9 juin 2009.

 

[7]               Cette demande de sursis est rattachée à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACJ) à l’encontre d’une décision négative d’un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR), rendue le 15 mai 2009, et remise au demandeur en mains propres le 25 mai 2009 (pièce A et pièce B en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik).

 

III.  Faits

[8]               Le demandeur est arrivé au Canada le 23 octobre 2002, à l’âge de 14 ans. Depuis 2005, le demandeur a eu des démêlés avec la justice. Sa criminalité a débuté à l’époque où il était mineur et s’est poursuivie devant les tribunaux adultes.

 

[9]               Le demandeur a fait l’objet de deux rapports d’interdiction de territoire invoquant l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, et des mesures de renvoi ont été émises à l’encontre du demandeur. Il est à noter que lors de la condamnation du 6 mars 2008, il a été constaté que le demandeur avait fait défaut de se conformer à une ordonnance de probation relative à sa première condamnation du 24 mai 2007. La dernière sentence imposée au demandeur totalise 31 mois d’emprisonnement (voir les motifs du 16 mars 2009 de la commissaire Côté faisant partie de la pièce D en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik, ainsi que les motifs de la Section d’appel de l’immigration (SAI) se trouvant à la pièce C en liasse du même affidavit).

 

[10]           Il a également été mis en preuve que le demandeur est associé à une organisation criminelle dans le quartier Saint-Michel qui écoulerait deux cents roches de crack par jour, d’une valeur de 20 $ la roche (pièce C en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik).

 

[11]           Le demandeur s’était par ailleurs déjà engagé le 28 octobre 2005 à ne pas fréquenter toute personne membre de gang de rue alors qu’il comparaissait devant le Tribunal de la jeunesse (voir pièce E en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik, en particulier les conditions 7 et 8 de la probation du 28 octobre 2005). Le demandeur n’a manifestement pas respecté les conditions de sa probation.

 

[12]           En raison des crimes graves qu’il a commis, le demandeur est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. La deuxième mesure d’expulsion a été rendue le 29 août 2008.

 

[13]           Le demandeur a interjeté appel des mesures d’expulsion. La SAI a créé un seul dossier portant le numéro MA8-03818 pour entendre l’appel du demandeur relatif aux deux mesures de renvoi. Le 27 mars 2009, la SAI a rejeté l’appel du demandeur et à ce jour, ce dernier n’a pas contesté cette décision devant la Cour fédérale.

 

[14]           Le 27 mars 2009, le demandeur a déposé une demande d’ERAR (pièce B en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik).

 

[15]           Le 15 mai 2009, l’agent d’ERAR a examiné les allégations du demandeur relativement aux risques de retour en Haïti. Étant donné l’interdiction de territoire du demandeur pour grande criminalité, l’agent d’ERAR devait évaluer les risques auxquels le demandeur pourrait être exposé en Haïti en fonction des facteurs énumérés à l’article 97 de la LIPR seulement.

 

[16]           Après avoir fait un examen exhaustif de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve soumise par le demandeur et la documentation récente sur la situation en Haïti, l’agent d’ERAR a jugé que le demandeur n’avait pas établi, par la prépondérance des probabilités, qu’il risquait d’être exposé personnellement soit à la torture, soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités advenant son retour en Haïti (pièce B en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik).

 

[17]           Le 19 mai 2009, le demandeur a été informé du rejet de sa demande d’ERAR. La lettre informant le demandeur de cette décision négative de l’agent d’ERAR, ainsi que les notes de l’agent d’ERAR ont été remises en mains propres au demandeur le 25 mai 2009.

 

[18]           Le 25 mai 2009, le demandeur a communiqué avec le bureau de Me Marie-Hélène Giroux, l’informant de sa date de renvoi prévue le 9 juin 2009 et demandant à ce que Me Giroux le contacte le plus tôt possible (pièce A de l’affidavit de Dorothy Niznik).

 

[19]           Le 27 mai 2009, les défendeurs ont reçu signification d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision négative d’ERAR du 15 mai 2009, alléguant, contrairement à ce qui est démontré, que le demandeur n’avait pas reçu les motifs de la décision.

