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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20091029

Dossier : IMM-223-09

Référence : 2009 CF 1107

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2009

 

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

 

LU WANG

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 25 septembre 2008 (la décision) par laquelle un agent des visas (l’agent) a refusé la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse a présenté, le 15 janvier 2006, une demande dans laquelle elle réclamait le statut de résidente permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Elle avait inclus son conjoint et son fils en tant que membres de sa famille. Le 25 septembre 2008, l’agent a refusé la demande en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi. L’agent a estimé que la demanderesse ne remplissait pas les conditions requises pour pouvoir immigrer au Canada, étant donné qu’elle n’avait pas accumulé un nombre suffisant de points d’appréciation pour démontrer qu’elle réussirait son établissement économique au Canada au sens des paragraphes 75(2) et 76(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). La demanderesse réclame l’annulation de cette décision et le renvoi de l’affaire à l’agent pour qu’il la réexamine.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[3]               L’évaluation que l’agent a faite de la demanderesse reposait sur les exigences minimales prévues au paragraphe 75(2) ainsi que sur les critères énoncés au paragraphe 76(1) du Règlement. Les critères de sélection prévus par le Règlement sont les suivants : l’âge, les études, l’expérience, l’exercice d’un emploi réservé et la capacité d’adaptation, de même que la compétence dans les langues officielles du Canada.

 

[4]               D’après l’évaluation de l’agent, la demanderesse avait recueilli 61 points sur les 67 qui sont nécessaires pour pouvoir immigrer au Canada. Le statut de résidente permanente ne lui a par conséquent pas été accordé. Dans son évaluation, l’agent n’a accordé aucun point à la demanderesse pour le facteur de la capacité d’adaptation, pour lequel il devait tenir compte des études du conjoint de la demanderesse et de l’existence de parents vivant au Canada.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[5]               Les arguments présentés par la demanderesse soulèvent les questions suivantes :

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur en interprétant et en appliquant la définition du terme « diplôme » à l’article 73 de la Loi et du mot « postsecondaire » au paragraphe 78(2) du Règlement?

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas de membre de sa parenté au Canada au sens du paragraphe 83(5) du Règlement?

3.                  L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse :

a.                  en ne tenant pas dûment compte des éléments de preuve documentaires contenus dans sa demande?

b.                  en ne traitant pas du fait qu’il était insatisfait de la documentation produite avant de rendre sa décision?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[6]               Voici les articles du Règlement qui s’appliquent en l’espèce :

73. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section, à l’exception de l’article 87.1.

 

« diplôme »

« diplôme » Tout diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage obtenu conséquemment à la réussite d’un programme d’études ou d’un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer les établissements d’enseignement dans le pays de délivrance de ce diplôme ou certificat.

 

 

78 (2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :

 

 

d) 20 points, si, selon le cas :

 

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant deux années d’études et a accumulé un total de quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

 

(ii) il a obtenu un diplôme universitaire de premier cycle nécessitant deux années d’études et a accumulé un total d’au moins quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

 

83 (1) Un maximum de 10 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié au titre de la capacité d’adaptation pour toute combinaison des éléments ci-après, selon le nombre indiqué :

 

a) pour les diplômes de l’époux ou du conjoint de fait, 3, 4 ou 5 points conformément au paragraphe (2);

 

 

 

 …

 

d) pour la présence au Canada de l’une ou l’autre des personnes visées au paragraphe (5), 5 points;

 

 

83 (2) Pour l’application de l’alinéa (1)a), l’agent évalue les diplômes de l’époux ou du conjoint de fait qui accompagne le travailleur qualifié comme s’il s’agissait du travailleur qualifié et lui attribue des points selon la grille suivante :

 

 

 

 

a) dans le cas où l’époux ou le conjoint de fait obtiendrait 25 points, 5 points;

 

b) dans le cas où l’époux ou le conjoint de fait obtiendrait 20 ou 22 points, 4 points;

 

c) dans le cas où l’époux ou le conjoint de fait obtiendrait 12 ou 15 points, 3 points.

