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Date : 20091029

Dossier : IMM-1379-09

Référence : 2009 CF 1090

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Janhun Sufiana TURAY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) d’une décision en date du 18 mars 2009 par laquelle M. Daniel Godin, l’agent de renvoi, a refusé la demande du demandeur qui sollicitait un report de la mesure de renvoi du Canada prise contre lui.

 

* * * * * * * *

[2]               M. Janhun Sufiana Turay (le demandeur) est un citoyen de la Sierra Leone. Il a fui ce pays en 1996 pour la Guinée, où il est demeuré jusqu’à son départ pour le Canada en 2002. Il est arrivé au Canada le 13 février 2002 et a revendiqué le statut de réfugié le lendemain. Il est actuellement marié à Oumou Touré, une résidente permanente du Canada, et ils ont trois enfants, qui sont tous des citoyens canadiens.

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a rejeté la demande d’asile de M. Turay le 14 novembre 2002 au motif que M. Turay n’était pas crédible. M. Turay a marié sa première épouse, Hadja Lyka Diallo, le 4 décembre 2002, et, le 3 février 2003, il a déposé une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, invoquant le risque que pose son renvoi. Cette demande a par la suite été étayée par une demande de parrainage déposée par la première épouse du demandeur en juillet 2005 (la première demande de résidence permanente “RP”).

 

[4]               Le 28 mars 2003, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par M. Turay à l’égard de la décision de la Commission. La mesure de renvoi prise à l’arrivée de M. Turay est alors devenue exécutoire. Le 18 juillet 2006, M. Turay a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) invoquant un risque de persécution de la part de rebelles sur le fondement de sa religion et de sa race s’il était renvoyé en Sierra Leone. Il a par la suite été sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 232 de la Loi.

 

[5]               Le 7 août 2006, l’agent d’ERAR a statué que le demandeur ne serait exposé à aucun risque à son retour en Sierra Leone. Le couple s’est séparé en septembre 2006. Le 6 octobre 2006, une décision défavorable a été rendue relativement à la première demande de RP au motif que le mariage entre M. Turay et Mme Diallo n’était pas authentique.

 

[6]               L’agent d’ERAR a rendu une décision défavorable le 20 novembre 2006, et la mesure de renvoi est redevenue exécutoire. L’agent d’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada (« ASFC ») a pris rendez-vous avec le demandeur pour le 14 décembre 2006. La décision défavorable de l’agent d’ERAR devait lui être communiquée lors de cette rencontre. Cependant, le demandeur ne s’est pas présenté au rendez-vous, et un mandat d’arrestation a été délivré contre lui le 20 décembre 2006.

 

[7]               Presque deux ans plus tard, en septembre 2008, le demandeur a obtenu un divorce de sa première épouse. Le fils qu’il a eu avec Oumou Touré, appelé Barack, est né le 14 décembre 2008. Le demandeur et Oumou Touré se sont mariés le 27 décembre 2008. Le demandeur affirme dans son affidavit qu’il a rencontré Mme Touré en 2003. Ils sont tombés amoureux l’un de l’autre peu après leur première rencontre, même si le demandeur était marié avec sa première épouse, Mme Diallo.

 

[8]               Le demandeur a déposé une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux au Canada accompagnée d’une demande de parrainage déposée par Mme Touré le 16 février 2009 (la deuxième demande de RP). Il n’a pas encore été statué sur cette demande.

 

[9]               Le 5 mars 2009, le demandeur s’est rendu au bureau de l’ASFC, où il a été arrêté puis remis en liberté sous conditions. La décision défavorable de l’agent d’ERAR a été communiquée au demandeur le 9 mars 2009, et le renvoi du demandeur a été fixé au 27 mars 2009. Le demandeur a sollicité un sursis administratif de la mesure de renvoi, le 10 mars 2009, en attendant que sa deuxième demande de RP fasse l’objet d’une décision définitive. L’agent a refusé la demande.

 

[10]           Le 20 mars 2009, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent de renvoi. Il a obtenu un sursis judiciaire à la mesure de renvoi le 26 mars 2009. Le juge Luc Martineau a conclu que le demandeur avait soulevé une question sérieuse relativement au défaut de l’agent de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants.