 

[20]           Le 3 juin 2009, le demandeur a signifié aux défendeurs une requête pour surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

Le demandeur ne se présente pas devant la Cour avec les mains propres

[21]           La présente requête en sursis pourrait être rejetée sur la base de la théorie des « mains propres ».

 

[22]           Le demandeur a, pour son jeune âge, un passé criminel chargé. Son casier judiciaire contient des infractions criminelles graves commises entre 2005 et 2007, le demandeur est incarcéré depuis le 22 août 2007 et n’a pas repris sa liberté depuis. Le 13 mars 2009, le demandeur est détenu par la CIC pour les fins de son renvoi en Haïti.

 

[23]           Compte tenu que le demandeur est au Canada depuis 2002 et qu’il n’a démontré aucun respect pour les lois criminelles et d’immigration depuis son arrivée au Canada, les défendeurs soutiennent que le demandeur ne se présente pas devant la Cour avec les mains propres.

 

[24]           La conduite du demandeur fait en sorte qu’elle constitue un obstacle majeur pour obtenir le recours qu’il sollicite :

[4]        Le droit est bien fixé : un sursis à l'exécution d'un renvoi est un recours en equity qui ne sera accordé que si le demandeur qui se présente devant la Cour n'a rien à se reprocher. Voir Khalil c. Canada (Secrétaire d'État), [1999] 4 C.F. 661, au paragraphe 20; Basu c. Canada, [1992] 2 C.F. 38; Ksiezopolski c. M.C.I. & S.G.C., [2004] A.C.F. no 1715.

 

[5]        En l'espèce, la conduite de la demanderesse est loin d'être irréprochable. Elle a fait preuve d'une négligence constante et persistante envers le droit de la famille, le droit criminel et le droit de l'immigration du Canada. Si sa demande était accueillie, la Cour encouragerait l'illégalité, servirait une cause nuisible et irait à l'encontre de l'intérêt public.

 

[6]        Par conséquent, compte tenu des circonstances en l'espèce, la Cour n'exercera pas sa compétence en equity envers la demanderesse. (La Cour souligne).

 

(Brunton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 33, 145 A.C.W.S. (3d) 685; également, Gabra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1491, 243 F.T.R. 318 au par. 5).

[25]           Comme la conduite du demandeur est loin d’être irréprochable, cette Cour pourrait ne pas exercer sa compétence en equity.

 

CRITÈRES D’OBTENTION D’UN SURSIS JUDICIAIRE

 

[26]           Afin d’obtenir un sursis à son renvoi, le demandeur devait démontrer qu’il satisfaisait aux critères jurisprudentiels émis par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, 11 A.C.W.S. (3d) 440 (C.A.F.). :

a.       l’existence d’une question sérieuse;

b.      l’existence d’un préjudice irréparable; et

c.       la balance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

 

[27]           Les trois critères doivent être établis pour que cette Cour accorde le sursis demandé. Si un seul d’entre eux n’est pas établi ou satisfait, cette Cour ne peut pas accorder le sursis demandé.

 

[28]           Dans le présent dossier, le demandeur ne satisfait à aucun des trois volets.

 

A.  Question sérieuse

[29]           Le demandeur soulève principalement à titre de question sérieuse à l’appui de sa demande de sursis que l’agent d’ERAR n’a pas considéré les prétentions du demandeur selon lesquelles les criminels déportés courent de sérieux risques à leur vie et à leur sécurité advenant un retour en Haïti.

 

[30]           D’entrée de jeu, il convient de rappeler que comme le demandeur est interdit de territoire au Canada, l’analyse de risques devait être effectuée sous l’article 97 de la LIPR uniquement, conformément à l’alinéa 113d) de la LIPR.

 

[31]           Le demandeur devait démontrer qu’il y avait des risques sérieux qu’il soit soumis à la torture ou que, selon la prépondérance des probabilités, il risquait d’être exposé soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[32]           L’agent d’ERAR s’est prêté à une analyse exhaustive de l’ensemble de la preuve au dossier. Il a noté et analysé les allégations de risques invoqués par le demandeur et les documents qu’il a déposés au soutien de sa demande d’ERAR. Les motifs de l’agent sont clairs, détaillés et se fondent sur la preuve soumise.

 

[33]           L’agent d’ERAR a considéré la situation générale en Haïti et, plus particulièrement, la situation des criminels expulsés du Canada dans ce pays, ainsi que les conditions et risques de détention pour le demandeur.