 

 

83 (5) Pour l’application de l’alinéa (1)d), le travailleur qualifié obtient 5 points dans les cas suivants :

 

a) l’une des personnes ci-après qui est un citoyen canadien ou un résident permanent et qui vit au Canada lui est unie par les liens du sang ou de l’adoption ou par mariage ou union de fait ou, dans le cas où il l’accompagne, est ainsi unie à son époux ou conjoint de fait :

 

(i) l’un de leurs parents,

 

 

(ii) l’un des parents de leurs parents,

 

(iii) leur enfant,

 

(iv) un enfant de leur enfant,

 

(v) un enfant de l’un de leurs parents,

 

(vi) un enfant de l’un des parents de l’un de leurs parents, autre que l’un de leurs parents,

 

 

(vii) un enfant de l’enfant de l’un de leurs parents;

 

b) son époux ou conjoint de fait ne l’accompagne pas et est citoyen canadien ou un résident permanent qui vit au Canada.

 

 

 

 

73. The following definitions apply in this Division, other than section 87.1.

 

 

“educational credential”

“educational credential” means any diploma, degree or trade or apprenticeship credential issued on the completion of a program of study or training at an educational or training institution recognized by the authorities responsible for registering, accrediting, supervising and regulating such institutions in the country of issue. 

 

 

 

 

 

 

78 (2) A maximum of 25 points shall be awarded for a skilled worker’s education as follows:

 

 

 

(d) 20 points for

 

 

(i) a two-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 14 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

 

 


(ii) a two-year university educational credential at the bachelor’s level and a total of at least 14 years of completed full-time or full-time equivalent studies;

 

 

 

 

83 (1) A maximum of 10 points for adaptability shall be awarded to a skilled worker on the basis of any combination of the following elements:

 

 

 

 

(a) for the educational credentials of the skilled worker's accompanying spouse or accompanying common-law partner, 3, 4 or 5 points determined in accordance with subsection (2);

 …

 

(d) for being related to a person living in Canada who is described in subsection (5), 5 points; and

 

 

83 (2) For the purposes of paragraph (1)(a), an officer shall evaluate the educational credentials of a skilled worker's accompanying spouse or accompanying common-law partner as if the spouse or common-law partner were a skilled worker, and shall award points to the skilled worker as follows:

 

 

(a) for a spouse or common-law partner who would be awarded 25 points, 5 points;

 

(b) for a spouse or common-law partner who would be awarded 20 or 22 points, 4 points; and

 

(c) for a spouse or common-law partner who would be awarded 12 or 15 points, 3 points.

 

 

83 (5) For the purposes of paragraph (1)(d), a skilled worker shall be awarded 5 points if

 

(a) the skilled worker or the skilled worker's accompanying spouse or accompanying common-law partner is related by blood, marriage, common-law partnership or adoption to a person who is a Canadian citizen or permanent resident living in Canada and who is

 

(i) their father or mother,

 

(ii) the father or mother of their father or mother,

(iii) their child,

 

(iv) a child of their child,

 

(v) a child of their father or mother,

 

(vi) a child of the father or mother of their father or mother, other than their father or mother, or

 

(vii) a child of the child of their father or mother; or

 

(b) the skilled worker has a spouse or common-law partner who is not accompanying the skilled worker and is a Canadian citizen or permanent resident living in Canada.

 

[7]               L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, D.O.R.S./93-22, s’applique également au cas qui nous occupe :

22. Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22. No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

 

NORME DE CONTRÔLE

[8]               La demanderesse soulève plusieurs questions dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. La première porte à la fois sur l’interprétation de la loi que sur l’application de la loi aux faits de l’espèce. La Cour examinera l’interprétation que l’agent a faite de la loi en fonction de la norme de la décision correcte, et l’application que l’agent a faite de la loi aux faits en fonction de la norme de la décision raisonnable (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 812). La norme de la décision raisonnable s’applique aussi à la seconde question, qui porte sur l’application que l’agent a faite de la loi aux faits de l’espèce pour décider que la demanderesse n’avait pas de famille au Canada au sens du paragraphe 83(5) du Règlement.

 

[9]               La troisième question soulève des questions d’équité procédurale, auxquelles s’applique la norme de contrôle judiciaire de la décision correcte (Lak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 350, aux paragraphes 5 et 6 (Lak); Salman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 877, aux paragraphes 7 à 9 (Salman)). Ainsi donc, si l’on conclut à un manquement à l’équité procédurale, la décision sera annulée.

 

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a reconnu que, malgré les différences théoriques qui existent entre la norme du manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable simpliciter, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). La Cour suprême a par conséquent conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de « raisonnabilité ».