 

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[11]           Le 17 mars 2009, l’agent de renvoi a examiné la demande de sursis administratif. Au soutien de la demande de report de son renvoi, le demandeur a invoqué le fait qu’il était le père des enfants d’Oumou Touré, que sa présence était indispensable pour assurer la santé mentale de son épouse, qu’il jouait un rôle important dans la vie de ses enfants et qu’il fournissait un soutien financier et moral à sa famille.

 

[12]           L’agent de renvoi a tout d’abord affirmé qu’il avait pris en compte l’intérêt supérieur des enfants, puis il a conclu que les facteurs invoqués par le demandeur ne justifiaient pas un sursis administratif.

 

[13]           Voici les motifs précis évoqués par l’agent de renvoi :

-         Le demandeur a résidé illégalement au Canada de décembre 2006 à mars 2009, et tout au long de cette période, il était l’objet d’un mandat d’arrestation;

 

-         Sa récente demande de RP a été déposée après qu’il eut été accédé à sa demande d’ERAR, de sorte qu’il n’y a aucun sursis de la mesure de renvoi en attendant l’examen de la demande de RP;

 

-         Le passé de son épouse a laissé des séquelles psychologiques; cependant, son stress a diminué depuis qu’elle s’est vu accorder le statut de résidente permanente. Elle semble avoir accès à un éventail d’organismes pour l’aider à s’occuper des enfants et à composer avec sa condition psychologique.

 

 

 

[14]           Le demandeur soutient uniquement que l’agent de renvoi n’a pas adéquatement pris en compte l’intérêt supérieur des enfants dans la présente affaire.

 

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[15]           La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution de la loi refusant de reporter le renvoi d’un demandeur du Canada est la norme de la décision raisonnable (Baron c. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile 2009 CAF 81). La cour devrait intervenir si la décision de l’agent de renvoi était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Si la cour conclut qu’il y a eu une analyse déficiente de l’intérêt supérieur des enfants, la décision de l’agent d’exécution de la loi sera jugée déraisonnable (Kolosovs c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 165).

 

[16]           L’agent de renvoi tire son pouvoir du paragraphe 48(2) de la Loi, qui impose au ministre l’obligation positive d’exécuter une mesure de renvoi valide. Cependant, même selon l’interprétation la plus restrictive du paragraphe 48(2), plusieurs variables peuvent influer sur le moment de l’exécution de la mesure de renvoi, qui, aux termes du paragraphe 48(2), est exécutée « dès que les circonstances le permettent », comme l’a confirmé le juge Denis Pelletier dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 682 (1re inst.). Il y a seulement deux catégories de facteurs qui peuvent influer sur la décision de l’agent : factuel (« dès que les circonstances le permettent ») et juridique (raisonnable). Ceci a été affirmé dans Vidaurre Cortes c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, (2007), 308 F.T.R. 69, au paragraphe 10 :

[…] le renvoi doit avoir lieu le plus tôt possible, mais uniquement dès que les circonstances le permettent […]

 

Il est bien établi que « le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité » (Baron, précité, par. 49).

 

[17]           Les considérations pratiques comprennent « la maladie, d'autres raisons à l'encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face » (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 A.C.F. no 936, (1re inst.) (QL) cité dans Baron, précité, par. 49; voir aussi Hasan c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 1100, par.  8). Dans Baron, au paragraphe 51, la Cour fédérale a approuvé les commentaires formulés dans Wang, précité, définissant les difficultés causées à la famille comme une variable de faible importance pour un agent de renvoi. En effet, le juge Pelletier a affirmé ce qui suit :

[48]    [Un exemple de politique qui respecte le pouvoir discrétionnaire de différer tout en limitant son application aux cas qui respectent l'économie de la Loi] est de réserver l'exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu'un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet […]

 

 

[18]           Dans Mauricette c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420, au paragraphe 23, la Cour a expliqué le critère de la raisonnabilité comme suit :

[…] lorsque des circonstances impérieuses obligent l’agent à différer un renvoi, alors le juge exigera que l’agent exerce ce pouvoir discrétionnaire.

 

[19]           L’intérêt supérieur des enfants peut constituer une circonstance personnelle impérieuse. Cependant, la Cour dans Baron a commenté la pertinence de l’intérêt supérieur de l’enfant au paragraphe 57 :

[…] La jurisprudence de la Cour indique clairement que les immigrants illégaux ne peuvent se soustraire à l’exécution d’une mesure de renvoi valide simplement parce qu’ils sont les parents d’enfants nés au Canada […] l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi.