 

[34]           Dans son analyse de la preuve, l’agent d’ERAR s’est penché spécifiquement sur les conditions de détention et sur le risque de détention pour le demandeur. L’agent d’ERAR a considéré la preuve relative au risque que le demandeur soit détenu illégalement lors de son arrivée en Haïti et a constaté que le demandeur n’avait pas de casier judiciaire en Haïti; il a de plus constaté que la mère du demandeur se trouvait en Haïti et pourrait se porter garant pour lui, de sorte qu’il serait susceptible d’être libéré dans un délai acceptable. En effet, les autorités haïtiennes ont pour objectif de relâcher les déportés haïtiens aux mains d’un membre de la famille dans les meilleurs délais, lorsqu’un contrôle de leur identité est fait et que des dispositions sont prises pour assurer un suivi de la personne déportée.

 

[35]           Dans le cas présent, l’identité du demandeur ne pose pas de problème et le demandeur a l’intention d’informer sa mère de son arrivée en Haïti.

 

[36]           L’agent d’ERAR a tenu compte des représentations de Mme Michelle Karshan de « Alternative Chance », mais a conclu en se fondant sur la preuve objective que les déportés sont détenus pour une période maximale de deux semaines à des fins préventives. Il s’agit en effet de vérifier l’identité de la personne déportée, de s’assurer qu’il a de la famille en Haïti et de minimiser les risques que la personne déportée participe une fois sur place à des activités criminelles (pièce B en liasse, page 7 des motifs de l’agent d’ERAR).

 

[37]           Au sujet de l’affidavit de Mme Michelle Karshan de « Alternative Chance », le juge Yves de Montigny s’est d’ailleurs prononcé le 17 mars 2009  en rejetant la requête en sursis du demandeur Edouard, dans les termes suivants :

En tout état de cause, le demandeur n’a pas démontré que sa demande de permission et de contrôle judiciaire sous-jacente à la présente requête en sursis soulève une question sérieuse. L’agent ERAR a procédé à une analyse exhaustive de la preuve au dossier, et a soigneusement considéré les prétentions du demandeur selon lesquelles les criminels déportés encourent de sérieux risques à leur vie et à leur sécurité advenant un retour en Haïti. L’agent s’est spécifiquement penché sur les conditions de détention et sur le risque de détention pour le demandeur, il a considéré la preuve relative au risque que le demandeur soit détenu illégalement lors de son arrivée en Haïti, et dans le cas où le demandeur serait effectivement détenu, si cette détention équivaudrait à de mauvais traitements ou à une menace à sa vie et s’il y avait un risque sérieux de torture pendant cette détention. S’appuyant sur la déclaration assermentée d’un fonctionnaire de l’ambassade canadienne en Haïti et sur les observations du U.S. Department of State qui se trouvent dans le Country Reports on Human Rights Practices de 2007, il a conclu que le demandeur n’était pas plus à risque que l’ensemble de la population haïtienne parce qu’il a vécu plusieurs années au Canada, ou qu’il serait détenu illégalement pour une durée indéterminée. Compte tenu du changement de situation depuis août 2006, l’agent a plutôt déterminé que le demandeur pourrait être détenu provisoirement à des fins administratives, que cette détention serait de courte durée, et qu’il n’était pas démontré que les déportés du Canada ainsi détenus ont subi de mauvais traitements depuis deux ans. Ces conclusions ne sont pas déraisonnables compte tenu de la preuve qui était devant l’agent ERAR, et ce dernier pouvait choisir d’accorder plus de poids à la déclaration du fonctionnaire canadien et au US DOS Report qu’aux articles émanant du groupe Alternative Chance et qu’à l’affidavit de Me Laberge, d’autant plus que cette dernière ne faisait état que des mauvaises conditions de détention dans les pénitenciers haïtiens, et non à la situation qui prévaut durant la période de détention administrative à laquelle pourrait être soumise le demandeur. (La Cour souligne).

 

(Ordonnance rendue le 17 mars 2009 par le juge de Montigny dans le dossier Edouard c. M.C.I. et al, IMM-1262-09 aux pp. 3 et 4).

