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Cour fédérale

 

Federal Court

                                                                              

                                                                                                                                Date : 20091023

Dossier : IMM‑45‑09

Référence : 2009 CF 1073

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

ASON HASSAN MAZINANI

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT GIBSON

 

Introduction

[1]               Les présents motifs découlent de l’instruction à Toronto le 25 septembre 2009 d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision en date du 16 septembre 2008 par laquelle un délégué du ministre a conclu que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, pour des motifs de grande criminalité. En raison de cette décision, le demandeur, qui a la qualité de réfugié au Canada au sens de la Convention, n’est pas exempté d’un renvoi dans son pays de nationalité, l’Iran.

 

[2]               Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[1] :

 

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

[...]

 

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada;

...

 

 

Contexte

[3]               Le demandeur est né et a grandi en Iran dans une famille qui appuyait le shah. Après le renversement du shah, la famille du demandeur et le demandeur lui‑même, qui était jeune à l’époque, ont continué d’appuyer l’ancien régime. Craignant la persécution, le demandeur s’est enfui de l’Iran avec l’aide de sa famille et est arrivé au Canada en août 1990. À son arrivée, il avait un peu moins de 16 ans. Il avait le soutien d’un frère aîné ici au Canada.

 

[4]               Le demandeur a revendiqué la qualité de réfugié au sens de la Convention. Sa revendication a été accueillie vers la mi‑octobre 1995. Pendant que la revendication du demandeur était en instance, le frère aîné du demandeur est décédé. Le demandeur a par la suite commencé à consommer des drogues et a pris part à des activités criminelles.

 

[5]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada, mais cette demande a été rejetée. Les autorités de l’immigration ont conclu qu’il était interdit de territoire pour des motifs de grande criminalité. Aujourd’hui encore, le demandeur demeure sans statut au Canada.

 

[6]               Une mesure d’expulsion a été prise contre le demandeur le 24 août 2000. Il a interjeté appel de cette mesure à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais l’appel a été rejeté le 26 juin 2002.

 

[7]               Un avis de danger pour le public au Canada (« avis de danger ») a été délivré à l’encontre du demandeur en janvier 2002. Il a demandé le contrôle judiciaire de cet avis et la demande a été accueillie. À cette époque, l’avis de danger n’a pas été renouvelé.

 

[8]               Le 23 février 2007, à la suite de nouvelles accusations contre le demandeur pour des infractions qu’il aurait commises en 2003 et qui ont mené à des déclarations de culpabilité à la fin de juin 2007, les autorités de l’immigration ont avisé le demandeur qu’elle prenait à nouveau des démarches pour obtenir un avis de danger à son encontre. Des observations exhaustives ont été déposées au nom du demandeur, et sans accorder au demandeur une entrevue où il aurait pu corroborer et même développer davantage ses observations, l’avis de danger visé par la présente demande de contrôle a été délivré. Les autorités ont signifié l’avis de danger au demandeur le 22 décembre 2008.

 

[9]               Le demandeur prétend que, jusqu’à la délivrance de l’actuel avis de danger, et bien avant celle‑ci, il était en voie de réussir sa réadaptation grâce au solide soutien communautaire obtenu de sa fiancée, une citoyenne canadienne, et de son père, qui partage maintenant son temps entre le Canada et l’Iran. Il affirme être pleinement engagé dans un programme de traitement à la méthadone afin de régler son problème de toxicomanie et il a déposé des éléments de preuve émanant de tiers pour étayer cette affirmation; il travaille pour l’entreprise de son père et il fait du bénévolat.  

 

[10]           Le dossier du prévenu du demandeur renferme les éléments suivants :

a.       le 29 décembre 1993; déclaré coupable de possession de stupéfiant, paragraphe 3(1) de la Loi sur les stupéfiants; sanction, une amende de 50 dollars;

 

b.      le 28 septembre 1994; déclaré coupable de port d’une arme dissimulée, article 89 du Code criminel; sanction, période de détention de 14 jours, période de probation de deux ans et interdiction de posséder des armes à feu, des munitions ou des substances explosives pendant cinq ans;

 

c.       le 15 février 1999; déclaré coupable de possession de stupéfiants en vue du trafic – héroïne et cocaïne (x 2) et trafic de stupéfiants – héroïne et cocaïne (x 2), paragraphes 4(2) et 4(1) de la Loi sur les stupéfiants; sanction, emprisonnement de quatre ans pour chaque chef d’accusation (peines purgées de manière concurrente); le demandeur a été libéré sous conditions le 10 septembre 2000, mais a été réincarcéré le 11 mars 2002 pour non-respect des conditions; sa date de libération d’office était le 12 novembre 2002, mais il a été réincarcéré le 24 avril 2003 pour ne pas avoir respecté les conditions de remise en liberté;

