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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20091021

Dossier : IMM-2199-09

Référence : 2009 CF 1065

Toronto (Ontario), le 21 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

YENI HERNANDEZ PEREZ

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le droit des réfugiés n’exige pas l’altruisme chez ceux qui recherchent une protection contre la persécution, et il n’exclut pas non plus ceux qui expriment publiquement leurs craintes.

 

[2]               Dans la présente affaire, la commissaire a blâmé plusieurs fois la demanderesse d’avoir eu recours aux médias pour appeler l’attention sur elle comme victime. Les observations de la commissaire, pour qui la demanderesse « a souvent négligé de [s’attaquer à la corruption] avant d’en être elle-même victime », a usé d'un « stratagème » et de « menaces » pour faire connaître sa

 

situation et n’a pas montré d'« intentions [...] altruistes », témoignent de jugements sur l’intégrité de la demanderesse qui sont en droit hors de propos et ont pour effet de vicier la décision tout entière.

 

[3]               La demanderesse sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 8 avril 2009, où la SPR a jugé que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. J’exposerai ici les motifs qui me conduisent à accueillir la demande et à renvoyer l’affaire pour qu'elle soit réexaminée par un autre tribunal de la SPR.

Les faits

[4]               Mme Yeni Hernandez Perez, la demanderesse, qui travaillait pour la police judiciaire de l’État mexicain de Hidalgo, a été congédiée après qu’elle eut repoussé les avances sexuelles du directeur de la police ministérielle. Elle a déposé une dénonciation en règle au bureau du procureur général, dans laquelle elle demandait que le directeur soit convoqué pour répondre à l’accusation. Elle demandait aussi d’être réintégrée dans son poste.

 

[5]               Au lieu de la réintégrer dans son poste, les agents de l’État, y compris le directeur lui-même, ont lancé une campagne visant à la réduire au silence par des menaces de mort.

 

 

 

[6]               Le procureur général a informé la demanderesse qu’il s’efforçait d’obtenir sa réintégration, mais la demanderesse avait le sentiment qu’il lui mentait et elle s’est donc adressée aux médias. Ses amis et ses proches ont organisé pour elle une protestation de soutien devant des bureaux du gouvernement, et son cas est devenu de notoriété publique. Elle a pu obtenir un entretien avec le gouverneur de l’État pour lui exposer son cas, mais il lui a finalement conseillé de quitter le pays car il n’était pas en mesure de l’aider. La demanderesse a témoigné qu’elle demeure résolue à obtenir sa réintégration et à faire en sorte que sa dénonciation débouche sur des poursuites contre le directeur.

 

La décision contestée

[7]               La commissaire a estimé que la demanderesse n’avait pas, par une preuve claire et convaincante, réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État et que les moyens qu’elle avait pris pour obtenir de l’État une protection avaient été entravés par l’absence de preuves à l’appui et par le fait qu’elle s’était adressée aux médias pour faire connaître sa situation.

 

[8]               La commissaire écrivait que le signalement d’un cas de corruption au Mexique doit suivre un processus bien défini. Selon elle, la demanderesse connaissait l’existence du ministère de la Fonction publique (le SFP), ainsi que les responsabilités de ce ministère, et elle aurait mieux fait de s’adresser à cette institution plutôt que de diffuser ses allégations dans les médias.

 

[9]               La commissaire a estimé que, si la demanderesse craignait un directeur de police de haut niveau comme agent de persécution, il était contradictoire qu’elle ait cherché à l’exposer dans les médias, en le désignant nommément, avant de se réclamer de la protection internationale.

 

[10]           La commissaire n’a pas été persuadée que la demanderesse était motivée uniquement par l’altruisme, et elle a mis en doute son intégrité parce qu’elle s’était adressée aux médias au lieu de recourir aux autorités compétentes. Elle a mis en doute l'affirmation de la demanderesse selon laquelle elle voulait être réintégrée pour pouvoir lutter contre la corruption au sein de la police.

 

Le point litigieux

 

[11]           Le seul point est de savoir si la commissaire a commis une erreur en concluant que la demanderesse pouvait obtenir de l’État mexicain une protection.

 

Analyse

 

[12]           La Cour a jugé à plusieurs reprises que l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n° 9, n’a pas modifié le droit en ce qui a trait aux conclusions de fait assujetties à la limite inscrite dans l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales : De Medeiros  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 386, [2008] A.C.F. n° 509; Obeid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 503, [2008] A.C.F. n° 633; Naumets c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 522, [2008] A.C.F. n° 655. Il a également été jugé que la décision d’un tribunal administratif sur des questions de fait est réformable d’après la norme de raisonnabilité : Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, [2008] A.C.F. n° 515.

 

 

 

[13]           Le principal rôle du commissaire comme juge des faits consiste à analyser la preuve et à exercer son pouvoir discrétionnaire. La juridiction de contrôle se doit donc de faire preuve de retenue à l'égard des conclusions du commissaire. Les conclusions de fait tirées par le commissaire seront maintenues à moins que le raisonnement qu’il a suivi soit vicié et que la décision qui en a résulté s’écarte de l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 47.