 

[38]           Le juge de Montigny a rejeté la requête en sursis sur la base que le demandeur Édouard ne se présentait pas devant la Cour avec les mains propres et que pour cette seule raison la requête en sursis devrait être rejetée. Le juge de Montigny a également jugé que la demande pour surseoir au renvoi ne soulevait aucune question sérieuse. Enfin, le juge de Montigny a jugé que le demandeur n’avait pas établi un préjudice irréparable advenant son renvoi en Haïti et que la balance des inconvénients penchait nettement en faveur des défendeurs.

 

[39]           Le juge Orville Frenette s’est également prononcé sur la pertinence et la valeur de la preuve offerte par Mme Michelle Karshan de « Alternative Chance », dans son jugement relatif au dossier Placide c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 490, [2009] A.C.F. no 595 (QL).

 

[40]           Il appartenait à l’agent d’ERAR de soupeser la preuve devant lui et de lui accorder le poids approprié. C’est ce qu’il a fait en l’espèce.

 

[41]           L’agent d’ERAR a choisi d’accorder plus de valeur aux observations du U.S. Department of State (US DOS) dans le « Country Reports on Human Rights Practices – 2008 », publié le 25 février 2009, ce qu’il pouvait faire.

 

[42]           Au surplus, la déclaration assermentée d’un fonctionnaire de l’Ambassade canadienne en Haïti, révèle ce qui suit (pièce F en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik) :

·        que depuis août 2006, la situation a changé et le gouvernement haïtien ne détient plus les Haïtiens déportés en Haïti pendant des périodes indéterminées;

·        qu’une période de détention préventive administrative, sous la juridiction de la Direction centrale de la Police judiciaire (DCJP), à l’arrivée peut varier entre deux (2) heures et douze (12) jours;

·        que depuis août 2007, seize personnes ont été renvoyées du Canada vers Haïti et qu’aucune n’a été détenue pour plus de trois (3) jours;

·        que ces détentions préventives se font jusqu’à ce qu’un membre de la famille ou un représentant se porte garant pour les conditions de libération.

 

[43]           En ce qui concerne les observations faites par Me Laberge dans son affidavit, laquelle fait état des mauvaises conditions de détentions dans les pénitenciers haïtiens, cette preuve n’était pas devant l’agent d’ERAR.

 

[44]           Au surplus, il y a lieu de nuancer les propos de Me Laberge qui ne portent pas sur les conditions de détention des déportés lors de leur arrivée en Haïti. Elle fait référence aux arrestations qui se font au quotidien et qui visent l’ensemble de la population haïtienne ainsi qu’aux conditions dans les prisons ou centres de détentions du pays où souvent les détenus attendent des mois, voire des années avant d’être jugés. Elle ne fait pas, non plus, directement référence à la Direction centrale de la Police judiciaire où sera détenu le demandeur à son arrivée.

 

[45]           Contrairement à ce que prétend le demandeur au paragraphe 1.16 de son mémoire, l’agent d’ERAR ne conclut pas qu’il y a eu changement de circonstances en Haïti, au sens où l’entend la jurisprudence. D’ailleurs, ce concept renvoie à un changement de situation dans le pays d’origine d’une personne qui allègue une crainte de persécution. Le demandeur, qui est visé pour grande criminalité, ne peut alléguer de crainte de persécution.

 

[46]           Ceci étant dit, la preuve documentaire récente indique que la situation a évolué depuis août 2006 pour les déportés criminels en Haïti (décision de l’agente d’ERAR, pièce B en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik) :

The government detained repatriated citizens upon their return for approximately two weeks…

 

The authorities used the deportee’s time in detention to assess whether the citizen planned to participate in criminal activities and to locate family members. Because of lack of available space in prisons and detention centers, the government made efforts to release the deportees quickly. Deportees, many of whom spent most of their lives abroad, alleged widespread discrimination and social abuse after returning home.

 

[47]           Concernant les conditions générales à Haïti, l’agent d’ERAR a pris soin de noter que la situation continue d’être très difficile dans ce pays, que les conditions de vie sont précaires et qu’il y prévaut une instabilité généralisée; toutefois, l’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’a pas démontré qu’il serait personnellement à risque dans ce pays en raison de ces conditions difficiles. Le fait que le demandeur soit détenu provisoirement à son arrivée ne démontre pas qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[48]           Les conclusions auxquelles est parvenu l’agent d’ERAR sont raisonnablement appuyées par la preuve au dossier. Dans ces circonstances, cette Cour ne peut substituer sa propre appréciation de la preuve à celle de l’agent d’ERAR.