 

d.      le 10 mars 1999; déclaré coupable de méfait entraînant des dommages de moins de 5 000 dollars, paragraphe 430(4) du Code criminel; sanction, une amende de 100 dollars et une période de probation de 30 jours;

 

e.       le 12 novembre 2002; déclaré coupable de garde ou contrôle d’un véhicule automobile avec facultés affaiblies, alinéa 255(1)b) du Code criminel; sanction, une amende de 700 dollars et suspension du permis de conduire pendant un an;

 

f.       le 29 juin 2007; déclaré coupable de possession de cocaïne en vue du trafic, paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances; sanction, emprisonnement d’une durée de cinq mois (tenant compte d’une détention préventive de 287 jours); et déclaré coupable de possession non autorisée d’une arme à feu – infraction délibérée, paragraphe 92(3) du Code criminel; sanction, emprisonnement d’une durée de cinq mois (peines purgées de manière concurrente).

 

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[11]           Le délégué du défendeur (le délégué) qui a délivré l’avis de danger visé par la présente demande de contrôle a étayé sa décision en fournissant des motifs exhaustifs et détaillés. Voici le premier paragraphe de ces motifs :

[traduction] Voici les motifs de ma décision en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) concernant M. Mazinani et la question de savoir s’il constitue un danger pour le public au Canada. Si je conclus que M. Mazinani ne constitue pas un danger pour le public, il pourra rester au Canada. Par contre, si je conclus que M. Mazinani constitue un danger pour le public, il pourra être refoulé en Iran, pourvu que cette mesure soit conforme à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Suresh, pour assurer le respect de l’article 7 de la Charte, il faut mettre en balance le risque auquel M. Mazinani serait exposé s’il était refoulé en Iran et le danger qu’il constituerait pour le public s’il restait au Canada. Les facteurs d’ordre humanitaire doivent également être pris en compte au cours de l’exercice de pondération. Si le risque pour le public canadien est plus important que le risque associé au refoulement et que les considérations d’ordre humanitaire, M. Mazinani peut être renvoyé en Iran en vertu du paragraphe 115(2)a) de la LIPR. En vertu du paragraphe 6(1) de la LIPR, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) m’a désigné pour trancher la question.

 

Ensuite, le délégué a examiné la question qui lui a été soumise sous les rubriques suivantes :

[traduction] Partie I – DISPOSITIONS APPLICABLES DE LA LIPR; Partie II – FAITS; Partie III – ÉVALUATION DU DANGER; Partie IV – ÉVALUATION DES RISQUES; Partie V – FACTEURS D’ORDRE HUMANITAIRE; Partie VI – DÉCISION et Partie VII – DOCUMENTATION EXAMINÉE.

 

[12]           Voici les conclusions que le délégué a tirées quant aux parties III, IV, V et VI, après avoir résumé, examiné et analysé les faits et points jugés pertinents :

[traduction]

Partie III

[...]

 

Je note que M. Mazinani a commis ses plus récentes infractions en 2003, et qu’il a été déclaré coupable de ces infractions en 2007. L’avocat de M. Mazinani soutient qu’il s’agit de peines relativement mineures, compte tenu de ses antécédents judiciaires, de sorte qu’on peut selon lui penser que le juge qui a infligé la peine estimait que les infractions étaient de moindre gravité. Bien que je convienne avec l’avocat de M. Mazinani que les périodes d’incarcération étaient de courte durée, il ne faut pas perdre de vue que la Cour a néanmoins tenu compte de la longue période de détention préventive lorsqu’elle a imposé les peines.

 

Par conséquent, M. Mazinani n’a pas selon moi établi avoir assumé la responsabilité personnelle des facteurs contributifs de sa criminalité. Je n’estime pas non plus, après examen de la preuve versée au dossier, que la réadaptation de M. Mazinani soit suffisamment avancée pour qu’il soit peu probable qu’il récidive après sa mise en liberté compte tenu du fait qu’il continue de suivre son traitement pour toxicomanie et que sa mise en liberté est assortie de conditions. Autrement dit, je conclus qu’il est plus probable que le contraire que M. Mazinani récidive.