 

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également expliqué qu’il n’était pas nécessaire de se livrer dans chaque cas à une analyse pour arrêter la norme de contrôle applicable. En fait, si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier, la juridiction qui procède au contrôle judiciaire peut retenir cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse qu’elle entreprend l’analyse des quatre éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[12]           Ainsi, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence antérieure de notre Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à la seconde question est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’on examine une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            La demanderesse

L’agent a-t-il commis une erreur en interprétant et en appliquant le Règlement?

 

Diplôme postsecondaire

[13]           La demanderesse affirme que son conjoint a obtenu un diplôme postsecondaire nécessitant deux années et demie d’études à temps plein complètes de l’Anshan Finance and Economics School, une école de formation professionnelle reconnue par l’État. Le conjoint de la demanderesse a accumulé en tout 14,5 années d’études à temps plein complètes.

 

[14]           Suivant les notes versées au système STIDI, l’agent n’a pas accepté le diplôme du conjoint de la demanderesse parce que le niveau le plus élevé d’études qu’il avait suivies l’avait été dans une école de formation professionnelle, laquelle n’est pas reconnue comme un établissement d’enseignement postsecondaire par le China Academic Degree & Graduate Education Development Center (GADGEDC). La demanderesse ne s’est donc vue attribuer aucun point d’appréciation pour sa capacité d’adaptation sur le fondement de la formation de son conjoint.

 

[15]           La demanderesse affirme que le Règlement n’exige pas que le CADGEDC reconnaisse les études de son conjoint pour rendre celles-ci valides. Elle signale que la définition que le Règlement donne du mot « diplôme » englobe tout diplôme délivré par un établissement de formation reconnu par les autorités chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer les établissements d’enseignement en Chine. La demanderesse affirme que le CADGEDC n’est pas une autorité répondant à cette définition. La demanderesse signale par ailleurs que le fait que le CADGEDC n’a pas le pouvoir de reconnaître l’établissement fréquenté par le conjoint de la demanderesse ne signifie pas pour autant qu’il ne s’agit pas d’un établissement de formation au sens du Règlement.

 

[16]           La demanderesse a joint à sa demande une copie certifiée conforme du diplôme de son conjoint ainsi que l’original de son relevé de notes. Lorsque la demanderesse lui a demandé de lui fournir une attestation d’études, le CADGEDC a répondu qu’il était incapable de produire un tel document parce qu’il n’était pas en mesure de vérifier les diplômes d’études collégiales ou les diplômes de formation professionnelle. La demanderesse n’a donc pas pu fournir à la CIC l’attestation d’études qu’elle réclamait.

 

[17]           La demanderesse explique qu’en Chine, les bureaux de notaires publics constituent l’organisme qui fait autorité lorsqu’il s’agit de certifier des documents, et notamment des diplômes. En fait, la demanderesse explique que, même après la création du CADGEDC en 2003, les bureaux de notaires publics ont continué à s’occuper de la plupart des demandes de certification des diplômes.

 

[18]           Qui plus est, la demanderesse signale que, dans le cas de certaines autres demandes d’immigration, on a accepté les diplômes délivrés par des établissements d’enseignement ou de formation professionnelle. La demanderesse cite l’exemple de deux personnes dont le conjoint a vu son diplôme reconnu sur la foi de copies dont l’authenticité a été certifiée par un notaire. Grâce en partie à ces diplômes légalisés, les membres de ces deux familles ont obtenu des visas de résidents permanents à Hong Kong en 2007.

Famille au Canada

[19]           Le frère de la demanderesse, sa femme et leur fille sont venus s’installer au Canada en 2004. Le frère de la demanderesse a toutefois fait la navette entre la Chine et le Canada pour son travail pendant leurs deux premières années de résidence. La demanderesse affirme qu’on a soumis à l’agent des éléments de preuve tendant à démontrer que la demanderesse a un frère et une nièce, qui sont tous les deux considérés comme des membres de la parenté au sens du paragraphe 83(5) du Règlement et qui vivaient au Canada lorsqu’elle a demandé le statut de résidente permanente et lorsque la décision a été rendue.