 

 

 

[20]           Dans Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 3, la Cour d’appel fédérale a statué en termes clairs que l’intérêt supérieur des enfants n’est pas un facteur important dont l’agent de renvoi doit tenir compte :

[16]     […] Compte tenu du peu de latitude dont jouit l’agent de renvoi pour l’accomplissement de ses tâches, son obligation, le cas échéant, de prendre en considération l’intérêt des enfants touchés est minime, contrairement à l’examen complet qui doit être mené dans le cadre d’une demande CH présentée en vertu du paragraphe 25(1).

 

 

[21]           L’agent de renvoi doit seulement prendre en compte les intérêts à court terme des enfants, et sans procéder à aucune analyse approfondie à ce sujet. Dans Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 664, le juge Yves de Montigny a expressément distingué les types d’évaluations relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant auxquelles procèdent différents types d’agents en vertu de la Loi :

[39]     Lorsque qu’il évalue une demande CH, l’agent d’immigration doit pondérer l’intérêt de l’enfant à long terme. […] Les facteurs liés au bien-être émotif, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération […]  Dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), au paragraphe 6, le juge Décary résume brièvement le tout : « l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent ».

 

[40]     Il est clair que ce n’est pas ce genre d’évaluation qu’un agent de renvoi doit faire lorsqu’il doit décider quand « les circonstances [. . .] permettent » d’appliquer une ordonnance de renvoi. Toutefois, il doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme. Par exemple, il est clair que l’agent de renvoi a le pouvoir discrétionnaire de surseoir au renvoi jusqu’à ce que l’enfant ait terminé son année scolaire, si l’enfant doit quitter avec l’un de ses parents. De la même façon, je ne peux tirer la conclusion que l’agent de renvoi ne devrait pas vérifier si des dispositions ont été prises pour que l’enfant qui reste au Canada soit confié aux bons soins d’autres personnes si ses parents sont renvoyés. Il est clair que ceci est dans son mandat, dans la mesure où l’article 48 de la LIPR doit s’accorder avec les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le fait de s’enquérir de la question de savoir si on s’occupera correctement d’un enfant ne constitue pas une évaluation CH approfondie et ne fait en aucune façon double emploi avec le rôle de l’agent d’immigration qui doit par la suite traiter d’une telle demande […]                                                     [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[22]           C’est dans le contexte de cette interprétation étroite du pouvoir discrétionnaire que je dois apprécier le caractère raisonnable de la décision de l’agent de renvoi. Le facteur décisif à examiner dans le cadre de la présente demande tient à la question de savoir si l’intérêt supérieur des enfants a été adéquatement pris en compte.

 

[23]           En l’espèce, le demandeur soutient que l’agent de renvoi n’a tiré aucune conclusion quant à savoir ce qui était dans l’intérêt supérieur des enfants dans la présente affaire. L’agent de renvoi mentionne seulement qu’il a examiné cette question et qu’il a conclu que la demande de report de l’exécution de la mesure de renvoi devrait être refusée.

 

[24]           Pour sa part, le défendeur soutient que l’agent de renvoi a statué que la mère des enfants serait capable de s’occuper des enfants puisqu’elle avait accès aux services de nombreux organismes sociaux, et que son stress avait diminué depuis qu’elle s’était vu accorder le statut de résidente permanente.

 

[25]           Chose plus importante, le défendeur soutient qu’il y a deux raisons majeures qui illustrent le caractère raisonnable de la décision de l’agent de renvoi. La première est que le demandeur a retardé ou empêché son renvoi du Canada, et la deuxième est que la demande de statut de résident permanent a été déposée après que la mesure de renvoi fut devenue exécutoire.

 

[26]           Malgré mes réserves quant à la manière dont l’agent de renvoi a apprécié et pondéré les éléments de preuve dont il disposait, j’adopte le raisonnement du défendeur. Je conclus que la décision était une issue possible, que l’intérêt supérieur des enfants a été évalué, et que, dans les circonstances, une cour de révision ne devrait pas s’immiscer dans la pondération des éléments de preuve effectuée par le décideur.

 

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[27]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire d’une décision, en date du 18 mars 2009, par laquelle de M. Daniel Godin a refusé la demande du demandeur sollicitant un report de l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre lui, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1379-09

 

INTITULÉ :                                                   Janhun Sufiana TURAY c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 13 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jared Will

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Normand Lemyre

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jared Will

POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

 

 

John H. Sims, c.r.

POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 

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