 

À la lumière des facteurs signalés ci‑dessus, je suis d’avis que M. Mazinani est un récidiviste potentiel et que le maintien de sa présence continue au Canada constitue un risque inacceptable pour la population canadienne et, par conséquent, je conclus qu’il constitue un danger présent et futur pour la collectivité.

 

Partie IV

 

[...]

 

Je ne suis pas convaincu que les renseignements au dossier démontrent que M. Mazinani soit un militant politique ou qu’il ait été membre d’une organisation impliquée dans des activités dissidentes contre le régime iranien depuis son départ en 1990. Je ne suis pas convaincu, tout bien pesé, que sa vie serait en danger, qu’il serait exposé à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités à titre de militant politique, opposé au régime, qui en attente d’un procès se serait peut‑être enfui du pays pendant qu’il était en liberté sous caution à l’âge de 15 ans, ou encore à titre de demandeur d’asile et de personne expulsée ayant des antécédents criminels.

 

Je n’ai aucun doute que M. Mazinani sera interrogé par les autorités à son retour en Iran; toutefois, je ne suis pas convaincu que M. Mazinani intéresse particulièrement les autorités iraniennes en raison de son casier judiciaire. De plus, je ne suis pas convaincu qu’il intéresse les autorités iraniennes en raison des activités dissidentes auxquelles il aurait peut‑être participé quand il n’avait que 15 ans.

 

Selon les renseignements versés au dossier, M. Mazinani est un musulman qui était marié à une chrétienne – ils se sont séparés – et qui affirme ne pas souscrire à toutes les traditions et obligations de l’Islam. Je ne suis pas convaincu qu’il se soit converti à une autre religion et que, tout bien pesé, il soit perçu comme un apostat parce qu’il a déjà eu une épouse chrétienne.

 

Selon les renseignements versés au dossier, il y a des problèmes liés au trafic de la drogue en Iran. Les renseignements indiquent également qu’il y a des programmes de réadaptation à la disposition des toxicomanes. Je suis convaincu que, tout bien pesé, M. Mazinani pourrait poursuivre son programme de réadaptation. Je ne suis pas convaincu que, tout bien considéré, il serait exposé à des risques en raison de sa toxicomanie.

 

Partie V

 

[...]

 

Pour conclure, il existe des facteurs d’ordre humanitaire favorables, notamment le fait que M. Mazinani souffre de toxicomanie, qu’il a pris des mesures pour régler ce problème et qu’il bénéficie de la présence et du soutien de Mme Nigro, avec qui il entretient présentement une relation; toutefois, à la lumière des éléments de preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincu que les facteurs d’ordre humanitaire l’emportent sur le danger que M. Mazinani constitue pour le public au Canada. Je reconnais que le renvoi dans un pays que M. Mazinani a quitté quand il était d’âge mineur entraînera certaines difficultés pour lui, car il devra s’adapter à une nouvelle culture et à une nouvelle langue; toutefois, ces difficultés seront atténuées dans une certaine mesure par la présence de son père, dont les activités commerciales font en sorte qu’il passe du temps en Iran ainsi qu’au Canada. En tant que toxicomane, M. Mazinani peut participer aux programmes de traitement qui sont offerts en Iran.

 

Partie VI

 

[...]

 

Les objectifs pertinents exposés dans la LIPR sont les suivants :

 

3.(1)     En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

                              [...]

 

h)       de protéger la santé et la sécurité publiques et de garantir la sécurité de la société canadienne;

 

i)         de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

 

[...]

 

3.(3)     L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

 

a)      de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international;

 

[...]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

Après avoir examiné attentivement tous les aspects de la présente affaire, y compris les aspects d’ordre humanitaire, et après avoir soupesé le risque auquel M. Mazinani pourrait être exposé s’il était renvoyé en Iran et la nécessité de la protéger la société canadienne, je conclus que ce dernier facteur l’emporte sur le premier. Autrement dit, ayant pris en compte les facteurs susmentionnés, je suis d’avis que la nécessité de protéger les membres du public au Canada milite en faveur du renvoi de M. Mazinani du Canada, particulièrement à la lumière de ma conclusion qu’il ne serait exposé à aucun des risques énumérés à l’article 97 de la LIPR s’il était renvoyé en Iran. Par conséquent, je conclus que M. Mazinani peut être expulsé malgré le paragraphe 115(1) de la LIPR, étant donné que son renvoi en Iran ne porterait pas atteinte à ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte des droits et libertés.