 

[20]           La demanderesse affirme que l’expression « qui vit au Canada » peut englober une personne qui a la résidence permanente mais qui se trouve à l’extérieur du pays pour des raisons d’affaires et dont le conjoint et l’enfant se trouvent toujours au pays. La demanderesse estime donc que l’agent a commis une erreur en déclarant que seule la belle-sœur de la demanderesse résidait au Canada et en ne lui attribuant aucun point d’appréciation pour ce facteur. La demanderesse soutient qu’en raison des membres de sa parenté en question, elle aurait dû obtenir cinq points d’appréciation au titre de la capacité d’adaptation parce qu’elle avait des membres de sa parenté au Canada.

 

 

Manquements à l’équité procédurale

 

Traitement irrégulier de la preuve

 

[21]           La demanderesse affirme que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en n’évaluant pas comme il le devait les éléments de preuve documentaires joints à sa demande. Par exemple, l’agent n’a pas pris acte du document légalisé délivré par le bureau de notaires public no 2 de Beijing dans lequel le notaire avait reconnu l’authenticité de la photocopie et des attestations originales délivrées par l’établissement d’enseignement fréquenté par le conjoint de la demanderesse. Rien ne permet de penser en l’espèce que l’agent a tenu compte des documents authentifiés par le notaire public. La demanderesse affirme que ces éléments de preuve étaient nécessaires et que le fait que l’agent n’a pas motivé suffisamment sa décision d’écarter ces éléments de preuve constitue un manquement à l’équité procédurale.

 

[22]           La demanderesse invoque le jugement Lak à l’appui de son argument que le défaut de l’agent de motiver suffisamment sa décision peut entraîner un manquement à l’équité procédurale et que ce défaut peut découler de l’omission de l’agent d’examiner les éléments de preuve fournis par le demandeur. Dans le cas qui nous occupe, rien ne permet de penser que l’agent a examiné les documents provenant du notaire public. Il a de ce fait manqué à l’équité procédurale.

 

[23]           La demanderesse croyait que l’attestation de diplôme faite par un bureau de notaires publics suffisait pour confirmer l’authenticité du diplôme parce que d’autres agents des visas avaient accepté cette pratique dans d’autres affaires et parce que l’agent ne l’avait pas informée que la légalisation n’était pas suffisante. De plus, le représentant de la demanderesse a soumis à l’agent une lettre expliquant que le CADGEDC ne pouvait fournir une attestation d’études et que le notaire public avait vérifié l’authenticité du diplôme. Ni la demanderesse ni son représentant n’ont reçu de réponse à cette lettre. En fait, ils n’ont reçu aucune lettre de l’agent jusqu’à la réception de la lettre de refus, environ deux ans et demi plus tard.

 

[24]           La demanderesse invoque le jugement Salman à l’appui de son argument que l’agent des visas a l’obligation de faire connaître ses réserves au demandeur lorsqu’il s’agit d’une question de crédibilité ou d’authenticité des documents et qu’il est tenu de fournir au demandeur l’occasion de dissiper de telles réserves (cité dans le jugement Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283).

 

[25]           Dans le même ordre d’idées, la demanderesse affirme que l’agent avait l’obligation de lui faire part de ses réserves au sujet des documents qui avaient été soumis en l’espèce et de lui fournir l’occasion de répondre. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit, et la demanderesse soutient que cet oubli constitue un manquement à l’équité procédurale. Qui plus est, dans le jugement Salman, la Cour a estimé que l’agent avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’explication fournie par le demandeur au sujet des raisons pour lesquelles il n’avait pas fourni le document habituel attestant qu’il avait terminé ses études et que l’agent des visas avait l’obligation d’examiner cette question plus à fond.

 

[26]           La demanderesse cite également le jugement Kojouri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1389, sur lequel elle se fonde pour affirmer que l’agent a l’obligation de demander des renseignements supplémentaires sur les documents au sujet desquels il a des réserves. Dans l’affaire Kojouri, l’agent avait manqué à son obligation en négligeant de débattre de la question avec le demandeur avant de conclure que les documents n’étaient pas dignes de foi. D’ailleurs, la Cour a estimé que le fait de rejeter ces éléments de preuve à cette étape de l’affaire constituait un manquement à l’équité procédurale.

 

[27]           Bien que la demanderesse reconnaisse qu’elle était tenue de soumettre à l’agent des renseignements pour qu’il les évalue, elle fait valoir qu’il existe des situations dans lesquelles l’équité procédurale exige que l’agent des visas entreprenne des recherches plus poussées. C’était le cas dans l’affaire Salman, et la demanderesse affirme qu’une obligation semblable existait en sa faveur en l’espèce.