 

[49]           En l’espèce, le demandeur n’a pas rempli son fardeau de démontrer l’existence d’une question sérieuse à déterminer dans sa DACJ à l’encontre de la décision d’ERAR. Cela suffit, en soi, pour mettre un terme à l’analyse requise par l’arrêt Toth, ci-dessus.

 

B.  Préjudice irréparable

[50]           Comme préjudice irréparable, le demandeur réitère les risques déjà rejetés par l’agent d’ERAR et s’appuie de nouveau sur la preuve documentaire portant sur la situation générale en Haïti pour prétendre qu’en tant que criminel déporté en Haïti, sa vie et sa sécurité sont en danger.

 

[51]           Lorsqu’il a rédigé la LIPR, le législateur a décidé, pour assurer la sécurité de la société canadienne, de restreindre l’accès au Canada aux personnes interdites de territoire pour criminalité ou grande criminalité et à celles qui se sont livrées à des actes de violence ou de terrorisme ou ont porté atteinte aux droits humains ou internationaux.

 

[52]           L’intention du législateur s’est notamment concrétisée dans le paragraphe 230(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, SOR/2002-227 (Règlement) où il a prévu que les sursis temporaires des renvois ne s’appliquent pas aux personnes interdites de territoire au Canada pour grande criminalité, tel le demandeur.

 

[53]           Ainsi, en présence d’une personne interdite de territoire au Canada qui doit être renvoyé dans un pays où il y a une suspension temporaire des renvois, comme c’est le cas du demandeur, la preuve documentaire portant sur la situation générale existant en Haïti ne peut permettre d’établir, à elle seule, l’existence d’un préjudice irréparable.

 

[54]           Conclure le contraire irait directement à l’encontre de l’intention du législateur.

 

[55]           Dans le cadre du préjudice irréparable, le demandeur devait démontrer l’existence d’un risque personnalisé pour sa vie et sa sécurité en Haïti. Or, pour les motifs invoqués par l’agent d’ERAR, le demandeur n’a pas fait une telle preuve et ne peut reprendre les mêmes allégations dans le cadre du présent sursis pour prétendre à l’existence d’un préjudice irréparable.

 

[56]           Il convient ici de rappeler qu’il est reconnu que les risques allégués devant l’agent d’ERAR qui sont jugés insatisfaisants ne peuvent constituer un préjudice irréparable :

[27]      Le fait d'alléguer simplement que les personnes en cause subiront le préjudice allégué dans leurs demandes d'ERAR ne suffit pas pour les besoins du critère. Je tiens d'abord à faire remarquer que la grande majorité des personnes touchées ont bénéficié d'un certain nombre d'examens des risques. Avant les décisions relatives aux ERAR, les personnes touchées ont dans tous les cas été parties à des procédures antérieures engagées en vertu de la LIPR [...] (La Cour souligne).

 

(Nalliah c. Canada (Solliciteur général) (C.F.), 2004 CF 1649, [2005] 3 R.C.F. 210).

 

[57]           Quoi qu’il en soit, il ressort des allégations du demandeur que sa crainte de retour en Haïti repose uniquement sur le fait qu’il est un criminel expulsé dans ce pays.

 

[58]           Il a été démontré dans les paragraphes précédents que les criminels renvoyés du Canada ne sont pas exposés à des risques pour leur vie ou leur sécurité du seul fait qu’ils ont été condamnés pour des infractions criminelles au Canada. La preuve documentaire commente les procédures suivies actuellement par les autorités haïtiennes lors de renvoi de personnes du Canada.

 

[59]           L’expérience passée avec des personnes renvoyées du Canada a démontré que celles-ci ne sont pas automatiquement détenues et que, si elles le sont, ce n’est que pour un très court laps de temps.