 

Les questions en litige

 

[13]           Dans le mémoire des faits et du droit déposé au nom du demandeur, son avocat a traité de la norme de contrôle applicable et énoncé trois autres questions que soulève la présente demande de contrôle judiciaire, qu’il a formulées comme suit :

                                                              i.      premièrement, la question de savoir si le délégué du ministre a commis une erreur en concluant que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada;

 

                                                            ii.      deuxièmement, la question de savoir si le délégué du ministre a commis une erreur en évaluant le risque auquel le demandeur serait exposé à son retour en Iran;

 

                                                          iii.      troisièmement, la question de savoir si le délégué du ministre a commis une erreur en évaluant les difficultés auxquelles le demandeur ou d’autres personnes seraient exposés s’il était renvoyé en Iran.

 

Relativement à ces trois questions de fond, l’avocat du demandeur a relevé une multitude d’erreurs qui, prises ensemble, constituent selon lui une erreur susceptible de contrôle selon la norme de contrôle applicable.

 

[14]           L’avocat du défendeur a soutenu qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard d’une décision délivrée par un délégué du ministre en vertu du paragraphe 115(2) de la LIPR, car un avis de danger repose en grande partie sur la vérification des faits, mettant en jeu la pondération de divers facteurs et comportant une [traduction] « dimension juridique négligeable ». L’avocat du défendeur a fait valoir que, à la lumière de ce critère, le délégué n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle.

 

Analyse

1)   Norme de contrôle

[15]           Dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[2], qui concernait un avis de danger, la Cour suprême a écrit au paragraphe 29 de ses motifs :

La première question consiste à déterminer quelle norme de contrôle doit être appliquée à la décision ministérielle portant qu’un réfugié constitue un danger pour la sécurité du Canada. Nous souscrivons à l’opinion du juge Robertson selon laquelle le tribunal de révision doit faire preuve de retenue à cet égard et annuler la décision discrétionnaire seulement si elle est manifestement déraisonnable parce qu’elle aurait été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu’elle n’est pas étayée par la preuve ou que la ministre a omis de tenir compte des facteurs pertinents. Le tribunal de révision ne doit ni soupeser à nouveau les différents facteurs ni intervenir uniquement parce qu’il serait arrivé à une autre conclusion. [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Dans l’arrêt Nagalingan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[3], qui concerne lui aussi un avis de danger et qui a été rendu après l’arrêt Dunsmuir[4], la Cour d’appel fédérale a confirmé ce qui précède et ajouté ce qui suit au paragraphe 34 de ses motifs :

Dans le cas qui nous occupe, je constate que la Loi ne prévoit pas de clause privative, mais plutôt que le droit de saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire est expressément prévu à condition d’obtenir une autorisation préalable [...] Par ailleurs, les questions de droit qui sont posées dans le présent appel commandent l’interprétation et l’application de principes généraux de common law et de droit international au sujet desquels le délégué ne possède pas une expertise plus grande que la Cour. Je conclus donc que le juge Kelen a appliqué la norme de contrôle appropriée aux questions de droit soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire, en l’occurrence celle de la décision correcte.

 

 

[17]           Je souscris aux lignes directrices exposées dans les arrêts Suresh et Nagalingan, tout en notant que la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable a été amalgamée à la norme de la décision raisonnable.

 

[18]           De plus, je suis d’avis que tout manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale relevé dans le cadre d’un contrôle judiciaire comme celui‑ci doit être examiné selon la norme de la décision correcte.

 

2)   Apprécier la preuve concernant le danger pour le public au Canada, le risque auquel le demandeur serait exposé à son retour en Iran (le cas échéant), et l’évaluation des difficultés auxquelles le demandeur ou d’autres personnes seraient exposés s’il était renvoyé en Iran, et soupeser les conclusions du délégué concernant le danger pour le public au Canada, d’une part, et le risque pour le demandeur à son retour en Iran et les difficultés pour le demandeur et d’autres s’il était renvoyé, d’autre part.

 

[19]           L’avocat du demandeur a longuement contesté devant la Cour la façon dont le délégué a apprécié les éléments de preuve à sa disposition et la façon dont il a soupesé ses conclusions concernant le danger pour le public au Canada, d’une part, et le risque pour le demandeur à son retour en Iran ainsi que les difficultés pour le demandeur et d’autres s’il était renvoyé, d’autre part.