 

[28]           Vu les arguments présentés, la demanderesse réclame l’annulation de l’ordonnance et demande que l’affaire soit renvoyée à l’agent pour qu’il la réexamine. Elle sollicite également les dépens de la présente demande.

 

Le défendeur

[29]           Le défendeur affirme qu’aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi, il incombe à la demanderesse de convaincre l’agent que la délivrance du visa ne contreviendrait pas aux dispositions de la Loi. En l’espèce, la demanderesse n’a pas convaincu l’agent qu’elle avait satisfait à toutes les exigences de la Loi.

 

Études

[30]           La demanderesse ne peut se voir créditer les études suivies par son conjoint que si les études en question sont jugées valides. Qui plus est, il incombe à la demanderesse d’établir la véracité des présumées études. En l’espèce, l’authenticité du diplôme n’a pas pu être vérifiée par le CADGEDC, qui est l’autorité reconnue par CIC qui est chargée de certifier la validité des diplômes chinois au sens de l’article 73 du Règlement.

 

[31]           L’agent a conclu que les études du conjoint de la demanderesse ne satisfaisaient pas à l’exigence prévue à l’alinéa 78(2)d) du Règlement voulant que les études soient des études postsecondaires. Ainsi que l’agent l’explique dans son affidavit, l’ambassade a reçu une lettre dans laquelle le CADGEDC expliquait qu’il n’était [traduction] « pas autorisé à vérifier des documents portant sur des études qui ne sont pas des études supérieures ». Les études suivies par le conjoint de la demanderesse n’étaient donc pas suffisamment avancées pour remplir les conditions requises pour permettre à la demanderesse d’obtenir des points d’appréciation. L’agent a suivi les dispositions législatives applicables pour arriver à sa décision et, bien que la demanderesse puisse ne pas être d’accord avec la valeur que l’agent a accordée à l’appréciation du CADGEDC, on ne peut conclure que l’agent a commis une erreur de droit.

 

Famille au Canada

[32]           Le défendeur affirme qu’il incombait à la demanderesse de fournir tous les renseignements et éléments de preuve pertinents à l’appui de sa demande de résidence permanente. Bien que la demanderesse conteste la décision de ne lui accorder aucun point d’appréciation au titre de la résidence de son frère au Canada, le défendeur soutient que cette décision s’explique par le fait que la demanderesse n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour permettre à l’agent de vérifier le bien-fondé de cette affirmation. Lorsqu’on lui a demandé de produire des éléments de preuve pour démontrer que son frère vivait au Canada, la demanderesse a répondu en soumettant une lettre dans laquelle elle expliquait que c’était sa belle-sœur qui vivait au Canada. Elle a présenté des éléments de preuve portant sur la résidence de sa belle-sœur. L’agent ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la demanderesse avait au Canada des membres de sa famille qui remplissaient les conditions requises. En conséquence, il n’a pas pu lui attribuer de points d’appréciation.

 

ANALYSE

            Études du conjoint

[33]           Ainsi qu’il ressort des notes versées au système STIDI, lorsque l’agent a examiné les études du conjoint en fonction du facteur de la capacité d’adaptation, il a conclu que [traduction] « le niveau le plus élevé d’études qu’il avait suivies l’avait été dans une école de formation professionnelle (laquelle n’est pas reconnue comme un établissement d’enseignement postsecondaire par le GADGEDC) : aucun point d’appréciation ».

 

[34]           Il est sans intérêt de savoir si les études postsecondaires du conjoint sont reconnues ou non par le CADGEDC. À mon avis, l’agent a tout simplement estimé que la reconnaissance accordée par le CADGEDC constituait une exigence de la Loi et du Règlement. Il s’agit d’une erreur de droit.

 

[35]           Le sous-alinéa 78(2)d)(i) du Règlement précise les conditions qui doivent être respectées pour qu’un programme d’études d’une durée de 2,5 années donne droit à 20 points d’appréciation dans le cas d’un diplôme autre qu’un diplôme universitaire :

 

d) 20 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant deux années d’études et a accumulé un total de quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

 

(d) 20 points for

 

(i) a two-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 14 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

 

 

 

 

 

[36]           Le CADGEDC a expliqué à l’agent qu’il n’était [traduction] « pas autorisé à vérifier des documents portant sur des études qui ne sont pas des études supérieures ». Bien qu’il y ait une certaine confusion au sujet de ce que le CADGEDC voulait dire par « études qui ne sont pas des études supérieures », il est évident pour moi, vu le contexte de la présente affaire, que le CADGEDC expliquait simplement qu’il ne pouvait pas vérifier les études suivies dans un établissement de formation professionnelle à ce moment-là.