 

[60]           Dans la pièce F en liasse de l’affidavit de Dorothy Niznik, il est fait état du cas de quinze Haïtiens renvoyés du Canada, dont huit avaient des dossiers criminels. La majorité d’entre eux ont été libérés la journée même de leur arrivée en Haïti. Une seule personne a été détenue pour une période de trois jours :

9.         Entre le 1er août 2007 et le 30 juillet 2008, quinze (15) Haïtiens ont été renvoyés du Canada dont huit (8) avaient des dossiers criminels. J’ai consulté les dossiers conservés par le responsable du fichier central et suivi des déportés à la DCPJ, Elbé C. Linda, et ainsi confirmé la période de détention de quatorze (14) de ceux-ci (l’un des dossiers n’étant pas répertorié) :

 

-           Sept (7) personnes furent libérées le jour même de leur arrivée. Six (6) d’entre elles avait un dossier criminel au Canada;

 

-                     Six (6) personnes ne furent pas remises à la DCPJ. Une d’entre elle avait un dossier criminel au Canada;

 

-                     Une (1) seule personne a été détenue pour une période de trois jours. Cette personne avait un dossier criminel au Canada. »

 

[61]           La preuve documentaire la plus récente et citée par l’agent d’ERAR confirme les informations contenues dans la pièce F de l’affidavit de Dorothy Niznik. En l’espèce, cette preuve documentaire au dossier est loin de démontrer la probabilité que le demandeur subira un préjudice irréparable à son retour en Haïti.

 

C.  Balance des inconvénients

[62]           L’intérêt public revêt une importance capitale lorsqu’il s’agit de trancher la question de la balance des inconvénients. La Cour d’appel fédérale a parlé de l’intégrité et de l’équité du système canadien de contrôle de l’immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système (Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, 132 A.C.W.S. (3d) 547).

 

[63]           Le demandeur a eu le privilège de venir au Canada à titre de résident permanent. Depuis son arrivée, il a vécu une vie caractérisée par la criminalité. Suite aux actes criminels qu’il a commis, le demandeur est devenu interdit de territoire au Canada pour motifs de grande criminalité.

 

[64]           Le renvoi du demandeur est la conséquence de la perte de son statut de résident permanent en raison des condamnations criminelles rendues contre lui. Par ces condamnations, le demandeur a enfreint les conditions aux termes desquelles il était autorisé à demeurer au Canada (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, [1992] A.C.F. no 27 (QL)).

 

[65]           Un survol des antécédents criminels du demandeur et de la preuve au dossier démontre de façon non équivoque son degré de criminalité. Cet élément doit nécessairement faire pencher la balance des inconvénients en faveur des défendeurs qui doivent garantir la sécurité des Canadiens.

 

[66]           La Cour fédérale s’est prononcée sur des dossiers où le demandeur avait un passé criminel beaucoup moins lourd que celui du demandeur, et a décidé que dans de telles circonstances, la balance des inconvénients favorisait le Ministre :

Le demandeur s'est avéré être une personne criminalisée. La balance des inconvénients pèse lourdement en faveur des défendeurs.

 

(Dukuzumuremyi c. MCI et MSPPC, IMM-4296-07 et IMM-4297-07, 30 octobre 2007 (juge Frenette) à la p. 8; également, Merkarbèche c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Ministre de la Sécurité publique de la Protection civile), 2007 CF 566, [2007] A.C.F. no 762 (QL) au par. 55).

 

[67]           La Cour a aussi indiqué dans des décisions récentes qu’elle ne pouvait ignorer le fait qu’une personne soit interdite de territoire lorsqu’elle évaluait la balance des inconvénients (Sancho c. M.C.I. et M.S.P.P.C., IMM-4405-08, 17 octobre 2008 à la p. 5). De même, la Cour a jugé que la conduite d’un demandeur devait être prise en considération dans l’examen d’une demande de sursis (Cyabukombe c. M.C.I. et M.S.P.P.C., IMM-2681-08, 16 juin 2008 à la p. 2).

 

[68]           Conséquemment, les défendeurs font valoir qu’il n’existe aucune raison qui puisse faire pencher la balance des inconvénients en faveur du demandeur, surtout qu’il n’a pas démontré la probabilité qu’il soit en danger en Haïti

IV.  Conclusion

[69]           Compte tenu de tout ce qui précède, le demandeur ne satisfait pas les critères de la jurisprudence relativement à l’obtention d’un sursis judiciaire.

 

[70]           La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2695-09

 

INTITULÉ :                                       DOUMICK YVENS JEAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 8 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marie-Hélène Giroux

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Sylviane Roy

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Monterosso Giroux s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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