 

[20]           Pour commencer, je constate de prime abord que rien dans l’examen détaillé de la preuve et dans l’analyse du délégué ne donne à penser qu’il a mis en doute la crédibilité du demandeur. Le délégué a procédé à l’appréciation des éléments de preuve fournis par le demandeur à la lumière des autres éléments de preuve à sa disposition, une tâche de l’essence même du rôle et de l’expertise du délégué.

 

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, les juges Bastarache et LeBel ont écrit au paragraphe 47 de leurs motifs :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[22]           Malgré l’argumentation solide et imaginative présentée au nom du demandeur, je suis d’avis que l’examen par le délégué de la preuve au dossier et l’analyse qu’il en a faite compte tenu des questions qu’il devait trancher étaient à la fois équitables et raisonnables et que, par conséquent, les conclusions tirées de cette preuve et de son analyse ont mené à une décision qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[23]           En fait, l’avocat du demandeur m’invite à substituer mon appréciation de l’ensemble des éléments de preuve à celle du délégué. Là n’est pas le rôle de la Cour dans une affaire comme celle‑ci. De plus, le rôle de la Cour ne consiste pas à « passer au peigne fin » le sommaire des preuves et leur analyse par le délégué. Je refuse d’adopter une telle approche.

 

[24]           Sous réserve de ce qui suit, suivant la norme de la décision raisonnable, je conclus que le délégué a rendu une décision que le droit applicable lui permettait raisonnablement de rendre.

 

3)   Allégations d’erreurs de droit et de manquements à la justice naturelle et à l’équité procédurale

 

[25]           L’avocat du demandeur soutient que le délégué s’est fondé à tort sur des accusations portées contre le demandeur qui avaient été retirées ou rejetées et que, ce faisant, le délégué a commis une erreur de droit susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte.

 

[26]           Dans la décision Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[5], la juge Snider a écrit aux paragraphes 34 à 37 de ses motifs :

Je tiens tout d’abord à faire observer que la lecture de l’avis de danger dans son ensemble ne démontre pas que le délégué a accordé une importance exagérée aux incidents qui n’ont pas donné lieu à des condamnations. Il les a plutôt situés dans un contexte plus large, en constatant l’existence d’un type de comportement qui s’est poursuivi jusqu’en 2001, année où le demandeur aurait été trouvé en possession d’objets servant à fabriquer de faux documents.

 

On trouve une réponse encore plus catégorique à cet argument dans les décisions rendues par la Cour fédérale et par la Cour d’appel fédérale dans les affaires Sittampalam I et Sittampalam II. Voici à cet égard ce que dit le juge Hughes, dans le jugement Sittampalam I, au paragraphe 35 :

 

À mon sens, dans les propos qu’il a tenus aux pages 53 et suivantes sous la rubrique « activités criminelles », le commissaire n’accorde pas une importance indue aux accusations qui ont été effectivement portées ou qui ont été envisagées, mais qui ne se sont jamais matérialisées. Ces faits sont évoqués dans sa décision, mais seulement dans le contexte de l’examen approfondi des faits à l’origine des accusations qui ont été effectivement portées ou qui ont été envisagées. Le commissaire s’est fondé sur ces faits et non sur les accusations portées ou envisagées pour conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de conclure que l’alinéa 37(1)a) de la LIPR s’appliquait.

 

La Cour d’appel a confirmé cette opinion dans l’affaire Sittampalam II, aux paragraphes 50 et 51, où la Cour déclare ce qui suit :

 

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées peut être prise en considération lors des audiences en matière d’immigration. Ces accusations ne peuvent toutefois pas être utilisées comme seule preuve de la criminalité d’une personne : [...]

 

À cet égard, je suis d’accord avec le juge que la Commission n’a pas considéré la preuve recueillie par la police comme une preuve de la conduite répréhensible de l’appelant. La Commission a plutôt tenu compte des circonstances sous‑tendant les accusations qui ont été portées ou qui ont été envisagées – notamment la fréquence des démêlés de l’appelant avec la police et le fait que d’autres personnes impliquées étaient souvent des membres de la bande – pour démontrer qu’il existait des « motifs raisonnables de croire », une norme moins rigoureuse que la norme applicable en matière civile, que la bande A.K. Kannan se livrait au genre d’activités décrites à l’alinéa 37(1)a).

 

À mon avis, dans la présente demande, le délégué s’est, selon la preuve, servi des démêlés du demandeur avec la police essentiellement comme la Commission l’a fait pour tirer sa conclusion au sujet de l’interdiction de territoire. Si la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont jugé acceptable, dans les affaires Sittampalam I et Sittampalam II, la façon dont la Commission s’était fondée sur ces faits pour conclure à l’interdiction de territoire, cette façon de procéder est certainement acceptable dans le contexte qui m’est soumis.