 

[37]           Cela ne signifiait pas que les études suivies par le conjoint dans une école de formation professionnelle ne comptaient pas lorsqu’il s’agissait d’apprécier la capacité d’adaptation de la demanderesse ou encore qu’elles n’avaient pas été vérifiées par un autre moyen. L’agent a simplement décidé de ne pas tenir compte des études suivies dans une école de formation professionnelle parce que le CADGEDC n’était pas en mesure de les vérifier.

 

[38]           Ce faisant, l’agent a commis une erreur de droit, en considérant qu’une vérification par le CADGEDC constituait une des exigences de la Loi. Il a également commis une erreur procédurale en ne tenant aucun compte des éléments de preuve que lui avait soumis la demanderesse pour établir l’authenticité et/ou en ne faisant pas connaître ses réserves à la demanderesse pour lui permettre d’y répondre (Lak, paragraphes 13 à 15, Salman, aux paragraphes 11 à 16, Kojouri, aux paragraphes 17 et 18).

 

[39]           Si l’agent avait correctement abordé cette question, la demanderesse aurait, suivant les éléments de preuve dont je dispose, obtenu quatre points d’appréciation de plus.

 

Membres de la parenté vivant au Canada

[40]           Ainsi qu’il ressort des notes versées au système STIDI, sur cette question, l’agent a conclu ce qui suit : [traduction] « Le frère de PA est PR, mais seule sa conjointe (la belle‑sœur de PA) réside au Canada) : aucun point d’appréciation ».

 

[41]           Dans l’affidavit qu’il a souscrit dans le cadre de la présente demande, l’agent invoque les raisons suivantes pour expliquer sa décision de n’accorder aucun point d’appréciation pour ce facteur :

 

[traduction]

17.              Dans sa demande, la demanderesse affirme qu’elle a un frère qui vit au Canada et qui a le statut de résident permanent. Elle n’a toutefois soumis aucun élément de preuve pour appuyer cette affirmation. Nous avons demandé à la demanderesse de soumettre une preuve établissant que son frère vit au Canada et qu’il est un résident permanent. Le 28 avril 2006, la demanderesse a écrit une lettre dans laquelle elle prenait acte de notre demande mais expliquait que c’était sa belle-sœur qui vivait au Canada. Elle a joint des éléments de preuve documentaires indiquant que sa belle-sœur réside au Canada, mais elle n’a pas soumis d’éléments de preuve démontrant que son frère vit aussi au Canada. Une copie certifiée conforme de cette lettre du 28 avril 2006 est jointe au présent affidavit sous la cote B.

 

18.              Nous avons jugé raisonnable de conclure que la demanderesse n’a pas de frère ou sœur qui vit au Canada, de sorte qu’aucun point d’appréciation ne lui est attribué en ce qui concerne sa capacité d’adaptation.

 

[42]           Dans sa lettre du 28 avril 2006, qui se voulait une réponse à la demande de l’agent visant à obtenir une preuve que la demanderesse avait effectivement un frère qui vivait au Canada, la demanderesse a soumis des éléments de preuve suivant lesquels la femme de son frère (sa belle‑sœur) vivait et travaillait à Toronto.

 

[43]           L’agent semble avoir décidé que cette preuve était insuffisante pour établir que la demanderesse avait au Canada des membres de sa famille qui remplissaient les conditions prévues au paragraphe 83(5) du Règlement.

 

[44]           Voici les documents que la demanderesse a produits pour établir que son frère (Wang Chunming) avait le statut de résident permanent :

 

Les documents suivants ont été transmis à CIC le 19 janvier 2006 :

 

a.                  Confirmation du statut de résident permanent (document attestant l’octroi du droit d’établissement) de Wang Chunming;

 

b.                  Carte de résidente permanente de Tong Qian, la femme de Wang Chunming;

 

c.                  Attestation d’études de Tong Qian délivrée par l’université où elle étudiait;

 

d.                  Certificat de mariage de Wang Chunming et de Tong Qian (indiquant les liens entre la demanderesse et les autres membres de la parenté au Canada).