[14]           Dans un cas comme l'espèce, il pourrait y avoir plus d’une issue raisonnable. Pour autant que le processus suivi par la commissaire, ainsi que l’issue retenue par elle, cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, il n’appartient pas à la juridiction de contrôle d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. n° 12, paragraphe 59.

 

[15]         Je reconnais avec le défendeur que la Cour a conclu par le passé à l’existence d’une protection de l’État au Mexique même si une corruption omniprésente gangrène les autorités publiques telles que la police : Santiago c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 247, [2008] A.C.F. n° 306; De La Rosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 83, [2008] A.C.F. n° 98; Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 490, [2008] A.C.F. n° 624; Ortiz Juarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, [2006] A.C.F. n° 365; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134, [2008] A.C.F. n° 182.

 

 

 

[16]           Je reconnais aussi avec le défendeur que, pour réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État dans le cas d’une démocratie adéquatement pourvue en institutions judiciaires et en organismes de protection, un demandeur d’asile doit s’acquitter d’une obligation d’autant plus rigoureuse, celle de prouver qu’il a épuisé toutes les protections à sa disposition, et il ne sera dispensé de cette obligation d’obtenir de l’État une protection que dans des circonstances exceptionnelles : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. n° 584.

 

[17]           Je ne m’immiscerais pas dans la décision qui a été rendue dans la présente affaire si je n’étais pas arrivé à la conclusion que la commissaire a indûment sous-estimé les efforts faits par la demanderesse pour obtenir de l’État une protection et accordé trop d’importance à la manière dont la demanderesse avait tenté de se faire entendre.

 

[18]           La commissaire laisse de côté la preuve lorsqu’elle parle d’une « seule » dénonciation. La demanderesse a tenté à maintes reprises de faire en sorte que les autorités soient informées de son cas et lui accordent une protection. Ses efforts se sont portés directement vers le procureur général de l’État, qu’elle a rencontré plusieurs fois au cours d’une période de trois mois. Elle a signalé à la police les menaces répétées dont elle-même et sa famille étaient l’objet. Finalement, la demanderesse s’est adressée au gouverneur de l’État, après quoi on lui a conseillé de quitter le pays.

 

[19]           Dans sa décision, la commissaire dit que la demanderesse aurait dû faire intervenir le ministère de la Fonction publique (SFP), un organisme fédéral. Selon la preuve documentaire, le

 

 

SFP a pour mandat de coordonner et piloter la lutte contre la corruption au sein de la fonction publique fédérale.

 

[20]           La commissaire écrit que « la demandeure d’asile aurait mieux fait de s’adresser à cette institution plutôt qu’aux médias.  Compte tenu de son emploi et de ses contacts, elle devait connaître ce ministère et ses responsabilités. » Cette affirmation se heurte à deux difficultés. La première est que la commissaire ne s’est pas demandé si le SFP aurait un rôle à jouer dans un cas impliquant les autorités de l’État de Hidalgo. La preuve versée dans le dossier ne dit nulle part que le SFP serait à même de protéger la demanderesse, en théorie ou dans les faits. La deuxième difficulté est que la demanderesse n’a pas eu l’occasion d’expliquer pourquoi elle ne s’était pas adressée au SFP, puisqu’aucune question ne lui a été posée sur ce point durant l’audience.

 

[21]           La demanderesse n’était pas tenue de prouver qu’elle avait épuisé tous les moyens d’obtenir une protection, mais plutôt qu’elle avait pris toutes les mesures qui étaient raisonnables compte tenu des circonstances. D’après la preuve, il n’était pas objectivement raisonnable d'exiger que la demanderesse s’adresse au SFP avant de rechercher une protection internationale.

 

[22]           Je suis troublé également par ce que l’avocat de la demanderesse a qualifié de [traduction] « cynisme mordant » dans les propos de la commissaire concernant les éléments essentiels de la demande d’asile. Sans s’exprimer sur la crédibilité de la demanderesse, la commissaire n’était à l’évidence pas persuadée qu’il y avait véritablement eu harcèlement sexuel. Mais elle n’aborde pas directement cette question, préférant sous-entendre que l’accusation était « non étayée » et donc infondée et que la demanderesse n’aurait pas agi comme elle l’avait fait

 

« si » véritablement elle craignait le directeur. Une conclusion sans équivoque sur cet aspect aurait été plus conforme aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité dont il est question dans l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

[23]           Pour conclure, je suis d’avis que le raisonnement appliqué par la commissaire était vicié et que la décision s’écarte des issues possibles acceptables. Par conséquent, la Cour est fondée à intervenir. Pour ces motifs, la décision de la SPR est annulée et le cas de Mme Perez est renvoyé à la Commission pour être évalué par un autre commissaire.

 

[24]           Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question grave de portée générale.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission pour évaluation par un autre commissaire. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                              « Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2199-09

 

 

INTITULÉ :                                       YENI HERNANDEZ PEREZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 OCTOBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 OCTOBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Amy Lambiris

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leigh Salsberg

Jackman et Associés

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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