[Non souligné dans l’original.]

 

Je suis d’avis que la conclusion tirée par la juge Snider dans le dernier paragraphe cité ci‑dessus est exactement la conclusion qu’il faut tirer en l’espèce.

 

4)   Le défaut d’avoir interviewé le demandeur malgré la demande de ce dernier

[27]           L’avocat du demandeur soutient que le délégué a manqué aux principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale en ne convoquant pas le demandeur à une entrevue avant de rendre la décision visée par la présente demande de contrôle, compte tenu que le demandeur avait sollicité une entrevue.

 

[28]           Il est bien établi en droit qu’exception faite de la mise en cause de la crédibilité, un décideur comme le délégué n’est pas tenu d’accorder une entrevue. Il incombe plutôt à un demandeur, comme le demandeur en l’espèce, de présenter les éléments de preuve qui démontrent qu’il ne devrait pas être expulsé.

 

[29]           Dans la décision Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[6], le juge Zinn a écrit :

Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’aucune audience n’était requise puisque la décision était basée uniquement sur le poids de la preuve présentée, et qu’elle ne reposait donc pas sur la crédibilité de la demanderesse.

 

 

[30]           Il en va de même en l’espèce. Par conséquent, suivant la norme de la décision correcte, je suis d’avis que le délégué n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en rendant la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire sans accorder au demandeur l’occasion de renforcer sa cause dans le cadre d’une entrevue.

 

5)   L’omission de tenir compte des difficultés auxquelles serait exposée la fiancée du demandeur, une citoyenne canadienne, à titre de considération d’ordre humanitaire favorable au demandeur

 

[31]           L’avocat du demandeur soutient que, en ne tenant pas compte des observations faites pour le compte du demandeur concernant les difficultés que subirait sa fiancée à la suite de son expulsion vers l’Iran, à titre de considération d’ordre humanitaire militant en faveur du demandeur, le délégué a commis une erreur susceptible de contrôle. Je ne peux souscrire à cet argument. Le délégué est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Le simple fait que certains éléments de preuve ne soient pas expressément mentionnés dans les motifs du délégué n’entraîne pas, en l’absence de facteurs n’entrant pas en jeu en l’espèce, d’erreur susceptible de contrôle[7].

 

[32]           Suivant la norme de la décision correcte, je ne relève aucune erreur de droit ou déni de justice naturelle ou d’équité procédurale à cet égard.

 

Conclusion

[33]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Certification d’une question

[34]           Au terme de l’audience sur la présente demande de contrôle judiciaire, j’ai indiqué aux avocats des parties que j’allais différer ma décision et leur donner l’occasion de présenter des observations écrites sur la certification d’une question, une fois que j’aurais mis la dernière main à mes motifs.

 

[35]           Les présents motifs seront remis aux avocats. L’avocat du demandeur disposera de quatorze (14) jours à compter de la date de remise des motifs pour signifier et déposer ses observations quant à la certification d’une question. L’avocat du défendeur aura par la suite sept (7) jours pour signifier et déposer, le cas échéant, des observations en réponse. Par la suite encore, l’avocat du demandeur disposera d’un délai de sept (7) jours pour signifier et déposer une réplique, s’il y a lieu. Ce n’est qu’après l’expiration des délais susmentionnés que la Cour délivrera une ordonnance donnant effet aux présents motifs et tranchant la question de savoir s’il y a une question à certifier.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge suppléant

 

Ottawa (Ontario)

Le 23 octobre 2009

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑45‑09                

 

 

INTITULÉ :                                      ASON HASSAN MAZINANI c LE MINISTRE

                                                            DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 25 septembre 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : Le juge suppléant Gibson

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 octobre 2009    

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell                                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAMANN SANDALUK                                                     

Toronto (Ontario)                                                                    POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

JOHN H. SIMS, c.r.                                                              

Sous‑procureur général du Canada                                         POUR LE DÉFENDEUR



[1]               LC 2001, c 27.

[2]               [2002] 1 RCS 3.

[3]               [2009] 2 RCF 52 (CAF).

[4]               Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190.

[5]               2007 CF 687, le 28 juin 2007.

[6]               2008 CF 1067, le 23 septembre 2008.

[7]               Voir : Cepeda Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst).

 

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