 

Les documents suivants ont été transmis à CIC le 17 décembre 2008 :

 

a.                  Carte de résident permanent de Wang Chunming;

 

b.                  Confirmation du statut de résident permanent (document attestant l’octroi du droit d’établissement) de Wang Chunming;

 

c.                  Permis de conduire (canadien) de Wang Chunming;

 

d.                  Versements échelonnés sur la maison;

 

e.                  Attestation d’études de Wang Chunming établie par son professeur;

 

f.                    Lettre du commissaire du revenu concernant Wang Chunming;

 

g.                  Carte de citoyenneté de Wang Yiqun, la nièce de la demanderesse;

 

h.                  Attestation d’études de Wang Yiqun;

 

i.                    Carte de citoyenneté de Tong Qian, la belle-sœur de la demanderesse.

 

j.                    Factures au nom de Tong Qian pour les services d’eau et d’électricité.

 

 

[45]           Il ressort à mon avis de la teneur de la lettre du 28 avril 2006 que la demanderesse cherchait simplement à expliquer que la présence de la femme de son frère au Canada était une preuve de la résidence permanente de sa famille au Canada. La situation s’explique par le fait que son frère était en Chine pour son travail.

 

[46]           S’il y avait de l’ambiguïté à ce sujet, la demanderesse avait reçu l’assurance suivante du consulat canadien dans une lettre du 9 mai 2006 : [traduction] « [N]ous communiquerons avec vous si nous avons besoin d’autres renseignements ou documents pour pouvoir effectuer notre évaluation ». L’agent ne s’est pas donné la peine de réclamer des renseignements supplémentaires au sujet des allées et venues du frère de la demanderesse ou pour savoir pourquoi cette dernière avait fourni des éléments de preuve au sujet de la femme de son frère. L’agent a tout simplement décidé que la demanderesse n’avait pas démontré que son frère vivait au Canada. Mais la preuve de sa résidence permanente et l’engagement du consulat de laisser savoir à la demanderesse si des renseignements complémentaires étaient nécessaires confèrent un caractère inusité à la présente affaire. La décision de l’agent de ne pas réclamer de renseignements complémentaires pour clarifier l’ambiguïté relevée dans la lettre du 28 avril 2006 de la demanderesse constituait un manquement à l’équité procédurale.

 

[47]           Rien ne permet de conclure que le frère de la demanderesse ne résidait pas au Canada. Ce n’est pas parce que son frère se trouvait temporairement en Chine dans le cadre d’un voyage d’affaires qu’il faut nécessairement conclure qu’il ne résidait pas au Canada (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 812.) L’agent ne s’est tout simplement pas donné la peine d’apprécier l’ensemble de la preuve ou de demander des éclaircissements à la demanderesse pour dissiper la confusion qui avait pu être créée au sujet du statut de son frère au Canada, en s’autorisant de la lettre du 9 mai 2006 du consulat.

 

[48]           Si l’agent avait apprécié ce facteur comme il se doit, la demanderesse aurait pu obtenir cinq points d’appréciation de plus, ce qui lui aurait donné neuf points de plus en tout et aurait porté son total de points au-delà des 67 points d’appréciation nécessaires pour remplir les conditions requises.

 

[49]           La demanderesse réclame les dépens de la présente demande. L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés prévoit que la présente demande ne donne pas lieu à des dépens, sauf si des raisons spéciales justifient d’en adjuger. La demanderesse n’a invoqué aucune raison spéciale qui justifierait une telle ordonnance. Bien que je conclue qu’il existe des raisons suffisantes pour annuler l’ordonnance et pour renvoyer l’affaire à l’agent pour qu’il la réexamine, je ne crois pas qu’il existe en l’espèce des raisons spéciales qui justifient d’adjuger des dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il la réexamine en conformité avec les présents motifs.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

                                                                                                                      Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-223-09

 

INTITULÉ :                                                   LU WANG

                                                                        c.        

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             St. John’s (Terre-Neuve)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 octobre 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Kate O’Brien                                                   POUR LA DEMANDERESSE

 

Patricia MacPhee                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kate O’Brien                                                   POUR LA DEMANDERESSE

279, rue Duckworth

St. John’s (Terre-Neuve)

                       

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur

général du Canada

 

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